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Interview   

John Petrucci a la guitare qui le démange…


Il aura bien fallu une pandémie pour stopper Dream Theater dans son incessante marche en avant, à enchaîner les cycles avec la rigueur d’une horloge suisse. Enfin, « stopper » est un bien grand mot : le quintet a d’ores et déjà avancé son planning pour pallier le manque de tournées et plancher sur son quinzième album studio, pendant qu’un neuvième album live s’apprête à voir le jour…

Dream Theater s’est tout de même accordé quelques mois de pause, l’occasion pour John Petrucci d’offrir (enfin) un successeur à Suspended Animation, son premier album solo sorti il y a quinze ans. Et l’occasion pour nous de prendre le temps d’aller un petit peu plus dans « l’intimité » musicale du guitariste, qui nous parle du rapport entre Dream Theater et sa carrière solo, de la place de la musique instrumentale dans sa carrière, de ses influences et en particulier celle de Steve Morse, de son de guitare, etc. Et bien sûr, impossible de passer à côté de ses retrouvailles, longtemps espérées, avec Mike Portnoy, au sujet desquelles il nous répond avec franchise.

« Si vous prenez certains morceaux [de Dream Theater] qui ont été faits à partir des années 2000 après le début de ma carrière solo, vous entendrez de longues sections mélodiques qui sont quelque chose pour lequel j’ai développé une plus grande compétence grâce à ma carrière solo. »

Radio Metal : Quinze ans se sont écoulés depuis Suspended Animation, ton premier album solo, de toute évidence parce que tu étais très occupé à tourner, composer et enregistrer avec Dream Theater…

John Petrucci (guitare) : Oui, exactement ! Ça fait de nombreuses années que je n’ai pas eu de temps libre pour faire ce genre de chose, car comme tu l’as dit, Dream Theater me prend beaucoup de temps à tourner, produire, écrire, en studio… Il m’a fallu trois mois pour composer, enregistrer et finaliser cet album, Terminal Velocity. Ça a été difficile au fil des années d’avoir trois mois consécutifs de disponibilité comme ça. Je me souviens que ça avait été dur quand j’ai fait Suspended Animation, car je l’ai fait de manière fragmentée et je ne l’ai pas fait dans mon propre studio, je devais faire un trajet d’une heure et demie pour aller au studio, et c’était entre les tournées, et je faisais deux ou trois heures par ci, deux ou trois jours par là. Je suppose que j’aurais pu enregistrer Terminal Velocity plus tôt en le faisant un petit peu comme ça aussi, mais ce n’est clairement pas ma manière préférée de travailler. Je n’aime pas travailler comme ça. J’aime me mettre dans l’état d’esprit du projet et pouvoir me concentrer dessus du début à la fin, je préfère cette façon travailler. Heureusement, avec celui-ci j’ai pu faire ça, car j’ai attendu le bon moment, et c’est ce qui explique que ça ait pris autant de temps.

Tu penses que Terminal Velocity a bénéficié de cette façon de faire par rapport à Suspended Animation ?

Oui ! Je trouve que Suspended Animation est très bon, je suis très fier de cet album, mais je pense que je me suis beaucoup amélioré avec ma composition, mes sons de guitare, ma production. Je trouve que Terminal Velocity est un niveau au-dessus. C’est une progression et oui, le fait d’avoir pu me focaliser dessus dans la période où je l’ai fait a clairement profité à cet album, absolument.

Autant ça doit être super d’être autant occupé avec son groupe principal, autant ne te sens-tu pas parfois un peu coincé dans le rythme effréné de tournées, de composition et d’enregistrement de Dream Theater qui, ces dernières années, n’a laissé aucune place pour quoi que ce soit d’autre dans ta vie créative ?

Tout est une question de choix, car ce n’est pas qu’il n’y a pas la place, c’est juste que je tire profit de ce temps différemment. J’ai pu développer une carrière solo en parallèle, donc entre les tournées et les enregistrements de Dream Theater, j’ai fait de nombreuses tournées du G3 avec Joe Satriani – probablement huit à ce jour, je crois – et deux camps de guitare. Je suis donc toujours occupé avec ma carrière solo. C’est juste une question de savoir comment je choisis de passer ce temps. Trouver le temps d’enregistrer n’était pas facile, mais évidemment maintenant j’ai pu trouver le temps nécessaire. De même, non seulement en tant que guitariste mais aussi en tant que compositeur, parolier et producteur, Dream Theater représente toute ma vie musicale et toute ma carrière, et ce groupe est artistiquement incroyablement gratifiant pour moi et pour tous les gars. Le projet solo c’est un truc à côté, c’est amusant et je trouve que c’est cool de développer cette partie de ma carrière, de faire des choses différentes et de simplement célébrer la guitare en faisant le G3 et mes albums solos, mais mon projet principal a toujours été Dream Theater et il a été incroyablement épanouissant pour moi pendant plus de trente-cinq ans maintenant, c’est absolument extraordinaire.

Tu as déclaré vouloir que « les nouveaux morceaux montrent vraiment qui [tu es] en tant que musicien et donner une représentation actuelle d’où [tu] en [es] musicalement et de la manière dont [tu] aime[s] [t’]exprimer sur l’instrument ». comment décrirais-tu où tu en es musicalement et en termes d’expression sur l’instrument, comparé à il y a quinze ans et plus ?

