La trajectoire de Jonas Åkerlund ne ressemble à aucune autre : batteur de Bathory dans les années 80, il abandonne vite son instrument pour se consacrer à la réalisation de clips musicaux. Travaillant d’abord pour des musiciens suédois, il collabore rapidement avec des musiciens internationaux, et réalise de nombreuses vidéos désormais mythiques, du fameux clip de « Ray Of Light » de Madonna à l’inénarrable « Pussy » de Rammstein en passant par « Telephone » de Beyoncé et Lady Gaga, « Fuel For Hatred » de Satyricon ou « Canned Heat » de Jamiroquai. Depuis Spun en 2002, le réalisateur s’est attaqué aux longs métrages : mentionnons Polar, réalisé pour Netflix il y a peu, et surtout Lords Of Chaos, que l’on peut voir en ce moment en salles à Paris et partout en VOD. Si ce titre vous semble familier, c’est bien normal : il s’agit de celui du célèbre livre de Michael Moynihan et Didrik Søderlind, Vulgate qui retrace l’histoire houleuse de la scène black metal norvégienne du début des années 90, entre meurtres, suicide et églises en flamme. À rebours du livre qui se plaît à retrouver en Varg, Dead et consorts un feu sacré quasi mythologique, Åkerlund les décrit plus prosaïquement comme une bande d’adolescents aux prises avec des événements qui les dépassent très vite.
C’est à l’occasion de la sortie de ce film que nous avons pu échanger avec lui sur ce projet qui, comme il nous l’explique, lui tenait particulièrement à cœur, de ses prémices de longue haleine au travail sur la musique, et de sa vision de la scène norvégienne à un certain clip de Metallica. Impossible de ne pas en profiter pour évoquer sa carrière de réalisateur de clips : de Candlemass à Madonna, il n’y a pas à dire, le Suédois a fait du chemin…
« Quand on pense à l’impact que ces trois adolescents ont eu jusqu’à nos jours, sur tant de monde… […] Je ne pense pas qu’ils avaient un plan, je crois que tout était très spontané, assez ludique ; ils jouaient avec des symboles. Petit à petit, c’est devenu de plus en plus sérieux ; ils ont perdu le contrôle. »
Radio Metal : Tout d’abord, est-ce que tu pourrais nous dire comment tu t’es retrouvé impliqué dans le projet Lords Of Chaos ? Il y a une dizaine d’années, il y avait déjà eu des discussions au sujet de ce film mais avec un autre réalisateur, Sion Sono. Puis c’est toi qui t’es retrouvé à la tête du projet. Comment est-ce que ça s’est passé ?
Jonas Åkerlund : Ces vingt dernières années, j’ai entendu parler de pas mal de gens qui voulaient faire quelque chose de cette histoire ; j’ai entendu parler de plusieurs réalisateurs associés au projet, de plusieurs producteurs qui s’y attelaient puis laissaient tomber après avoir essayé de le lancer… Bizarrement, au fond de moi, j’ai toujours pensé qu’un jour, ce serait moi qui le ferais. J’ai toujours été très confiant de ce point de vue-là, je me disais que ce projet était à moi, qu’il finirait par m’appartenir, et que je n’avais qu’à attendre jusqu’à ce que le bon moment se présente. C’est ce que j’ai fait, en gros. Ça a été un projet très difficile à lancer, et je crois que beaucoup de gens ont échoué parce qu’ils n’avaient pas la patience et la passion nécessaires. C’est le genre de projet que les gens adorent quand tu leur en parles dans une réunion et que tu essaies de leur vendre, mais quand il s’agit de signer le chèque… Ça a été un parcours du combattant de faire ce film.
Qu’est-ce qui t’a plu dans cette histoire, et pourquoi avais-tu ce sentiment que c’était toi qui devrais t’en occuper ?
