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Interview   

Karras : possédé par le démon du death metal


Sur le papier, l’idée d’un super-groupe de metal français proposant un album de death/grind tournant autour du personnage titre de L’Exorciste sonne un peu comme le genre de fantasme né de l’abus de certaines boissons alcoolisées. Et pourtant, c’est bel et bien une réalité ! Issu de la rencontre entre Étienne Sarthou (ex-AqME), Diego Janson (ex-Sickbag) et Yann Heurtaux (toujours Mass Hysteria), Karras est la preuve flagrante que le metal bleu-blanc-rouge se porte bien, merci pour lui.

Une interview pour un premier album, c’est forcément beaucoup de questions autour de la genèse du groupe, de l’inspiration derrière la musique et des espoirs que les musiciens mettent en leur nouveau bébé. Des questions auxquelles les trois compères ont répondu avec l’aisance des vétérans, la bonne humeur d’une vraie bande de potes et la décontraction de ceux qui n’ont plus rien à prouver.

« Lorsque les Mass m’ont rencontré, je détestais Nirvana, je détestais tout ce qui se faisait à cette époque-là. Pour l’anecdote, je me rappelle que je n’aimais même pas Pantera, c’était trop mainstream pour moi. J’écoutais Desecrator, un groupe anglais, j’écoutais des trucs comme Recipients Of Death, un groupe américain… »

Radio Metal : Pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre rencontre et de la création de ce projet ?

Étienne Sarthou (batterie) : C’est Diego qui est à l’origine du projet. Il cherchait un batteur. Nous nous sommes rencontrés par le biais d’Arnaud de Black Bomb A, un ami en commun, car nous ne nous connaissions pas avant. Il a commencé à me montrer des idées, j’ai commencé à jouer par-dessus, ça s’est très bien passé. Nous avons bossé un album, avec malheureusement un line-up incomplet. Et ensuite, nous en avons parlé à Yann pour que nous ayons enfin un vrai groupe, et que ça soit un trio comme nous souhaitons le faire. C’est un résumé rapide, mais c’est un bon début !

Yann, Mass Hysteria est un groupe très actif, très prenant. Est-ce que tu as tout de suite dit oui pour rejoindre Karras malgré tout ? Qu’est-ce qui t’a décidé de rajouter ce projet à ton emploi du temps sans doute déjà très chargé ?

Yann Heurtaux (guitare) : Au départ, je n’ai pas dit oui. Je connais très bien Diego, je connais très bien Étienne, donc quand Diego m’en a parlé, je me suis dit : « Bon, je vais aller écouter ce qu’il a à me dire… », mais même si j’avais très envie de jouer avec eux, je savais pertinemment qu’au niveau du planning, ça serait compliqué. Donc nous nous sommes vus, nous avons bu un café ensemble, il m’a expliqué le projet, il m’a donné le CD. Puis je suis rentré chez moi. J’ai mis un ou deux jours à écouter le truc, et quand je l’ai écouté, je me suis pris une grosse claque dans la gueule ! Du coup, je me disais : « Putain, ça défonce, ce qu’ils font ! » Je l’ai rappelé, je lui ai dit : « Tu sais quoi ? Je ne sais pas comment je vais faire au niveau du planning, mais je te dis oui ! » Donc nous avons essayé à la pioche de rentrer ça, et puis finalement, ça fait un an et demi que je suis là, nous arrivons à répéter, nous arrivons à faire des concerts, nous faisons en fonction des plannings de tout le monde, parce que je ne suis pas le seul à avoir un planning chargé. Finalement, ça le fait, et je suis très content et fier d’avoir intégré ce projet.