J’aime bien piocher dans différents styles. Vous l’entendrez dans l’album. On y trouve du blues, du metal évidemment et ce à quoi on pourrait s’attendre de ma part dans le domaine progressif, mais ensuite il y a aussi du pur rock n’ roll, du shuffle, un peu de musique latine, il y a un solo gypsy jazz, des choses que je n’ai pas montrées avant mais que je m’amuse à faire en tant que guitariste, et c’est la première fois que j’enregistre cette partie de moi. Je pense aussi avoir pu développer mon expressivité. Quand j’ai sorti Suspended Animation il y a quinze ans, j’étais encore un peu novice dans cette carrière solo. Depuis, j’ai eu énormément d’expériences qui m’ont permis de développer cette part de mon jeu, comme je l’ai dit, avec mes tournées solos en prenant part au G3 et avec mes camps. J’ai gagné en assurance dans ce domaine. Je pense que cet album reflète un guitariste plus expérimenté et une version améliorée de moi-même. On peut entendre par où je suis passé pour développer mon son, ma composition et mes talents de producteur. Je pense que c’est une évolution et c’est un excellent exemple de qui je suis musicalement et en tant que guitariste, de ma quête sonore et ce genre de chose. C’est quelque chose dont je suis très fier.

« C’était vraiment une super façon d’échapper à l’incertitude, à la négativité, à tout ce qui était en train de se passer, et de se concentrer sur quelque chose de très positif, c’est-à-dire la musique. »

Vois-tu parfois ta carrière solo comme un genre de laboratoire dont Dream Theater profite ensuite ?

Oui, bien sûr, ça peut arriver. Une des choses que j’ai remarquées est que, quand on m’a demandé pour la première fois de faire le G3 en 2001, je n’avais pas de morceaux solos et je jouais sur scène avec des gars comme Joe Satriani et Steve Vai, ça m’a montré une autre manière de se mettre en avant en tant que guitariste et depuis je n’ai cessé de gagner en assurance dans ce domaine. Je pense que ça a clairement déteint sur Dream Theater, dans ma manière de m’exprimer dans le groupe. C’est donc en partie de l’expression, le fait de prendre les rênes et d’assumer le rôle de l’instrument expressif quand c’est nécessaire. Si vous prenez certains morceaux qui ont été faits à partir des années 2000 après le début de ma carrière solo, vous entendrez de longues sections mélodiques qui sont quelque chose pour lequel, je pense, j’ai développé une plus grande compétence grâce à ma carrière solo. On l’entend surtout dans mes solos et dans mon jeu mélodique. Donc oui, c’est clairement un lieu d’expérimentation pour moi ou, comme tu l’as dit, un laboratoire, où je peux explorer différentes choses. Si j’apprends quelque chose de nouveau, je l’apporte dans Dream Theater. Et vice versa : sur le dernier album de Dream Theater, Distance Over Time, nous avons fait de grands progrès sur notre manière d’enregistrer la guitare et sur le son de guitare, et j’ai pris toute cette expérience et j’ai utilisé exactement la même méthode sur Terminal Velocity. Les deux fonctionnent main dans la main. Ce que j’apprends dans l’un bénéficiera à l’autre.

On peut entendre des influences latines/flamenco dans « Gemini ». Ça fait partie des choses que tu n’as pas beaucoup montrées jusqu’à présent. Quelle a été ta relation à la musique latine ?

Tout d’abord, c’est une musique extraordinaire. J’adore le feeling, le groove et les choix harmoniques de cette musique. Beaucoup de gens le savent déjà, mais Al Di Meola et sa musique ont été une énorme influence pour moi. Donc le fait de jouer ce style qui a un côté un peu latin, avec un jeu typé gypsy jazz à la guitare, au médiator, et jouer ces phrasés rapides, c’est directement influencé par Al Di Meola, Paco De Lucia, John McLaughlin, ce style de jeu acoustique, c’est certain.

« Gemini » est en fait un morceau très vieux datant du début des années 90 quand tu faisais des cliniques de guitare. On peut d’ailleurs entendre un extrait dans ta vidéo Rock Discipline. Quel est ton regard sur le jeune John Petrucci qui a écrit ce morceau il y a presque trente ans ?

Tu as raison, c’est la plus vieille chanson de l’album ! A l’époque, je commençais ma carrière, Dream Theater en était à ses balbutiements et c’était le début des années 90. C’est là que nous avons goûté pour la première fois au succès avec Images And Words et la chanson « Pull Me Under » et que nous avons commencé pour la première fois à tourner dans le monde, à jouer internationalement. Nous jouions un nouveau style de musique, ce metal progressif qui était vraiment différent de tout ce qui existait à l’époque ; dans les années 90, tout tournait autour du grunge. Nous étions jeunes et nous étions en train de trouver notre propre voix dans l’industrie musicale. J’en ai de super souvenirs ! Repenser à cette époque était très excitant. Ceci étant dit, quand j’ai commencé à revisiter cette chanson et à la réapprendre, j’ai trouvé que le style d’écriture était un peu immature, ça ne sonnait pas bien développé comparé aux nouveaux morceaux que j’étais en train de composer pour Terminal Velocity. Mais une fois que j’ai commencé à l’enregistrer et à rentrer dedans, en changeant des choses ici et là, en ajoutant un solo acoustique, en modifiant un peu certains mouvements d’accords, le morceau a commencé à davantage ressembler à ce que je fais aujourd’hui. Mais ma première pensée était de me dire que c’était un morceau très sympa mais pas très bien composé, immature, j’avais l’impression d’entendre une version plus jeune de moi-même. J’ai donc essayé de le travailler pour le ramener à notre époque. Je trouve que maintenant il a joliment sa place dans l’album.

Plus de la moitié de l’album est composé de nouvelles musiques créées en studio pendant le confinement. Comment le fait d’être dans ta propre bulle, à te concentrer sur la musique et ta créativité, t’a aidé à mieux gérer cette situation stressante et effrayante qu’on a tous traversée ?

Il est clair que ça a grandement aidé, car surtout quand on vit à New York, en mars, c’était vraiment l’épicentre de la région des Etats-Unis qui avait été la plus touchée. New York s’est complètement arrêté. Alors pouvoir s’échapper du monde extérieur, échapper aux informations et simplement aller dans un studio près de chez moi et y passer cinq jours par semaine, dix heures par jour, pour travailler sur de la musique, c’était très thérapeutique. C’était vraiment une super façon d’échapper à l’incertitude, à la négativité, à tout ce qui était en train de se passer, et de se concentrer sur quelque chose de très positif, c’est-à-dire la musique. Ça m’a énormément aidé.

