Cela fait sept ans que « Kiss and Make-up » (en version française « Kiss sans fard »), l’autobiographie de Gene Simmons, membre fondateur et figure de proue de KISS, est sortie aux États-Unis. Il y a un mois, l’éditeur Camion Blanc amenait la traduction dans les librairies francophones.
Sept années qui ne pardonnent pas pour tout bon soldat de la KISS Army un tant soit peu anglophone qui aura sans doute déjà lu ces mémoires en version originale. Sept années qui apporteront une part de frustration aux autres fans (ou autres lecteurs assez curieux) qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue de John, Paul, George et Ringo puisqu’ils n’y trouveront pas relatées les neuf dernières années de KISS (terminus du livre en 2001). Mais les cinquante-deux premières années de Gene Simmons ne méritent pas moins l’attention de tout membre de l’Eglise Rock ‘N Roll.
Si certains ne le savaient peut-être pas encore, Gene Simmons est né Chaim Witz, en Israël, d’un père soldat (comme tous les hommes israéliens à cette époque) et d’une mère d’origine hongroise rescapée des camps d’extermination. Il débarque avec sa mère à huit ans aux États-Unis où on le connaîtra encore quelques années sous le nom de Gene Klein (du nom de sa maman) jusqu’à ce qu’il devienne Gene Simmons et enfin The Demon.
Déjà dans ce petit topo se trouvent bien des thèmes qui guideront sa vie. Pas spécialement son origine israélienne ou juive mais plutôt son rapport à sa mère et à son père avec tout ce que cela implique en terme de rapport à soi-même, aux femmes, aux responsabilités familiales (son père disparait de sa vie quand il a cinq ans). Mais plus que tout, c’est l’Amérique et le rêve américain qui est le principal fil rouge de cette autobiographie.
Le petit Chaim aurait très bien pu passer toute sa petite enfance dans la région de Haïfa, en Israël, sans avoir à se soucier du reste du monde mais dès quatre ans il connaît son premier choc américain : « The Broken Arrow », un western, des paysages grandioses et les cowboys. Le cowboy, premier archétype du héros plus grand que nature auquel fut exposé celui qui essaiera toujours – même alors qu’il mesurera un bon mètre quatre-vingt-dix – d’avoir l’air bien plus grand que n’importe qui. Une idée de l’héroïsme qui ne fera que croître quand il aura enfin mis les pieds sur le sol américain grâce à la télévision et les programmes de science-fiction qu’il choisit principalement en fonction des costumes des personnages, télévision qu’il ne lâchera plus jamais ; et aussi grâce aux comics qu’il dévorera (avant de faire un jour partie de la recette), à commencer par Superman puis tous les autres, de Batman à Spiderman.
Le deuxième contact avec l’Amérique, alors qu’il vit encore en Israël, est alimentaire : des pêches au sirop envoyées par ses oncles de New York. L’Amérique avait un goût délicieux ; surtout pour cet homme fondamentalement gourmand qui n’a jamais bu, ni fumé, ni pris de drogue (sa seule expérience avec la drogue était justement un accident de brownies parfumés à la marijuana sans qu’il le sache et dont il s’est malencontreusement gavé) et dont la nourriture est la seule (ou presque) faiblesse.
L’Amérique, c’est aussi le rêve américain, des promesses de réussite. Dès le début, Gene Simmons l’affirme (même si on s’en doutait déjà) : « mon histoire parle du pouvoir et des moyens de l’obtenir […], histoire d’ambition et de chance. » C’est pour cette raison que Gene Simmons a toujours travaillé dur, dès son adolescence comme livreur de journaux ou plus tard dactylo ou même assistant du rédacteur en chef de Vogue avant de se lancer dans le rock. Et là encore, c’est une bête de travail : dès le début, il fait tout pour se faire connaître, audacieux au possible avant de devenir une véritable bête commerciale (jusqu’à faire un jour la couverture de magazine comme Fortune ou Forbes).
