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Interview   

Klone : entre ciel et terre, partie 1


Après deux opus que l’on pourrait qualifier d’aériens, Here Comes The Sun et Le Grand Voyage, Klone revient aujourd’hui avec Meanwhile, un album plus physique qui, sans quitter complètement la stratosphère, semble revenir à une nervosité plus terrienne. En deux interviews, Guillaume Bernard et Yann Ligner, respectivement guitariste-compositeur et chanteur du groupe poitevin, décortiquent avec nous l’élaboration et l’approche de ce septième effort qui se révèle être bien plus qu’une simple synthèse de leurs acquis.

Conception de Meanwhile, importance de l’expression scénique, souvenirs de tournées, pertinence des textes dits engagés, rapport au temps qui passe, line-up, labels, etc. : une nouvelle fois, dans cette première partie, le guitariste de Klone s’est montré franc et loquace sur tous les sujets que nous avons pu aborder avec lui.

« Meanwhile nous permet d’affirmer nos racines. Nous avons toujours été aussi bien influencés par des groupes de metal comme Pantera, Machine Head, Sepultura, que par des choses plus atmosphériques. »

Radio Metal : Il me semble que vous n’étiez pas forcément partants pour aller aux États-Unis, donc finalement, comment s’est passée la tournée avec Pain Of Salvation l’an dernier ?

Guillaume Bernard (guitare) : En effet, je n’étais pas trop partant. Enfin, ce n’était pas plus un rêve que ça pour moi d’aller jouer là-bas. Si j’avais été seul et que je n’avais pas fait de musique, je ne me serais pas dit qu’un jour j’irais en vacances aux États-Unis. Ça ne me trottait pas dans la tête, je n’étais pas du tout dans ce délire, donc à la base, je n’étais pas plus excité que ça parce que je n’avais pas d’attentes particulières. Et à l’époque, il y avait aussi tout ce côté chiant du Covid-19, du visa de travail, etc., qui étaient très pénibles et stressants à gérer en termes de paperasserie avant de partir pour être sûr que tout se passe bien. Il y avait toutes les demandes particulières à faire, comme pour aller sur le bateau, car nous passions par le Canada. Il y avait plein de tests à faire dans chaque endroit… Il se trouve que je n’avais pas fait de test Covid-19 dans le nez avant. C’est con, je faisais un peu ma petite nature, j’avais un peu peur de ça, et je me suis fait vacciner quinze jours avant de partir aux États-Unis. J’ai fait tout ça juste pour aller là-bas. J’avais surtout peur que quelque chose se passe mal administrativement, nous bloque sur place, et que nous nous retrouvions coincés à ne pas pouvoir y aller en ayant engagé des frais et tout le merdier, que nous nous soyons fait chier à faire tout ça pour au final nous retrouver coincés à l’aéroport et devoir retourner chez nous.

Ça nous est déjà arrivé une fois en Australie parce que nous n’avions pas fait les visas de travail, mais des visas de touristes. Nous sommes arrivés pour jouer en Australie et nous avions monté une histoire un peu bidon en amont pour faire en sorte que ça passe devant le mec de la douane. Sauf que je n’ai pas du tout senti le truc et nous n’étions pas trop raccords entre nous. Au dernier moment, je me suis dit que non, nous n’allions pas lui dire que nous jouions dans un groupe inventé, mais que nous jouions vraiment dans le groupe Klone et que nous étions en tournée promotionnelle – c’était un peu le cas parce que nous jouions en ouverture. J’ai donc un peu flippé par rapport à ça. Et il se trouve qu’en Australie, le mec nous attendait à la douane, il savait qui nous étions, il avait toutes les photos de notre groupe avec le flyer de la tournée, il était au courant des moindres détails. Je me suis rendu compte à quel point ils étaient très professionnels dans leur boulot et que, si nous faisions les cons avec les papiers, nous risquions de nous retrouver comme des cons et de ne pas pouvoir rentrer sur le territoire. Nous avons donc failli nous faire refouler en Australie à cause de ça, ça s’est joué à presque rien. Je ne sais pas aussi si tu avais entendu parler des histoires d’Hypno5e aux États-Unis. Ils ont eu des galères, ils avaient fait tout un film là-dessus, où le bassiste et l’ingénieur lumière se sont fait refouler, ils n’avaient pas pu tourner avec eux, et ceux qui avaient réussi à passer avaient peur de se faire prendre par la douane. Si mes souvenirs sont bons, de ce que m’avait dit Manu [Jessua], le chanteur, ils avaient été interdits de territoire aux États-Unis à cause de ça. J’avais donc un peu tout ce merdier dans la tête, je ne sentais pas le truc. C’était un peu stressant, je t’avoue.

Après, en soi, la tournée s’est super bien passée, c’était très cool. Une fois que nous avons réussi à passer toutes les frontières, que nous nous sommes retrouvés sur le bateau, qu’ensuite nous avons rejoint le tour bus avec Pain Of Salvation pour faire tout le tour des États-Unis et que ça s’est très bien passé, je pense que c’était une des tournées les plus tranquilles que nous ayons faites. Nous nous croyions vraiment en vacances avec un rythme très calme, et humainement c’était chouette parce que les mecs du groupe étaient super sympas. Léo Margarit, le batteur de Pain Of Salvation, est français, toulousain, super sympa, super avenant, donc le courant est très vite passé. Nous nous sommes bien marrés, nous n’avons passé que des bons moments, donc c’était mortel ! Il y avait moins de public que sur la tournée avec Leprous, parce que Pain Of Salvation n’est pas aussi gros aux États-Unis. Il y avait trois cents personnes max, mais ça reste cool pour nous car c’était la première fois que nous allions là-bas. En termes d’ambiance, c’était tellement les vacances, c’était tellement zen. Tu sentais qu’il y avait zéro tension, zéro pression sur quoi que ce soit. Nous étions très à l’aise.

Vous avez connu des tournées avec plus de tensions ?

Le pire, c’était certainement la tournée avec Gojira que nous avions faite en 2012. Il y a eu une grosse frayeur au niveau du budget. Je gère les trucs administratifs pénibles et il y a eu une grosse pression au niveau des thunes, parce que nous sommes partis sans savoir si les subventions allaient être validées. C’était un gros coup de poker, parce que si nous n’avions pas touché toutes les subventions, nous aurions été vraiment dans la merde – à au moins vingt mille balles facile, voire plus. Nous avons appris vers le milieu voire fin de tournée que c’était validé. Il y avait aussi de la pression parce que nous n’avions pas de thune du tout à l’époque. Quand tu te retrouves en tournée, et que le groupe avec qui tu joues ne partage pas la bouffe, que tu te retrouves à manger un paquet de chips pour douze personnes avec une moitié de tranche de pain de mie pour faire tout ton repas, en plus de plein de choses qui étaient un peu compliquées à gérer, ce n’est pas évident.

« J’ai des souvenirs de concerts de Klone dans le passé où il y avait vraiment ce côté sportif de la prestation scénique. Nous nous sentions bien et nous avions la sensation d’avoir fait un bon live quand nous sortions vidés, quand nous avions transpiré le plus possible. »

A l’époque, j’étais aussi manager de Trepalium et je m’occupais de Klone, donc j’avais une espèce de double casquette de musicien et manageur de groupe. C’était un peu tendu parce qu’il y avait pas mal d’argent en jeu et si je n’avais pas tenu tout ça, cette tournée n’aurait jamais pu se faire. Tout le poids reposait sur mes épaules. Quand tu es dans ce genre de situation, si tout se passe bien, tout le monde s’en fout, personne ne sera reconnaissant de ton travail. Par contre, s’il y a un problème, tu vas te prendre des réflexions de la part de tout le monde. C’était une position vraiment pas confortable pour moi. J’en garde un très mauvais souvenir. Je n’ai pas pu profiter des concerts parce que dans ma tête, je n’avais pas du tout la casquette de musicien, j’étais plus dans ces trucs administratifs qu’autre chose. Je t’avoue que depuis quelques années, je me suis un peu débarrassé de tout ça. Nous avons un tourneur et un manageur qui gèrent pour nous, et les conséquences financières qu’il peut y avoir sur ce genre de tournée sont aussi gérées par des tiers qui sont autour du projet et qui bossent dessus. Je me sens beaucoup moins stressé par rapport à tout ça. Donc j’arrive mieux à faire les tournées en mode musicien et c’est beaucoup plus plaisant quand tu n’as pas à penser à ces choses-là.

Le Grand Voyage et Here Comes The Sun étaient des albums très aériens. Les gens y voyaient une sorte de réorientation du son de Klone et une nouvelle direction, mais force est de constater que Meanwhile fait presque une sorte de pas en arrière. Tu as déclaré avoir « besoin de revenir à la nature du son que [vous faisiez] au départ, pour le côté physique de la musique ». D’où est venu ce besoin ? Une lassitude, une nostalgie de vos débuts ou autre ?

Il y a peut-être un peu de nostalgie, parce que nous kiffons jouer ce genre de plans et de riffs. Surtout, sur les concerts, nous nous rendions compte que plus nous avancions et plus nous mettions des morceaux de nos derniers disques, et plus nos tempos étaient lents, et que nous n’avions presque plus de distorsion. Nous voulions avoir du relief dans notre set, c’était donc important pour nous d’avoir des nouvelles compos qui allaient nous permettre d’avoir différentes propositions dans la musique que nous allions proposer dans les concerts. Je suis en train de monter la setlist pour la tournée qui va commencer à la fin du mois et début de février. Nous nous retrouvons à réussir à faire des choses qui font voyager dans des sphères différentes et c’est plutôt chouette pour nous. C’est aussi pour affirmer que dans nos racines, dans la création de notre musique, il y a toujours eu ces éléments de riff. Nous avons toujours été aussi bien influencés par des groupes de metal comme Pantera, Machine Head, Sepultura, que par des choses plus atmosphériques. Pour moi, dans High Blood Pressure, le premier disque de Klone avec Yann au chant, il y a déjà toutes les extrémités de ce que nous pouvions faire musicalement, c’est-à-dire aussi bien un titre quasi acoustique qu’un morceau avec de la double pédale et un gros riff, parfois pas loin du death. Ça a toujours été un mix global.

Après, je ne me pose pas quinze mille questions quand je compose un morceau. Si j’ai ce genre d’idées qui me viennent, c’est que c’est bien. Je prends ce qui me vient. Donc peut-être qu’en fonction des périodes de composition, des moments vécus en parallèle de l’écriture de la musique, l’état d’esprit change. Il y a eu le Grand Voyage et là, il se trouve que pour Meanwhile, c’était différent. Dans les précédentes interviews on m’a demandé si le Covid-19 avait eu un impact sur la composition du nouvel album, si son côté plus vénère venait de là. Peut-être qu’inconsciemment, ça a pu jouer aussi. Peut-être que ça a aussi pu se ressentir dans les paroles de Yann, du fait du retour du côté rageux dans certains plans de la musique. Pour ma part, j’ai eu des phases où je me sentais énervé. Quand tu es chez toi, que tu n’as pas le droit de sortir, que tu ne peux plus faire grand-chose et que tu ne te sens pas vraiment libre de tes mouvements, peut-être que ça a eu un impact indirect sur le côté un peu rage dans certains plans de certains morceaux – parce que je ne trouve pas, au final, que le disque soit si énervé par rapport à ce que nous faisons habituellement, mais il y a quelques éléments comme la distorsion qui est plus présente. Il y a aussi quelques éléments un peu plus metal, dans le riffing en tout cas, qui sont beaucoup moins basés sur les arpèges que les deux précédents disques que nous avons faits.