« Au début, il est clair que j’ai été dévasté quand Mike Portnoy est parti. D’un autre côté, […] musicalement, ça a été incroyablement satisfaisant pour moi de continuer Dream Theater avec Mike Mangini. […] Y a-t-il plus chanceux que moi ? Je peux jouer avec Mike Portnoy et je peux jouer avec Mike Mangini. »

Les longues pauses deviennent très rares de nos jours pour les musiciens, et autant la situation actuelle représente une perte pour eux, car ils ne tournent pas, c’est aussi une période où ils peuvent se détendre et prendre le temps d’être créatifs et trouver d’autres manières de communiquer avec les fans. Penses-tu que cette situation est un mal pour un bien, à certains égards, pour les musiciens ?

C’est dur à dire, car si on considère la manière dont cette situation a affecté la Terre entière, c’est probablement notre pire cauchemar, donc je ne verrais pas ça comme un bien. Je verrais plutôt ça comme une occasion, non seulement pour les musiciens et l’industrie du divertissement, mais aussi pour d’autres industries, de pivoter et de travailler de manière créative pour essayer de s’adapter à cette période. Certains changements opérés par les gens pourraient devenir permanents, ils ont peut-être trouvé de nouvelles manières de faire les choses. Si on parle spécifiquement des musiciens et de l’industrie musicale, sans tournée, sans ce niveau de revenu et sans la possibilité d’employer les différentes personnes qui travaillent dans les équipes et tout, ça a forcé les gens à trouver d’autres solutions, comme tu l’as dit, pour communiquer avec les fans. Pour ma part, je me suis mis en mode créatif, qui est le mode dans lequel je suis le plus à l’aise. D’autres gens ont préféré être plus actifs sur les réseaux sociaux, des choses comme Twitch, etc. Tout dépend du musicien, et peut-être que ces choses deviendront des outils vraiment cool et utiles pour développer la carrière des gens. Mais appeler ça un mal pour un bien est un peu fort, car je ne souhaiterais à personne de revivre ça à l’avenir [rires]. Je pense que c’est plus par nécessité que les gens ont appris à s’adapter et à pivoter, mais on veut tous retrouver un monde où la musique live est possible.

Tout le monde dit qu’à la sortie de cette crise, la société sera différente. Penses-tu que ce sera pareil pour les groupes, qu’ils prendront peut-être plus de temps entre les tournées ? Car ces dernières années, on a vu beaucoup de groupes faire des burn-out, car ils sont obligés d’énormément tourner…

Oui. C’est une situation difficile. Si les groupes ont dû tourner de plus en plus, c’est parce que les ventes de CD et vinyles ont énormément baissé et que les plateformes de streaming ont pris le relais avec une bien moindre rémunération. Les groupes gagnent donc leur vie sur la route. Je ne pense pas que ça changera de sitôt. Même avec tous les autres moyens qui existent aujourd’hui de se connecter aux gens et de faire des événements en streaming, ce n’est tout simplement pas la même expérience et ce n’est pas comparable financièrement, je pense que ça ne permettra pas à la plupart des groupes d’en vivre, mais on verra. Peut-être que le monde se transformera en une combinaison des deux. Je pense que les gens, en général, aiment les vrais concerts, les prestations en live, les salles de concerts, et je pense que tout le monde a très envie que ça revienne. Il est clair qu’il y aura des changements drastiques, il s’agit juste de savoir combien de temps ça va durer. Quand finalement tout commencera à revenir, à quoi ça ressemblera ? Est-ce que les salles seront à moitié pleines ? Je ne sais pas, mais je pense que, dans l’ensemble, peu importe le temps que ça prendra, que ce soit un, deux, trois ou quatre ans, ça finira par revenir au même stade où nous en étions avant. Avec un peu de chance, les gens apprendront de ce que l’on vit et si quelque chose comme ça se représente un jour, nous saurons mieux y faire face, en ayant appris de cette expérience.

L’une des particularités de cet album solo, qui a fait couler beaucoup d’encre, est le fait que c’est le premier album que tu enregistres avec Mike Portnoy depuis Black Clouds & Silver Linings, il y a plus de dix ans. On a vu, surtout ces dernières années, des photos de vous deux passer du bon temps ensemble, mais quand l’idée de refaire de la musique ensemble est-elle venue ?

J’étais en train de travailler sur l’album et j’essayais de décider qui il me fallait pour jouer la batterie dessus, je n’étais pas sûr à cent pour cent. J’ai parlé à Mike d’autre chose à la même période, j’en ai profité pour lui dire que j’étais en train de travailler sur cet album et il m’a dit : « Si tu as besoin de quelqu’un, je suis là ! » Je n’y ai pas trop réfléchi sur le moment. Ma famille, ma femme et mes enfants, voulait vraiment que Mike joue sur l’album. Tous les jours, quand j’essayais de penser à un batteur, ils étaient là : « Tu devrais demander à Mike ! Tu devrais demander à Mike ! » A un moment donné, durant la pandémie, comme on en a parlé plus tôt, je me suis réveillé un jour et je me suis dit : « Tu sais quoi ? La vie est trop courte. C’est vraiment bizarre et irréel ce qui est en train de se passer dans le monde aujourd’hui. Je vais demander à Mike parce que j’ai envie qu’il le fasse, j’ai envie qu’on se retrouve musicalement et je pense qu’il fera du super boulot. » Je me suis donc levé un matin, j’ai pris cette décision, je l’ai appelé et il a accepté. C’était quelque part durant le processus de composition de l’album, peut-être après un mois ou un mois et demi.

Comment a été ta relation avec Mike au cours des dix dernières années ?

