S’il y a une chose en particulier qui ressort de cet entretien avec Thomas Youngblood, la tête pensante et guitariste de Kamelot, c’est la maîtrise totale du navire malgré les tumultes. Le groupe a effet perdu en 2010 son chanteur emblématique et le compositeur avec lequel Youngblood formait un tandem, Roy Khan, alors qu’il s’apprêtait à partir en tournée aux Etats-Unis. Et pourtant, ce que nous dit Youngblood, est qu’il est parvenu a garder une vision claire de la direction que le groupe devait prendre et des choix qu’il devait faire. Et ces choix c’est un chanteur, Tommy Karevik, qui s’accorde indéniablement à l’esthétique Kamelot, même si Youngblood n’avoue pas que la similitude vocale avec Kahn – que ce soit en terme de timbre que d’approche mélodique – était un élément important dans la décision. C’est aussi la prise d’importance du claviériste Oliver Palotai qui prend la place de Khan dans le tandem de compositeurs, un choix pertinent au vu du résultat qui jouit d’une véritable cohérence dans la discographie du groupe. C’est aussi le choix de recentrer sa musique sur davantage de mélodie qui a assurément payé.
Alors voilà : même si le guitariste admet les difficultés – que ce soit le départ de Roy Khan qui les a mis dans une position difficile pendant un temps ou, encore avant ça, l’enregistrement morose de l’album Poetry For The Poisonned – le groupe a su admirablement rebondir comme le prouve aujourd’hui l’album Silverthorn. Un disque qui a su mettre tout le monde d’accord, que ce soit parmi les fans ou les occasionnels du groupe.
A noter qu’à la fin de l’entretien, Youngblood évoque également son ambitieux projet solo qui, s’il arrive à le concrétiser comme il l’entend, risque fort de concurrencer les opéras metal que sont Avantasia et Ayreon.
Radio Metal : Lorsque Roy Khan a quitté le groupe, Fabio Leone (NDLR : chanteur de Rhapsody Of Fire) l’a remplacé temporairement. As-tu proposé à Fabio qu’il rejoigne Kamelot de manière définitive ? Penses-tu qu’il aurait convenu à votre musique ?
Thomas Youngblood (guitare) : Eh bien, on en a parlé un peu mais il était tellement occupé avec Rhapsody Of Fire, avec d’autres différents projets, et sa voix est si reliée à Rhapsody Of Fire, que cela aurait été difficile, tu sais. Nous sommes tous les deux tombés d’accord sur le fait qu’il fallait trouver quelqu’un de relativement inconnu sur la scène metal pour assurer cette transition. C’est pourquoi nous avons choisi Tommy (NDLR : Tommy Karevik, le nouveau chanteur de Kamelot) qui est, selon moi, le choix parfait pour le groupe.
As-tu du matériel live avec Fabio qui sortira peut-être un jour ?
On a beaucoup de matériel avec tout le monde mais cela n’a aucun sens de l’utiliser car nous voulons être capable d’avancer. Nous ne désirons pas sortir des choses qui seraient une sorte de collections d’auditions. Ainsi la prochaine échéance, en termes de matériel live, va être un DVD live que nous sortirons l’année prochaine.
« Engager le chanteur type de power metal aurait été pour moi une grande erreur, et puis ce n’est pas ce style de chant que j’aime. »
Lorque Roy a annoncé son départ, il l’a fait deux semaines avant que Kamelot ne parte en tournée aux Etats-Unis. Est-ce que tu lui en as voulu ?
Bien sûr, le groupe et les fans ont été touché par ce qui est arrivé car nous voulions remplir nos engagements, non seulement envers les fans mais aussi envers les autres groupes qui devaient tourner avec nous : par exemple, ceux-ci durent annuler leurs réservations d’avions etc. Quand tu fais une tournée, il y a beaucoup de choses à prendre en compte alors, bien entendu, ça nous a touché.
Est-ce que tu es toujours en contact avec Roy ? A-t-il entendu le nouvel album ?
Oui. En fait, il m’a envoyé un courriel disant qu’il adorait le nouvel album et que le nouveau chanteur était super.