Tu évoques le rapport à la pandémie, mais en dehors de la rage que ça a pu générer, n’est-ce pas aussi un peu une réaction aux confinements, à la distanciation sociale, à l’absence de concerts, etc. vous donnant envie d’être plus dans le contact physique – qui a été drastiquement réduit pendant cette période – entre vous mais aussi avec la musique, ses vibrations, etc. ?

Oui et non. Certains morceaux de Meanwhile ont été composés avant le Covid-19 ; plusieurs idées étaient déjà présentes. Ça s’est finalisé pendant la période Covid-19, mais je ne sais pas si ça a joué. Peut-être que ça peut se ressentir sur certains morceaux, et sur d’autres non. Il y avait déjà cette volonté ancrée avant tout ça. Pour ma part, j’ai quand même vu du monde. J’étais en colocation en plus à l’époque des restrictions. Mon cercle d’amis proches était moins large qu’avant le Covid-19 mais j’avais toujours cinq ou six personnes récurrentes qui passaient chez moi et avec lesquelles nous nous captions quand même malgré les interdictions.

« Pendant la tournée Unplugged de Klone, nous avions fait pas mal de dates en étant assis sur des tabourets. Il y avait un côté pépère pantoufle qui s’était installé sur cette période. »

Je te posais aussi la question car par rapport au Grand Voyage, tu nous disais à l’époque : « Quand je jouais une note, je voulais vraiment l’entendre résonner le plus loin possible, avoir l’impression qu’elle se diffuse le plus loin possible. » As-tu eu cette fois un rapport différent à cette onde sonore ?

Oui, c’est certain. Je disais ça aussi par rapport à la production et à la présence d’une grosse reverb. L’effet recherché à l’époque était de faire résonner les notes le plus loin possible dans l’espace. Artistiquement, c’est la recherche qui a été faite pour ce disque. Sur celui-ci, maintenant, il est clair que nous avons quelque chose de plus frontal et de beaucoup plus terre à terre. C’est plus ancré dans le sol. Déjà, le fait de mettre beaucoup de distorsion, ça nous empêche de mettre beaucoup de reverb parce que sinon c’est dégueulasse et tu n’entends plus rien à ce qui se passe. Dans cette logique, l’ancrage dans le sol est évident.

De même, tu parlais du relief dans votre set, mais est-ce que ce côté plus physique vous avait aussi manqué en live, même si vous jouiez quelques anciens morceaux ?

Oui, certainement. J’ai des souvenirs de concerts de Klone dans le passé où nous sortions de scène en nage. Il y avait vraiment ce côté sportif de la prestation scénique où nous nous donnions vraiment à fond. Nous nous sentions bien et nous avions la sensation d’avoir fait un bon live quand nous sortions vidés, quand nous avions transpiré le plus possible. À l’inverse, pendant la tournée Unplugged de Klone où nous avions fait pas mal de dates en étant assis sur des tabourets, nous savions que nous pouvions manger autant que nous le voulions, que la digestion serait facile. C’était tranquille, aucune goutte de sueur à la sortie. Il y avait un côté pépère pantoufle qui s’était installé sur cette période. Après, malgré le côté très lent et atmosphérique de certains morceaux du Grand Voyage, nous voulions quand même nous impliquer physiquement. Si on prend « Yonder », c’est certes très relax, mais il y a aussi des parties qui nous permettaient de nous lâcher physiquement sur les dates.

Ceci dit, ce n’est pas évident de jouer des nouveaux morceaux en live que tu n’as pas encore bien dans les pattes. Autant nous jouons nos anciens morceaux presque de manière automatique, sans restriction, sans nous poser de questions, autant les nouveaux titres impliquent plus de vigilance, tu regardes un peu plus ton manche et tu fais gaffe à ne pas faire de conneries. Quand tu t’appliques, tu es moins impliqué physiquement. Je me rends compte que sur les nouveaux morceaux que nous avons joués – car nous en avons testé deux ou trois –, nous avons toujours un petit temps d’adaptation de repères pour nous sentir à l’aise et trouver notre chorégraphie. Il y a une sorte de chorégraphie sur certains morceaux avec des automatismes qui vont se répéter au fur et à mesure et où tu trouves tes marques, tu as une petite danse qui s’installe. Et là je sais que, même si les morceaux sont plus violents, ce n’est pas toujours évident de trouver les bons repères. Il y a aussi les pédales d’effets auxquelles il faut penser, où il faut activer tel truc à tel moment. Ta tête est occupée par tous ces petits détails, car nous n’avons toujours personne pour le faire à notre place, comme chez Pantera où un mec était caché derrière l’ampli et allait activer les effets du gratteux qui n’a qu’à jouer sans se poser de question. C’est le cas aussi, je pense, pour Gojira où ils jouent leurs morceaux et derrière tu as le mec qui gère sa whammy, ses effets. Ces détails techniques sont un peu chiants parfois.

Penses-tu que le fait d’exprimer la musique physiquement est important, ne serait-ce que pour l’intention qu’on met dans son jeu ?

J’ai toujours eu l’impression que les gens vont ressentir ce genre de choses. J’ai le souvenir d’anciens sets de Gojira où tu les sentais vraiment à burne. Sur leur période du tout début jusqu’à From Mars To Sirius, où même après sur The Way Of All Flesh, ils sortaient morts, ils avaient vraiment tout donné. Idem pour Meshuggah sur certains live de la période Chaosphère, fin des années 90. Quand je voyais des vidéos d’eux, ils étaient à burne, alors qu’aujourd’hui tu vois que… Bon, après, je pense que quand tu t’es tapé plus de mille cinq cents dates, qu’avec le vieillissement tu commences à être fatigué physiquement, que tu risques de te niquer le cou, les muscles, peut-être que tu fais plus attention. Dans Klone, en tout cas, nous ressentons toujours ce besoin d’expression, sinon nous ne sommes pas dans la musique. Si nous voulons nous impliquer dans la musique et la ressentir, c’est important que nous transmettions ça par ce que nous dégageons au moment de jouer, pour que, quelque part, le public le ressente et nous le rende à la fin du morceau. Si nous avons fait un bon concert et que nous avons tout donné, nous sentons que les gens se disent « putain on s’est pris une claque », qu’ils ont ressenti quelque chose, qu’une magie a opéré. J’ai l’impression qu’ils ne font pas qu’écouter la musique, ils regardent aussi ce qu’il se passe visuellement. C’est donc important que nous soyons comme une équipe de foot qui doit gagner son match – je dis ça mais je ne suis pas du tout un footeux, c’est rigolo que je fasse cette comparaison. Pendant un moment, nous avions tourné avec un groupe qui nous avait dit que sur scène nous donnions l’impression d’être une armée parce que nous étions tous bien ensemble. Pourtant, ce n’est pas quelque chose que nous travaillons. Nous ne bossons pas sur la chorégraphie de nos mouvements. C’est un truc que nous devons ressentir instinctivement tous ensemble et qui doit se dégager et donner à voir une entité entière.

« Je prends ce qui vient à moi sans savoir d’où ça vient, sans trop me prendre la tête. En général, ça me vient très facilement. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a un problème. »

Tu as aussi dit que cet album était « ancré dans le sol ». Le vois-tu comme une sorte d’atterrissage ?

Oui, il y a un peu de ça, parce que c’est ce que la musique dégage. J’ai l’impression qu’on est moins dans l’introspection que sur les deux disques que nous avons faits avant, et plus sur quelque chose de frontal. Après, je pense qu’il y a quand même des éléments qui permettent de voyager. Il y a différentes phases dans tout l’album et il y a quelques morceaux par-ci par-là qui vont permettre de s’évader plus que d’autres. Mais à partir du moment où tu as une grosse distorsion, du gros riffing et où on est sur des tempos un peu plus rapides, j’ai l’impression que ça fait forcément un peu moins voyager, ou alors ce ne sera pas le même voyage : au lieu d’aller dans l’espace ou je ne sais pas où, tu vas te retrouver sur une autoroute à voir d’autres paysages.

Après, on a l’impression que ce que vous avez exploré sur vos deux derniers albums ne s’est pas non plus complètement volatilisé et que vous en avez quand même tiré parti. D’autant que sur la pochette on retrouve encore des nuages, vous avez donc encore un peu la tête dedans… Sur l’album précédent on était au-dessus des nuages, là on est en dessous.

Voir dedans ! L’animal formé par les nuages pourrait symboliser le fait d’être à l’intérieur d’une tempête.

Est-ce que ces deux albums ne représentent pas finalement la même chose mais sous deux perspectives différentes ? Ou vois-tu plutôt Meanwhile comme une forme de synthèse ?

J’ai l’impression qu’il s’agit plus d’une forme de synthèse de ce que nous avons fait. Je n’ai pas toujours le recul vis-à-vis de notre musique, qui reste assez fraîche, mais j’ai eu des retours de pas mal de gens qui évoquent une bonne synthèse de tous les éléments qui sont présents dans notre musique depuis le début. Nous avons gardé des éléments de production proches du Grand Voyage : il y a quand même pas mal de réverbération sur le mix en général, il y a toujours cette largeur de son et nous avons toujours cette manière de travailler nos arrangements. Dans notre discographie, il y a des acquis sur chaque disque, nous nous en servons parfois pour avancer et creuser notre chemin. Même si sur Meanwhile, avec « Bystander » par exemple, j’ai l’impression qu’il y a un côté onirique, de nouvelles images que crée la musique, qui ne peuvent pas se rapprocher d’anciens morceaux. Même s’il s’agit de la même voix, du même genre de son, qu’il y a des éléments proches, qu’il y a pas mal de saxophone et qu’on retrouve l’identité de nos arrangements, ça m’évoque un voyage différent.

J’ai aussi une façon de composer la musique avec laquelle je me sens de plus en plus à l’aise et je me repose forcément sur mes acquis, ce qui me permet d’avancer avec confiance sans trop me poser de questions sur l’aspect de la composition pure. Avant, quand je faisais un disque, j’avais toujours besoin d’envoyer les morceaux à des potes pour avoir des retours pour me rassurer. Avec Meanwhile et même les deux précédents, je n’ai pas eu ce besoin. Je sais d’avance que je suis content de ce que je fais, je sais où je vais, je n’ai pas l’impression de me perdre. Je suis devenu très confiant. Ma façon de procéder a évolué aussi. Autant avant je cherchais des riffs machinalement à la guitare, autant maintenant, la plupart du temps, j’ai les riffs en tête en amont. Ce sont des choses qui me trottent dans la tête sans que je me pose de questions et j’ai juste à les concrétiser sur l’instrument, à les retranscrire pour que mon idée initiale puisse sonner à peu près comme je l’entends. Ça me permet de me faire confiance. Par exemple, pour « Immersion », je me suis réveillé un matin avec presque tout le morceau en tête. J’ai juste eu à prendre un instrument, retrouver ce que j’avais dans la tête, puis le jouer et l’enregistrer. Ensuite, je l’ai filé à Yann et ça lui a parlé directement, il a tout de suite trouvé des idées de voix dessus. Nous avons plié le morceau en deux jours maximum, alors que c’était un titre qui ne devait pas être sur le disque. Des fois, j’ai des morceaux qui ne sont pas issus d’une recherche de ma part. C’est inexplicable. Je prends ce qui vient à moi sans savoir d’où ça vient, sans trop me prendre la tête.