Je ne sais pas. Je crois que comme beaucoup d’autres, je suis tombé amoureux des personnages, et l’histoire m’a vraiment marqué. Pendant quelques années, il m’a semblé que cette histoire me touchait de plus près que qui que ce soit d’autre, j’avais l’impression qu’elle m’appartenait, qu’elle était à moi, et j’étais presque choqué quand j’entendais d’autres personnes en parler. Puis je me suis rendu compte que d’autres personnes avaient aussi ce sentiment qu’elle leur appartenait, et que certaines de ces personnes n’étaient même pas nées quand tout ça est arrivé ! C’est le genre d’histoire qu’on prend très à cœur. Elle n’a rien d’extraordinaire, c’est du déjà-vu d’une certaine manière ; des jeunes mecs qui font des trucs stupides, ça arrive tous les jours. Mais il y a quelque chose dans cette histoire en particulier qui marque vraiment. Je ne sais pas trop d’où me venait cette conviction ; généralement, pour mes autres projets, je ne ressens pas du tout ce genre de sentiment. Je me sens très chanceux chaque fois que j’ai l’occasion de travailler sur le genre de projet sur lequel je travaille, mais avec Lords Of Chaos, c’est comme si j’avais toujours su que je travaillerais sur cette histoire, un jour…
Est-ce que tu te souviens de ce que tu avais pensé de toute cette histoire quand on a commencé à en entendre parler dans les années 90 ? Tu étais très proche de son épicentre – les années qui avaient précédé, tu étais batteur dans Bathory, une de leurs influences, et tu connaissais sans doute Per Yngve Ohlin [Dead] qui apparaissait dans le clip que tu as réalisé pour Candlemass à l’époque…
J’ai quelques souvenirs du moment où c’est arrivé évidemment, mais j’avais déjà quitté la scène pour la réalisation. Ça avait attiré mon attention ; je me souviens d’avoir entendu parler des églises brûlées aux infos sur CNN aux États-Unis. L’information circulait plus lentement à l’époque, mais je me souviens avoir entendu parler de la mort de Per, du meurtre perpétré par Faust, et nous nous disions tous : « Mais qu’est-ce qu’il se passe là-bas ? » C’était presque surréaliste, tout ce qu’il se passait… Tous ces mecs étaient si jeunes, tout semblait si extrême, et nous avions le sentiment que nous ne savions pas tout. Tout semblait si fou, on ne savait pas ce qui était vrai et ce qui ne l’était pas… C’est toujours le cas d’ailleurs, il y a tant de mythes sur ce qui s’est passé ou pas. Toutes ces années plus tard, il y a encore beaucoup de controverses autour de tout ça.
Est-ce que tu as le sentiment que le fait d’avoir toi-même été un ado dans un groupe de metal en Suède presque à la même époque t’a donné une légitimité particulière, ou peut-être cette conviction dont tu parlais un peu plus tôt ?
Pas vraiment. Peut-être, je ne sais pas. L’histoire est si complexe ; dans le film, j’ai choisi de mettre l’accent sur les relations entre ces jeunes mecs. Évidemment, j’ai vécu tout ça, notamment la première partie du film où ils s’amusent, essaient d’inventer leur son et rêvent de Madison Square Garden. Ils inventent leur logo, font la fête, sont maladroits avec les filles… Tout ça, c’était très proche de mon expérience. C’est beaucoup plus compliqué de s’identifier avec le reste de l’histoire, par contre, donc j’ai dû deviner ce que ça avait pu être, inventer ma propre perspective sur cette histoire. C’est difficile de faire coïncider sa propre expérience avec des comportements aussi extrêmes.
Le film est une adaptation du livre Lords Of Chaos [Black metal satanique : les seigneurs du chaos, dans son édition française] de Michael Moynihan et Didrik Søderlind. Là où le livre donnait l’impression de vouloir remettre le black metal dans un contexte plus large, historique voire mythique ou spirituel, on dirait que ton film au contraire cherche à faire l’inverse. Jusqu’à quel point voulais-tu être fidèle au livre ? Et est-ce que tu as volontairement cherché à démystifier voire désacraliser le black metal ?