Elle a été très bonne. Enfin, au début, après son départ, nous avions beaucoup à faire avec le groupe. Puis, évidemment, quand quelqu’un part comme ça, tu n’as plus trop l’occasion de lui parler pendant un certain temps, vous ne vous voyez plus. Mais nos familles sont proches, nos épouses et enfants sont tous proches et sont restés en relation. Petit à petit, au fil des années, nous avons commencé à nous revoir à l’occasion de différents événements, pendant certaines fêtes, etc. Nous nous sommes de plus en plus vus et nous avons renoué davantage nos liens, mais c’est très différent quand on est dans un groupe avec quelqu’un qu’on voit tout le temps pendant vingt-cinq ans, avec qui on voyage, on vit, on enregistre, on fait du business, et tout d’un coup il n’est plus là. Une distance s’installe. Heureusement, pour Mike et moi, nous avons conservé notre amitié, et aujourd’hui j’ai la chance d’avoir mon ami que j’ai rencontré quand j’avais dix-huit ans qui joue de la batterie sur mon album solo. C’est très excitant pour moi. Je suis très content que notre relation n’ait pas pris un tournant bizarre ou quoi que ce soit de ce genre et que nous ayons pu rester amis, et nous voilà à refaire de la musique ensemble.

« Je mentirais si je disais que ça ne m’inquiétait pas. Je savais que si je demandais à Mike Portnoy de jouer son mon album solo et que les gens en entendaient parler, ça pourrait raviver certaines polémiques, mais […] je me suis réveillé un jour et je me suis dit que la vie était trop courte, que nous allions gérer ça et que j’allais m’assurer que mon message était clair. »

Vous êtes tous les deux des amis d’adolescence et des âmes sœurs musicalement parlant, et vous avez débuté votre carrière professionnelle ensemble, donc il y a un lien historique et musical très fort entre vous deux. Ça n’a pas été un gros poids pour toi que tout d’un coup vous arrêtiez de jouer ensemble et de n’avoir pas eu l’occasion de le faire pendant dix longues années ?

Au début, il est clair que j’ai été dévasté quand Mike est parti. D’un autre côté, avec Dream Theater, nous avons pris la décision de continuer, et en intégrant Mike Mangini au groupe, nous avons fait en sorte de pouvoir emmener le groupe à un autre niveau, continuer sur la voie du succès, sortir de la musique dont nous sommes tous incroyablement fiers et atteindre des étapes importantes que nous n’avions pas atteintes lors des vingt-cinq années précédentes. Donc, musicalement, ça a été incroyablement satisfaisant pour moi de continuer Dream Theater avec Mike Mangini. Mais quand Mike Portnoy a quitté le groupe, j’ai dit : « Il n’y a pas moyen que nous ne jouions plus jamais ensemble. A un moment donné, on fera quelque chose » et on y est ! C’est cool de le retrouver. Je trouve qu’il a fait du super boulot à la batterie sur l’album. Je trouve que Dave LaRue a fait un boulot extraordinaire à la basse sur l’album. Je ne pourrais pas être plus heureux. Y a-t-il plus chanceux que moi ? Je peux jouer avec Mike Portnoy et je peux jouer avec Mike Mangini. Je n’ai même pas envie de les comparer – car c’est le genre de truc qui ne fait que créer des polémiques. Ce sont deux batteurs extraordinaires et j’adore jouer avec les deux. Je suis très content des deux situations !

D’un autre côté, ça fait dix ans que les gens spéculent sur le retour de Mike dans Dream Theater et tu as toujours été très clair sur le fait qu’il n’y avait aucune intention que ça se produise. Maintenant que les gens ont peut-être enfin accepté ça, n’as-tu pas eu peur de leur donner de faux espoirs et de raviver les spéculations ? As-tu hésité un instant ?

[Petits rires] Un petit peu, oui. Je mentirais si je disais que ça ne m’inquiétait pas. Je savais que si je demandais à Mike de jouer son mon album solo et que les gens en entendaient parler, ça pourrait raviver certaines polémiques, mais encore une fois, comme je l’ai dit au sujet de la pandémie et tout, je me suis réveillé un jour et je me suis dit que la vie était trop courte, que nous allions gérer ça et que j’allais m’assurer que mon message était clair. Dès le début j’ai dit : « Ecoutez, je veux être clair, ça ne signifie rien d’autre que le fait qu’il joue sur mon album solo. Il ne réintègre pas Dream Theater, Mike Mangini est le batteur. Je ne veux pas lancer de controverse ou qu’on en fasse tout un foin. Tout ce que je veux, c’est que mon ami joue sur mon album. Pourquoi ne pourrais-je pas faire ça ? » Ce qui est cool c’est que je pense que les gens, en général, ont été sympas par rapport ça. D’après les commentaires que j’ai lus, tout le monde semblait simplement content d’apprendre que nous jouions ensemble. Je ne vois pas beaucoup de drames et plein de gens raviver des polémiques, ce que je respecte beaucoup et est très encouragement. Je suis content de voir ça de la part des gens, je trouve que c’est vraiment cool.

Il est clair qu’on retrouve sur Terminal Velocity cette alchimie particulière pour laquelle Mike et toi étiez connus…

Génial ! Merci. Encore une fois, nous nous sommes rencontrés à dix-huit ans au Berklee College of Music, nous avons commencé à écrire de la musique ensemble il y a longtemps et nous avons beaucoup joué ensemble, pas seulement en créant des albums studio, mais en tournée aussi – avec d’innombrables concerts et tout. Musicalement, quand tu as ce genre de relation avec quelqu’un, que ce soit moi et John Myung, moi et Jordan [Rudess], quand tu joues avec quelqu’un pendant longtemps, tu obtiens une sorte d’alchimie instinctive, quand la personne joue quelque chose, tu sais presque instantanément comment réagir et elle sait comment te répondre. Les gens appellent ça l’alchimie, le fait de savoir comment réagir l’un par rapport à l’autre. Encore une fois, Mike a fait du super boulot en faisant ça. En plus, tu as entendu tous les styles différents présents sur mon album, ça nécessitait un batteur capable de jouer tout un tas de choses différentes, de la double grosse caisse rock-metal, mais aussi du shuffle rock n’ roll, de la pop-punk, de la musique latine, du blues, etc. Mike est capable de jouer tout ça très bien et il était très décontracté au studio. Il lui a fallu à environ six jours pour faire l’ensemble. C’est du super boulot !