Apparemment, Roy aurait quitté le monde de la musique : quelle est ton opinion là-dessus ?
Je ne crois pas qu’il ait en fait décidé de quitter le music busines mais je pense qu’il ne veut plus avoir affaire avec ce qui se passe dans ce milieu. De toute façon, mieux vaut lui demander, car je ne peux parler en son nom.
Dans une interview publiée en juin dernier, tu as dit à propos de Tommy « qu’au bout du compte, nous avions choisi le mec qui convenait le mieux à Kamelot en termes de son, de composition et d’image ». En fait, ce qui est frappant lorsqu’on écoute l’album, c’est que Tommy sonne beaucoup comme Roy, c’est parfois d’ailleurs déroutant. Il ressemble même à son prédécesseur. Est-ce que ces ressemblances naturelles ont compté lors de son choix ?
Pour moi, le plus important, c’était la voix avant tout et après, si le gars était un bon compositeur, ce serait une super aide. Là se trouvaient les deux premiers critères de choix. En termes de look, Roy a les cheveux courts, Tommy aussi, ainsi pour moi il n’existe aucune similarité entre les deux à part leurs cheveux. Si Tommy avait les cheveux longs, les gens ne les compareraient pas.
Est-ce que changer le chanteur du groupe était en soit un risque suffisamment important pour ne pas prendre un risque supplémentaire en choisissant un successeur qui serait trop différent de la marque que Roy avait apposée dans Kamelot ? Iron Maiden l’a fait par exemple, avec peu de succès d’ailleurs, en engageant Blaze Bayley…
On ne regarde pas les autres groupes pour avoir des exemples car il y a beaucoup d’exemples de groupes changeant complètement de line-up et qui se révèlent catastrophiques. Ce n’est pas une chose à laquelle nous avons pensé : nous voulions le meilleur pour Kamelot, et Tommy l’est. En fait, il y avait des gars qui sonnaient comme Roy, mais pour différentes raisons, nous avons décidé de ne pas les prendre. Tu sais, pour nous, perpétrer le son de Kamelot ne se limite pas à la voix, mais prend en compte aussi la composition, l’atmosphère. Engager le chanteur type de power metal aurait été pour moi une grande erreur, et puis ce n’est pas ce style de chant que j’aime.
Tu partageais le processus de composition avec Roy : est-ce que son départ t’a amené, ainsi que le groupe, à remettre en question ce processus-là pour le nouvel album ?
Tout d’abord, nous n’avons jamais remis en question quoi que ce soit car nous savions comment Kamelot devait sonner. Dans le passé Roy composait mais ,cette fois, c’est Oliver, le claviériste, qui l’a fait avec moi. Si tu parlais avec les fans, je pense qu’ils seraient d’avis pour dire que le nouvel album est du pur Kamelot. Et ce à 100 %. On ne s’est jamais sentis fragiles : nous avions entièrement confiance en nous et, avec l’aide des fans, nous avons été capables de faire un des meilleurs albums de Kamelot. Voilà qu’elle a été notre approche. Et nous sommes très heureux du résultat.
Est-ce que Tommy s’est immédiatement adapté au son de Kamelot, ou avez-vous dû, au niveau de ses parties vocales, l’aider un peu ?
Tu devrais demander cela à Sascha (NDLR : Sascha Paeth, le producteur de Silverthorn), car je n’ai pas beaucoup travaillé avec Tommy en studio. Sascha et lui ont travaillé une grande partie des voix en studio. Je pense réellement que Tommy s’est intégré à Kamelot : il savait ce qu’il voulait faire, et les chansons constituaient une sorte de carte pour le guider là où il devait aller au niveau des parties vocales. Tommy a été celui qui a apporté les lignes mélodiques pour la voix et les paroles, tout cela avec Sascha. Lorsque j’ai entendu pour la première fois « Sacrimony », par exemple, j’ai été émerveillé car c’était exactement ce dont nous avions besoin.