Je me torture davantage en cherchant des choses qui iraient avec une idée, car mon socle de base est là et je vais ensuite construire autour, mais en général, ça me vient très facilement. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a un problème. Si le morceau ne sonne pas comme une évidence au moment où il est créé, si j’ai une idée qui me plaît mais que je n’y vois pas assez clair pour en faire un morceau complet, je le mets de côté pour revenir dessus plus tard. Pour « Drifter » sur Here Comes the Sun, j’avais depuis deux ou trois ans ce riff en picking qui faisait très cowboy. Un jour, sur la route, j’ai repensé à ce passage et l’idée du plan qui me manquait pour finaliser le morceau m’est apparue. Ça s’est bouclé très rapidement. Aujourd’hui, ça fonctionne comme ça, c’est l’évidence qui me permet de me conforter dans l’idée que le morceau se tient et que je peux le proposer aux autres membres du groupe. Je fais quand même des maquettes de morceaux, je leur demande des avis, et je n’ai jamais eu de retours du genre : « Il est vraiment pourri ton morceau. » J’opère déjà un tri dans les idées de base et je sais que si je partage quelque chose, vu qu’une confiance s’est installée avec le temps, ça tient la route.

« J’ai un peu peur du jour où je n’aurai plus d’inspiration et où j’aurai fait le tour de ma créativité dans ce style de musique. Je tiens à me dire, à chaque nouveau morceau, que ça valait le coup, que j’ai avancé dans mon cheminement. »

Apparemment, tu accumules les idées, au point d’avoir l’équivalent de plusieurs albums sur tes disques durs, pour conjurer ta peur de la page blanche. C’est vraiment une angoisse chez toi ?

Oui et non. C’est assez bizarre, mais je pense que si je me motivais, je pourrais enregistrer plein de choses très souvent. J’accumule plein de choses que j’aime mais ensuite, ça peut mettre du temps à se finaliser, or je n’aime pas travailler sur des idées qui datent. A la fois, j’ai un peu peur du jour où je n’aurai plus d’inspiration et où j’aurai fait le tour de ma créativité dans ce style de musique. Ça me fait un peu peur de m’imaginer tourner en boucle. Je tiens à me dire, à chaque nouveau morceau, que ça valait le coup, que j’ai avancé dans mon cheminement et que j’ai réussi à proposer quelque chose qui sonne frais et pas trop déjà entendu. Je t’avoue que, pour l’instant, je sais que je suis large, je n’ai pas de quoi m’inquiéter, mais je me dis que ça pourra peut-être arriver un jour. Je ne l’ai jamais ressenti, mais je me demande comment je réagirais si un jour je me retrouvais à ne plus avoir la moindre idée ou à me dire que j’ai déjà fait le riff que je viens de trouver.

Je dis ça parce que je le ressens chez certains groupes que j’aime bien. Par exemple, j’aime bien Devin Townsend et il y a chez lui des disques super importants pour moi. Idem pour Opeth, il y a toute une période de leur discographie que je trouve mortelle, ou même Steven Wilson, Porcupine Tree, c’est pareil. Mais il y a un moment où tu te dis : « Bon, bah ça y est, le mec a fait le tour. » J’ai peur de me retrouver dans cette situation sans m’en rendre compte, comme ça doit être le cas pour eux. C’est un peu horrible, mais il y a un moment où, forcément, tu t’auto-parodies, tu y es obligé, et si ça se trouve je suis déjà dedans, je n’en sais rien ! [Rires] Si ça se trouve, j’en suis déjà là. Je n’en ai pas l’impression, en tout cas, mais je sais que ça risque d’arriver à un moment, or quand je constate ça chez un autre artiste, ça me dérange : tu es impatient d’écouter leur nouveau disque, tu écoutes et puis tu te dis que ça n’apporte pas grand-chose de plus. Pour Katatonia, par exemple, il y a pas mal de disques de leur discographie que je trouve mortels. J’ai essayé d’écouter les titres du nouvel album qu’ils ont sorti, je trouve ça chiant, ça ne me fait ni chaud ni froid, je trouve qu’il n’y a plus d’émotions, il n’y a plus rien qui me touche en tout cas. Ce n’est pas faute d’essayer.

Après, c’est un peu compliqué, car la musique, c’est toujours une histoire de nostalgie. Tu aimes bien certains albums parce que tu les associes à des choses que tu as vécues à un moment de ta vie. Souvent, les disques qu’on considère être des références aujourd’hui sont des albums qu’on a écoutés quand on était ado, qui est la période où il se passe le plus de choses et où on se prend le plus d’émotions. Au fur et à mesure du temps, ça se disperse et ça devient de plus en plus compliqué de ressentir des choses fortes. Personnellement, je fais quand même l’effort d’écouter pas mal de choses nouvelles, mais j’ai du mal à me reprendre des claques comme avant. Idem pour le live, c’est difficile de retrouver les mêmes sensations. Plus tu avances dans le temps, plus tu fais des concerts, comme au Hellfest où tu en enchaînes cinquante à la suite, plus il faudra que le groupe dégage quelque chose de très bon pour ressentir des émotions fortes et se détacher. Je t’avoue que quand je vais au Hellfest, j’ai du mal à me prendre des grosses baffes. Ça peut arriver encore… Peut-être que la dernière fois, c’était A Perfect Circle, parce que je ne les avais jamais vus en live, et je ne m’attendais pas à me prendre une claque. À l’inverse, j’ai vu le live de Deftones de l’année dernière et j’ai trouvé ça pourri ! Je m’attendais pourtant à me prendre une baffe. Ce n’était pas à cause de la prestation du groupe mais à cause du son qui était atroce, notamment la batterie. Les mecs jouent trop bien, ils ont un pur son, tu sais que ça sonne, tu vois que quand tu montes sur scène, sur le côté, tu as le son de plateau qui est énorme, mais tu as un ingénieur du son qui est tellement mauvais que ça a pourri tout le concert. Je suis très touché par tout ça en live.

Peut-être aussi que quand tu vieillis, tu deviens plus exigeant. En ce moment, je réécoute des disques que j’avais kiffés ado. Hier soir, j’ai réécouté l’album Peuh ! de Lofofora et celui d’après, Dur Comme Fer. Je me suis fait un petit trip à réécouter les musiques qui existaient en France quand j’étais ado. Il y avait Pleymo, Enhancer, AQME, tous ces groupes que je gerbais, qui me dégoûtaient presque de la musique, mais il y avait aussi Lofofora. Je trouve que, musicalement, déjà, ça défonce et les textes en français ne font pas « trucs à cons » pour ados avec des messages politiques pourris comme tu peux avoir dans plein de choses que je n’aime pas aujourd’hui, comme Sidilarsen ou Tagada Jones. J’ai vraiment l’impression que les mecs des groupes se foutent de la gueule de leur public – même à quinze ans, c’est ce que je me serais dit si j’avais écouté ça. J’espère pour eux qu’ils ne croient pas à ce qu’ils disent dans leur musique…

« Hier en réécoutant Peuh ! de Lofofora, je me souvenais de toutes les paroles alors que ça faisait vingt ans, ça m’était vraiment rentré dans la tête. C’était un petit trip de nostalgie et j’ai ressenti des choses, c’était une bonne rage. »

Tu vas te faire des copains !

En plus, je sais que Sidilarsen sont des gens très sympas. Ils nous ont déjà fait jouer sur des dates à Toulouse, mais quand j’écoute, ça me provoque un dégoût, autant musical que dans les textes. Ça me fait des mauvais frissons. Je me demande comment tu peux dire ça aujourd’hui, ce sont tellement des banalités, des trucs trop faciles, des messages politiques bidon. Ça n’empêche pas d’avoir des idées, sans être spécialement affilié à un parti. Il y a des groupes qui te font la morale, qui t’expliquent qu’il faut aller voter Macron au deuxième tour, etc. Je me souviens des Ramoneurs De Menhir qui avaient fait des vidéos sur le net pour appeler à voter absolument Macron. Sérieusement, je trouvais ça dingue que ce soit des espèces de punks à chiens qui t’amènent à voter. Je ne dis pas du tout qu’il faut voter Le Pen. En ce qui me concerne, je ne vote pas. C’est juste que je n’ai pas du tout d’affinités politiques. Il n’y a personne en qui j’ai confiance aujourd’hui dans ceux qui nous sont présentés. Voir des mecs comme eux, qui te demandent d’aller voter Macron quand tu vois tout ce qu’il met en place en matière de néolibéralisme… Ça me fait rigoler, ces groupes qui revendiquent, pour finalement t’amener vers les schémas et les mecs les plus pourris qu’on a jamais eus pour gouverner le pays. Et puis, si tu prends Tagada Jones, par exemple, ils soutiennent un mec ou, en tout cas, ils sont affiliés à quelque chose, alors que pour moi, le punk c’est être affilié à rien du tout. C’est l’anarchie au sens global, c’est apolitique.

C’est drôle que tu aies mentionné Lofofora, car Reuno avait lui-même poussé un coup de gueule sur la perte de l’état d’esprit punk dans la scène française et son côté consensuel…

Dans Lofofora, en réécoutant, il y avait quand même un message politique, anti-fachos, etc. parce que c’était un peu le mouvement de l’époque. Tout le monde faisait ça. Lofofora avait son morceau « L’œuf » : « Une seule race pour plusieurs couleurs ». Silmarils avait trois ou quatre tubes axés sur le Front national et tout. Mais je trouvais que dans Lofofora, même s’il y a des trucs qui peuvent être un peu clichés dans certains de leurs morceaux, il y avait une intention dans sa façon de chanter ses textes qui donne plus de valeur et de sens. Si tu relis les textes de Peuh !, franchement ça a quand même bien vieilli par rapport à plein de groupes de l’époque qui donnaient dans le style fusion. Je trouve qu’ils s’en sortent très bien. Pour moi, il a quand même une plume et une façon de faire sonner les mots que les autres mecs n’avaient pas. Déjà à l’époque ça me touchait. Hier en réécoutant, je me souvenais de toutes les paroles alors que ça faisait vingt ans, ça m’était vraiment rentré dans la tête. C’était un petit trip de nostalgie et j’ai ressenti des choses, c’était une bonne rage.

J’évoquais la pochette : on y distingue une tête d’ours dans ce nuage. On appelle ça la paréidolie. Est-ce ainsi que ton inspiration fonctionne parfois, en voyant ou en entendant des choses dans ton environnement qui ne sont pas forcément là ?