De ses parents il tire deux choses principalement. De sa mère, il tire une confiance en soi démesurée. Obéissant au cliché de la mère juive, la mère de Gene Simmons considère son fils comme un roi, le centre du monde. Il dit : « Je fais partie de ces types qui se regardent dans le miroir et se trouvent mieux qu’ils ne sont en réalité ». Cette attitude va le guider toute sa vie, surtout pour son bien puisqu’elle le poussera à aller toujours plus loin en toute confiance. En tout cas, cette phrase indique plus de recul par rapport à sa perception de soi que ce qu’elle décrit et que ce que d’autres voient en lui : un homme trop sûr de lui, s’accaparant toute l’attention, égocentrique, prêt à tout pour réussir, même à vendre le rock ‘n roll à l’hôtel des ventes du business.
La deuxième chose, il la tient de son père : l’idée de puissance, mais pas économique cette fois. L’idée d’une puissance virile. Le caractère masculin. Son père était soldat et quand il rentrait à la maison, il déposait sa lourde mitraillette sur la table. Son père mesurait près de deux mètres et pour un enfant, c’est nécessairement un géant. Son père était fort. Le plus puissant souvenir que garde Gene Simmons de son père, c’est quand celui-ci, d’une main, avait soulevé leur canapé.
Une certaine puissance masculine… Un chemin qui nous mène au rock ? Pourquoi ne pas se permettre de l’emprunter pour parler enfin de la musique qui a fait partie de la vie de Gene Simmons depuis ses quinze ans. « Elvis n’existait pas à mes yeux » mais les Beatles ont changé sa vie. Les Fab Four ont, de toute évidence, changé son quotidien car il n’est pas un moment dans sa carrière musicale où il n’a pas cherché à se comparer à ces quatre gars de Liverpool. Depuis ses premiers groupes d’adolescent jusqu’à KISS. Cette pochette du premier album qu’il identifie au premier album des Beatles, Meet The Beatles. Bob Ezrin qui a produit plusieurs albums de KISS dont Destroyer est comparé à George Martin, celui qu’on surnomme le Cinquième Beatle. Ou encore, cette impression qu’il a eu de se rendre en Terre Sainte quand il mit la première fois les pieds en Angleterre. Et Gene peut être fier car ce fan n’a jamais été aussi proche de ses idoles car KISS est le groupe à avoir eu le plus de disque d’or après les Beatles ; et, de 1977 à 1979, les sondages Gallup ont sacré KISS, meilleur groupe de rock devant les Beatles.
Lire l’histoire de Gene Simmons c’est aussi lire celle de KISS, SON groupe, qu’il ne prendrait jamais le risque de faire se séparer ou d’en partir. L’histoire est peut être biaisée par un seul point de vue mais une autobiographie n’a pas vocation à l’objectivité. Gene nous raconte bien sûr la rencontre des membres originels dans les années 70. Paul Stanley d’abord, « le frère qu’il n’a jamais eu », toujours avec lui à la tête du groupe, celui qui baptisa le groupe, qui eut les idées pour les scènes gigantesques ou l’idée d’oser tomber les masques dans les années 80. Pour Peter Criss et Ace Frehley, le langage est moins chaleureux, même s’il a toujours essayé de leur laisser une chance. Les premiers mots sur la contribution d’Ace au groupe sont : « Ace ne faisait rien ». Même si la première impression qu’avaient eu les membres du groupe sur lui était particulièrement positive (« un trublion qui ne savait même pas assortir ses chaussures et n’avait pas la politesse d’attendre son tour, […] il s’intégrait parfaitement »), c’est vite devenu insupportable. Le cas de Peter n’était pas plus reluisant. L’un comme l’autre étaient faibles face à la tentation de l’alcool et des drogues, aimaient la violence, ne supportaient aucune règle, aucune discipline, ne faisaient que se détruire (et donc détruire le groupe) et devenaient, année après année, un frein créatif.