L’album est, je crois, prêt depuis un bon moment…

Étienne : Oui, au moins un an et demi car il était prêt avant que Yann rejoigne le groupe, car nous avons pu lui faire écouter et c’est ce qui lui a donné envie de nous rejoindre. Le truc, c’est que comme nous n’étions que deux, et qu’avant même l’enregistrement, nous ne savions pas si c’était Diego qui chanterait ou si nous allions faire appel un chanteur, la basse n’a même pas été jouée par Diego qui est aujourd’hui le bassiste du groupe – c’est Julien [Peignart-Mancini] de The Butcher’s Rodeo qui a enregistré la basse… Nous savions que nous avions un truc à faire ensemble tous les deux, mais sous quelle forme et avec qui autour de nous, nous ne savions pas trop. Diego voulait vraiment un trio, donc à partir du moment où nous avons su que sur l’album, c’était la voix de Diego qu’il nous fallait, il s’est mis à la basse en même temps que le chant et donc, il nous fallait un guitariste. Et c’est là que Diego a pensé à Yann. C’était un sacré micmac au début ! [Rires]

Diego Janson (chant & basse) : C’est pour ça que Diego a tanné Yann !

Étienne : Et aussi, nous lui avons fait un énorme chèque pour qu’il vienne dans le groupe ! Un énorme chèque en bois ! [Rires]

Diego : Un chèque volé !

Yann, tu te retrouves à défendre un album auquel tu n’as pas participé, ce n’est pas frustrant ? Tu n’as pas hâte d’enfin mettre ta patte au projet ?

Yann : Si, mais leur album est tellement bien que je n’ai même pas quelque chose à redire en disant : « Ça, je l’aurais peut-être fait comme ci ou comme ça… » Non, je le prends comme il est. Comme je l’ai dit tout à l’heure, ça fait longtemps que je veux intégrer un projet comme ça, parce que je viens de là, je viens de cette musique-là, j’écoute de la musique extrême depuis que j’ai quinze ans… Quand j’ai commencé Mass Hysteria, j’étais déjà dans un groupe de death metal, puis j’ai fait Mass et il s’est passé ce qu’il s’est passé… Aujourd’hui, ça fait un moment que je me dis que j’aimerais bien avoir un autre projet comme ça, et il arrive avec ce disque-là, et ce disque est juste parfait pour moi. Après, les gens en penseront ce qu’ils veulent, mais je trouve qu’il y a tout ce dont j’avais envie. En ce moment, j’écoute vachement de Nails, de choses comme ça… Il y a tout. J’ai adoré la voix, parce que c’est très important… Il y avait tout ce que je recherchais, c’est pour ça que j’ai dit oui. Donc ce n’est absolument pas frustrant. Au contraire, je leur dis bravo, je suis content de défendre ce truc. Je me dis que sur le prochain, je mettrai ma patte, sans changer leur façon de fonctionner, parce que ça fonctionne grave.

Étienne : Si je peux me permette, nous sommes tous des musiciens assez accomplis, nous avons fait plein de disques, de trucs comme ça… Nous n’avons plus de grosses crises d’ego, c’est quelque chose de naturel. Et en plus, quand nous jouons maintenant ensemble, pour nous, le disque appartient vraiment à Yann, même si ce n’est pas lui qui l’a enregistré. C’est tellement naturel d’être ensemble et de jouer cette musique-là. Et d’ailleurs, ça se vérifiera avec les prochains disques, on n’aura pas l’impression que c’est un autre groupe ! C’est juste complètement normal ! C’est maintenant que nous sommes au complet ! C’est là que nous sommes Karras !

« Je suis assez content de ne pas porter tout le fardeau d’un projet sur mes épaules. C’est un truc qui commençait à me peser ces dernières années. […] C’est bien, de se mettre la pression et de vouloir bien faire, mais je m’aperçois qu’on peut prendre les choses plus tranquillement, et sans forcément y laisser sa propre santé. »

Dans le death metal, il y a plusieurs écoles, mais on peut en dégager au moins deux majeures : l’école floridienne et l’école suédoise. Or, rien qu’au son de guitare on retrouve un son proche du grain de distorsion de la pédale HM-2 qui a fait le son suédois à la Entombed, avec un côté un peu rock. Est-ce que ça veut dire que vous êtes plutôt de cette école-là ?

Oui ! Ja ! [Rires]

Yann : Moi qui ai un avis plus extérieur, je crois que chez tous les trois, il y a ce côté, mais il y a toutes les influences. Moi, je suis plus Terrorizer que Morbid Angel, en termes de scène floridienne, mais je retrouve le côté grind de Terrorizer, et de toute façon, l’étiquette suédoise y est, mais toutes les influences sont bonnes à prendre, même si on entend beaucoup le côté suédois, de par le son de guitare.

