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Interview   

Klone : entre ciel et terre, partie 2


Après deux opus que l’on pourrait qualifier d’aériens, Here Comes The Sun et Le Grand Voyage, Klone revient aujourd’hui avec Meanwhile, un album plus physique qui, sans quitter complètement la stratosphère, semble revenir à une nervosité plus terrienne. En deux interviews, Guillaume Bernard et Yann Ligner, respectivement guitariste-compositeur et chanteur du groupe poitevin, décortiquent avec nous l’élaboration et l’approche de ce septième effort qui se révèle être bien plus qu’une simple synthèse de leurs acquis.

Dans cette seconde partie, mesurés et réfléchis, les propos de Yann Ligner sont à l’image du personnage et de ses textes. Pas de bravade ou de réponse à l’emporte-pièce, le chanteur qui s’est toujours fait rare dans les médias revient avec nous sur son approche vocale et scénique, ainsi que sur la base thématique de Meanwhile.

« Je me suis engagé dans le chant clair, j’ai bossé, sans délaisser le chant saturé mais en y allant avec parcimonie. Je me dis qu’au final, en en mettant moins, ça a plus d’impact. La rareté fait la valeur. »

Radio Metal : Au sujet de Meanwhile, Guillaume avait dit avoir « besoin de revenir à la nature du son que [vous faisiez] au départ, pour le côté physique de la musique ». As-tu toi-même ressenti ce besoin ?

Yann Ligner (chant) : En tout cas, nous avions envie de retrouver un peu plus d’énergie, physiquement, sur scène. Et pour le coup, quand Guillaume a apporté les compos – parce que c’est lui qui compose majoritairement les morceaux en instrumentaux –, nous avons tout de suite senti qu’il y avait une patte plus metal, plus riffée, avec un peu moins d’arpèges. Lui l’a peut-être plus senti que les autres, mais nous avions quand même une envie commune de retourner à un truc qui apporterait un peu plus d’énergie sur scène, pour contraster avec les morceaux plus ambiants des deux derniers albums, Here Comes The Sun et Le Grand Voyage. Nous avions envie de quelque chose un peu plus physique pour créer peut-être plus de relief sur un set, en mélangeant les morceaux calmes et les morceaux plus pêchus.

Quand tu as entendu les premiers morceaux, tu as été surpris ?

Non, pas forcément. Après, entre les premiers jets de maquette et le résultat final, les morceaux évoluent quand même pas mal. Guillaume a apporté ses morceaux via des maquettes et ensuite, nous sommes repassés dessus, il y a des structures qui ont bougé, il y a des petits changements qui se sont faits pendant l’enregistrement, etc., donc ça évolue. Mais très souvent, ce que m’apporte Guillaume me parle – et nous parle –, donc ça marche bien. En tout cas, il y a rarement de mauvaises surprises ! Nous nous connaissons depuis quasi vingt ans, donc c’est assez fluide.

Par rapport à l’enregistrement de l’album, comment s’est traduit chez toi ce retour à une musique plus physique ? On entend que tu remets un peu de grain, que c’est parfois plus rugueux, sans pour autant revenir à du chant extrême comme tu as pu le faire au tout début…

Oui. Physiquement, le chant vraiment saturé tout le temps, je ne peux pas. Je suis passé par là dans mon parcours de chanteur. Au début, je suis arrivé en gueulant. Je savais où ma voix allait « casser », je connaissais mes limites, j’ai essayé de les repousser, mais j’ai très peu d’endurance avec le chant saturé. Je ne me suis pas rabattu sur le chant clair par défaut, car j’adore ça, même si peut-être au début je ne l’assumais pas forcément – je te parle de ça, il y a plusieurs années. Du coup, je me suis engagé dans le chant clair, j’ai bossé, sans délaisser le chant saturé mais en y allant avec parcimonie. Je me dis qu’au final, en en mettant moins, ça a plus d’impact. La rareté fait la valeur. Tu conditionnes l’auditeur dans un chant clair, avec des notes, donc tu le baignes dans une ambiance, et le fait de ramener à un moment donné un chant saturé fait qu’il sautera plus aux oreilles que s’il y en avait constamment – tu te prendras peut-être une claque les premières secondes, mais après ça risque d’être un peu monotone. En ne te cantonnant qu’à un style de chant, tu peux vite « tourner en rond ». Donc j’utilise moins le chant saturé, mais j’essaye de trouver les endroits propices. Encore une fois, je porte pas mal d’importance au fait de créer du relief, donc de jouer avec des contrepoints entre le chant clair et le chant saturé, mais tu as remarqué que mon chant reste majoritairement clair. Et puis c’est aussi en fonction des morceaux, de ce que traduit l’instrumental au moment T, du poids des mots. C’est un tout. Je ne calcule pas à l’avance. Au moment d’enregistrer, si je sens qu’il faut que ça pousse à ce moment-là, je le fais, et si en prenant du recul, je trouve que ça marche, je garde.

