Avec Chants From Another Place, son premier album solo, le Suédois Jonathan Hultén n’en est pas à son coup d’essai. Cela fait pas moins de dix ans qu’il mûrit son projet ; il en avait d’ailleurs déjà proposé un avant-goût en 2017 avec l’EP remarqué The Dark Night Of The Soul. Guitariste, chanteur, artiste et vidéaste (entre autres !), il a surtout mis à profit sa créativité débordante dans Tribulation, groupe de death metal dont les embardées en territoire gothique ces dernières années ne sont pas passées inaperçues – on pense évidemment au succès de The Children Of The Night (2015) et de Down Below (2018) – et dont il est l’une des têtes pensantes. Si les liens sont nombreux entre son travail en groupe et ses productions solos, rien à voir pourtant a priori entre le metal onirique mais corrosif de Tribulation et la folk dépouillée qu’on entend sur Chants From Another Place, entre l’ésotérisme parfois hermétique du premier et la clarté du second. Après l’ombre, la lumière ?
Une guitare acoustique, la voix d’Hultén, à peine plus : dès l’ouverture du disque, les bases sont posées, réduites au strict minimum et radieuses. Les cordes tintent, les harmonies vocales s’épanouissent jusqu’à s’émanciper du texte (« Wasteland », « Holy Woods », « Ostbjorka Brudlat » sont emplies de vocalises, à l’exclusion même de tout autre instrument sur cette dernière), et piano, orgue ou synthétiseurs sont parfois utilisés en renfort, sans que rien vienne ébranler l’atmosphère folk à la Nick Drake voire à la Simon and Garfunkel de l’album. Rien, ou peut-être l’instrumental électrisé « Outskirts » qui porte bien son nom, situé à la lisière de ce que fait Hultén avec Tribulation (il rappelle les instrumentaux sinueux du groupe que sont « Ultra Silvam » ou « Själaflykt », par exemple) et sur lequel apparaît le percussionniste Nacho Montero, seul invité d’un projet éminemment personnel. Dans cet écrin minimaliste, les qualités d’Hultén brillent : on le savait compositeur doué, on retrouve sa capacité à dessiner un univers très personnel dans les limites d’un style relativement étroit, et on découvre un chanteur assuré à la voix versatile, tantôt feutrée, tantôt éclatante, parfois profonde, parfois presque féminine.
C’est qu’en douze titres relativement brefs, le musicien a la place de peindre des paysages variés, et la métaphore est justifiée tant par le concept de l’album, qui décrit différents lieux (montagne, terrain vague, bois sacrés…) d’un « autre endroit », que par son esthétique volontiers cinématographique. Tintes Americana dignes d’un western sur « Where Devils Weep », tentation psychédélique à la fin de « The Call To Adventure », piano à la Yann Tiersen sur « The Fleeting World »… De la même manière que les voix sont superposées, leurs significations le sont aussi, évoquant à la fois lieux littéraux, trajets temporels et paysages intérieurs. Très narratif, Chants From Another Place est un voyage initiatique où l’on retrouve les influences multiples de l’artiste.
Du minimalisme de l’instrumentation émerge une véritable intimité, une impression de vulnérabilité et d’intensité qui rend l’album particulièrement touchant. Tantôt bucolique et naïf, tantôt sombre et mature, il propose une réflexion sur la mort, le changement et la dualité quasiment théorisée dans « The Roses », qui évoque la paire nietzschéenne Dionysos et Apollon, et pas très éloignée de ce que le musicien exprime dans Tribulation, la distorsion et l’occultisme en moins. À première vue lumineux et optimiste, l’album n’évite pas la douleur, l’impermanence et l’obscurité pour autant : elles transpirent dans chaque chanson et sont célébrées pour leur pouvoir transformateur. Nouvelle métamorphose de Jonathan Hultén, Chants From Another Place prouve la versatilité des talents de son auteur et le rapproche d’un Kvohst, par exemple, qui lui aussi touche autant au metal extrême (Code) qu’au goth rock (Grave Pleasures) et à la folk (Hexvessel). Il est tentant de croire qu’avec ce nouvel album, le guitariste tombe le masque : entre retour aux sources et progression, il montre surtout que les choses ne sont pas toujours ce qu’elles ont l’air d’être…
L’album en écoute :
Album Chants From Another Place, sorti le 13 mars 2020 via Kscope. Disponible à l’achat ici
Question : versatile n’est pas positif pour moi…plus synonyme d’inconsistance que de diversité. Me trompè-je ?
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Un album merveilleux. Quel talent ce Jonathan Hulten
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