Diego : Nous avons tous écouté les deux, que ce soit la scène floridienne ou la scène suédoise…

Yann : … ou même la scène anglaise.

Diego : Oui, avec tous les groupes d’Earache Records. Donc c’est un gros mix, mais avec une tendance suédoise !

Étienne : Parce que nous aimons bien les sons de guitare sales de l’époque d’Entombed, donc forcément, ça donne tout de suite une couleur !

Diego : Et ce côté rock’n’roll, qui est hyper-important pour nous. Moi, j’aime le death metal, et j’adore le rock’n’roll. Donc les groupes qui mélangent ça, c’est vraiment cool.

Yann, le death metal, c’est ta culture à la base et ce sont les autres membres de Mass Hysteria qui t’ont ouvert à d’autres choses quand tu es rentré dans le groupe. Du coup, est-ce que tu peux nous parler plus en détail de ton histoire avec le metal extrême ?

Yann : Moi, je viens de là. J’étais même ultra-fermé. Lorsque les Mass m’ont rencontré, je détestais Nirvana, je détestais tout ce qui se faisait à cette époque-là. Pour l’anecdote, je me rappelle que je n’aimais même pas Pantera, c’était trop mainstream pour moi. J’écoutais Desecrator, un groupe anglais, j’écoutais des trucs comme Recipients Of Death, un groupe américain… J’écoutais tout ce qui était Benediction, Napalm Death, Morbid Angel, j’étais vraiment ancré là-dedans. Par contre, effectivement, les mecs de Mass écoutaient aussi ça, mais ils écoutaient plein d’autres choses, et ils m’ont vachement ouvert à du Prong, à du Helmet, à du Prodigy… Et quand je suis entré dans Mass, je me suis ouvert à plein d’autres choses. C’est là que j’ai découvert que Kurt Cobain était un génie [rires]. C’est vrai que je me suis vachement ouvert et depuis, j’écoute énormément de choses. Même à l’époque, j’étais dans le metal, assez sectaire dans mon death, mais j’écoutais déjà Radiohead, Björk, j’écoutais des choses dans ce style-là… Mais après, j’ai écouté mille choses. Et plus je vieillis, moins je me mets de barrières. Je trouve du bon de partout. Tout ce qui est bien produit, tout ce qui peut me toucher… Que ce soit dans Rihanna, dans le hip-hop, dans tout, il y a des trucs. On s’ouvre.

La dernière fois qu’on s’est parlé, tu nous disais, par rapport à l’évolution de Mass Hysteria qui flirtait de plus en plus avec l’extrême, que peut-être aujourd’hui tes « démons refont surface un peu plus fort ». Désormais, tu remets pleinement les pieds dans le metal extrême old-shcool : est-ce qu’au fond, c’est quelque chose qui bouillait en toi durant toutes ces années, cette envie de revenir à tes premières amours ?

Oui. Puis le fait d’intégrer Karras fait que je baigne complètement dans ce que j’aime. Dans Mass, disons qu’il y a encore dix ans, nous faisions attention à essayer de nous dire : « Est-ce qu’on va passer à la radio ou pas ? » Maintenant, plus du tout. Je m’en fous. Je fais les riffs que je fais, Mouss pose sa voix, et voilà.

Étienne, tu es connu pour avoir tenu la batterie pendant vingt ans dans AqME, mais pour le coup, tu as déjà pas mal pu t’exprimer dans un registre plus extrême avec divers projets, comme Freitot. Idem pour toi, Diego. Du coup, qu’est-ce que vous avez été chercher dans Karras ?

