A chaque compétition ses règles. Pour l’institution américaine du Rock N’ Roll Hall Of Fame qui récompense depuis 1986 quelques noms majeurs de la large sphère rock, la condition principale afin d’être éligible est d’avoir, au minimum, une carrière vieille de vingt-cinq ans (la date de sortie du premier album faisant foi pour les groupes et artistes). Autant dire que cette condition temporelle imposée pose dans certains cas des soucis et questionnements. Car en vingt-cinq ans, un groupe a le temps de changer. De muter, de faire peau neuve ou carrément de mettre fin à ses activités. L’histoire est là pour en témoigner.
Le 10 avril prochain, le Rock N’ Roll Hall Of Fame intronisera à nouveau une toute nouvelle cargaison de noms célèbres. Parmi eux Kiss et Nirvana, les deux têtes majeures de cette édition 2014. Élus par les internautes au détriment de Deep Purple (qui en est à sa deuxième nomination – et échec – successive) ou encore de Yes, entre autres, il ne faudra pas s’attendre, en tout cas, à voir débarquer les formations originelles. Celles initialement récompensées par l’institution ; celles qui ont marqué l’Histoire. Car si du côté de Nirvana la raison semble évidente, du côté de Kiss c’est Paul Stanley lui-même qui émet des réserves sur la possibilité de voir jouer le line-up qui en 1974 sortait les albums Kiss et Hotter Than Hell.
En effet, le chanteur et guitariste de la formation s’est récemment exprimé sur Twitter lors d’une session de questions/réponses avec les fans et a lâché qu’il était « peu probable » de voir monter sur scène Ace Frehley (guitare) et Peter Criss (batterie) pour cette soirée qui fêtera et récompensera le groupe pour son apport au rock. Pourtant, l’idée ne semblait pas déplaire au « Spaceman » Frehley qui, le 20 décembre dernier, avouait sur les ondes du show Eddie Trunk Rocks (propos rapportés par Blabbermouth) : « Je suis heureux à l’idée de revenir avec eux et de faire trois ou quatre bonnes chansons. Et je pense que ça va être génial. J’espère que tout le monde fera la bonne chose. […] Je sais pertinemment que le Rock And Roll Hall Of Fame nous veut nous quatre, jouant en costume et maquillage. C’est ce qu’ils veulent, et nous allons voir comment cela se profile. J’espère que tout le monde fera la bonne chose et célébrera les quatre membres originaux avec qui tout a commencé. » Gene Simmons lui-même semblait séduit à l’idée de jouer avec ses deux ex-comparses. Chez Rolling Stone le bassiste avouait à leur sujet qu’ils « sont tous deux aussi importants dans la formation de la bande. » Sans compter que Peter Criss et Ace Frehley se sont récemment réunis sur scène (cf. ci-dessous), fait qui ne s’était pas produit depuis treize ans !
Alors oui, un point d’interrogation flotte au-dessus de Kiss mais, même si depuis longtemps le guitariste et le batteur sont abonnés à la table des « parias » systématiquement écartés des réjouissances, au moins, les quatre musiciens de la formation initiale restent bien vivants (on ne peut malheureusement pas en dire autant d’autres membres marquants de leur histoire comme le regretté Eric Carr), et donc disponibles pour quelque forme de réunion du groupe originel, même tiraillé par cette permanente mise au ban de deux de ses membres (en atteste l’autobiographie de Gene Simmons guère tendre avec ces deux-là). Et même si Stanley se défend d’éprouver le moindre mauvais sentiment à l’égard d’Ace Frehley et Peter Criss, ce rejet du passé n’est pas sans rappeler le cas Guns N’ Roses qui se sont produits en 2012 sans Axl Rose alors que tous les membres d’origine étaient là.