Tu as aussi retrouvé le bassiste Dave LaRue, qui a joué sur ton premier album solo et t’avait accompagné sur le G3. Le fait que tu choisisses Dave LaRue en tant que bassiste dès que tu fais quelque chose en solo n’est pas anodin, vu qu’il est connu pour son travail – que ce soit avec les Dixies Dregs ou plus récemment dans Flying Colors – avec l’un de tes plus grands héros : Steve Morse. Penses-tu que vous allez naturellement bien ensemble grâce à ça ?

Clairement. J’allais voir Steve Morse avec les Dregs et je regardais Dave jouer et il m’impressionnait. J’ai toujours eu un énorme respect pour lui. Evidemment, comme tu l’as dit, le lien c’est qu’il joue avec mon guitariste préféré, donc c’est clair que ça m’a influencé quand j’ai voulu faire appel à lui. Dave est l’un des musiciens les plus extraordinaires que je connaisse et je me suis énormément amusé à jouer avec lui. Nous avons fait plein de tournées du G3 et Dave m’a toujours accompagné. Il a participé à mes camps Guitar Universe, il a joué sur mon premier album solo. Nous avons une super alchimie ensemble. Il sait jouer en trio, car ma musique solo est entièrement jouée en trio – guitare, basse et batterie. Il sait remplir l’espace et jouer avec un tas de feelings différents. Je ne pourrais imaginer quelqu’un d’autre pour jouer de la basse à mes côtés. Je suis tellement content que Dave soit de retour sur cet album, il a fait un boulot phénoménal.

Même si tu as ton propre style, on entend vraiment l’influence de Steve Morse dans ton jeu. Dave n’est-il pas berné parfois, pensant que c’est Steve qui joue ? Je sais que Mike Portnoy lui-même, en jouant avec Steve dans Flying Colors, pouvait fermer les yeux et avoir l’impression de t’entendre…

[Rires] C’est drôle ! Steve est un guitariste vraiment unique. Il a son propre style. Je ne peux que rêver d’être aussi bon que lui. Il est dans une catégorie à part. Si Dave ou Mike pensent que je sonne comme Steve, alors c’est un énorme compliment ! [Rires]

« J’ai commencé à écouter la musique des Dregs et j’ai été scotché par le jeu de guitare […]. Ça m’a tellement inspiré que tout ce que je voulais faire, c’était apprendre toutes les chansons de Steve Morse et des Dregs que je pouvais. Ça m’a obsédé ! […] Indirectement, Steve a été mon professeur de guitare ! [Rires] »

Peux-tu nous parler un peu plus de l’influence qu’a eue Steve Morse sur toi ?

La première fois que j’ai entendu Steve Morse c’était avec les Dregs. Un ami à moi m’a fait découvrir les Dregs. J’étais en train de me mettre de plus en plus à la guitare, je commençais à être à fond sur l’instrument et à m’améliorer, et il m’a dit : « Il faut que tu écoutes ce guitariste. Il est incroyable. » J’ai commencé à écouter la musique des Dregs et j’ai été scotché par le jeu de guitare, car il y avait cette combinaison de bluegrass, rock n’ roll, classique, avec ces sons brillants, un talent de composition génial et un contrôle incroyable du médiator. Ça m’a tellement inspiré que tout ce que je voulais faire, c’était apprendre toutes les chansons de Steve Morse et des Dregs que je pouvais. Ça m’a obsédé ! Quand son premier album solo est sorti, The Introduction, j’ai tout appris. Je m’entraînais au métronome, à essayer de jouer les plans de Steve Morse, je me procurais toutes les vidéos et cassettes éducatives qu’il sortait et tout ce qu’on trouvait dans les magazines. Je pense que j’en ai bénéficié ; ça m’a vraiment aidé avec ma technique et à développer mon art en tant que musicien. Indirectement, Steve a été mon professeur de guitare ! [Rires]

Que penses-tu de ses vingt-cinq ans au sein de Deep Purple ?

C’est extraordinaire, c’est tellement incroyable. Quand tu penses à la longue carrière qu’a eue ce groupe, c’est génial, et que Steve y officie depuis aussi longtemps, c’est super. C’est tellement incroyable.

Don Airey nous a récemment dit que Steve se voit toujours comme n’étant pas très bon et qu’il est très dur avec lui-même en studio, et plus généralement que « tous les grands musiciens qu[‘il a] connus dans [sa] vie manquaient d’assurance ». As-tu toi-même ce genre de manque d’assurance ?

Probablement que la plupart des musiciens sont très autocritiques. Je pense que c’est très typique, surtout quand on joue en live ou quand on enregistre, on veut être aussi bon que possible. Cette sorte d’obsession, ce perfectionnisme, va de pair avec l’autocritique. Donc oui, c’est assurément un trait commun parmi les guitaristes et les musiciens, c’est certain. Ca me rappelle d’ailleurs une anecdote, quand j’ai rejoint pour la première fois la famille Ernie Ball/Music Man il y a vingt ans – nous célébrons cette années mes vingt ans en tant qu’artiste Ernie Ball/Music Man –, en Californie, au salon du NAMM qui se tient à Anaheim, ils faisaient une session de jam et il n’y avait que des artistes Music Man, il y avait donc à l’époque Steve Morse, Albert Lee, Steve Lukather, peut-être Vinnie Moore, et ils voulaient que je monte sur scène pour jouer une chanson d’Albert Lee qui s’appelle « Country Boy », qui est une sorte de chanson bluegrass démentielle, très rapide, tout en mode majeur. Il faut connaître le style pour pouvoir jouer ça. Ce n’est pas du heavy metal, ce n’est pas du rock n’ roll, c’est de la country rapide, et Albert et Steve sont les rois dans ce style. Je me souviens quand je suis monté sur scène pour essayer de jammer avec ces gars, je n’étais vraiment pas sûr de moi. Je ne sais comment, j’ai réussi à arriver au bout, mais je n’oublierai jamais ce moment.