Est-ce que ça veut dire aussi que tu as changé ta technique lorsque tu mets plus de grain ?

Non, mais je me connais mieux physiquement, parce qu’au fur et à mesure des années, plus tu vieillis, mieux tu te connais. Tout du moins, c’est mon cas. Je connais vraiment mes points forts et points faibles, mes limites. Même si je l’ai moins pratiqué que le chant clair, je n’ai pas forcément changé de technique, mais je sais mieux comment l’appréhender.

« Je n’enregistre jamais l’album dans sa globalité en maquette pour réenregistrer l’album final en me basant dessus. J’aurais peur d’essayer de recopier une intention que j’ai donnée dans les maquettes. Je préfère arriver vierge et lâcher le truc comme ça. »

Est-ce que ça veut dire qu’en live tu as aussi tes « conditions » quand vous faites les setlits, c’est-à-dire, par exemple, d’éviter de mettre trop de vieux morceaux qui te bousilleraient la voix ?

Après, tu vois, sur la discographie, The Dreamer’s Hideaway est peut-être le dernier album où je criais. Même s’il y avait du chant clair, il y avait quand même pas mal de cris. A part « Rocket Smoke » et peut-être un ou deux autres morceaux, nous ne jouons plus beaucoup de vieux morceaux comme ça. Et même si nous devions en jouer, je mettrais sûrement moins de grain. Si ce n’est pas la même interprétation que l’album, ce n’est pas grave, le morceau serait sûrement différent mais il passerait quand même. Je pense que tu peux peut-être garder la même intention sans garder la même technique. En tout cas, physiquement, je ne peux pas assumer un set en chantant tout du long en saturé, ce n’est pas possible. Il y en a qui arrivent bien, qui ont une super endurance, qui ne se niquent pas la voix, etc. Ce n’est pas mon cas, donc je le fais aussi pour ça, mais pas que.

D’un autre côté, ce sont deux « screamers » qui ont marqué au début ton intérêt pour le chant : Burton C. Bell – même s’il fait aussi du chant clair – et Jens Kidman de Meshuggah…

Oui, alors Burton C. Bell, c’était plus un concert que lui en tant que chanteur. C’était quand j’étais tout jeune, j’ai vu Fear Factory à l’Elysée Montmartre, je me suis pris une grosse claque, mais après, avec du recul, quand j’ai avancé dans mon parcours de chanteur, je me suis dit que ce qu’il faisait n’était quand même pas très nuancé. C’est chant clair, chant saturé, et entre les deux, il y a une espèce de no man’s land. J’aime bien articuler, qu’il y ait une liaison entre ces différentes textures, entre le chant clair et le chant saturé. Mais oui, effectivement, au départ, il m’avait marqué, comme Jens Kidman. Disons qu’il y a quelques années de ça, j’écoutais plus de metal qu’actuellement.

C’est vrai qu’aujourd’hui, on retrouve très peu l’influence de quelqu’un comme Jens Kidman dans ton chant, qui est devenu très personnel, y compris quand tu mets du grain. Est-ce que ça veut dire qu’avec le temps, tu t’es un petit peu éloigné de ce qui t’a, à l’origine, donné envie de chanter ?

Je ne dirais pas que je m’en suis éloigné. Je me suis plutôt trouvé. J’avais un groupe avant Klone qui s’appelait Mistaken Element et qui était plus metal. Nous étions plus dans cette veine justement, à la Meshuggah. J’utilisais plus cette technique-là et j’avais très peu de chant clair. C’était à l’inverse de ce que je fais dans Klone maintenant : il y avait beaucoup de chant saturé et le peu de chant clair qui arrivait ramenait ce contraste. C’est une influence, j’adore Meshuggah, je suis un gros fan, mais effectivement, sur les derniers albums de Klone, ça ne se retrouve pas forcément dans la voix. Donc je ne dirais pas que je me suis éloigné de lui, mais plutôt que je ne suis plus trouvé vocalement.