« Lorsque tu vois des groupes répéter la même formule, c’est un truc que nous ne ferons jamais. Le prochain album sera différent de « Silverthorn », j’en suis sûr. »
Tommy est crédité sur chaque chanson de « Silverthorn ». Mais quelle a été son implication au niveau du processus de composition ? Celui-ci a-t-il commencé avant ou après son arrivée dans le groupe ?
Nous avons commencé à écrire les chansons avant que Tommy ne nous rejoigne officiellement. Tu sais, on ne compose pas avec un chanteur en particulier, mais sur ce que nous voulons entendre au niveau musique. C’est important que le chanteur s’adapte aux chansons. Une fois que Tommy fut pleinement dedans, il a pris les choses en main, et a composé quelques mélodies vocales et des paroles : il s’est impliqué à fond, et comme je l’ai dit avant, nous sommes très heureux du résultat.
« Silverthorn » est généralement considéré comme un retour au style de « The Black Halo » ou même « Epica ». Est-ce parce que tu les considères comme étant le véritable style de Kamelot ?
Et bien, ce que je voulais vraiment faire, c’est de ramener de la mélodie dans les chansons : je n’ai pas dit spécifiquement « Je veux faire du Black Halo ». L’album n’est pas comme « The Black Halo » : il a sa propre âme, sa propre identité. Je crois qu’il manque quelques parties mélodiques sur « Poetry for the Poisoned », par exemple : je voulais les ramener sur « Silverthorn ».
Les éléments plus sombres et modernes sur « Poetry For The Poisoned », et même sur « Ghost Opera », furent plutôt accueillis tièdement. Même Oliver, ton claviériste, a déclaré qu’il n’était pas trop fan de « Poetry For The Poisoned ». Penses-tu que le groupe s’est un peu perdu en essayant de donner une autre orientation à sa musique ?
Si tu te répètes, les fans se plaindront de cela, et si tu fais quelque chose de différent, les gens se plaindront aussi. Honnêtement, j’ai cessé de m’en préoccuper. On a essayé de faire un truc différent sur « Poetry for the Poisoned », et j’en suis très satisfait : je ne changerais rien sur cet album. Tu as dit « tièdement », mais « Poetry for the Poisoned » s’est mieux vendu que les autres albums, donc lorsque tu entends une personne critiquer cet album, c’est probablement un fan de la première période du groupe. Je crois qu’il est important pour n’importe quel groupe de faire des choses différentes ou sinon, tu te retrouves bloqué. Lorsque tu vois des groupes répéter la même formule, c’est un truc que nous ne ferons jamais. Le prochain album sera différent de « Silverthorn », j’en suis sûr. Il est important que le son évolue.
Dans une interview publiée il y a un an, tu as déclaré que tu voulais ramener du fun dans le processus de création et d’enregistrement, car vous l’aviez perdu un peu de vue sur les deux albums précédents. Comment cela se fait-il ?
Et bien, je ne dirais pas que nous avons perdu cela sur les deux albums précédents, mais plutôt sur « Poetry for the Poisoned ». Il y avait des soucis avec certains membres du groupe qui devaient être résolus, et on n’a pas pris du bon temps sur ce disque : il a été dur à finir. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je sais, et je le tiens aussi d’autres personnes du studio, que tout l’enregistrement n’a pas été fun. J’ai donc voulu revenir à cet aspect fun de faire des albums et de ne pas se fixer sur ce que les gens vont aimer ou non : cela a été ma principale préoccupation pendant l’enregistrement de « Silverthorn ».
Les éléments orchestraux et les arrangements sur « Silverthorn » sont plus riches et impressionnants qu’avant. Est-ce dû cette fois à une plus grande implication d’Oliver Palotai, de Sascha Paeth ou de Miro (NDLR : de son vrai nom Michael Rodenberg, claviériste de session) ?
Quelquefois, les dieux sont avec toi, tu sais : tu sens, lorsque tu fais un album, que les chansons sont spéciales et que tout coule. Ces choses se passaient lorsque nous avons commencé à faire l’album, et aussi lorsque j’ai écouté ce qu’Oliver et Sascha proposaient. Oliver est maintenant, sans aucun doute, un des compositeurs du groupe, et il est d’une grande aide, car c’est un super musicien, ce qui est important quand tu crées une composition. Au bout du compte, le dur labeur et les heures passées à travailler en coulisses ont payé.