Ce livre n’a pas été ma source d’inspiration principale, et je ne dirais pas que le film en est une adaptation, pour être honnête, parce que mes recherches sont allées bien au-delà. Nous avons utilisé certaines parties du livre pour pouvoir évoquer certains sujets et avoir les droits légaux nécessaires, et puis nous avons flashé sur son titre. J’ai essayé d’étudier le plus de sources possible, j’ai lu tous les livres sur le sujet, regardé tous les documentaires, j’ai parlé avec beaucoup de monde et lu les rapports de police. J’ai fait toutes les recherches possibles, et c’est là-dessus que je me suis appuyé pour écrire le scénario. À vrai dire, le scénario aurait pu être beaucoup plus long ; il y a beaucoup d’aspects de l’histoire que nous n’avons pas pu inclure dans le film… Peut-être qu’il aurait été encore mieux d’en faire une série télé, ça nous aurait permis d’approfondir beaucoup d’événements importants qui se sont passés à cette époque, mais la contrainte de temps du film a fait que j’ai dû me concentrer sur ce qui me paraissait le plus important dans l’histoire : la relation entre Varg, Euronymous et Dead. C’est la conclusion à laquelle je suis arrivé en termes de priorité. Quand on pense à l’impact que ces trois adolescents ont eu jusqu’à nos jours, sur tant de monde… Je ne crois pas qu’ils s’en seraient doutés. Je ne pense pas qu’ils avaient un plan, je crois que tout était très spontané, assez ludique ; ils jouaient avec des symboles. Petit à petit, c’est devenu de plus en plus sérieux ; ils ont perdu le contrôle. Je ne crois pas qu’il y avait quelque chose de plus grand derrière, mais ce n’est que mon opinion, ma vision des choses.
« Ceux qui sont inquiets à cause du film et qui ont peur que le black metal soit trop commercial ne sont probablement pas ‘true’, parce que si tu es ‘true’, vrai, tu sais que tu n’as pas de souci à te faire. Tu sais la vérité, c’est tout. »
La première chose que l’on voit dans le film, c’est un message qui dit qu’il est fait à la fois de mensonges et de vérité. Comment as-tu déterminé la part de données vérifiées et la part de création pure que tu as mises dans le film ?
Ce n’est pas vraiment quelque chose que j’ai choisi. La vérité, c’est ma vérité, et il y a beaucoup de choses dans le film dont je sais qu’elles sont arrivées alors que certains disent que ce n’est pas le cas. Je me suis dit : « OK… » Il y a aussi des choses qui à ce qu’on me dit se sont vraiment passées alors que je sais que ce n’est pas le cas. Il n’y a pas vraiment de frontière. Je me suis dit qu’il y a tant de perspectives ; j’ai beaucoup lu, j’ai lu des interviews, j’ai écouté ce que les gens avaient à dire, et je me suis basé sur une forme de vérité parce que ces gens pensent dire vrai, mais je devais aussi réaliser un film où je mettais en scène cette vérité ; c’est là que se trouvent les mensonges. Et il y a aussi la troisième partie, qui sont les faits bruts que nous connaissons. Nous savons que des églises ont été brûlées, que des personnes sont mortes ; il y a beaucoup de choses que nous savons factuellement. Je ne pensais pas vraiment à tout ça au moment de l’écriture. Mon objectif était surtout d’en trouver les aspects les plus intéressants et de trouver la logique derrière ce qu’il s’est passé. Chronologiquement, c’était facile à construire : nous connaissons les dates de tous les événements, il y a beaucoup d’éléments que nous connaissons à vrai dire, mais ce qui se passait vraiment dans ces pièces, ce que les protagonistes se sont dit, la manière dont ils ont ressenti les choses, ça a été la partie la plus compliquée : c’est là qu’il a fallu que je mette de l’émotion. J’ai beaucoup de mal à imaginer que ces jeunes garçons n’auraient pas été affectés par tout ce qu’il se passait autour d’eux, je crois vraiment que ça les affectait beaucoup.