Don a aussi dit : « Steve trouve parfois des choses extraordinaires et il se demande d’où c’est venu. » Es-tu toi-même surpris parfois de ce que tu trouves à la guitare ?

C’est agréable quand, par accident ou intentionnellement, tu confectionnes quelque chose, puis que tu prends un peu de recul pour écouter un moment ce que tu as fait et que tu te dis : « Le résultat est vraiment bon, c’est vraiment génial ! » On a l’occasion de temps en temps de prendre un peu de recul et d’admirer notre propre travail. Ça fait partie du processus. On a envie d’être fier de ce qu’on fait et d’être excité à l’idée de le partager. Avec un peu de chance, ces moments nous poussent à réfléchir et à ne pas être trop arrogants ou imbus de nous-mêmes, car c’est toujours bien d’être humble, mais c’est aussi bien de reconnaître quand on a accompli quelque chose dont on est très fier.

Tous les trois, Dave, Mike et toi êtes des virtuoses : y a-t-il parfois une saine compétition entre vous quand vous faites de la musique, ou bien est-il clair, quand tu fais un album comme Terminal Velocity ou tournes avec le G3, que c’est ton projet solo, donc ils te laissent être la vedette, pour ainsi dire ?

Oui, je pense que Dave et Mike – et Mike Mangini parce qu’il a joué sur le G3 avec moi aussi – savent que c’est mon album solo, le G3, ma tournée solo, etc. et ils sont très bons pour endosser ce rôle, en sachant que c’est un contexte solo où je suis l’attraction. Ils sont très professionnels et très cool en s’assurant que je peux briller et être à mon meilleur niveau. C’est une grande qualité chez n’importe quel musicien, le fait de savoir quel est son rôle dans une situation donnée, et eux sont super par rapport à ça. Je suis très reconnaissant et j’ai énormément de respect pour ça.

« Il y aura toujours une autre idée, il y aura toujours un autre riff. Je ne manque jamais de créativité. »

Tu es l’une des principales – si ce n’est la principale – forces créatives dans Dream Theater, et cet album solo va assurément plaire aux fans de Dream Theater à bien des égards. Mais à quel point ton approche d’un morceau instrumental en solo est-elle différente d’une chanson de Dream Theater ? Est-ce que les attentes, que ce soit de ta part ou même de celle des fans, sont très différentes ?

Avec la musique solo, il n’y a que moi, donc il n’y a aucune interaction avec d’autres membres, toutes les idées et les décisions sont les miennes, où j’ai envie d’emmener la chanson, etc. De même, la guitare est le seul centre d’attention dans la musique solo, donc je ne partage pas ce dernier avec du chant, des claviers ou autre chose. La guitare prend le rôle du soliste, du chanteur et tout. Dream Theater, évidemment, c’est un groupe, donc c’est plus interactif, il y a des choses plus conceptuelles qui entrent en ligne de compte dans l’écriture de la musique, il y a des paroles et du chant à prendre en compte, il y a plus d’instrumentation, tout le monde dans le groupe joue à égalité, ce n’est pas centré sur une personne, c’est centré sur tout le monde. En plus, quand on a du chant, c’est quelque chose auquel il faut délibérément penser au moment de la composition ; on ne peut pas se contenter d’écrire un morceau instrumental et ensuite balancer du chant dessus n’importe comment, il faut composer en sachant que certaines parties de la chanson sont prévues pour accueillir du chant, ainsi ça aide pour ensuite faire les arrangements. C’est quelque chose dont on est très conscients au moment de composer la musique. Donc c’est un état d’esprit un petit peu différent si on compare Dream theater et mon album solo.

Quand tu trouves un riff, comment décides-tu si tu l’utilises avec Dream Theater ou si tu te le gardes pour toi ?

Parfois c’est très clair quand un riff ou une idée sont plus adaptés à mon album solo et parfois ce n’est pas clair. Si tu écoutes une chanson comme « Temple Of Circadia », ça aurait pu être un riff ou une chanson pour Dream Theater. C’est juste que je prends la décision et je dis : « Je veux utiliser ça pour mon album solo » ou « Je pense que ce serait cool dans Dream Theater, alors je le mets de côté ». Je ne sais pas exactement comment je prends la décision, ça se fait sur le moment, genre : « D’accord, je vais utiliser ça » ou « Je vais le garder ». Je n’y réfléchis pas trop, parce qu’il y aura toujours une autre idée, il y aura toujours un autre riff. Je ne manque jamais de créativité. Donc ça ne m’inquiète pas.

Tu as déclaré qu’avec cet album solo, « il s’agissait de capturer le son que [tu as] mis tant d’efforts à développer et peaufiner au fil des années ». On parle souvent du processus de composition, mais plus rarement du processus de recherche du son : à quoi ce processus a-t-il ressemblé pour toi au fil des années ?

