Quelques semaines après les démêlés (périodiques) de la salle avec la préfecture, c’est avec plaisir qu’on remet les pieds au Sonic, péniche lyonnaise à la programmation toujours léchée, à l’occasion du retour de King Dude à peine plus d’un an après sa dernière venue ici même et alors qu’il s’apprête à sortir un nouvel album en octobre, accompagné cette fois-ci d’:Of The Wand & The Moon.
Une soirée sous le signe de la néo folk, donc, à laquelle un public bigarré s’est rassemblé nombreux pour applaudir deux artistes uniques qui ont su chacun à leur façon reprendre le flambeau des pontes du genre que sont des groupes comme Death In June ou Current 93. Au programme : runes, mélancolie, Lucifer et Apocalypse, certes, mais dans la joie et la bonne humeur.
Artiste : King Dude & :Of The Wand & The Moon
Date : 14 juin 2016
Ville : Lyon
Salle : Le Sonic
:Of The Wand & The Moon, projet principal du prolifique Kim Larsen, compte depuis 1999 cinq albums à son actif, dont le très beau The Lone Descent sorti en 2011. Seul compositeur, Larsen est pourtant souvent accompagné de divers musiciens en live, mais ce ne sera pas le cas ce soir, le Danois ayant opté pour cette tournée pour une configuration résolument folk : il sera seul en scène avec sa guitare acoustique ornée de lettres ressemblant à des runes dans lesquelles on peut reconnaître l’inscription « This Machine Kills Time ». Après quelques mises au point au niveau du son, il proposera avec beaucoup d’humilité et de sobriété un set crépusculaire à l’aridité évocatrice. Là où certains musiciens exploitent les possibilités d’un certain décorum, c’est au contraire d’une configuration dépouillée que se nourrit l’auteur d’Emptiness:Emptiness:Emptiness: [Vide:Vide:Vide:]. Voix grave, accords simples qui semblent venus des plaines américaines ou du fond des âges : Larsen n’a pas besoin de plus pour emporter le public avec lui et le faire voyager dans l’histoire du groupe, de « I Crave For You » (2001) au récent « Sunspot » en passant par le classique « Lucifer » de l’album éponyme sorti en 2003, de complaintes mélancoliques en mélodies folk plus enlevées. On pense autant à Death In June qu’à Leonard Cohen ou encore Lee Hazlewood. Le musicien se retire discrètement après un set qui aura semblé aussi bref que paradoxalement vaste, comme un rêve.
À l’inverse, King Dude, qu’on avait vu seul en scène avec une guitare, un piano et une bouteille de Jack l’année dernière au Roadburn est cette fois-ci accompagné de trois musiciens : un batteur, une bassiste et un guitariste-pianiste. Tous vêtus très sobrement de noir, chemise boutonnée jusqu’en haut, les Américains reprennent exactement là où Kim Larsen s’était arrêté : même ambiance sombre et austère, mêmes élégies atemporelles, mêmes chants de l’obscurité et de la déréliction, notamment lors du mélancolique « Deal With The Devil ». La différence majeure étant évidemment la configuration beaucoup plus rock de ce set, à l’image du dernier album de l’artiste, Songs Of Flesh & Blood – In The Key Of Light, évidemment mis à l’honneur ce soir : « Black Butterfly », avec son rythme entraînant et ses guitares 70s’, ne détonnerait pas chez un groupe de rock retro à la The Devil’s Bood, et la rythmique démoniaque de « Rosemary » se révèle en live proprement irrésistible. T.J. Cowgill, plus connu sous le nom de King Dude, donc, n’a jamais caché la variété de ses sources d’inspiration : après tout, avant de s’investir de ce projet folk ténébreux, il a été membre (hyper)actif de groupes de hardcore et surtout de black metal (dont Book Of Black Earth, a priori toujours en activité), ce qui explique à la fois que son projet actuel soit distribué en Europe par Ván Records, et qu’il ait pu sortir un split il y a quelques années avec les blackeux néerlandais d’Urfaust. Sans aller dans des contrées aussi extrêmes, les Américains nous font voyager ce soir dans des paysages variés, entre néo folk, americana et bon vieux rock, nous rappelant judicieusement au passage que c’était ça, à l’origine, la musique du diable… Tout au long du set, Cowgill se place clairement sous les figures tutélaires de Johnny Cash et surtout de Nick Cave, dont on retrouve les intonations de conteur dans l’hypnotique « Fear Is All You Know ». Cependant entre les chansons, la tension retombe, et Cowgill met de côté un instant sa fonction de prince des ténèbres pour échanger remarques et plaisanteries volontiers potaches avec ses musiciens et le public. Tout y passe : les animaux du parc de la Tête d’Or, les inévitables « french kisses »… Mais surtout le musicien ne rate pas une occasion de remercier avec profusion son public, qui lui répond avec chaleur. De quoi finir la soirée avec du baume au cœur après deux shows doux-amers et envoûtants, qui prouvent le dynamisme d’une scène néo folk à la fois fidèle à ses racines (c’est la moindre des choses !) et riche en idiosyncrasies prolifiques et variées.