Est-ce qu’il y a d’autres chanteurs qui t’ont marqué plus tard, notamment au niveau du chant clair ?

Je me suis pris une grosse claque il y a quatre ou cinq ans sur Radiohead. Je ne connaissais pas. Enfin, je connaissais sans connaître. Je connaissais vraiment les gros tubes, mais un jour, j’ai eu un déclic et je me suis vraiment pris une grosse claque. Après, Tom Yorke, ce n’est pas forcément sur sa tessiture et son timbre de voix, même si je le trouve très beau et que ça me parle, mais c’est plutôt dans le choix des notes, comment il aborde le chant, comment il occupe l’espace, etc. J’adore. Après, je ne sais pas si on peut parler d’influence, parce que ça ne se retrouve vraiment, je n’ai pas une voix semblable. Je n’exporte pas la voix de la même manière que lui, mais en tout cas, c’est un groupe et un chanteur qui m’a bien retourné ces derniers temps.

« Si j’ai une idée que je trouve cool, je me dis toujours : ‘Si ça se trouve, il y a une idée qui est meilleure, il faut que j’essaie d’explorer le truc.’ Je ne peux pas m’en empêcher ! [Rires] C’est peut-être, inconsciemment, la peur de passer à côté de quelque chose de mieux. »

Il y a dans Meanwhile une forme de synthèse, vous avez quand même tiré parti des explorations effectuées sur les deux précédents, en allant du rugueux à l’aérien. N’est-ce pas exigeant de chanter sur un disque voire des morceaux ayant une telle amplitude émotionnelle ?

Vu que je ne me pose pas la question avant de trouver mes lignes de chant, de composer et d’enregistrer, non. Je n’anticipe pas mon interprétation, c’est vraiment au moment de l’enregistrement que j’en essaye plein. J’essaie de trouver la manière d’exprimer les mots, donc le fait de ne pas l’anticiper me permet de ne pas être dans une situation où je me dis que ça va être compliqué. Non, je le fais et c’est après que j’essaie de prendre un peu de recul, en me demandant si je vais pouvoir le refaire en live. Mais vu que, sur l’interprétation, ce n’est pas trop mentalisé en amont, que ça se fait sur le feeling du moment, ce n’est pas spécialement exigent. Après, je bosse quand même en amont mes notes, mon rythme, les paroles, etc. C’est comme avec les maquettes, beaucoup de groupes en font. Pour ma part, je n’enregistre jamais l’album dans sa globalité en maquette pour réenregistrer l’album final en me basant dessus. J’aurais peur d’essayer de recopier une intention que j’ai donnée dans les maquettes. Je préfère arriver vierge et lâcher le truc comme ça, plutôt que d’essayer de retrouver l’interprétation, une sensation que j’ai eue sur les maquettes et que je galère à avoir.

Est-ce que tu te mets dans des conditions particulières, que ce soit mentalement, physiquement ou en termes d’environnement, as-tu des rituels ?

Non. Je fais ça chez moi, je suis seul. Sur cet album, c’était un peu particulier parce que j’ai une vie de famille depuis pas très longtemps. Il fallait que je trouve des moments pour faire ça, donc c’était souvent le soir ou la nuit. Mais non, je n’ai pas de rituels. Il faut que ce soit relaxe, détendu. Parfois, il y a des journées où rien ne sort, pas d’idée, pas de prise, donc c’est très frustrant, ça peut me miner. Parfois ça roule, ça coule de source.

Nous avons déjà eu des échos de chanteurs qui, pour enregistrer, ont besoin d’être seuls, qu’il n’y ait personne à côté en train d’écouter, etc. Est-ce ton cas ?

Oui, je suis assez là-dedans aussi. S’il doit y avoir des personnes, ce sera uniquement les membres du groupe, mais ça fait deux ou trois albums que j’enregistre seul. Après, nous échangeons avec Guillaume, il passe à la maison, il écoute, nous discutons des morceaux, j’écoute ce qu’il en pense, etc. mais je fais l’enregistrement seul.