Étienne : Plus de spontanéité. Par exemple, Freitot, c’est plus un projet qu’un groupe – et ce n’est pas faire insulte aux personnes qui sont dans Freitot, parce que nous nous entendons très bien et nous formons quelque chose de vraiment intéressant. Mais nous nous voyons peu souvent, puis Fack [Fabien Desgardiens] est dans Benighted, donc il est très pris, l’autre guitariste [Julien Negro] est dans Svart Crown donc il est très pris, moi je suis très pris aussi… Nous sommes tous aux quatre coins de la France, donc finalement, nous vivons assez peu ensemble, et c’est difficile de trouver des moments où nous jouons ensemble, tout simplement. Là, c’est un vrai groupe, et je ne suis pas la seule tête pensante du groupe, vraiment pas du tout. Nous sommes vraiment trois têtes pensantes, très clairement, dans notre style à nous. Nous avons chacun nos avis selon les sujets et ça, c’est hyper intéressant. Je suis assez content de ne pas porter tout le fardeau d’un projet sur mes épaules. C’est un truc qui commençait à me peser ces dernières années, parce que j’aime bien que mon avis soit écouté, mais je n’ai pas envie d’essayer tout seul, ça ne m’intéresse pas. J’aime vraiment avoir des histoires avec les autres, et j’adore quand on n’est pas d’accord, quand il y en a un qui me dit : « Tu devrais changer tel truc. » Oui, ça m’intéresse, j’aime ce bouillonnement-là, et sur tous les sujets d’un groupe, d’ailleurs. Ça peut être des photos, ça peut être de la musique, ça peut être tout ce dont on doit débattre. Être trois, aussi, c’est plus facile à gérer qu’à cinq… [Rires] Nous avons tous les trois de vrais avis, nous sommes hyper-complémentaires, nous nous respectons vachement et ça, c’est vraiment très agréable. Donc la vie est assez facile avec Karras.

Yann : Justement, avec l’expérience que nous avons dans nos groupes, je le rejoins un peu. C’est pareil, dans Mass, il y a beaucoup de pression, il y a beaucoup de décisions à prendre. Là, il y a un truc spontané, et puis nous nous servons de l’expérience de nos groupes communs. Nous mettons notre ego complètement de côté et du coup, ça fonctionne comme ça. Nous nous écoutons, s’il y a un souci nous en parlons… Ça fait du bien, c’est frais.

« Quand bien même ce serait hyper-violent et hyper-intense, il faut que ça reste dans la tête. C’est le cas des trucs extrêmes que nous écoutons. Nous ne voulons pas faire des choses inutilement compliquées. […] Des fois, il y a des groupes de grind, que j’adore, comme Nails, et quand j’écoute leurs riffs, je me dis : ‘Putain, mais leurs riffs pourraient être dix fois plus simples, ce serait pareil !’ [Rires] »

Étienne : Ça nous arrive d’être vraiment décomplexés et libres. Même si, évidemment, nous n’allons pas tout d’un coup faire du trip-hop, mais si nous aimons le trip-hop. Nous avons choisi un cadre, c’est entre le grind et le death avec du rock’n’roll dedans et déjà, dans ce cadre-là, nous pouvons faire plein de trucs qui nous plaisent. Donc ça, c’est génial, et cette fraîcheur, de faire des morceaux plus courts, très directs, où nous faisons passer l’instinct avant tout, le côté primitif… Sur l’album, les morceaux que tu écoutes, c’est quasiment à chaque fois des premiers jets, que nous n’avons quasiment pas retravaillés ! Et c’est pareil dans le processus d’enregistrement, c’était vraiment très spontané, très rapide et ça, c’est génial, ça fait un bien fou ! D’autant plus que pour le coup, si j’ai plus AqMe, j’ai l’autre pendant qui est beaucoup plus réfléchi, avec des morceaux longs, etc., et ça, c’est Deliverance, dans lequel je suis à la guitare. Donc même si ce sont deux groupes extrêmes, c’est tellement différent que ça fait vraiment du bien d’avoir deux approches vraiment éloignées l’une de l’autre. Ce n’est pas possible de confondre un riff de Deliverance et un riff de Karras, et ça, c’est cool !

Yann, le style de riffing est très différent entre Karras et Mass Hysteria. Comment définirais-tu et comparerais-tu la philosophie guitaristique de Mass Hysteria et celle de Karras ?