A contrario, le cas Nirvana est bien plus énigmatique. Si Kiss a encore la possibilité de jouer avec le quatuor fondateur (et pourquoi pas aussi un Bruce Kulick qui a apporté sa pierre à cet édifice entre 1985 et 1996), Nirvana sur scène sans son charismatique et iconique leader Kurt Cobain paraît pour le moins improbable. Car, à l’opposé de Lynyrd Skynyrd (également intronisé, en 2006) qui a aussi connu la perte de son chanteur (Ronnie Van Zant, en 1977, dans un accident d’avion, depuis remplacé par son frère Johnny), les membres de Nirvana ont définitivement stoppé toutes activités sous ce nom suite à la mort de leur frontman. Ce dernier n’ayant jamais été remplacé pour quelque occasion, il y a donc lieu de s’interroger, pour le rêve. Ou pas, pour que celui-ci reste intact. Pour l’instant, hormis des déclarations de joie à l’idée d’être intronisés, Dave Grohl et Krist Novoselic se cantonnent à un silence béton concernant le show prévu pour cette intronisation.
Toutefois plusieurs possibilités s’offrent au groupe. La plus simple étant de jouer par dessus les vocaux enregistrés. La plus fantasque, étant de voir le chanteur ressuscité, à l’instar d’un 2Pac, par hologramme. En outre, celle qui semblait la plus évidente, à savoir inviter un autre chanteur au micro, est déjà écartée. Selon le batteur, et il y en aura peu pour le contredire, Nirvana est « une terre sacrée ». C’est notamment l’une des raisons qui fait que son groupe, les Foo Fighters, ne reprend jamais un seul titre de ce répertoire ; et la dernière fois que les membres restants eurent l’idée de jouer du Nirvana (à l’occasion des concerts donnés par les artistes du Sound City), Dave Grohl avait demandé à la chanteuse PJ Harvey, adulée par Cobain, de prendre le micro afin d’honorer les compositions du chanteur-guitariste… Avant d’abandonner l’idée : « Kurt l’aimait et nous l’aimons et nous avons pensé, ‘Ouais, que ferions-nous ? J’ai dit : ‘Seigneur, si nous faisions « Milk It » de In Utero avec Polly au chant ? Nous nous sommes tous regardés, les uns les autres, comme ‘Woah, ce serait étonnant …’ et puis elle ne pouvait pas le faire ! »
Bien que symbolique (plus qu’autre chose), cette cérémonie 2014 se place principalement derrière une bonne couche de rêve, le tout placé sous un immense point d’interrogation. De toute évidence, il aurait été plus simple de réunir l’une des formations connues par Deep Purple (les « Mark »). Même si là aussi, cela se serait fait sans un Jon Lord décédé et sans un Ritchie Blackmore particulièrement acerbe vis-à-vis de cette institution. Suite à la sélection de Deep Purple pour l’édition 2013, le guitariste avait alors donné son cinglant point de vue sur cela : « Personnellement, je n’en ai rien à faire. Jamais je n’irai. Je ne suis vraiment pas fan de ce genre de truc. Vu certains personnes qui sont déjà au Hall Of Fame, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, donc, en fait, d’une façon ou d’une autre, je n’en ai rien à faire. […] Je pense que ça intéresse plus les fans que moi. Ils disent toujours : ‘Tu devrais être au Hall Of Fame. Tu devrais être ceci, tu devrais être cela…’ Tant que je peux payer les factures, c’est tout ce qui m’importe. »
Mais Blackmore n’est pas le seul à critiquer cette institution. En 2006, les Sex Pistols étaient eux aussi intronisés. Sauf que les punks ne sont jamais venus sur scène. Le groupe avait en effet refusé de participer à la cérémonie, critiquant le côté lucratif du musée et définissant celui-ci comme une « tache de pisse ». Et il est vrai, en un sens, de dire que, hormis une récompense symbolique, l’institution américaine n’apporte pas grand chose au monde de la musique si ce n’est une vitrine sur une culture récompensée de manière plus ou moins exhaustive, parfois critiquée, jugée trop ouverte par certains (le musée accueillant des artistes outrepassant le rock), trop fermée pour d’autre (on entend quelques critiques chez les fans de rock progressif et de heavy qui se considèrent lésés).
Cependant, ce cru 2014 offrira aussi ses lauriers à des artistes qui, a priori, poseront moins de problèmes et soucis et dont la carrière mérite, au moins pour le symbole, une récompense. Cat Stevens, Peter Gabriel ou encore Linda Ronstadt seront eux aussi intronisés le 10 avril prochain.
Rectification: Concernant GN’R, Izzy Stradlin n’était pas venu non plus 😉
J’espère que jamais Ô grand jamais, Nirvana se fera avec un autre chanteur que Kurt.