Bonne question. Je n’en sais trop rien. Je sais que, bizarrement, j’ai fait plusieurs morceaux à partir d’éléments de la nature ou de bruits ambiants. Quand j’étais sur Poitiers, j’allais tous les midis chercher mon pain et je me posais seul en terrasse au café. J’aimais bien ressentir cette ambiance de discussions lointaines, où tu entends des mots par-ci, par-là. Parfois, dans ce bordel, l’église sonnait à midi avec une espèce de cadence et une note. Ces choses-là me donnent des idées. C’est pareil en marchant : tu as une cadence qui s’installe, tu vas te mettre à siffloter un truc qui sort de nulle part et tu t’aperçois que c’est plutôt bien, alors tu l’enregistres. C’est instinctif. Par contre, ce n’est pas en regardant un nuage qu’une idée va me venir, je ne fonctionne pas de cette façon. C’est plutôt une émotion ou un état d’esprit – comme la tristesse d’une séparation, par exemple, ou quand tu es en boucle sur quelque chose, que tu as une obsession – qui va faire que certaines notes vont sortir. J’ai l’impression que c’est comme ça que ça fonctionne chez moi, et tout un tas de choses, comme les bruits ambiants, peuvent me donner une idée.

Cette récurrence des nuages, est-ce aussi l’expression d’un côté rêveur chez vous ? Et question subsidiaire : quel est le symbole de cet animal qui se dessine dans le ciel ?

C’est vrai que ça fait quelques disques que nous avons la tête dans les nuages. Je ne sais pas exactement à partir de quand ils sont apparus, peut-être sur la pochette d’Here Comes The Sun. Sur l’EP The Eye Of Needle, nous avions des sphères, on commençait déjà à être dans l’espace visuellement. Sur The Dreamer’s Hideaway, il y avait un oiseau en train de s’envoler. Il y a toujours cette idée de voyage dans la musique. En tout cas, ce petit ourson en forme de nuage est assez rigolo. Nous avons toujours choisi les visuels après avoir composé la musique de façon à ce que ça représente bien l’ambiance du disque. C’était le cas pour Le Grand Voyage, Here Comes The Sun et The Dreamer’s Hideaway : la musique était là et il fallait trouver un visuel qui, pour nous, synthétisait bien tous les morceaux de l’album. Pour Meanwhile, nous avions l’impression d’être encore un peu dans les nuages, nous n’en étions pas encore sortis – je ne sais pas si nous en sortirons un jour –, et ceux-ci symbolisent l’aspect atmosphérique tandis que l’animal fait écho au côté plus énervé de certains passages.

« J’ai fait plusieurs morceaux à partir d’éléments de la nature ou de bruits ambiants. Quand j’étais sur Poitiers, j’allais tous les midis chercher mon pain et je me posais seul en terrasse au café. J’aimais bien ressentir cette ambiance de discussions lointaines. Parfois, dans ce bordel, l’église sonnait à midi avec une espèce de cadence et une note. Ces choses-là me donnent des idées. »

Les paroles tournent autour de la thématique du temps qui passe. C’est évidemment Yann qui les a écrites, mais quel est ton propre rapport au temps qui passe ?

Ma grand-mère me disait souvent : plus tu vieillis, plus tu as l’impression que le temps passe vite, et plus tu te rapproches de la mort, plus tu as l’impression d’être dans une espèce d’entonnoir. Aujourd’hui, je me rends compte que les semaines passent super vite, alors que quand tu es enfant, tu as un rapport au temps très étrange, surtout à mon époque où on avait le temps de s’ennuyer, car on n’avait pas internet et un tas de choses qui faisaient qu’on était tout le temps captivé par quelque chose, or quand tu as le temps de t’ennuyer, c’est là que tu te rends compte que le temps est long. J’ai des souvenirs d’enfance quand j’étais en vacances ou de certains mercredis après-midi chez ma grand-mère, j’avais cette impression d’ennui. J’étais planté devant la télé à regarder des trucs de merde qui ne m’intéressaient pas, mais je regardais juste dans l’espoir que le temps passe plus vite. On se disait : « Les vacances, c’est chiant. Vivement qu’on reprenne l’école. » Alors qu’aujourd’hui, c’est plutôt le contraire, j’ai l’impression que tout va trop vite. J’ai toujours des listes de choses à faire dans la journée et je n’ai jamais le temps de tout finir. Je ne trouve jamais un moment en apesanteur dans ce rythme effréné pour me poser. Il y a aussi le fait qu’on est tout le temps sollicité, ça n’existait pas avant : quand on était adolescent au lycée, on n’avait pas de téléphone portable, on n’avait qu’un téléphone fixe, et on ne se retrouvait pas à recevoir quinze mille messages de plein de personnes, à devoir répondre du tac au tac quand on nous demandait quelque chose, etc. On pouvait prendre du temps et mettre de la distance par rapport à tout ça. Aujourd’hui, dans le nouveau monde et du fait des modes de communication rapides et très interactifs, on se retrouve coincé.

Je constate que les jeunes se sont habitués à ce côté instantané : tu cliques, tu l’as. Alors que quand j’étais jeune, quand je voulais un disque, il fallait attendre qu’il sorte et d’avoir l’argent pour pouvoir l’acheter, tu ne pouvais pas le trouver où tu voulais, c’était compliqué. Même pour voir un clip : aujourd’hui, on a YouTube, alors qu’à l’époque, on n’avait que les chaînes hertziennes classiques et ce n’était pas en regardant TF1 qu’on pouvait voir les groupes qu’on kiffait. Il fallait donc que je fasse une demande par courrier à un mec qui allait me faire un troc et me copier sur une cassette vidéo, avec deux magnétoscopes, un clip qu’il avait enregistré sur MTV via le câble. J’ai des souvenirs même pour récupérer des live pirates, tu en avais au moins pour quinze jours avant de pouvoir faire l’échange avec le mec, c’était long et pénible. Idem pour la musique : il se trouvait que quand je faisais du rugby, il y avait pas mal de metalleux et j’ai découvert plein de groupes grâce à des discussions que j’avais avec eux. Burn My Eyes de Machine Head, Demanufacture de Fear Factory, State Of The World Address de Biohazard, tous ces albums des années 94-95-96, je les ai eus par trocs de cassettes copiées que je faisais avec des potes. Il n’y avait rien de facile.

Aujourd’hui, le rapport au temps est quand même flippant. Quand tu parles avec des personnes âgées – comme mes grands-parents qui ont plus de quatre-vingt-dix ans et qui se demandent tous les jours s’ils seront encore là demain –, elles te disent toutes la même chose : « Profitez. Vous ne vous rendez pas compte que ça va beaucoup plus vite que vous le croyez. Ne perdez pas de temps. » Il faut y aller à fond, tant qu’on peut faire physiquement tout ce qu’on veut, il faut voyager, courir… A un moment donné, toutes ces choses banales de la vie qui ont l’air simples et normales, ça se bloquera, car on sera dans un état où le corps ne tiendra plus le coup et tout se compliquera. On n’a pas conscience de la chance qu’on a de pouvoir être libre de faire tout ce qu’on veut parce qu’on est bien dans sa peau et physiquement en forme. Personnellement, je n’ai pas l’impression de vieillir, je n’ai pas la sensation d’avoir quarante-trois ans. Je suis resté coincé à vingt-cinq ou trente ans parce que je vis de la même façon qu’à l’époque – peut-être un peu mieux. J’ai l’habitude de traîner avec pas mal de musiciens qui sont plus jeunes que moi et j’ai l’impression d’être comme eux. Par contre, quand je revois certains potes de mon âge avec qui j’étais au lycée ou au collège, je me dis qu’ils ont pris un sacré coup de vieux ! C’est là que je me rends compte du temps qui passe. Ce n’est pas tout le temps joyeux, il y en a qui partent en couille, qui commencent à avoir des espèces de pathologies bizarres, et je me dis que je m’en sors bien par rapport à eux, mais ça fait peur parce que je ne suis pas à l’abri que ça m’arrive un jour. Comme je le disais, tant que tout va bien, il faut en profiter parce qu’arrivera un moment où ça va se casser la gueule !

« Personnellement, je n’ai pas l’impression de vieillir, je n’ai pas la sensation d’avoir quarante-trois ans. Je suis resté coincé à vingt-cinq ou trente ans parce que je vis de la même façon qu’à l’époque – peut-être un peu mieux. »

Klone a sorti sa première démo il y a vingt ans, en 2002. Quel regard portes-tu sur le groupe et toi-même vingt ans en arrière ?

C’est assez étrange. Il n’y a pas longtemps, ma sœur Adèle m’a ressorti le tout premier trois titres que nous avions fait. Elle a retrouvé ça dans un vieux carton, même moi je ne l’ai plus. Elle m’a envoyé une photo de la pochette, et j’ai vu l’année qui était marquée dessus avec les trois morceaux que nous avions composés et concrétisés avec le line-up de l’époque, avec l’ancien chanteur. Je me suis revu à cette période. C’est un peu flippant. En parlant de temps qui s’écoule, je me rends compte de tout ce qu’il s’est passé depuis. Des fois, il m’arrive d’avoir du recul sur tout ça et de repenser à l’époque où j’ai commencé à faire du son sans me poser de questions. J’ai fait de la musique pendant dix ans sans me demander pourquoi je faisais ça, sans considérer que ça puisse devenir un boulot. J’ai même été pendant très longtemps anti-intermittence, comme si vivre de sa musique impliquait une perte d’intégrité. Aujourd’hui, je ne tiendrais plus du tout le même discours, mais je n’ai pas cherché à tendre vers ça et, pour moi, c’était impossible de devenir intermittent du spectacle et de vivre de ma musique. C’était très éloigné du pourquoi je faisais de la musique à l’époque. J’ai le souvenir d’envoyer ma première démo à un magazine dans lequel il y avait des petites rubriques de sélection de démos. Je ne savais pas du tout comment fonctionnait le monde de la presse, mais je me revois en train d’envoyer ça, en me disant – étant donné certains groupes que je découvrais dans le magazine – que ce que nous faisions était quand même pas mal et qu’il y avait peut-être moyen que nous obtenions un petit truc. J’ai donc envoyé mon son et j’ai attendu. J’ai acheté le magazine le mois d’après en espérant voir mon groupe dedans. A chaque fois, je ne voyais rien et je me disais : « Putain, ils n’en n’ont pas parlé. » J’avais une petite attente de reconnaissance ou d’un avis sur mon travail pour me rendre compte de ce que je valais par rapport à tous ces autres groupes qui existaient.

C’est sûr que quand j’étais jeune, j’avais envie de faire des concerts, nous jouions dans des bars. C’est arrivé que nous fassions des dates un peu plus importantes. Quand j’avais seize ans, nous avons joué sur une grosse scène avec des groupes dans un festival un peu punk, alors que jusque-là, nous n’avions fait que deux ou trois concerts avec notre projet. Nous nous sommes dit que c’était vraiment cool de faire ça, que c’était agréable. Mais je n’avais aucune prétention, je ne savais pas ce que nous valions, ni vers quoi j’allais tendre. C’est un truc inconscient : tu fonces tête baissée, tu ne sais pas pourquoi tu fais ça, mais tu le fais, et tu as l’impression que tu es à l’aise là-dedans et que c’est quelque chose que tu sais pas trop mal faire. Autant je ne n’étais pas un bricoleur, autant construire un morceau, avoir des idées, était quelque chose dont je me sentais capable et qui me paraissait simple. Déjà, quand j’étais en CM2 et que je gratouillais un peu la guitare, j’avais déjà fait des compos, et ça me semblait normal. J’ai des souvenirs d’enfance où je me vois posé, en train d’essayer d’écrire des paroles, d’avoir trois accords à la con à la guitare, en me disant : « Ah c’est cool ça. » J’aimais beaucoup réfléchir à faire ce genre de choses, en me demandant comment les autres faisaient, comment bâtir un titre, etc.