Yann : Je ne sais pas. Je me retrouve vachement dans ce qu’ils ont composé. Dans Mass, je compose la plupart des riffs, j’amène la plupart des idées, en fait. Donc décrire la philosophie, je ne sais pas… Mais ça me fait vachement de bien. Me poser sur des riffs de Diego, ça me plaît vachement. Ce sont ses influences à lui, il y a un côté death, punk, que j’aime beaucoup. Il y a même des trucs que je vais jouer trop propres et que lui va me dire de jouer un peu plus sales… [Rires] Je ne suis pas un fou de solos, mais j’aime bien que les rythmiques soient vraiment à la Kerry King, très propres. Des fois, il me dit : « Vas-y, lâche un peu plus la main ! » J’aime bien. J’apprends, en fait. Ce qu’il y a de bien, c’est qu’en intégrant Karras, j’apprends d’autres choses. C’est pour ça que je regarde de loin comment ils composent, pour m’imprégner de leur projet, puis pour pouvoir amener des idées tout doucement, en apprenant comment ils ont composé.

Étienne : Il y a quand même une volonté en commun, aussi bien chez Mass Hysteria que chez Karras, d’écrire des riffs marquants. Dans le death metal, on peut vite tomber dans le riff compliqué, alambiqué, etc. Et aussi bien dans Mass Hysteria que dans Karras, on essaye d’écrire des riffs qui vont à l’essentiel, et que l’on va capter. Mass Hysteria est plus lisible que Karras, mais Karras, avec nos morceaux de une à deux minutes, nous essayons toujours d’avoir un ou deux riffs qui vont rester dans la tête. Quand bien même ce serait hyper-violent et hyper-intense, il faut que ça reste dans la tête. C’est le cas des trucs extrêmes que nous écoutons. Nous ne voulons pas faire des choses inutilement compliquées. Donc la philosophie est que nous avons toujours eu cette volonté-là, qui finalement est la même quel que soit le style de musique que nous appliquions.

Yann : Des fois, il y a des groupes de grind, que j’adore, comme Nails, et quand j’écoute leurs riffs, je me dis : « Putain, mais leurs riffs pourraient être dix fois plus simples, ce serait pareil ! » [Rires] Des fois tu ne comprends rien ! C’est ultra-compliqué.

Diego : C’est une fine ligne… Je trouve ça cool, justement ! Ils font des trucs super compliqués, mais tu ne comprends rien, c’est cool ! [Rires]

Étienne : Quand je disais compliqué, je ne pensais pas forcément à Nails…

Diego : Oui, mais regarde Nasum aussi…

Étienne : Ils ont des riffs parfois qui sont un peu compliqués, c’est vrai!

Diego : Ils sont durs à comprendre, mais ça fait partie du style et je trouve ça cool.

Étienne : Je pense que nous, il y a des trucs qui doivent paraître compliqués, mais c’est juste parce qu’on ne comprend pas ce que nous jouons ! Ça c’est cool aussi ! [Rires]

Le nom du groupe est emprunté à L’Exorciste et au personnage du Père Damien Karras. La « légende » voudrait que ce soit lors d’un visionnage du film L’Exorciste et d’un gros désaccord sur le destin du Père Karras que le groupe ait été formé. Pouvez-vous nous parler de ce moment ? Quel était ce désaccord ?

D’abord, la légende est vraie, évidemment, comme toutes les légendes !

Diego : Je vais te dire la vérité ! En fait, le nom Karras vient d’un bouquin que j’avais lu à l’époque, qui s’appelle Le Berceau Du Chat. C’est un bouquin de science-fiction, et il y a une société qui s’appelle la Société des Karras. Je trouvais le nom cool, donc je texte à Étienne en lui disant : « J’ai un nom de groupe : Karras. » Et il me dit : « Ah ouais, comme le prêtre dans L’Exorciste ! » Et je n’avais pas du tout fait ce lien. Du coup, Étienne a dit : « Gardons ce truc ! On va s’emparer du Father Karras, on va lui inventer un truc, on va créer un univers autour de Karras ! » Voilà, tout simplement, le nom Karras s’est trouvé comme ça. Et c’est parti d’une espèce de malentendu ! [Rires]

Étienne : C’est ça ! Une mauvaise communication !

Diego : Ceci dit, le film en soi, L’Exorciste, malgré son âge, parce qu’il est de 1973, il me donne encore des frissons…

Yann : Ça dépend. Ma fille qui a dix-neuf ans, elle a trouvé ça sur-kitsch. Parce qu’elle va voir des films d’horreur plus récents, plus réalistes, mais moi, ses films d’horreur à elle, je ne les trouve pas bien…

Étienne : Ils sont trop vrais !