Le concept de l’album est du type de ceux que l’on peut trouver chez King Diamond. Cette histoire de fantômes peut rappeler « Abigail ». Est-ce que King Diamond est une inspiration pour toi lorsque tu commences à composer des concept-albums ?
Non, pas vraiment. J’aime King Diamond, sa musique, mais je ne pense pas à lui lorsque je compose. L’histoire de « Silverthorn » est en fait une collaboration entre quatre ou cinq personnes du groupe, donc je ne sais pas s’ils ont pensé à King Diamond.
(A propos de son album solo) « J’ai une liste avec vingt amis, qui sont des chanteurs incroyables que tout le monde connaît et que j’aimerais contacter pour qu’ils chantent sur les chansons. »
Pourquoi avez-vous décidé de revenir sur le label SPV pour cet album ?
Nous avions différents labels qui voulaient signer Kamelot, ce qui est super, mais au bout du compte, on a trouvé que SPV croyaient vraiment en nous. Cela a été un facteur important dans notre décision de signer sur SPV, car lorsque tu travailles avec qulequ’un, tu souhaites qu’il soit avec toi à 100 %.
Nous avons entendus des bruits parlant d’un album solo que tu ferais ? Peux-tu nous en dire plus ?
Il me faut trouver du temps. J’ai de très bonnes chansons et beaucoup de chanteurs différents avec qui j’aimerais travailler, comme Fabio ou Jeff Scott Soto (NDLR : ancien chanteur d’Yngwie J. Malmsteen) et d’autres que tout le monde connaît : je crois que cet album solo sera très cool. C’est juste une question de trouver du temps pour le faire, car il semble qu’à chaque fois que je me retourne, c’est du genre « Oh, il faut que je fasse cela avec Kamelot, et puis ceci aussi… ». Si jamais je trouve le temps de faire un break avec Kamelot, je le ferais ! Peut-être que je commencerais à faire quelque chose fin 2013, mais pour l’heure, je suis concentré sur « Silverthorn ».
Nous avons entendu parler de grands chanteurs et artistes participeraient à ton album solo. Peux-tu nous dire qui ?
Et bien, jusqu’à ce que l’album soit réalisé, je ne peux vraiment en parler. J’ai une liste avec vingt amis, qui sont des chanteurs incroyables que tout le monde connaît et que j’aimerais contacter pour qu’ils chantent sur les chansons, mais comme je l’ai dit, tant que ce ne sera pas officiel, cela n’a pas de sens d’en parler.
A quel style musical faudra-t-il s’attendre ?
Je dirais un mélange de différents styles, mais pour une grande majorité, ce sera symphonique, peut-être aussi rock moderne. C’est difficile de dire cela maintenant, mais les principales idées sont symphoniques, style Kamelot. Je suis sûr qu’il sera varié et intéressant, peut-être que des pièces classiques apparaîtront dessus, d’autres seront plus new-age : on verra bien.
Est-ce que cet album solo sera comme Ayreon ou Avantasia, à savoir assez énorme ?
Oui, exactement. Comme je l’ai dit, tout est en phase de préparation à cette heure, donc je suis concentré sur le nouvel album de Kamelot. SI tout va bien, peut-être qu’en 2014, j’aurais le temps de finir tout cela.
Peut-on s’attendre à ce que Fabio participe à un de tes projets ?
Oui, ce serait super, et nous en avons parlé, d’ailleurs, que ce soit un projet solo ou autre chose. Fabio est un bon ami, et un incroyable chanteur : à l’heure actuelle, il se concentre sur le nouveau Rhapsody : on verra bien ce qui arrivera.
Interview réalisée par téléphone en décembre 2012
Retranscription et traduction : Jean Martinez – Traduction(s) Net
Site internet officiel de Kamelot : www.kamelot.com
Album Silverthorn sorti le 29 octobre 2012 chez Steamhammer/SPV