Tu parlais de ton approche « au feeling » des parties de chant, mais d’un autre côté, à l’occasion du studio report, tu nous disais que tu étais très méticuleux quand tu concevais tes lignes de chant et que tu aimerais « arriver à être plus intuitif ». Qu’est-ce qui t’en empêche ?

C’est le fait que même si j’ai une idée que je trouve cool, je me dis toujours : « Si ça se trouve, il y a une idée qui est meilleure, il faut que j’essaie d’explorer le truc. » Je ne peux pas m’en empêcher ! [Rires] Ça m’arrive moins souvent de trouver une idée vraiment spontanée, tout de suite, avec laquelle je vais me dire que c’est la bonne, que de trouver une idée et de me dire qu’il faut que j’essaye un autre truc. C’est peut-être, inconsciemment, la peur de passer à côté de quelque chose de mieux que ce que j’ai trouvé un premier. En tout cas, oui, j’essaie d’explorer les possibilités, autant sur les notes que sur le rythme et l’occupation de l’espace.

Les possibilités peuvent être infinies. A quel moment dis-tu stop ?

Quand on arrive à la deadline, peut-être ? [Rires] Non, mais au bout d’un moment, il faut prendre du recul et puis, tu prends aussi en compte l’avis des autres : « J’ai deux trucs que j’aime bien, laquelle vous préférez ? » Parfois, je peux peut-être manquer un peu de recul, c’est l’inconvénient de travailler seul. Quand tu as la tête dans le guidon, tu as peut-être moins une vue d’ensemble du morceau ou du projet. Et puis, j’aime bien explorer, mais à un moment donné, il faut trancher, notamment parce que tu sais qu’il y a une deadline. Ça me rendrait fou aussi, au bout d’un moment, d’essayer trop de trucs sans figer la partie. A la fois, si je ne suis peut-être pas satisfait à cent pour cent – ce qui veut tout et rien dire –, même si j’ai des petites réserves sur une ligne mélodique ou une ligne de chant que j’ai trouvée, je me dis que le temps peut faire aussi son travail. Il s’agit de laisser le temps de la digestion. Et puis, même si c’est déjà arrivé, il est rare que je regrette une précédente version d’une ligne de chant, et même si ça se produit, j’essayé vite d’oublier le truc parce que tu ne contrôles plus le truc, c’est sorti, ça ne t’appartient plus.

« Avec ce ciel nuageux et cette tête d’ours qui apparaît, j’aimais bien ce côté un peu éphémère, qui peut rappeler notre passage dans cette vie, sur cette terre, le côté fragile des choses. Ça rejoint le titre de l’album : pendant ce temps-là, il y a des choses qui se passent, mais qui vont mourir, etc. »

J’évoquais la pochette : on y distingue une tête d’ours dans ce nuage. On appelle ça la paréidolie. Est-ce que ça peut arriver que ton inspiration fonctionne comme ça en voyant ou en entendant des choses dans ton environnement qui ne sont pas forcément là ?

Dans un premier temps, je vais me calquer par rapport à ce que je ressens, à ce que le morceau évoque au niveau des émotions. Après, l’histoire que tu te fais, tu vas forcément piocher dans tes rêves, dans ce que tu as vu, ce que tu as pu lire, dans des films, dans plein de choses, mais mon impulsion première, c’est vraiment ce que m’évoque le morceau, en adéquation avec la pochette. Nous avons trouvé celle de Meanwhile finalement assez tôt, donc il faut que ça résonne aussi avec ça. Il faut trouver un lien entre la pochette, la musique et le titre de l’album – pour le coup, lui est venu un peu tard – pour que les trois se complètent.

Justement, apparemment, la pochette t’a pas mal aidé à avancer sur les paroles. Quelle a été l’influence de cette image sur tes textes et ton inspiration en général ?