« La différence avec les films d’horreur d’époque, c’est qu’il y avait une narration. Il y avait une demi-heure de parole avant qu’il se passe un truc. Maintenant, dans les films d’horreur modernes, à la deuxième minute, il y a une tête coupée… Ce n’est pas la même approche. »

Diego : En fait, la différence avec les films d’horreur d’époque, c’est qu’il y avait une narration. Il y avait une demi-heure de parole avant qu’il se passe un truc. Maintenant, dans les films d’horreur modernes, à la deuxième minute, il y a une tête coupée… Ce n’est pas la même approche. Mais moi, j’adore les films des années 1970, que ce soit les films d’horreur ou autres, c’est qu’il y a de la narration, ça parle, il y a l’histoire qui se met en place petit à petit… Et souvent, le dénouement se joue dans les vingt, vingt-cinq dernières minutes.

Étienne : Mais si désaccord il y a, c’est sur la suite de L’Exorciste 1. Nous voulions réécrire la suite, telle que nous la voyions.

Diego : En fait, nous avons écrit une fiction. La fiction du Father Karras après sa mort, sa défenestration. Nous le faisons ressusciter, il lui arrive des péripéties, il va au purgatoire, il revient sur Terre, et nous lui inventons toute une histoire fictive.

L’imagerie liée au père Karras est assez centrale dans le groupe. Est-ce qu’elle va jusqu’à façonner la musique elle-même ?

Étienne : Ça n’a pas façonné la musique, nous avons vraiment écrit la musique avant. Enfin, ça s’est fait un peu au même moment…

Diego : Oui, ça s’est fait au même moment. Nous nous sommes concentrés sur la musique en elle-même, et pendant que nous étions en train de composer, nous avons pensé au visuel et à ce que nous allions y mettre.

Étienne : Ce n’est pas le concept de Karras qui nous a amenés à faire cette musique.

Diego : C’est ça. Nous avions commencé la musique avant le concept.

Étienne : En revanche, nous trouvons que le concept va très bien avec la musique, donc nous avons enfoncé le clou jusqu’au bout !

L’album évoque le mythe du purgatoire et de l’enfer et relate les blessures du Père Damien Karras ainsi que son combat contre les forces du mal. Qu’est-ce que vous voyez derrière ça ? Simplement une thématique très death metal ou bien ça cache des choses plus profondes ?

Diego : Non, il y a un peu de caricature de death metal. Il y a un petit côté épique, un petit côté ringard, des fois. Mais sous une deuxième lecture, il y a des choses plus personnelles. On peut le voir de différentes façons, mais il n’y a pas de message précis ou sérieux.

Étienne : Il y a le fantasme de jouer à se faire peur, comme quand tu regardes un film d’horreur, qu’il te fait peur, mais que tu le regardes quand même… C’est le plaisir de faire ce genre de trucs qui font un peu peur.

Diego : C’est ça. Nous jouons avec l’image du film de L’Exorciste, qui nous a plu.

Qu’est-ce que ça fait pour vous de repartir de zéro avec un tout nouveau groupe ? Est-ce que vous retrouvez l’excitation des premiers jours ou bien il y a aussi du stress, du fait que vous devez de nouveau faire vos preuves ?

Étienne : Il n’y a que de l’excitation.

Yann : Ouais, que de l’excitation, et justement, sans trop de pression. Moi, justement, je kiffe, c’est cool. Nous jouons à onze heures du mat au Hellfest, j’adore ! Ça va réveiller, c’est cool !

Étienne : La seule pression que nous avons, c’est la nôtre, c’est celle de bien faire. Parce que si nous foirons, nous allons nous traiter de gros cons, de nazes… [Rires] Nous avons beaucoup d’amour-propre, nous faisons de la musique parce que nous avons envie de faire ça bien. Sinon, nous ne serions pas là depuis aussi longtemps. Il faut que ça soit cool.

Yann : Nous n’avons pas fait beaucoup de concerts, mais vu que c’est les premiers et que je n’avais pas encore les morceaux vraiment imprégnés, ça m’est arrivé de me tromper une ou deux fois, et je m’en suis voulu pendant une semaine ! [Rires] Ça me rend ouf de m’être trompé sur un truc ! Même si je pense que dans le public, personne n’a entendu. Ça me rend ouf de pouvoir faire un pain. C’est personnel, après.