Au centre de la progression dramatique du film, il y a cette dualité entre « true » et « poser » qui est toujours très importante dans le black de nos jours. Elle doit d’ailleurs entrer en compte dans la manière dont le film est reçu : qu’est-ce que tu penses de cela ? C’était intentionnel pour toi d’aborder cette question ?
Pas vraiment. Ça faisait partie des choses qu’ils répétaient tout le temps. Si tu écoutes de quoi ils parlent, c’est toujours pour dire qu’il faut être le plus « true » possible, le plus vrai possible. Je ne sais pas s’ils l’étaient ou pas, et ce n’est pas le plus important, en fin de compte. C’est un truc un peu bête à dire, peu importe. Mais il y a beaucoup de gens faux qui essaient de s’approprier des choses qui ne leur appartiennent pas ou prétendent être ce qu’ils ne sont pas. Je n’ai pas de jugement à porter sur ces gens, mais il y a une chose dont je suis certain : ceux qui sont inquiets à cause du film et qui ont peur que le black metal soit trop commercial ne sont probablement pas « true », parce que si tu es « true », vrai, tu sais que tu n’as pas de souci à te faire. Tu sais la vérité, c’est tout. C’est la différence entre ce que ça veut dire aujourd’hui et ce que ça voulait dire à l’époque.
Pourquoi as-tu choisi d’adopter le point de vue d’Euronymous ? D’une certaine manière, c’est un peu ton double en tant que réalisateur : c’est celui qui tire les ficelles…
Je pense qu’Euronymous était le leader. Il avait une voix qui portait, il était très investi, c’est lui qui a monté le groupe, il a ouvert son magasin, mis sur pied le label… C’était le mec qui était assis sur le trône, à l’époque. C’est de ça que le film parle. Je ne suis pas en train de dire qu’il n’y avait pas d’autres personnages importants, il y avait beaucoup de personnes importantes autour de lui qui avaient un rôle primordial dans la scène – dont des gens que nous ne voyons même pas dans le film, parce que je ne pouvais pas parler de tout le monde. De mon point de vue, la scène black metal est morte avec le meurtre d’Euronymous. Cette époque est morte avec lui. Comme il était à l’origine et à la fin de tout, c’est devenu naturel pour moi que c’était lui que le film devrait suivre. Je dois dire qu’à l’origine, ce n’était pas comme ça : quand j’ai commencé à écrire, c’était vraiment d’un groupe qu’il était question. Et petit à petit, au fur et à mesure du travail, ça s’est resserré autour de ces trois jeunes mecs.
Est-ce que tu as écrit le film en ayant en tête les fans de black, qui connaissent déjà les grandes lignes de l’histoire, ou plutôt ceux qui la découvriraient avec le film ?
À vrai dire, un peu les deux. J’ai toujours su que beaucoup de fans de black metal dans le monde seraient intéressés par le film, mais j’étais aussi conscient du fait que ce serait ceux qui le regarderaient de la manière la plus critique, sans peut-être être capables de se détendre, de le prendre pour ce qu’il est, et de l’apprécier. J’ai toujours espéré que le film serait regardé par des gens qui ne connaissaient pas du tout l’histoire. Maintenant qu’il est sorti, ça a été formidable d’entendre les réactions de ces gens, mais aussi celles de la communauté du black metal. C’est fantastique de savoir que des gens qui n’y connaissaient rien sont rentrés chez eux, se sont installés à leur ordinateur parce qu’ils ne pouvaient pas en croire leurs yeux… Encore une fois, ce film ne parle pas de black metal ou même de musique. Il parle des relations tissées par quelques jeunes mecs et de leurs mauvaises décisions. Le fait qu’ils aient joué du black metal avec du corpse-paint sur la figure, c’est la cerise sur le gâteau. C’est une histoire familière – qu’elle se passe dans des favelas au Brésil, dans la banlieue de Londres… Il y a de nombreux films qui parlent de jeunes types qui font des conneries. Je peux les apprécier sans rien savoir des favelas ou des skinheads. Je crois que Lords Of Chaos peut tout à fait être vu par des gens qui n’y connaissent rien en black metal.