En tout cas, je ne pensais pas que nous aurions réussi même à tourner en Europe, en Australie, aux États-Unis, jouer en Israël, en Turquie. Nous avons fait pas mal de grosses tournées en tour bus, je ne pensais pas que tout ça serait accessible. Même jouer en tête d’affiche à Paris, avoir un public avec des personnes qui connaissent tes morceaux par cœur, qui chantent tes paroles, je ne pensais pas que ça allait nous arriver un jour. C’est surprenant et très cool aussi. C’est arrivé très souvent que des gens nous envoient des messages en nous disant qu’ils étaient vraiment touchés par notre musique. C’est presque surnaturel de te rendre compte qu’ils ressentent les mêmes émotions que celles que tu as ressenties lorsque tu as créé le morceau, sans avoir échangé avec eux sur le pourquoi du comment et sur le sens que tu y as mis à l’origine. C’est le moment où la musique dépasse tes attentes. Cette transmission d’émotions est magique. Réussir à procurer le frisson et la chair de poule, c’est assez inexplicable. Plus jeune, j’ai toujours eu ces ressentis en écoutant des choses très variées comme le rock, le metal ou la chanson française. Quand j’étais petit, il y avait certains morceaux de Bernard Lavilliers qui me foutaient la chair de poule parce que ça me touchait musicalement, dans les mots, dans ce que ça dégageait. Dès que ça touchait à la tristesse ou à quelque chose de fort et que tu sentais que l’intention était puissante, j’y étais très sensible. Aujourd’hui, je me retrouve de l’autre côté à pouvoir moi aussi transmettre ce genre de choses, et je trouve mille fois plus intéressant de transmettre une émotion de frisson, à fleur de peau, que de la rage. Dans la musique de Klone, sur la plupart de nos morceaux, nous cherchons plus à partager ce genre de sentiment qu’une haine contre l’autre. J’ai l’impression qu’il y a quand même beaucoup d’amour dans le travail que nous faisons.

« J’ai fait de la musique pendant dix ans sans me demander pourquoi je faisais ça, sans considérer que ça puisse devenir un boulot. J’ai même été pendant très longtemps anti-intermittence, comme si vivre de sa musique impliquait une perte d’intégrité. Aujourd’hui, je ne tiendrais plus du tout le même discours. »

As-tu une forme de nostalgie ? Est-ce même ce qui fait qu’avec le temps, la rage a été remplacée par la mélancolie, qui semble de plus en plus exacerbée dans votre musique – je pense par exemple à un morceau comme « Blink Of An Eye » ?

Je ne sais pas. Ce n’est pas fait exprès. Pour moi, la musique, c’est toujours la nostalgie d’un moment qui est retransmise. J’ai trouvé le refrain de « Blink Of An Eye » en tournée avec Leprous. J’avais ce riff en tête et il m’obsédait, sans savoir pourquoi. Je me le suis chanté en attente d’un concert, dehors, en fumant une clope tout seul. C’était quelque chose que j’ai trouvé fort, qui symbolisait bien une émotion – la nostalgie d’une émotion d’un moment. Pour moi, la musique de Klone ne dégage pas quelque chose de particulièrement joyeux. Ça ne donne pas envie de monter sur la table, de taper du pied et de faire la queuleuleu. Mais c’est vrai que sur les vieux Klone, je me sentais rageux, alors qu’aujourd’hui, je me sens peut-être désespéré ou, en tout cas, l’innocence de ma jeunesse a disparu. Je n’ai plus aucune attente vis-à-vis de qui que ce soit ou de quoi que ce soit. Je n’ai pas d’espoir en l’humanité. En termes de politique, à une époque j’aurais peut-être cru en la capacité de certaines personnes de faire changer les choses. Je me sentais rageux, parce qu’il y avait peut-être une espèce d’idéal révolutionnaire. Je me disais que tout pouvait changer grâce à quelqu’un et qu’il fallait être rageux pour faire changer les choses. Aujourd’hui, ça a complètement disparu, car je suis davantage conscient de la constitution intrinsèque de l’être humain. Il n’y aura pas de sauveur. J’ai été trop souvent déçu après avoir attendu après des personnes, que ce soit dans la vie de tous les jours ou à un autre niveau.

Peut-être qu’à cause de ce genre de réflexion, je me retrouve dans… Ce n’est même pas de la tristesse, car je le vis très bien, finalement. J’ai admis qu’il fallait vivre ce qu’on avait à vivre et ne plus être dans l’attente de quoi que ce soit. C’est d’ailleurs plutôt positif : tu vis mieux avec cette mentalité, car tu ne peux pas être déçu. Je suis très joyeux et heureux dans ma vie quotidienne. Je suis chanceux et je me satisfais de tout un tas de petites choses : promener mon chien, marcher dans la forêt, marcher au bord d’une rivière, être assis seul dans un bar et voir des gens heureux autour de moi, etc. Ça me fait un bien fou. C’est un ensemble d’éléments très simples qui font que je me sens bien dans ma vie aujourd’hui. J’ai développé une distance qui me permet de mieux vivre les choses et d’être moins touché par certaines angoisses liées à l’actualité. Par exemple, en ce moment, je le ressens beaucoup chez les jeunes qui vivent comme si c’était la fin du monde, alors que c’est un état d’esprit dans lequel on nous force à être. Si on se complet dans tout ce qu’on bouffe à longueur de journée, comme le réchauffement climatique, le fait que tout va mal, etc. on ne vit pas bien. Je sais que plein de gens se disent qu’ils ne vont pas faire d’enfant parce qu’ils se demandent : « Quel monde va-t-on leur laisser ? », alors qu’on peut se demander ça depuis toujours. On pouvait dire exactement la même chose à l’époque de mes grands-parents, en 39-45, quand il y avait la guerre. Il y a toujours eu, de tout temps, des gens qui annonçaient la fin du monde, et pour l’instant, elle n’est toujours pas là.

Ma philosophie est de me dire qu’il se passera ce qui se passera, qu’on n’a pas la mainmise dessus, qu’il y aura des changements, que les choses vont évoluer en fonction de ce qui va se passer. On a l’impression que tout se passe sur vingt ans, alors que la Terre est là depuis je ne sais pas combien de millions d’années et il s’en est passé des choses ! Même si nous finissions par disparaître, quelque chose de nouveau apparaîtrait à notre place. La vie est ainsi faite. Être trop dans l’attente, ça te met des barrières, ça te plombe et ça ne changera pas le monde dans lequel tu vis. J’ai été jeune et naïf, j’ai fait des manifs, « non à la guerre ! », etc. Ce n’est pas parce que tu feras une manif contre la guerre en Irak ou contre le climat qu’il n’y aura pas la guerre en Irak ou que le climat va s’améliorer. Ce n’est pas parce que tu écris une chanson, comme John Lennon l’a fait avec « Imagine », que ça va faire changer le monde. Autant je peux comprendre des gens qui vont manifester dans la rue parce qu’ils vivent comme des chiens, parce qu’on va les niquer sur la retraite, etc., autant j’ai l’impression que les jeunes n’ont rien à foutre de ça, qu’ils n’ont même pas conscience de l’importance de ce côté social des choses pour les générations à venir. Par contre, ils vont faire des manifestations par rapport au climat ou pour la revendication de petits groupes de personnes. Je n’ai rien contre les gays ou quoi que ce soit, mais il y a des petites catégories de gens que l’on isole et à qui on essaye de faire comprendre qu’ils ont intérêt à se regrouper, à avoir leur petite revendication, à ne pas se mélanger avec d’autres personnes, etc. On n’arrête pas de les séparer dans des petites cases et au bout d’un moment, il y a tellement de petites cases qu’il n’y a plus de fédération possible sur des sujets élémentaires qui, pour moi, passent au-dessus des revendications des petites communautés. Ça vaut aussi chez les syndicats qui sont censés rassembler les gens autour d’un grand projet pour le bien commun. Aujourd’hui, tout est fait pour diviser les gens et au final, rien n’avance. Tout recule de partout et on se fait bouffer petit à petit. En tout cas, je n’ai pas l’impression que ça avance dans le bon sens.

Personnellement, je n’irai pas manifester dans la rue, parce que j’ai l’impression que ça ne sert à rien. Une manif ne m’a pas l’air d’être quelque chose qui fasse changer le monde. Pourtant, je pourrais être défenseur de mouvements comme celui des gilets jaunes, que j’ai trouvé beau. Le fait que des gens parviennent à se fédérer au-delà d’une affiliation partisane ou syndicaliste, je trouve ça cool. C’est le dernier mouvement qui m’a donné l’impression qu’il y avait de l’espoir, mais au final, on se rend bien compte qu’il n’y en a pas : tu vas manifester, tu vas te faire péter la gueule, tu vas te retrouver en prison, etc. Il faudrait peut-être trouver autre chose, un moyen de faire chier les bonnes personnes. Aujourd’hui, les manifestations vont faire chier d’autres gens qui n’ont rien à voir avec l’histoire et qui ne pourront rien changer au problème, et tu te retrouves à faire des guéguerres entre groupes de personnes qui auraient, au contraire, tout intérêt à se fédérer et à avancer dans le même sens. Quand tu fais une manif et que tu bloques un rond-point, que tu bloques les voitures de gens qui vont bosser… J’imagine que les mecs au pouvoir doivent se marrer en voyant certaines choses qui ne les font pas chier personnellement mais qui vont faire chier d’autres gens. Au final, les gens vont se prendre la gueule entre eux, pendant qu’eux regarderont ça de loin en faisant avancer leur projet.

« Quand j’étais petit, il y avait certains morceaux de Bernard Lavilliers qui me foutaient la chair de poule parce que ça me touchait musicalement, dans les mots, dans ce que ça dégageait. Dès que ça touchait à la tristesse ou à quelque chose de fort et que tu sentais que l’intention était puissante, j’y étais très sensible. »

Je suis parti loin là, non ? Merde, il y a mon chien qui me regarde en se disant : « Calme-toi, arrête là ! » En fait, j’ai fumé pas mal de pètes pendant un moment et après, je me suis mis à fumer du CBD pendant le confinement, et maintenant j’ai arrêté de fumer depuis trois mois, y compris les clopes. Je me rends compte qu’à cause de ça et du fait que je suis en cambrousse, que je vois moins de personnes qu’avant, quand j’ai une interaction avec quelqu’un, je me retrouve à beaucoup trop parler ! Je me trouve bavard ! Heureusement qu’il y a mon chien qui me regarde et qui me fait : « Vas-y, ta gueule ! » [Rires]

Revenons sur la musique : les morceaux de Meanwhile sont très arrangés, on retrouve beaucoup de saxophone, du piano et divers instruments plus ou moins exotiques. Est-ce que vous vous éclatez autant dans l’arrangement que dans la composition ? As-tu d’ailleurs le sentiment que Matthieu Metzger a pris plus de place ?