D’un autre côté, surtout Yann et Étienne, vous avez des années d’expérience derrière vous avec Mass Hysteria et AqMe : est-ce que ça vous apporte une sérénité aujourd’hui en lançant ce nouveau projet ?

Étienne : Oui ! Clairement. Je me sens totalement libre. Je ne joue qu’avec des musiciens que j’aime et que je respecte. J’essaye d’être au service des différents groupes dans lesquels je joue. Je me sens tout à fait tranquille avec ça. Ce n’est plus du tout la même pression que quand tu as vingt balais, que tu sors ton premier ou deuxième album, que tu te mets un stress de fou, une pression… C’est bien, de se mettre la pression et de vouloir bien faire, mais je m’aperçois qu’on peut prendre les choses plus tranquillement, et sans forcément y laisser sa propre santé.

Diego : Ça veut dire « prendre de l’âge » ! [Rires]

Étienne : Oui, et en même temps, je garde la naïveté de croire qu’à partir du moment où c’est bien et que ça me plaît, il y a le plus grand nombre possible de gens qui peuvent aussi trouver que c’est super. Je pense que je garderai toujours ça en moi, sinon, je ne ferais pas de musique.

« Quand nous, nous démarrions, j’avais l’impression qu’il fallait être différent pour se faire remarquer, alors que maintenant, tu as l’impression que les jeunes essayent tous, au contraire, de rentrer dans un moule, de coller à un style, à une image. C’est exactement ce qui ne fait pas du tout avancer la démarche artistique. »

Quelles sont les erreurs à éviter quand on commence un groupe ?

Bosser d’abord son Instagram ! [Rires]

Yann : Un exemple que j’ai vu autour de moi, c’est que déjà, quand tu lances un truc, il ne faut pas croire que tu es arrivé direct. Il y a tout un travail. Tous ceux qu’on a vus arriver en se la racontant… L’humilité, pour moi, c’est la première chose à avoir.

Diego : Bosser la musique avant de bosser son Instagram !

Yann : C’est exactement ça ! Aujourd’hui, les musiciens sont quand même assez bons, en général. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, c’est beaucoup dans l’image…

Diego : Mais il va falloir que nous nous y mettions aussi ! C’est une différence de génération, mais nous nous y mettons et nous allons y arriver. Après, je ne veux pas arroser les gens pour les arroser. Ce que je veux, c’est que si j’ai une news, quelque chose à dire, je le mets. Je poste quelque chose pour dire quelque chose. Si je fais un post toutes les semaines pour prendre ma chaussure en photo…

Yann : Alors que ça fonctionne comme ça ! Mais nous n’avons pas trop envie de ça.

Diego : Je préfère être moins connu, que d’être connu par le biais de faire voir ma chaussure.

Étienne : Je trouve qu’il y a aussi un truc avec l’époque qui est différente. Quand nous, nous démarrions, j’avais l’impression qu’il fallait être différent pour se faire remarquer, alors que maintenant, tu as l’impression que les jeunes essayent tous, au contraire, de rentrer dans un moule, de coller à un style, à une image. C’est exactement ce qui ne fait pas du tout avancer la démarche artistique, quelle qu’elle soit, que ce soit musical ou autre. C’est aux jeunes d’apporter de nouvelles idées. Nous, nous sommes déjà des vieux, nous savons très bien qui nous sommes, nous savons très bien la musique que nous aimons, nous continuons d’ailleurs d’en découvrir de nouvelles. Mais je trouve que les jeunes sont un peu trop conformistes aujourd’hui, au lieu de justement nous filer un bon coup de pied au cul, et de nous dire : « Allez, vous, les ringards, vous sortez ! C’est nous, maintenant ! » C’est ce qu’a fait Nirvana en son temps, d’un seul coup, de ringardiser tout le metal en trois accords ! C’est génial ! Tu ne peux pas rêver mieux, en fait. C’est ce qui donne le plus de relief à la musique, ça propose tout le temps plein de trucs, et c’est cool. Heureusement, il y a encore plein de groupes intéressants encore aujourd’hui. Mais c’est vrai que je croise souvent de jeunes groupes qui essayent d’abord de ressembler à tel ou tel truc, au lieu d’essayer d’être un peu eux-mêmes. Faut prendre des risques. Faut pas avoir peur de ne pas ressembler à vos idoles. On n’y arrivera jamais, de toute manière. Je ne jouerai pas comme Lombardo ! [Rires]