Est-ce que tu t’intéresses toujours à la scène metal extrême ? Je crois que tu as travaillé avec Satyricon récemment. Est-ce que ça fait toujours partie de ta vie ?
Je travaille dans le divertissement, avec des musiciens, et parfois, quand j’ai de la chance, je travaille sur de la musique que j’aime vraiment. Ça arrive de temps en temps. Beaucoup de mes amis font partie de la scène metal, ça fait partie de ma vie, mais généralement dans mon travail je collabore plutôt avec des artistes d’autres styles. Mais je dois dire que travailler sur Lords Of Chaos ces dernières années m’a rapproché de la scène. J’ai l’impression de n’avoir jamais été aussi proche de la scène black. Musicalement, c’est une scène que je respecte, que je comprends et que j’écoute, mais avoir eu l’occasion de m’y immerger complètement pendant quelques années a été un super voyage.
« De mon point de vue, la scène black metal est morte avec le meurtre d’Euronymous. Cette époque est morte avec lui. »
Des images du concert de Mayhem du film ont été utilisées pour le clip que tu as réalisé pour « ManUNkind » de Metallica : en gros, on y voit Mayhem jouer la chanson de Metallica. Comment ça s’est passé ?
En fait, c’est parti d’une coïncidence : nous étions à Budapest en train de filmer Lords Of Chaos quand Lars Ullrich m’a appelé pour me demander si je voudrais faire un clip pour leur nouvel album. L’idée était qu’ils sortiraient un clip pour chaque chanson de l’album, et qu’ils donneraient aux réalisateurs carte blanche pour interpréter leur musique. Je lui ai dit que je ne pouvais pas parce que j’étais occupé à travailler sur le film. J’ai raccroché, j’y ai réfléchi, et je me suis dit : « Attends : j’ai de super acteurs, du maquillage, des instruments ; j’ai tout ce qu’il faut ici ! » J’ai proposé cette idée à Lars, je lui ai dit : « J’ai ici un faux groupe qui prétend en être un autre : pourquoi nous ne leur ferions pas apprendre la chanson pour en faire un clip ? » Lars et James [Hetfield] sont tous les deux de gros fans de Mayhem ; ils ont adoré l’idée. Donc en gros, nous avons filmé le clip au même moment que nous avons filmé le concert pour le film. Mes acteurs avaient appris à jouer huit chansons de Mayhem et je leur ai tout simplement demandé d’apprendre cette chanson de Metallica par-dessus le marché, ce qu’ils ont fait : ils ont complètement adhéré à l’idée. À la fin du tournage, nous avons pris quelques heures de plus pour le clip de Metallica. Le timing n’était pas terrible par contre parce que le clip est sorti un an avant le film, mais ça a fait une sorte de bande-annonce très cool qui a troublé pas mal de monde.
Tu as travaillé avec Sigur Rós pour la bande originale du film. Pourquoi ce choix, et comment avez-vous travaillé ensemble ?
Musicalement, le film est en trois parties : il y a les chansons de metal qu’ils écoutent, qui vont de Dio à Motörhead ; la musique de Mayhem qu’ils jouent – nous avons la musique de Mayhem dans le film, c’est le groupe qui nous l’a fournie ; puis il manquait quelque chose de plus émotionnel, la partie vraiment BO de film. Jónsi est un ami très cher, je lui ai donné le script très tôt pour voir s’il aurait envie de m’aider pour la musique. Il a lu le script et a accroché très vite. Nous n’avons pas commencé la musique avant d’être en post-production, donc c’est surtout de la musique de leurs albums qu’il y a dans le film. Certains morceaux se sont retrouvés dans le film, et puis ils ont aussi enregistré de nouvelles choses. Ça été fait de manière assez traditionnelle, je dirais.