Vinrent alors les années 80, les premières séparations, les premiers changement de membres, les premières crises. Le groupe ne s’intégrait plus à cette époque et Gene lorgnait de plus en plus vers Hollywood, le cinéma et les stars qui y vivent. Il avait déjà eu une liaison avec Cher à la fin des années 70. Au début des années 80, il folâtre avec Diana Ross. Les membres du groupe ne le comprennent plus, leurs fans pensent que Gene est en train de les trahir.
Et là, c’est l’occasion de parler des femmes dans la vie de Gene Simmons. Et ça, vous l’attendiez tous. Monsieur Gene Simmons (le « monsieur » n’est vraiment pas de trop dans le cas présent) se targue d’avoir vécu pas moins que 4600 liaisons, photos et vidéos à l’appui ! Une vie sexuelle qui a commencé à déployer ses ailes dès l’âge de treize ans avec une femme d’une vingtaine d’années en nuisette à frou-frou à qui il venait réclamer le prix de son abonnement au journal qu’il livrait. Puis vint la petite Connie, dans la buanderie, alors qu’ils avaient quatorze ans ; rapports bucco-génitaux culminant en un « ta langue, mets-moi ta langue ! » révélateur pour le futur Démon de KISS, révélateur d’un pouvoir. Et finalement, c’est une vie sexuelle ultra-chargée que nous relate en maintes anecdotes Gene Simmons, une femme par nuit au cours de chaque tournée…
Et arriva Shannon Tweed. C’était en 1984, au cours d’une soirée au Manoir Playboy, elle sortait d’une relation avec Hugh Hefner, elle avait posé pour maintes couvertures du fameux magazine, ils discutèrent des heures, elle lui donna son numéro de téléphone et même Miss Février n’existait plus. Rapidement, il tomba amoureux de « cette playmate d’un mètre quatre-vingt à qui [il avait] envie d’apporter le petit-déjeuner au lit ». Quelques années plus tard, elle devenait la mère de ses enfants, à lui qui depuis toujours refusait de s’engager avec une femme (il n’épousera jamais Shannon) et avait peur de devenir père (principalement à cause du sentiment d’abandon qu’il connut avec le sien). Dès la naissance de Nick en 1989, c’est d’abord le vertige puis la révélation : il voulait être père. Il aurait tué pour ses enfants et il comprend enfin ce que lui disait sa mère : « je me jetterais sous ce camion pour toi ». Le premier mot de son fils est « papa », il craque. Sophie naît en 1992, c’est la confirmation.
A part nous raconter sa vie, Gene Simmons démontre son amour et son respect pour ses fans. Son premier devoir, avoué au début de cette autobiographie, c’est un devoir de vérité, pour tous « ceux qui croient en KISS ». Et il nous la narre en toute simplicité sans être simpliste. C’est une écriture fluide, un phrasé naturel, tout à fait agréable à lire. Il ne s’arrête pas dans un paragraphe pour nous parler d’autre chose en oubliant ce dont il nous parlait juste avant. Il devient attachant. Ce n’est plus seulement une espèce de vilain businessman du rock, c’est un homme fier de ce qu’il est, conscient de sa nature. On aura failli regretter de ne pas trouver une théorie de la création, des idées sur son travail plus qu’une suite de souvenirs et d’anecdotes mais une chose ressort finalement, à propos de l’art : « ce monde prétentieux me semblait idiot. J’ai toujours pensé qu’Art était un prénom et que c’était au public de décider du reste. […] C’est à nous le peuple de décider si c’est de l’art ou pas, pas au créateur. […] L’idée d’un artiste disant « je suis un artiste » me semble un peu égocentrique ». Gene Simmons, le meilleur ami de l’Américain moyen.
Bonne chronique : j’ai envie de lire le bouquin alors que je me fous de Kiss 😀
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