Yann : D’ailleurs, quand tu fais un bilan depuis vingt ans, et même avant, je parle de mon histoire, tous les gens qui ont cartonné sont des gens qui ont fait un truc qu’on n’avait jamais vu.

Diego : On en parlait une fois avec Étienne, toutes les semaines, il y avait un nouveau truc qui bottait le cul ! Dans les années 1990, il y avait Pantera, Machine Head, Korn… C’était une période fructueuse, pour le metal. Ça a bercé notre adolescence ! Et ça, je le retrouve un peu moins maintenant. Mais peut-être parce que je suis vieux…

Yann : Oui, on vieillit aussi…

Étienne : Ouais, mais c’est aussi parce qu’il n’y a pas eu cette nouvelle génération, dans le rock. Le rap s’est renouvelé, mais dans le rock, il n’y a pas eu de nouvelle génération. Et moi, maintenant que je fais partie des vieux, je n’ai qu’une envie, c’est qu’il y ait des jeunes qui arrivent, et qui se mettent à tout défoncer, comme Nirvana l’a fait il y a trente ans. Ça va venir, j’en suis persuadé.

Est-ce que ce n’est pas justement le problème des réseaux sociaux ? Il faut maintenant se conformer au moule parce que si tu sors un peu des cases, tu n’auras pas de succès sur les réseaux sociaux…

C’est tout à fait possible. Mais pour citer un groupe qui n’est pas du tout dans le milieu du metal, King Gizzard, dont je parle tout le temps, désolé les gars, eux font vraiment que ce qu’ils veulent. C’est limite s’ils ne sont pas signés par une maison de disques, vu qu’ils produisent les disques eux-mêmes, et que c’est un de leurs batteurs qui fait manager, maison de disques, tout en même temps… Et maintenant, ils se mettent à cartonner, en n’ayant aucun média majeur qui parle d’eux, ils remplissent des salles de dingue, et ça prouve bien que quand tu te distingues d’abord artistiquement, tu fais quelque chose qui peut quand même parler aux gens, même en te conformant à rien du tout.

Yann : Et puis forcément, Instagram, Facebook et tout ça, ça va faire émerger des trucs. Tout le black metal français, que ce soit des groupes comme Mourir, Mur, Celeste, Deliverance, Regarde Les Hommes Tomber, c’est en train d’intéresser le monde entier, alors que ce sont des groupes qui n’ont pas forcément cette image d’Instagram. Mourir, je me suis intéressé à eux par le nom du groupe, et ils ont deux photos sur Instagram !

Étienne : Et Regarde Les Hommes Tomber ne sont pas actifs sur Instagram !

Yann : En fait, c’est en train d’intéresser tout le monde, il y a un public pour ça, et je pense qu’il y a des émergences, des trucs qui se font, sans forcément les réseaux sociaux.

Diego : Je pense que maintenant, on peut se débrouiller sans. Pour moi, les réseaux sociaux sont un peu un leurre. On a l’impression de voir des news, mais on ne voit rien, en fait. Ça a des bons côtés forcément. On ouvre une page, on a tout de suite des abonnés autour de son groupe… Mais je pense qu’il y a beaucoup de choses qui vont commencer à marcher sans les réseaux sociaux. J’y crois. Un peu à l’ancienne, ça reviendra ! Déjà, les gens se lassent un peu de Facebook, c’est plus Instagram, maintenant. Puis Instagram, les gens vont se lasser, ils passeront à autre chose…

Étienne : Quand il y aura trop de pub sur Instagram, les gens en auront marre, comme Facebook ! [Rires]

Interview réalisée en face à face le 2 mars 2020 par Tiphaine Lombardelli.
Retranscription : Robin Collas.

Facebook officiel de Karras : www.facebook.com/karrasband/a>.

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