Pour revenir un peu sur l’ensemble de ta carrière : comment passe-t-on de jouer de la batterie dans un groupe certes maintenant culte mais à l’époque assez obscur de metal suédois, à réaliser des clips pour de grosses stars de la pop et des films pour Netflix ?
[Rires] Je ne sais pas, mais ça prend quelques années… Je fais ça depuis un moment. L’une des choses que j’ai toujours aimées, c’est d’avoir l’opportunité de travailler sur des projets différents, avec des gens créatifs, dans des pays différents. Quand j’ai découvert la réalisation et le montage, ça m’a semblé bien plus créatif que de jouer de la batterie. Ça a été facile du coup de laisser la batterie derrière moi. J’ai eu de la chance de travailler dans la musique à l’époque au-delà de la Suède. J’ai travaillé avec Roxette qui avait un public international ; c’est ce qui m’a permis de faire connaître mon travail au-delà de mon pays. Travailler à l’international à l’époque c’était inédit, personne ne faisait ça. Et puis les choses se sont enchaînées, je crois. Un nombre infini de projets m’ont mené à où j’en suis aujourd’hui ; il m’aura fallu beaucoup de travail et de décisions créatives, accepter des projets complètement fous, et garder l’esprit ouvert. Travailler très dur, faire de mon mieux sur le plan créatif, jour après jour. Les films, c’est arrivé plus tard. J’ai réalisé mon premier film [Spun] il y a une vingtaine d’années, mais ce n’est que maintenant que c’est ce qui me branche vraiment. Je crois qu’avec Lords Of Chaos, c’est la première fois que j’y vais à fond. J’ai pris ce projet vraiment à cœur, tu sais. Mes films précédents avaient été faits de manière plus spontanée, de l’ordre du : « Oui tiens, ça a l’air cool, allons-y ! » J’ai fait ça un peu plus à la légère. J’ai pris Lords Of Chaos et Polar un peu plus au sérieux. Je veux vraiment faire des films, maintenant, je suis plus assuré dans mon écriture, ma direction d’acteurs… J’aime toujours réaliser des clips, j’espère continuer à le faire, mais les films sont petit à petit en train de gagner de la place dans ma vie.
Il y a souvent une forme d’excès voire de provocation dans ton travail. Est-ce que ça vient de tes débuts dans le metal ? On pouvait trouver de ça dans l’esthétique de Bathory…
Je ne sais pas. J’ai toujours l’impression qu’en venant de Scandinavie, on a un seuil de tolérance différent de celui du reste du monde. Beaucoup de choses que j’ai faites au début de ma carrière ne me semblaient pas du dépasser les bornes, je les trouvais plutôt marrantes au contraire, mais je me suis vite rendu compte que le reste du monde percevait mon travail un peu différemment. J’ai toujours aimé l’idée de toucher les gens, de faire réagir le public. Parfois c’est par l’humour, parfois c’est avec quelque chose de sombre, parfois c’est autre chose. Mais je ne fais pas vraiment dans la dentelle : si je fais quelque chose, j’y vais à fond !
La manière dont on consomme les clips musicaux a complètement changé. Avant, on les regardait sur MTV et les artistes avaient vraiment besoin de ça pour se faire connaître, alors que maintenant, on les regarde sur YouTube quand on veut. Est-ce que ça a changé quelque chose pour toi, dans ta manière d’envisager ton travail ?