Les textes, c’est l’étape qui arrive vraiment en dernier. Je ne compose jamais mes textes avant de trouver mes lignes mélodiques, mon rythme. Je me sens moins parolier que musicien. Ce n’est pas une épreuve, mais je me fais violence quand même pour les textes. J’essaie de faire ça bien, je prends beaucoup de temps, je suis quelqu’un qui travaille assez lentement. Vu que cette fois, nous avions la pochette avant que j’écrive mes textes, je m’en suis inspiré. Déjà, esthétiquement, nous l’avons trouvée super chouette. Il y avait quelque chose qui me parlait, qui résonnait. Même sans rentrer dans des explications, rien qu’au premier regard, je trouve qu’un lien se crée tout de suite avec la musique. Il y a à la fois l’aspect onirique qu’on retrouve dans notre musique et celui un peu bestial et féroce de notre facette plus metal. Au niveau des textes, avec ce ciel nuageux et cette tête d’ours qui apparaît, j’aimais bien ce côté un peu éphémère, qui peut rappeler notre passage dans cette vie, sur cette terre, le côté fragile des choses. Il y a aussi le parallèle entre ce nuage qui peut disparaître en quelques secondes et l’ours qui est menacé d’extinction. Ça représente donc le côté éphémère, ce qui rejoint aussi le titre de l’album : pendant ce temps-là, il y a des choses qui se passent, mais qui vont mourir, etc.

Quel est ton rapport personnel au temps qui passe, au vieillissement, etc. ?

En tout cas, quand tu es parent, tu apprivoises le temps différemment. Il est clair que tu l’utilises moins pour toi, tu le donnes plus à tes enfants. Je ne vais pas courir après le temps, parce que ça ne sert rien. Je ne suis pas dans une espèce de course frénétique contre le temps, à essayer de remplir ma vie de plein de choses. J’aime bien prendre le temps, y compris à ne rien faire.

C’est un peu à contre-courant de notre époque où tout doit aller vite. Tu ne te laisses pas prendre dans cette espèce de spirale infernale…

On est forcément dedans parce qu’on fait partie de la société, mais j’essaye de me préserver par rapport à ça. Quand on habite en campagne aussi, ce n’est peut-être pas le même rythme de vie.

Klone a sorti sa première démo il y a vingt ans, en 2002. Quel est ton sentiment sur le parcours du groupe et sur là où vous en êtes aujourd’hui ?

En 2002, je n’étais pas dans le groupe, je suis arrivé en 2004, mais qui aurait cru que nous serions encore là vingt ans après ? Nous faisons notre petit bonhomme de chemin. Nous sentons qu’à chaque album, nous franchissons des petites étapes, que le nom rayonne de plus en plus, à sa vitesse. Je trouve que nous faisons ça d’une manière artisanale. En même temps, nous ne savons pas de quoi l’avenir sera fait. Par rapport au groupe, je ne le vis pas au jour le jour, mais je me dis que ce n’est que du bonus, parce que nous arrivons à en vivre depuis quelques années, c’est super et ça peut s’arrêter du jour au lendemain pour je ne sais quelle raison, peut-être même indépendante de nous. Je me dis, en tout cas, que je suis très heureux d’en profiter. Nous rencontrons des gens super, nous voyageons, nous faisons ce que nous avons envie de faire. Je suis très content ! Et puis nous avons évolué, nous mettons un peu plus d’eau dans notre vin, nous faisons un peu moins les foufous qu’avant, donc musicalement, nous faisons peut-être des choses plus profondes, plus sincères.

« Par rapport au groupe, je me dis que ce n’est que du bonus, parce que nous arrivons à en vivre depuis quelques années, c’est super et ça peut s’arrêter du jour au lendemain pour je ne sais quelle raison. Je suis très heureux d’en profiter. »

Sur la thématique, si je cite le communiqué de presse, l’album brosse « un tableau d’événements qui se déroulent en même temps mais dans des endroits différents, tandis qu’il réfléchit à des choix faits contre notre volonté qui peuvent changer le cours de notre histoire commune ». J’ai l’impression qu’on peut faire un rapport avec la période qu’on a vécue, notamment avec les confinements qui nous faisaient nous demander ce qui se passait « dehors » pendant qu’on était coincé « ici » chez soi. Est-ce des questionnements que tu as toi-même eus ?