Dans notre processus de composition, les arrangements sont un peu comme la cerise sur le gâteau. Ça arrive au dernier moment, parfois même après les voix. C’est la partie détente, nous savons que nous avons presque fini et maintenant c’est du bonus. Il y a également une part de surprise, parce ça va parfois teinter le morceau ; c’est-à-dire qu’il pourra avoir une certaine couleur sans les arrangements, tu rajoutes Matthieu Metzger par-dessus et tout d’un coup, ça va apporter une autre aura au titre. Et le fait est qu’il s’est fait plaisir sur ce dernier album. De toute façon, il n’a jamais eu aucune restriction. J’ai pu à la limite lui donner des directions ou des suggestions d’instruments sur quelques morceaux. C’est juste une histoire de timbre. Après, il est libre de faire ce qu’il veut tout seul, et c’est une énorme source de propositions, du fait de sa culture musicale riche et vaste, qui va aussi bien du death metal au jazz, au classique, à la musique contemporaine. Il a des expériences dans plein de groupes, ce qui fait que son apport est forcément bénéfique pour notre musique. Il aura toujours des idées auxquelles je n’aurais jamais pensé parce que je n’ai ni sa vision ni son sens de l’harmonie.

Je le laisse donc faire sa tambouille et ensuite, nous faisons des sessions chez lui où il me fait écouter quelques trucs. Certains me parlent plus que d’autres mais la plupart du temps, quatre-vingt-dix pour cent de ce qu’il fait me plaît beaucoup. Matthieu a parfois des méthodes de travail très étranges, en tout cas par rapport à moi. Il zappe d’un morceau à un autre et il crée des matières sonores, en essayant de voir si ça colle avec tel ou tel morceau. Il fait des petits tests qui peuvent paraître hasardeux, mais parfois le hasard fait très bien les choses et une partie qui était faite pour un morceau donné voire un autre projet va se retrouver collée à un autre de nos titres et prendre tout son sens. Ça apporte une plus-value sur la composition. Nous trippons et nous marrons beaucoup quand nous allons chez Matthieu. Parfois, je suis là pour répartir et tenter de déplacer la matière qu’il a préparée pour voir si ça fonctionne mieux et si c’est plus pertinent pour le morceau, en lui disant, par exemple : « A mon avis, si on met ce que tu as fait là à cet endroit, on l’entendra mieux parce qu’il n’y a pas de voix, il y a plus de place pour toi, ce sera plus intelligible. » Le but est que le morceau nous satisfasse le plus possible. Il n’y a pas d’histoire d’égos entre nous, comme quand je travaille avec Yann sur la voix. C’est vraiment très ouvert. Il faut qu’à la fin, le morceau nous parle et que nous nous disions : « C’est évident qu’il doit être comme ça. »

Tu as du saxophone, du bariton, du sopranino, du piano, une espèce de flûte chinoise bizarre avec des effets, plein de bidouilles électroniques… Matthieu est quelqu’un qui bidouille beaucoup, qui fabrique ses propres instruments, dont le Bidule – un instrument midi avec lequel il fait des choses très bizarres. C’est là que se joue la partie expérimentale de Klone, où nous découvrons toujours des choses, des nouvelles sonorités. Nous nous retrouvons un peu comme des « chimistes », avec Matthieu et son petit côté savant fou qui va apporter un élément cool au morceau. Son approche expérimentale, qu’on retrouve chez peu de gens, participe au côté atypique de notre son, selon moi.

« C’est vrai que sur les vieux Klone, je me sentais rageux, alors qu’aujourd’hui, je me sens peut-être désespéré ou, en tout cas, l’innocence de ma jeunesse a disparu. Je n’ai plus aucune attente vis-à-vis de qui que ce soit ou de quoi que ce soit. Je n’ai pas d’espoir en l’humanité. »

Meanwhile étant un album un peu plus dans le riff et moins dans l’arpège comme sur les deux albums précédents, on aurait pu croire qu’il y aurait moins de place, notamment pour intégrer un instrument comme le saxophone, alors qu’au contraire, il y en a plus !

Exactement, et c’est vrai que nous avions aussi peur de ça. Entre les riffs de guitare, les arrangements de guitare et les petits thèmes que j’avais en plus sur les morceaux, sachant qu’il allait y avoir de la voix, que les lignes de basse étaient chargées, par rapport au Grand Voyage où il y avait un espace dingue pour rajouter des choses, je savais que ça allait être un casse-tête chinois à mixer pour Chris [Edrich], car je voyais que Matthieu s’était lui aussi fait plaisir. Nous tenions à ce que tous ces détails soient audibles. Nous voulions que ça sonne un minimum aéré, tout en gardant ce mur de guitares, donc la tâche a été difficile et il a fallu faire des choix. Nous avons pas mal insisté auprès de Chris pour qu’on entende bien les éléments de Matthieu. C’est souvent ce qui est un peu relou avec les ingés son avec qui nous bossons, ils ont toujours tendance à vouloir sous-mixer les arrangements, qui sont, pour nous, des éléments aussi importants que les riffs. C’était donc un peu la bataille au niveau du mix. Nous avons passé du temps à faire en sorte de bien entendre toutes les parties de saxophone, tous les petits sons électroniques, etc. Parfois, il y a des bruitages que Matthieu fait qui n’ont pas besoin d’être mis au premier plan, mais dès qu’il y a des leads ou des thèmes qui se chantonnent quand on les entend, il faut que ce soit mixé aussi fort que les rythmiques de guitare.

Le final du morceau éponyme qui conclut l’album est très prenant et intense, et le saxophone de Matthieu joue beaucoup dans ce rendu…

Oui, la fin de ce morceau, c’est une espèce de gros bordel. Il y a vraiment beaucoup de monde dessus ! Si on devait avoir tous les musiciens correspondant à tout ce qu’on entend sur la fin de ce morceau… et encore, je pense qu’on n’entend pas tous les détails. C’était aussi un peu le but : pour nous, cette fin est à l’image de l’outro d’« Immaculate Desire » de Black Days, où tout un magma sonore commence à monter et où nous nous faisons plaisir parce que c’est la fin de l’album. Nous voulions que ça monte en pression, avec un riff hypnotique qui tourne en boucle. Je ne me rappelle plus sur combien de temps ça s’étale, mais il y une sorte de solo de basse qui prépare la fin et après, nous arrivons en mode autoroute avec un riff metal très con qui monte, avec des thèmes de guitare qui se rajoutent. Matthieu rapporte ses saxophones, du piano vient se greffer ainsi qu’un sample de musique classique que nous avons mélangé, des violons bizarres qui forment un énorme magma sonore jusqu’à la fin du disque. Nous aimions bien cette idée de finir sur une épaisse masse bordélique. Matthieu est à l’aise et enthousiaste quand il s’agit d’alimenter avec des surcouches d’arrangements !

Je crois que vous aviez pour idée initiale d’enregistrer live, mais finalement ça ne s’est pas fait…

En effet, à la base, le projet était bien d’enregistrer live, tous ensemble, pour notamment gagner du temps. Au final, ça n’a pas été possible. D’une part, parce que nous voulions faire de la précision sur les parties de batterie avec Morgan, car nous n’avions pas eu le temps de le faire sur le disque précédent. Nous voulions vraiment rentrer dans le détail de son jeu et le pousser à fond pour proposer des choses. Vu que Morgan est quelqu’un de très instinctif, qui n’écrit pas spécialement ses parties, il y en a certaines que nous lui avons fait refaire pas mal de fois, par exemple pour avoir des breaks qui nous intéressaient. C’est un peu bizarre, mais dans Klone, j’ai des idées de batterie, Aldrick [Guadagnino] est aussi batteur, donc il a des idées de batterie et Yann a lui aussi des idées de batterie, donc nous nous sommes retrouvés à trois en cabine derrière Morgan pendant qu’il faisait ses prises pour lui proposer des choses et le pousser à faire des parties que nous trouvions cool. D’autre part, il se trouve que dans le studio dans lequel nous avons enregistré, la moitié de la table de mixage a grillé. Nous nous sommes donc retrouvés avec moitié moins de pistes pour faire l’enregistrement. Nous avons perdu une journée complète à essayer de faire fonctionner cette table et de trouver une solution en vue de prises live, mais ça n’a pas marché. Nous ne pouvions pas passer plus de temps en studio parce que Morgan n’était pas disponible plus longtemps, donc nous avons fait avec. Nous avions un idéal d’enregistrement pour être le plus efficace possible et avoir cette énergie live, mais au final, ça n’a pas été pour cette fois. Ce sera peut-être pour la prochaine.

Ce n’est pas si simple à faire, mais quand ça marche, tu peux boucler ton disque en cinq ou six jours, alors que quand tu le fais en séparé et que le groove de ton batteur n’est pas calé précisément sur le clic, que tu enregistres avec un métronome, que tu as celui-ci dans les oreilles avec la batterie et que des fois il y a du flottement, il faut que tu fasses attention à ton jeu. Autant quand vous jouez ensemble, il y aura une magie qui fera que tu arriveras à te caler sur ton batteur parce que tu le vois jouer, autant quand tu enregistres en séparé et que tu as ta basse à faire groover sur la batterie sans voir le batteur, qu’il y a des passages en fond de temps, d’autres devant, c’est super difficile. Si tu ne fais pas de la découpe pour tout recaler, chose qui arrive très souvent dans le milieu du metal aujourd’hui parce que la technologie nous permet de le faire, et que tu veux quelque chose de vivant, c’est dur d’avoir le groove en enregistrant de cette façon. Nous avons donc fait ce que nous avons pu avec ce qui était techniquement possible et, au final, je trouve que nous nous en sortons plutôt bien.

« Il y a toujours eu, de tout temps, des gens qui annonçaient la fin du monde, et pour l’instant, elle n’est toujours pas là. […] Même si nous finissions par disparaître, quelque chose de nouveau apparaîtrait à notre place. La vie est ainsi faite. »

Vous avez enregistré en partie dans un nouveau studio, le Dark Side, dans un cadre plutôt bucolique où se côtoient la pierre, le bois, la brique… Comment ce genre de matière naturelle voire noble joue sur le son ?

Ça a surtout joué pour les prises de batterie. Aujourd’hui, techniquement, tu peux tout faire à la maison, mais si tu ne fais pas la batterie dans un endroit avec une acoustique particulière, avec des micros que tu peux placer loin pour capter l’ambiance de la pièce, c’est difficile à reproduire avec des effets. Il se trouve que là, l’ambiance de la pièce était cool et nous avons pu la capter. Pour moi, c’est le seul intérêt d’avoir accès à ce genre de studio, parce qu’autrement, peu importe où tu enregistreras la guitare, la basse et la voix, ça ne changera pas grand-chose à la perception des gens quand ils vont écouter le disque.

C’est Enzo qui a enregistré la basse cette fois ?