Oui, je crois. Je fais ça depuis si longtemps… Lorsque j’ai commencé, nous ne savions pas trop ce que nous faisions. Tous les groupes devaient avoir des visuels pour leur musique. Quand MTV a commencé, c’est devenu quelque chose que nous pouvions utiliser en tant que plateforme pour que les artistes se fassent connaître et vendent plus de disques. Au début, il y avait beaucoup de créativité, nous nous éclations, et puis avec MTV, c’est devenu comme réaliser des pubs. L’objectif était de voir ce qui fonctionnait ou pas, nous recevions des ordres très précis sur ce qu’il fallait faire. Petit à petit, à la fin de MTV, la dimension créative avait disparu. À cette époque-là, quelques artistes courageux ont dit : « Que MTV aille se faire foutre, nous n’avons pas besoin d’eux, nous pouvons trouver notre public en ligne, sur YouTube. » Je crois que ça nous a ouvert beaucoup de portes, créativement parlant. Ça a tout changé, à vrai dire. Tout d’un coup, plus personne ne venait nous dire ce que nous devions faire : nous pouvions faire des clips longs, courts, controversés… C’est redevenu comme aux débuts de MTV, plus fun et plus créatif. Au même moment ont émergé des artistes pour qui la dimension visuelle était très importante, et ça a rendu tout ça excitant à nouveau.
« [Avec Madonna,] nous travaillons ensemble depuis plus de vingt ans maintenant, c’est une longue relation ; nous travaillons toujours ensemble, et elle me pousse toujours à me dépasser. Elle me fait donner le meilleur de moi-même, et j’espère en faire autant pour elle. »
Au cours de ta carrière il y a quelques noms qui reviennent régulièrement, comme Lady Gaga et surtout Madonna, par exemple. Qu’est-ce qui te plaît dans leurs esthétiques, et comment nourrissent-elles ta propre créativité ?
Pour moi, travailler avec ces artistes me pousse à me surpasser, à devenir meilleur que ce que j’aurais cru possible. Madonna notamment a vraiment tenu ce rôle pendant des années. Nous travaillons ensemble depuis plus de vingt ans maintenant, c’est une longue relation ; nous travaillons toujours ensemble, et elle me pousse toujours à me dépasser. Elle me fait donner le meilleur de moi-même, et j’espère en faire autant pour elle. Lady Gaga et Beyoncé sont pareilles – j’ai vraiment de la chance de pouvoir travailler avec ces artistes formidables qui s’intéressent de près à la dimension visuelle de ce qu’elles font. Elles ne se contentent jamais de quelque chose qui n’est pas formidable, et ça m’encourage à être plus créatif que j’aurais cru pouvoir l’être.
Tu as aussi travaillé à plusieurs reprises avec Rammstein. Je ne sais pas si tu as vu leur dernier clip qui, une fois de plus, fait scandale. Qu’est-ce que tu en penses ?
Non, je ne l’ai pas vu ; ce n’est pas moi qui l’ai réalisé, donc je ne sais pas trop. Rammstein, c’est tout ce dont j’ai besoin. J’adore Madonna, Beyoncé et Lady Gaga, mais Rammstein a tout ce qu’il faut pour me pousser à aller de l’avant et à progresser. Rammstein est le genre d’artiste avec qui tu peux faire des trucs que tu ne pourrais faire avec personne d’autre. Ce qu’ils font est tellement spécifique, tellement unique du point de vue créatif… C’est le groupe avec lequel je préfère travailler ; j’adore travailler avec ces mecs.
Ta première expérience en tant que réalisateur, c’était pour « Bewitched » de Candlemass. Comment c’était, quel souvenir en as-tu ? Tu penses que c’est à ce moment-là que tu as décidé de devenir réalisateur ?