J’ai énormément de chance de travailler avec des entreprises qui fabriquent les instruments et le matériel que j’adore. Par exemple, je joue sur des amplificateurs Mesa Boogie depuis que je suis adolescent et maintenant, j’ai un Mesa Boggie signature avec mon nom dessus. J’utilise des pédales wah-wah Dunlop et des médiators Jazz III depuis une éternité, et maintenant j’ai ces objets avec mon nom dessus. Idem pour les guitares Ernie Ball/Music Man et les micros DiMarzio, ce sont des produits que j’utilise depuis toujours et j’ai la chance d’avoir développé tout ce matériel pour qu’il fasse exactement ce que je recherche. Le son que j’ai dans la tête, ma propre quête sonore sont satisfaits parce que j’ai pu développer du matériel signature avec les marques que j’adorais et utilisais déjà avant. C’est quelque chose pour lequel je suis incroyablement reconnaissant et qui m’a beaucoup aidé dans le développement de mon son au fil des années. C’est extraordinaire. Pouvoir prendre ma propre guitare Music Man signature, la brancher dans ma propre tête Mesa Boogie, qui ont toutes les deux mon nom dessus, et ça sonne exactement comme je voudrais que ça sonne, c’est un rêve devenu réalité, c’est un sentiment incroyable ! Je ne pourrais pas être plus reconnaissant.

Quelle serait la clé pour trouver le bon son de guitare pour un guitariste qui n’a pas la chance d’avoir son propre matériel signature comme toi ?

Je pense que tous les guitaristes entendent plus ou moins le son qu’ils veulent dans leur tête, ou peut-être qu’ils entendent quelqu’un d’autre, un album ou un enregistrement, et se disent : « J’aime beaucoup comment ça sonne et je veux commencer par essayer d’avoir ce son. » Avec internet et tout le reste, aujourd’hui on peut facilement trouver ce que les gens utilisent. Peut-être que ça peut aider à prendre des décisions. Si tu aimes un certain son, si tu veux obtenir ce son que tu as en tête, et que tu sais qu’un certain artiste utilise tel matériel, c’est peut-être le bon endroit où commencer et ça peut être le point de départ de ton aventure. Je pense que la première étape est de décider quel son tu recherches. C’est quoi ? Est-ce quelque chose de complètement unique que personne n’a jamais entendu avant, tu es un genre de savant fou et tu vas essayer un tas de trucs différents ? Certaines personnes sont comme ça, elles sont très expérimentales et elles trouvent leur propre son. Et puis il y a des gens qui simplement adorent un son spécifique qui existe déjà, et disent : « Bon sang, le son sur Van Halen I, c’est mon son préféré de tous les temps. C’est ce qui à mon avis me conviendra. » Alors la personne gravitera autour de ce qu’Eddie Van Halen utilisait, et ça l’aidera à obtenir ce son. Ou bien : « J’adore le son de Les Paul qu’a Slash dans Guns N’ Roses. Qu’est-ce qu’il utilise ? Avec quel ampli il joue ? » Dans mon cas, si les gens aiment mon son, ils peuvent certainement commencer par aller voir le matériel que j’ai aidé à développer et voir ce qui leur convient. C’est aussi ce qui est amusant pour moi, le fait que d’autres gens apprécient ces produits. J’ai énormément d’excellents retours de gens qui ont ma guitare signature, qui ont mon ampli ou autre et qui s’éclatent avec, qu’ils soient professionnels ou amateurs. J’adore ça. Je trouve que c’est une partie très plaisante du processus.

N’as-tu pas aussi besoin de trouver ton son conjointement avec le reste du groupe et d’impliquer, d’une manière ou d’une autre, tes collègues afin que le spectre sonore soit complémentaire et que le son de groupe soit cohérent ?

Je ne les implique pas forcément, mais je pense que ça se fait de manière organique, surtout quand on enregistre et produit les albums. J’ai toujours pensé que le son de guitare participait en grande partie à définir le style d’un groupe. La manière dont sonne la guitare dans un groupe pourrait le rendre lourd ou léger ou jazzy ou funk ou bluesy ou peu importe. Le son de guitare est très important pour définir le tableau sonore global. Je pense que quand on commence à amener les autres instruments, ils commencent tous à s’influencer mutuellement, mais je n’implique pas vraiment les autres gars pour développer mon son ou mon matériel. C’est juste quelque chose que je fais de mon côté et je pense que tout le monde contribue à travailler sur le son global en parallèle de ça.

« La capacité à exprimer quelque chose au travers de paroles, d’un chant est quelque chose que j’ai toujours voulu faire en tant que musicien. Je pensais qu’être seulement un groupe instrumental aurait été limitant sur le plan créatif. »

Tu veux donc dire que c’est plus ton son de guitare qui influence le son du reste du groupe, le son de basse de John Myung ou les sons qu’utilise Jordan sur son clavier ?

Parfois, ça se peut oui. Ça fait partie de la production et du travail d’orchestration, ça fait aussi partie du mixage, car il faut pouvoir trouver une place où tout peut exister et fonctionner ensemble. C’est le boulot d’un excellent ingénieur de mix. Sur le dernier album de Dream Theater, Distance Over Time, Ben Grosse a fait un boulot fantastique pour que tout sonne magnifiquement ensemble. Je trouve aussi que sur mon album solo, Andy Sneap, avec qui j’ai travaillé pour la première fois, a fait du super boulot pour bien faire sonner la basse, la guitare et la batterie. Et parfois tous les instruments s’influencent mutuellement. Il faut faire attention. Si la guitare a un certain type de son de distorsion et que tu veux ajouter de la distorsion à la basse, il faut faire attention à la manière dont on ajoute la distorsion sur la basse, parce que ça peut interférer avec la guitare et vice versa. Tout ça, ça intervient en grande partie quand je mets ma casquette de producteur et c’est même encore plus le boulot d’un excellent ingénieur de mix.

Suspended Animation et ton nouvel album Terminal Velocity ont tous les deux une image abstraite en guise de pochette. Est-ce ainsi que tu vois la musique instrumentale, comme un moyen de faire de l’art plus abstrait ?