Pas sur le confinement, mais à mon avis, cette question, tu peux te la poser tout le temps. Au moment où je vais me coucher, qu’est-ce qui se passe à l’autre bout de la planète quand quelqu’un se lève ? Qu’est-ce qu’il va faire ? C’est perpétuel, il y a tout le temps des histoires qui se déroulent à un instant T. En tout cas, ce n’est pas lié au confinement, je ne me suis pas servi de cet événement pour nourrir l’idée. Ça me faisait aussi penser à des films. Je repensais par exemple à Babel ou aux Nouveaux Sauvages, dans lequel il y a aussi quelque chose comme ça. Il y a quelques films qui présentent plusieurs histoires déconnectées au début et qui, dans l’évolution du film, se rejoignent en conclusion. Ce sont des histoires qui, au premier abord, n’ont rien à voir entre elles, mais plus le scénario avance, plus les liens se tissent entre chacune d’entre elles. Au final, tu arrives à avoir une vue d’ensemble sur toutes les histoires. J’ai essayé de prendre un peu cette idée, sous la coupelle de la pochette, du titre de l’album et de la musique.

Même si tu dis que ce n’est pas lié à ça, on peut aussi faire un parallèle entre la pandémie et cette idée d’événements qui ont changé notre vie, que ce soit l’origine du virus ou les décisions politiques. C’est ce côté effet papillon…

Oui, complètement. Il y effectivement de ça. On ne maîtrise pas forcément notre destin et on est à la merci de décisions prises à l’autre bout du monde, ou au contraire des décisions qui ne sont pas prises. Nous dépendons malgré tout de tout ça. Finalement, tout ne tient qu’à un fil. C’est une espèce d’équilibre fébrile. Tu peux effectivement coller la thématique de l’album à ça, mais mon impulsion ne venait pas de cette période-là précisément.

Guillaume nous disait par le passé que « les textes sont un peu à l’image de Yann qui peut être assez pudique avec les gens ». Comment conjugues-tu ce côté pudique avec le fait d’être frontman, qui est généralement une position où on se met en avant, faite pour des gens peut-être un peu plus extravertis, en tout cas dans le rock… ?

Il y a effectivement peut-être une majorité de gens comme ça, mais je pense qu’il y a vraiment des antipodes. Ce n’est pas du tout une thérapie dans mon cas, mais je pense qu’il y a des gens pour qui ça peut l’être. Je ne sais pas si je suis quelqu’un de réservé, c’est juste que je ne vais pas me mettre vraiment en avant, mais je pense que pour les gens très timides, ça peut être thérapeutique d’aller se confronter à une scène comme ça. Après, oui, effectivement, sur scène, je ne mise pas sur ma tchatche pour haranguer les foules, etc. C’est du travail aussi. Le fait de se positionner sur scène, le regard, ce que tu vas dire entre les morceaux, etc. ça a été un travail pour moi et ça l’est toujours, car rien n’est jamais acquis. Il y en a pour qui c’est sûrement beaucoup plus fluide, mais personnellement, je ne mise pas là-dessus. Je pense être plus pertinent sur le fait de chanter que de raconter des choses entre les morceaux. Vu que je ne pense pas être très pertinent là-dedans, je ne le fais pas. Il y en a qui le font mieux que moi, ce n’est pas le propos de Klone… Après, plus ça va, plus je me sens à l’aise, mais je ne vais pas me dire qu’il faut vraiment que je ponde un monologue de trois minutes entre deux morceaux. J’estime que la musique parle d’elle-même.

Tu dis que c’est un travail pour toi. Comment le travailles-tu ?

C’est plus le mental, le fait d’appréhender une date où tu te demandes ce que tu vas pouvoir dire entre les morceaux, si tu vas te sentir à l’aise physiquement. Il s’agit de le mentaliser, de prendre un peu de recul et de te dire que tu n’es pas en train de prendre une décision politique hyper importante, que ce n’est que du bonus, « vas-y éclates-toi ». Tu relativises. Mais c’est vrai que le rôle de chanteur t’expose peut-être plus. J’aurais bien aimé être bassiste dans un groupe de reggae, par exemple. Tu es pénard, t’es derrière [rires]. C’est la position du gars qui est un peu plus dans l’ombre, mais qui fait quand même de la musique, qui est tranquille et qui n’est pas forcément au premier plan. Ça m’aurait plu aussi. Le fait d’être en avant, ce n’est pas du tout ce qui m’a attiré dans le fait d’être chanteur. C’est plus une conséquence. Je ne suis pas trop dans mon élément par rapport à ça. Ce n’est pas quelque chose que j’affectionne, donc je me préserve et j’évite de m’exposer.

« J’aurais bien aimé être bassiste dans un groupe de reggae, par exemple. Tu es pénard, t’es derrière [rires]. C’est la position du gars qui est un peu plus dans l’ombre, mais qui fait quand même de la musique, qui est tranquille et qui n’est pas forcément au premier plan. »

Tu as le trac avant de monter sur scène ?