Je crois que c’est arrivé un peu plus tôt, parce que j’ai d’abord découvert le montage : les dix premières années de ma carrière, je me suis surtout consacré à ça. Mais à l’époque, je connaissais tous les groupes et les musiciens de la ville, et en fait c’est Leif [Edling] de Candlemass qui m’a dit : « Tu as une caméra, donc filmons quelque chose ! » C’était très spontané. Pour être honnête, je ne sais même plus pourquoi nous l’avons faite, MTV n’existait pas à l’époque, donc je ne sais pas pourquoi il leur fallait une vidéo… C’est ce que je leur ai dit d’ailleurs : « Pourquoi vous voulez une vidéo ?! » Ça a été un projet super fun, et même si nous prenions ça très au sérieux, nous savions bien que ce ne serait pas la meilleure vidéo de tous les temps… C’était super simple, moi, une caméra, et une voiture. Nous n’avions pas grand-chose de plus. Le premier jour le soleil brillait comme en plein été, le second il y avait de la neige partout… Nous voulions qu’il fasse mauvais, avec des nuages et de la pluie, et en fait il faisait super beau. Il ne fait jamais beau normalement à cette époque de l’année en Suède, mais là, nous avons eu droit au ciel bleu et au soleil, pas du tout ce que nous voulions ! C’était très spontané. C’était marrant de faire cette vidéo, et ce qui l’est encore plus, c’est qu’elle soit toujours visionnée, et que tu puisses m’en parler ! C’est incroyable. À l’époque, nous ne nous serions jamais imaginé qu’un jour, on pourrait la regarder sur YouTube. C’est incroyable qu’elle circule toujours.
Oui, elle est devenue presque légendaire !
Oui, ce n’est pas le genre de truc que tu peux prévoir. Ça marche ou ça ne marche pas, tu sais.
Qu’est-ce qui t’attend pour la suite ? Plutôt des films, donc ?
Il n’y a rien d’officiel pour le moment, mais je travaille sur plusieurs projets de clips qui vont sortir sous peu. Je suis un peu dans une phase de transition, là, donc je travaille surtout sur des pubs, des choses comme ça. Avec un peu de chance, je commencerai à travailler sur mon prochain film cette année. C’est vraiment ça que je veux faire.
Interview réalisée par téléphone le 28 mai 2019 par Chloé Perrin.
Retranscription : Julien Morel.
Traduction : Chloé Perrin.
Site officiel de Jonas Åkerlund : www.jonasakerlund.com.
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YouTube laisse certes plus de liberté en matière de créativité que MTV à l’époque. Mais étonnamment, plus possible de voir le chef d’oeuvre de Jonas Åkerlund: Smack My Bitch Up de Prodigy sur YouTube, censuré… & dire qu’on le regardait à l’époque sur M6.
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j’ai lu à plusieurs reprise que Mayhem avait refusé de l’autorisé à diffuser leur musique. Or , il dit dit dans l’interview que le groupe lui a fourni le matériel . Je ne comprend pas ce point de détail plus qu’essentiel . Dans le film , les acteurs « jouent » Freezing Moon . De quelle nature est la bande-son avec Dead au chant ? copie ou originale ?
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Ils ont bien eu l’autorisation de la part de Mayhem (en tout cas des ayants droits des morceaux utilisés), c’est eux qui sont crédités sur la BO. Et puis c’est le propre fils d’Attila Csihar qui joue sont rôle, par exemple, donc on peut imaginer qu’ils sont en bons termes… D’autres groupes par contre n’ont pas voulu apparaître (Burzum, Darkthrone). Åkerlund dit ailleurs que sans l’approbation du groupe le film n’aurait pas pu se faire de toute façon, ce qui finalement semble assez logique. J’avais entendu dire aussi que Mayhem n’avait pas voulu en entendre parler, mais je crois que ce n’étaient que des rumeurs…
Merci pour ta réponse Chloé . Effectivement, je voyais mal Mayhem tout bloquer pour quelques possibles inexactitudes car , dans son ensemble , le film est plutôt réussi. En général , l’exercice est risqué dans ce genre de production et le résultat souvent décevant ce qui n’est pas le cas avec Lords of Chaos. Ceci dit, Akerlund n’est pas non plus le premier venu.
Ça aurait été intéressant de lui demander son avis sur le témoignage de Varg, qui a passé beaucoup de temps à cracher sur le film dans ses vidéos, et à raconter sa propre version de l’histoire. Et, du coup, comment il a abordé ce personnage.
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