Oui. C’est la première fois. Depuis The Dreamer’s Hideaway en 2012 jusqu’au Grand Voyage, ça a toujours été Jean-Etienne Maillard qui enregistrait les parties de basse, parce que Julian [Gretz] que nous avions eu pour le live n’était pas vraiment bassiste. Nous avons toujours eu un musicien de session pour le live, parce que Jean-Etienne n’était pas dispo tellement il était pris par ses autres activités – actuellement, il bosse plus sur de la composition pour des artistes de variété, comme comme Zaz, Christophe Willem, etc. Il se trouve que, tout comme Jean-Etienne, Enzo est guitariste à la base et qu’il a une culture musicale très années 70 et très pentatonique à la Jimi Hendrix, etc. Son toucher de gratteux lui permet de jouer aussi des parties de basse qui sont très cool et qui collent avec ce qui a été instauré dans Klone avec notre bassiste initial. Je savais déjà, par ce qu’il faisait à la guitare, qu’Enzo avait un toucher et des idées qui pourraient coller avec ce que nous faisions, et il a directement capté les codes. Je l’ai donc laissé faire ce qu’il voulait. Je lui ai dit : « Ecoute, je n’ai pas envie de t’envoyer des mails pour t’expliquer ce qui est bien ou pas dans ce que tu m’as fait, mais grosso modo, quatre-vingt-dix pour cent de tes parties de basse sont très cool. Toutes les idées sont là. Le reste, les détails, on le fera ensemble. »

Nous avons donc fait des sessions ensemble, il est venu deux ou trois jours à la maison. Il a joué ses parties. Je lui disais : « Ça c’est mortel, mais là-dessus, par contre, essaye peut-être de le prendre plutôt dans ce sens-là, de le faire plus lentement, de réfléchir avec moins de notes, de les laisser plus respirer, voire parfois de faire des silences. » Je lui ai juste apporté ce genre d’éléments de composition, en lui faisant rebosser certaines tournures de basse-batterie sur certains plans précis. Le but était de le pousser à affiner certaines parties, car je savais qu’en fouinant un peu plus ou en se faisant donner quelques idées pour avoir un autre regard, il allait sublimer ce qu’il avait déjà fait. C’était vraiment un travail de précision et de finalisation, mais la majorité de ses idées de base était mortelle. Il s’est exprimé largement comme il voulait, il a apporté des petits solos de basse qui sont très cool et il a des groove qui vont super bien avec la batterie, tout en se détachant des riffs de guitare – c’était très important pour moi qu’il ne suive pas bêtement les riffs, qu’il n’hésite pas à apporter autre chose pour, harmoniquement, pousser la composition plus loin.

Que ce soit Enzo et Morgan, qui a enregistré pour la seconde fois avec vous, quelle est leur place dans le groupe aujourd’hui ?

J’aurais aimé te dire qu’ils auraient fait tous les concerts avec nous sans problème. Tant qu’il est dispo, Morgan le fera, mais il se trouve qu’il joue aussi parfois dans Myrath. Par exemple, nous allons faire une tournée en Europe au mois de mars avec Devin Townsend, or il a au même moment une tournée avec Myrath qui était déjà calée. Il va donc faire des dates en partie avec Myrath et nous aurons un batteur remplaçant pour cette tournée. C’est pareil pour Enzo. Pour l’instant, il est disponible tout le temps, mais nous savons que si, un jour, il a une grosse tournée ou des dates super importantes à faire avec son autre groupe Uncut, il ne sera plus disponible. Il est compositeur principal dans son groupe : je serais à sa place, je n’hésiterais pas une seconde à partir jouer avec mon projet principal. Il peut arriver que nous ayons besoin, par moments, pour certaines sessions live, de bosser avec d’autres gens, mais pour moi, le line-up, tel qu’il est aujourd’hui, fonctionne très bien. Tout le monde s’entend très bien et musicalement ça matche à fond, donc il n’y a aucune raison que ça change pour le studio, mais comme pour beaucoup de projets, nous sommes parfois obligés de nous adapter. Nous avons des listes de personnes avec qui nous savons que ça le fera tout aussi bien.

« Nous nous retrouvons un peu comme des ‘chimistes’, avec Matthieu et son petit côté savant fou qui va apporter un élément cool au morceau. Son approche expérimentale, qu’on retrouve chez peu de gens, participe au côté atypique de notre son. »

En l’occurrence, nous avons Jelly Cardarelli qui fera la tournée de Klone avec Devin Townsend. Nous avons déjà joué avec lui, il joue mortellement bien, c’est un mec super sympa et nous savons que ça se passera très bien. Si jamais Enzo n’est pas là, j’ai vu Jean-Etienne à Noël et il m’a dit : « Putain, faire du live, envoyer le pâté et faire du gros rock, ça me manque des fois. Si tu as besoin de moi pour faire des dates, appelle-moi, je suis chaud ! » Ça reste des gens qui gravitent autour du groupe, avec qui nous nous entendons très bien et qui ne feront pas défaut à ceux qui ont enregistré sur l’album. Ça ne m’inquiète pas du tout. Par exemple, quand nous avons changé de batteur et que nous sommes passés de Florent Marcadet à Morgan, plein de gens étaient fans du jeu de Florent et ils avaient peur de ce que ça allait donner sans lui. Au final, jamais personne ne m’a dit à la fin des concerts : « Le live était cool. Par contre, c’est dommage que ce n’était pas machin à la basse ou à la batterie. » C’est comme ça, c’est notre mode de fonctionnement, nous faisons avec. C’est parfois un peu chiant à organiser parce que ça nous fait deux fois plus de boulot de retravailler avec d’autres gens, et le temps qu’ils s’approprient les morceaux, il y a toujours une période de rodage, mais en général, trois ou quatre dates suffisent.

Cette incertitude ou fluctuation autour de ces deux postes dans le line-up n’est-elle pas quand même dérangeante pour le groupe ?

Pour moi, il y a trois personnes importantes qui vont donner de la couleur aux compositions et qui font que Klone est ce qu’il est en termes de musique : il faut qu’il y ait Yann au chant, Matthieu aux arrangements et moi parce que je suis moteur dans le projet et que j’ai toujours eu l’habitude d’amener quatre-vingt-dix pour cent des compositions. Ceci dit, si je n’étais pas là, les choses pourraient quand même se faire et je ne doute pas que ce serait de la qualité, car Yann est capable de composer des trucs mortels, de même qu’Aldrick – par exemple, il a composé « Apnea » dans le dernier album, qui est un morceau très cool qui respecte les codes que nous avons instaurés, sans le vouloir, dans la musique du groupe. Ensuite, Mathieu n’est pas là en live, donc ce n’est pas très grave. Moi, à la guitare, pareil, on peut me remplacer, on n’aura pas de souci pour trouver quelqu’un qui saura jouer ce que je joue à la guitare, parce que ce n’est pas compliqué. Mais pour la compo, sur album, je sais qu’il y a trois piliers qui sont là et c’est important que ça se passe comme ça. Peut-être qu’un jour, ça se passera autrement, je n’en sais rien, mais pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour.

Comme je disais, nous sommes très organisés pour le live. C’est pareil pour l’ingé son et le lighteux. Dans Klone, nous sommes tellement habitués à fonctionner comme ça qu’en cas de problème, je sais que j’ai deux ou trois bassistes sous la main, deux ou trois batteurs avec, ça pourrait le faire. Ça reste des mecs qui sont très bons et qui, techniquement, n’ont aucun souci à s’adapter et à faire le show comme il faut, et ça ne changera pas la composition du morceau. Si c’est moins bon sous certains aspects, ce sera meilleur sous d’autres aspects. Pour moi, ça fait partie du jeu et puis, c’est le cas de beaucoup de groupes aujourd’hui. En fait, nous n’avons pas le choix. Idéalement, j’aimerais bien que ce soit toujours les mêmes, mais il se trouve que ce n’est pas possible. Si vous avez l’occasion de nous voir en live, vous verrez qu’on ne perd rien.

Tu as évoqué Chris Edrich tout à l’heure, qui a mixé l’album. Il est connu pour son travail avec Leprous, The Ocean et Shining. Est-ce que, vu son expérience, avec des groupes qui manient autant le riff que l’atmosphère, c’était le mieux « armé » pour aborder un tel album ?

Nous ne savions pas trop ce que ça allait donner avec Chris parce qu’il avait bossé avec nous uniquement sur l’album Unplugged, pour lequel nous avons vraiment enregistré en prises live, tous ensemble dans la même pièce, sur pas plus de deux jours. Cette fois, c’était un album produit sur lequel il est intervenu pour le mix ; il n’était pas présent pour les prises de son, car il était à Dublin et c’était compliqué niveau planning de faire en sorte que tout le monde soit dispo sur cette période. Il a quand même eu un regard extérieur parce que nous lui avions envoyé toutes les compos. Par contre, ce que nous savions, c’est que Chris nous suit en live depuis 2015, qu’il a fait énormément de concerts avec nous, qu’il connaît notre musique dans les moindres détails et qu’il avait certainement une idée de comment il avait envie de nous entendre sonner par rapport à son travail sur les prises live. Nous sommes très contents de la façon dont ça s’est passé, parce que, déjà, ça se passe très simplement et il est à l’écoute de nos attentes. Si quelque chose ne nous plaisait pas, nous n’avions aucun mal à le lui dire. Dans tous les cas, il avait envie que nous soyons contents et nous avions aussi envie qu’il soit content du travail réalisé avec nous.

La seule chose compliquée était le fait que nous étions en tournée avec Pain Of Salvation pendant que lui mixait l’album. Il nous envoyait des WeTransfer et il fallait faire des retours par e-mail. C’est super chiant et ça fait perdre du temps à tout le monde de bosser des retours de mix comme ça, alors que si nous avions été à côté pour lui dire les deux ou trois détails qui nous dérangeaient sur le moment, ça aurait pu se gérer en cinq minutes. Nous avons donc un peu traîné la patte à cause de ça. A un moment donné, quand nous sommes rentrés de tournée, nous avons fini par nous mettre d’accord pour bosser à distance mais en ayant au moins la possibilité, grâce à un lien, d’écouter en live ce qui sortait de ses enceintes au moment où il mixait l’album. Nous avons donc pu rectifier des petits détails, qui étaient surtout des histoires de niveaux d’arrangements à remonter, de reverb, etc.

« C’est souvent ce qui est un peu relou avec les ingés son avec qui nous bossons, ils ont toujours tendance à vouloir sous-mixer les arrangements, qui sont, pour nous, des éléments aussi importants que les riffs. »

Nous avons eu du mal à avoir du recul sur le mix, mais quand nous écoutons aujourd’hui et que nous voyons les retours très cool que nous avons sur la production, nous sommes contents du travail d’équipe qui a été fait. J’espère que nous aurons l’occasion d’affiner ça avec lui une prochaine fois. Il se met de plus en plus à faire de la prod studio. Là, c’était un petit peu nouveau, nous ne savions pas à quoi nous attendre, et nous avons toujours besoin d’être rassurés. Autant quand nous bossions avec [Francis] Caste, nous savions à quoi nous attendre parce que nous avions entendu nombre de ses productions, autant avec Chris, nous avions entendu beaucoup moins de choses, à part Celeste et certains albums live qu’il a faits. En plus, il n’applique pas non plus forcément la même formule à tout le monde, donc il y a toujours une part de suspense. Au final, c’était cool. Nous sommes toujours dans la bonne entente amicale avec lui et il se trouve que sur la tournée au mois de mars, Chris fera aussi le son de Devin Townsend en live.

Meanwhile est le deuxième album qui sort via Kscope, as-tu le sentiment que le label vous a aidés à passer un cap ?