La première illustration était quelque chose que j’avais acheté à un artiste et que j’aimais beaucoup. Elle m’avait tapé dans l’œil, avec ce qu’elle dégageait. La pochette de Terminal Velocity vient d’un autre artiste, mais j’ai fait appel à lui parce que j’adore son style. C’est effectivement plus abstrait, c’est certain. Ce n’est pas une photographie surréaliste comme les pochettes que Hugh Syme fait pour Dream Theater, c’est clairement plus abstrait. Je n’ai jamais fait le lien dont tu parles entre l’art abstrait et la musique abstraite. Enfin, peut-être qu’inconsciemment ça explique pourquoi j’ai pris cette décision, je ne suis pas sûr. Honnêtement, j’aimais simplement ce visuel [petits rires], j’aime les couleurs, et c’est la meilleure manière de décrire ça, mais peut-être qu’il y a quelque chose là-derrière, je ne sais pas.

D’un autre côté, tu as des titres qui ont du sens : comment fais-tu le lien entre la musique qui n’a pas de texte et un titre ?

Je collectionne les titres de chanson, donc dès que j’entends une certaine phrase ou que je pense à quelque chose que je trouve créatif ou intelligent, je le note systématiquement. Dans le cas présent, quand j’étais en train de composer la musique, il s’agissait juste de donner un titre à la chanson. Avec la musique instrumentale, c’est quelque chose que, personnellement, je ne prends pas trop au sérieux, car il n’y a pas de parole, ni de vrai concept. Prends « Out Of The Blue » et « Temple Of Circadia », par exemple : il est évident que je n’appellerais pas « Out Of The Blue » une chanson comme « Temple Of Circadia », je ne l’appellerais pas non plus « Snake In My Boot », ça ne sonne pas comme ça. Le titre doit donc refléter l’atmosphère de la chanson, mais à la fois, on n’est pas obligé de prendre ça trop au sérieux. Je fais aussi un peu d’humour avec mes titres, comme avec « The Oddfather », « Snake In My Boot », « Happy Song », ce genre de chose. Ils sont un peu ironiques, ils ne sont pas très sérieux. C’est ainsi que j’aime approcher les titres. Le titre de l’album, Terminal Velocity, ça c’était en fait une phrase que j’ai trouvée pendant que nous faisions Distance Over Time. C’est quelque chose que j’ai beaucoup aimé et j’ai pensé que ce serait un titre qui conviendrait très bien à cet album.

Tu aurais largement pu faire carrière dans la musique instrumentale, et Dream Theater lui-même aurait pu être un groupe instrumental, compte tenu des difficultés que vous avez eues à vos débuts pour trouver le bon chanteur. Qu’est-ce qui a fait finalement que tu as choisi une carrière de musique vocale plutôt qu’instrumentale, comme ont pu le faire Joe Satriani ou Steve Morse ?

Autant j’adore jouer de la guitare et suis un fan de musique instrumentale centrée sur la guitare, que ce soit Al Di Meola, Allan Holdsworth ou Steve Morse, autant j’ai vraiment grandi avec des groupes qui avaient des chanteurs et des paroliers, comme Rush, Yes, Pink Floyd, Journey, etc. Cet aspect est quelque chose qui m’a toujours beaucoup intéressé. La capacité à exprimer quelque chose au travers de paroles, d’un chant est quelque chose que j’ai toujours voulu faire en tant que musicien. Je pensais qu’être seulement un groupe instrumental aurait été limitant sur le plan créatif, parce que je suis aussi un parolier et, comme je l’ai dit, quand j’étais gamin, je m’identifiais beaucoup à tous ces groupes qui avaient du chant, des textes, des histoires à raconter. Ça a beaucoup joué.

Quels seraient tes cinq albums instrumentaux préférés et les plus influents ?

Je dirais The Introduction de Steve Morse, Casino Albania d’Al Di Meola, Metal Fatigue d’Alan Holdsworth, Surfing With The Alien de Joe Satriani et Passion And Warfare de Steve Vai.

Tu as déclaré que vous alliez travailler sur un nouvel album de Dream Theater cet automne : as-tu déjà une idée de la direction que vous allez prendre avec le groupe cette fois ?

J’ai effectivement une idée, oui, mais ce n’est pas quelque chose que je peux vraiment divulguer. J’y ai beaucoup réfléchi et je suis surexcité. Vu la situation avec la pandémie, le fait qu’on ne puisse plus tourner, etc., nous avons décidé d’avancer notre planning et de retourner en studio cette année. L’album sur lequel nous sommes en train de travailler sortira fin 2021. Nous avons aussi un nouveau Blu-ray, DVD et CD de la tournée Distance Over Time qui sortira bientôt, peu avant la fin de l’année. C’est aussi quelque chose que j’attends avec impatience.

Je sais que vous aviez adoré vivre, composer et enregistrer ensemble pendant quatre mois, à nouer des liens au travers de la musique pour Distance Over Time. Au moment de la sortie de l’album, James LaBrie nous avait dit que vous seriez « fous de ne pas considérer cette option à nouveau ». Du coup, qu’est-ce qui est prévu à cet égard ?

Oui, en fait, nous n’allons probablement pas pouvoir refaire ça maintenant de cette manière. Nous allons donc probablement trouver une autre manière de faire les choses. Ce n’est plus pareil aujourd’hui. Evidemment, nous ne savions pas ce qui allait se passer dans le monde. Nous nous étions effectivement éclatés, nous avons adoré faire ça, mais je pense que cette fois nous allons faire un petit peu différemment.

Interview réalisée par téléphone le 26 août 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel de John Petrucci : johnpetrucci.com

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  • Je crois que John n’est pas un guitar-hero solitaire à l’image de Satriani ou Vai et c’est pour ça que sa démarche instrumentale individuelle ne me transporte pas : il est excellent avec et dans Dream Theater…il n’a rien à démontrer, d’où la relative »inutilité » du truc…

  • Album de grande maturité de John avec des influences du G3 et de Satriani comme « happy song ».L alchimie avec Portnoy et Larue donne du relief à tous les titres ultra variés ,techniques tout en gardant la mélodie nécessaire pour apprécier cet album instrumental majeur.

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