Kscope nous a permis de toucher la niche de personnes qui gravitent autour du label, notamment des adeptes de musique progressive qui surveillent ses sorties parce qu’il a une certaine image. Il se trouve que le Grand Voyage était dans le créneau musical qui allait nous permettre de toucher ces gens directement. Je parle de ça en termes d’abonnés à leur page YouTube, de gens qui reçoivent les news des sorties, les curieux, etc. Après, en termes d’investissement et de travail dans le projet, je ne peux pas dire que ce soit la folie. C’est notre dernier album chez eux, donc je suis plutôt content que nous nous en séparions, que nous finissions notre contrat pour aller ailleurs, car c’est très compliqué de bosser avec eux. Ils travaillent avec nous et en même temps ils sont absents, tout est compliqué, t’es obligé d’attendre quinze jours pour prendre chaque décision, à chaque fois que tu demandes quelque chose, ça prend toujours des plombes pour avoir un retour, sachant que tu ne te sens pas plus soutenu que ça financièrement… C’est un label d’estime qui a une belle aura parce qu’ils ont eu de gros projets, mais aujourd’hui je ne sais pas s’ils sont au top de leur performance. Autant à un moment j’avais l’impression que c’était peut-être cool d’être chez eux, autant aujourd’hui…

Après, je dis ça, mais quand j’en discute avec pas mal d’autres gens qui sont sur des labels plus gros, il y a toujours des côtés positifs et négatifs. Idéalement j’aimerais être seul à tenir les rênes de tout ça. Si je pouvais mener ma barque en solo, avec le moins d’intermédiaires possible, faire ce que je veux, investir l’argent où je veux, quand je veux, sans demander l’aval d’autrui et avoir à batailler, je serais très heureux. Dans l’idéal, c’est ce que je vise. C’est vrai que le Grand Voyage chez Kscope est notre album qui s’est le mieux vendu, notamment parce qu’il a quand même été bien bossé à l’étranger où nous avons touché de nouveaux pays, ce qui est très cool, mais pour faire grossir le projet par rapport à notre situation actuelle, j’aimerais par exemple réussir à avoir Inside Out comme label pour le prochain Klone. Ils ont une puissance financière que n’a pas Kscope, donc ils auraient plus d’argent à mettre dans le projet, ce qui nous permettrait potentiellement de toucher plus de gens et de récupérer plus de fonds. Mais comme je disais, une fois que nous y seront parvenus, l’objectif sera de sortir de tout ça, d’avoir la mainmise sur tout et de pouvoir récupérer l’argent que nous investissons. Il faut savoir qu’actuellement, il n’y a quasiment pas d’argent investi dans le projet. Ce que le label investit sur le projet, ce sont des avances sur les ventes, donc sur l’argent que nous serions censé toucher mais que nous ne toucherons pas, parce qu’il aura été avancé pour développer le projet… Au final, avec ce mode de fonctionnement, financièrement, nous n’y trouvons pas notre compte.

Les gens qui ne connaissent pas ce monde-là sont à mille lieues d’imaginer à quel point c’est financièrement difficile d’avancer quand tu as de nombreux intermédiaires. Le but est de nous débarrasser de tous les intermédiaires possibles pour récupérer le fruit du temps passé et, au moins, que nous soyons libres de faire ce que nous voulons avec l’argent généré par le projet pour le développer. Nous n’avons jamais eu aussi peu d’encarts publicitaires en France que depuis que nous sommes chez Kscope. Quand tu te retrouves à négocier auprès d’eux une page de publicité et que tu te retrouves avec une mini-ligne à peine visible, comme c’était le cas pour le Grand Voyage alors qu’il s’est très bien vendu, nous étions même dans les tops des ventes Amazon, FNAC, etc. au moment de la sortie. Quand tu vois leur investissement dessus en termes de marketing par rapport à un tas d’autres projets qui vendent moins que nous, que tu sais qu’il y avait du potentiel, que ça aurait pu être mieux exploité et que ça n’a pas été fait… T’es un peu dégoûté de voir qu’ils sont là pour faire le strict minimum et récupérer un maximum de billes en prenant un minimum de risques. Mais bon, c’est comme ça. Nous vivons avec, et nous ne le vivons pas si mal parce que, comme je disais, je n’ai plus d’attentes, je sais d’avance comment ça va se passer.

« Les gens qui ne connaissent pas ce monde-là sont à mille lieues d’imaginer à quel point c’est financièrement difficile d’avancer quand tu as de nombreux intermédiaires. Le but est de nous débarrasser de tous les intermédiaires possibles. »

Tu nous disais en 2019 qu’il vous restait un album ou un EP à sortir chez Pelagic Records, est-ce toujours d’actualité ?

C’est toujours d’actualité. À moins qu’il ait oublié, mais je ne pense pas, le connaissant. Il faut que nous leur fassions un disque. Ce n’est pas encore clair, mais j’avais envie de faire quelque chose de spécial. Nous n’allons pas foirer un disque juste pour nous libérer de notre engagement avec [Robin Staps], mais je t’avoue que nous n’avons pas envie de nous faire chier. Aujourd’hui, les finances sont tendues, ça nous coûte beaucoup d’argent d’enregistrer un disque dans de bonnes conditions pour obtenir un truc qui a de la gueule. Nous savons que nous allons avoir une somme ridicule en avance, autour de mille cinq cents, deux mille balles maximums, pour produire un disque, alors qu’actuellement, nous sommes plus autour de huit à dix mille balles. Il va donc falloir que nous trouvions de l’argent pour financer ça et que lui derrière nous fasse son deal tout pourri où nous allons gagner même pas un euro par disque. Bref, c’est un truc très chiant que nous voulons finir au plus vite pour être libres ensuite de travailler avec qui nous voulons. Nous avions donc dans l’idée de faire un truc qui serait à part dans notre discographie, d’enregistrer en live et de faire un disque qui nous coûterait le moins cher possible en termes de production. Peut-être un peu comme ce que nous avions fait pour The Eye Of Needle avec lequel nous avions fait deux gros morceaux assez longs. Nous allons respecter le contrat, c’est-à-dire que nous devons rendre trente-deux minutes de musique et nous allons faire en sorte de lui rendre ce qu’il faut à la minute près. Nous allons peut-être nous faire plaisir avec quelque chose d’expérimental, hors format chanson. Nous avons ça en tête depuis un bout de temps. Nous n’avons rien de concret, mais nos axes de travail sont ceux-là.

Nous allons finir un peu comme nous avons commencé : nous avons parlé de la tournée avec Pain Of Salvation, mais vous avez aussi tourné par le passé avec Leprous et tu nous avais dit lorsqu’on s’était croisés au Hellfest qu’ils étaient un peu particuliers, notamment le batteur Baard Kolstad…

Ce n’était pas spécialement le batteur. C’était bizarre. Quand je compare à notre expérience avec d’autres groupes – comme Pain Of Salvation, avec qui nous avons passé pratiquement autant de temps, ou le groupe israélien Orphaned Land, avec qui une proximité s’est créée alors que nous n’étions pas censés être proches musicalement –, il y avait une espèce de froideur nordique qui a fait que nous ne nous sentions pas super à l’aise avec eux. Dans leur groupe, il y a le gratteux Robin [Ognedal] qui est ultra sympa et avec qui ça s’est passé très simplement, le bassiste est très cool aussi, le batteur était cool mais un peu dans son monde – un peu perché. Humainement, Baard dégage quelque chose de très sympa, mais à la fois, tu sens qu’il y a de la folie dans son regard. La folie, dans la musique, ce n’est pas négatif ; pour moi, il y a du génie dans la folie. Et J’adore son jeu : je l’ai vu plein de fois jouer sur le côté de la scène et, franchement, j’étais scotché à le regarder jouer. C’est un régal pour les yeux et les oreilles.

Ensuite, tu as le chanteur et l’autre guitariste Tor [Oddmund Suhrke]… Quand tu croises le mec tous les jours, que tu lui dis bonjour, qu’il ne te regarde même pas, qu’il passe à côté de toi comme si tu n’existais pas… J’ai ressenti ça plusieurs fois. La seule fois où ce mec m’a dit bonjour avec un sourire, c’était le dernier jour de la tournée et c’était pour me demander de la thune par rapport à une histoire de location de matériel. En plus, je l’ai revu il n’y a pas longtemps, nous avons rejoué avec eux au Midsummer Festival en Hollande. Nous avons un manageur qui s’appelle Rob, qui est hollandais et qui nous a fait jouer sur le festival. Tor était à côté de lui et il ne m’a même pas dit bonjour, alors qu’il a vu ma gueule tous les jours pendant un mois ! C’est un niveau de dédain que j’ai trouvé assez hallucinant. En soi, je m’en fous, mais j’ai trouvé ça très étrange, je n’avais jamais vécu ça. Pourtant, je trouve leur musique mortelle, j’adore leur dernier album, celui d’avant et d’autres morceaux qu’ils ont faits. J’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir leur musique en live. Autant Orphaned Land n’était pas quelque chose qui me touchait énormément, ça me faisait plutôt rigoler, autant avec Leprous, musicalement, je me prenais une branlée tous les soirs, mais humainement c’était assez froid et distant. Pas avec tout le groupe, mais avec deux gars, et tous les membres de Klone l’ont ressenti.

Question traditionnelle : peux-tu nous donner des nouvelles de la Klonosphere ?

Ecoute, ça se passe toujours très bien ! Je bosse toujours avec Pat, qui est ma camarade, collègue, amie de boulot et avec qui c’est toujours très cool de bosser. Et la Klonosphere, ça me permet toujours de découvrir des groupes et des projets en France, qui me démarchent et qui font que je me tiens au courant de ce qui se passe. En ce moment, je bosse sur plusieurs groupes qui me parlent musicalement. Il y a Hamasaari qui est aussi le groupe du tourneur de Klone et qui a été produit par le mec qui fait l’album Sound Awake de Karnivool. Avant Hamasaari, ils avaient un autre groupe qui s’appelait Shuffle, dans lequel il y avait des éléments que j’aimais bien et d’autres que je n’aimais pas, et j’étais très cash avec eux là-dessus, mais maintenant, ils commencent vraiment à avoir un truc qui a de la gueule musicalement et qui est très prometteur pour la suite. J’ai aussi Stomb, un vieux groupe français qui a déjà sorti quelques disques. Ils sortent un album qui sonne mortel, avec des invités très cool, comme l’ancienne chanteuse d’Igorrr Laure [Le Prunenec] ou le mec qui fait du sax dans Shining. C’est un groupe instrumental que j’apprécie beaucoup et leur disque est très sympa. Il y a aussi dans la Klonosphere des projets que je vais bosser qui sont jeunes, mais tu sens que s’ils insistent sur deux ou trois disques, quelque chose va se passer. J’aime bien sentir ça chez les musiciens : ils commencent, ils ne sont pas encore sûrs d’eux, mais tu sens une patte qui s’installe et qui fait que, s’ils ont la niaque et qu’ils affinent, des trucs cool peuvent leur arriver. J’aime bien ce côté entraide, faire en sorte que des projets puissent voir le jour. J’essaye de faire ce que j’aurais aimé avoir quand j’étais plus jeune, quand j’ai commencé la musique avec Klone, c’est-à-dire le soutien de gens du milieu qui ont de l’expérience et qui peuvent t’apporter des conseils, qui vont faire en sorte de t’éviter de perdre du temps. Depuis que j’ai commencé, je n’ai jamais eu aucun problème à faire ça, je le fais volontiers sur mon temps libre. Ça me plaît.

Interview réalisée par téléphone le 14 janvier 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Julien Gachet & Nicolas Gricourt.
Photos : Léo Margarit (1, 2, 6, 9, 10, 12, 13, 15, 16) & Cindy Canto (4, 8, 14).

Facebook officiel de Klone : https://www.facebook.com/kloneband/

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