Non, parce que le trac, c’est fort quand même, ça te paralyse. C’est plutôt une petite pression, que nous gérons beaucoup plus facilement qu’avant. Elle ne nous paralyse pas du tout. C’est juste un petit shot d’adrénaline avant. Après, en tournée, quand on enchaîne les dates, quand tu es dans un mode où tu joues tous les soirs, il n’y a plus grand-chose en termes de pression ou d’anxiété. C’est cool après, tu es dans un rythme, c’est l’« usine », tu as tes repères.

Nous avons eu une discussion intéressante avec Guillaume sur rapport au côté physique en live, le fait de jouer en bougeant, en exprimant la musique avec son corps. Comment ça se passe pour toi, en tant que chanteur. Est-ce que tu considères que ton expression en live passe aussi par le corps, les mouvements, ou est-ce quelque chose de plus intérieur ?

Je ne me pose pas vraiment la question. Je ne vais pas faire le show physiquement en délaissant le chant. Ma priorité, c’est avant tout le chant, de chanter les morceaux correctement, de trouver l’aisance et la « zénitude » pour chanter le mieux possible. Après, c’est le morceau qui m’entraîne physiquement. Mais les mouvements, en soi, ne m’aident aucunement pour le chant. Ce que je peux dire, c’est que je joue avec des ear-monitors, donc finalement, je suis assez coupé du monde extérieur. Enfin, j’entends quand même le public, mais j’ai les retours dans mes oreilles, donc je suis vraiment dans une espèce de bulle. Ça m’aide à me mettre dans le son, à me concentrer, à me détendre, et pour le coup, les mouvements physiques arrivent naturellement par la suite. Je ne les calcule pas forcément. C’est lié aussi à la musique, à tel morceau. En tout cas, mon but premier, c’est de chanter correctement, de trouver mon émotion et de la faire passer. C’est quand même mon premier rôle ! Et puis il faut que nous servions tous ensemble les morceaux, c’est le but commun.

Parce qu’il y a aussi des chanteurs qui parfois priorisent le show…

Et délaissent le chant en bougeant un peu « n’importe où » ? Chacun est libre de faire ce qu’il veut, mais je me considère plus chanteur que showman, donc j’essaye de faire mon boulot le plus correctement possible. Et puis, si nous sommes dedans, je pense que le public le ressent et ça alimente leur ressenti.

Tu avais chanté le tube des années 80 « Maniac » avec Carpenter Brut. C’est un registre très différent de ce dont on a l’habitude de ta part, plus « flashy » et dansant, et qui pourtant te sied à merveille. Es-tu aussi à l’aise dans ce registre que dans celui de Klone ?

C’était fun ! Il faut le prendre au second degré. Faire ce style musical sur quelques titres, c’est cool, mais je ne vais pas faire un album ou une discographie complète là-dessus [petits rires]. C’est surtout le tempo qui est plus difficile. Avec Klone, nous sommes souvent sur du mid-tempo ou du tempo lent, je peux prendre le temps d’articuler, de choisir mes mots, alors que là, on est dans un débit plus rapide. En fait, je ne l’ai chanté qu’une fois avec Carpenter Brut sur scène. L’impression que j’ai eue, en bossant chez moi, parce que ça faisait un moment que je n’avais pas rechanté, c’est qu’il y avait peu de temps pour reprendre son souffle. C’était surtout ça la difficulté. Il ne me faut pas des tempos trop élevés. Je me souviens quand il m’a proposé ça, nous jouions avec Klone à Niort. Tu réfléchis quand même à deux fois, tu te dis : « Est-ce que j’assume de chanter Flashdance des années 80 ? » Mais oui, le challenge est cool. Finalement, c’est devenu un morceau phare de Carpenter Brut, c’est cool, même si ce n’est pas une compo de lui.

Il nous disait que les gens attendaient presque plus la fin du concert pour entendre ce morceau…

[Rires] Oui, car en même temps, à l’époque, quand il a sorti « Maniac », il y avait très peu de morceaux avec du chant – il en a plus maintenant. En plus, c’est un morceau que tout le monde a entendu au moins une fois dans sa vie. Les gens avaient envie de chanter le refrain en même temps que la bande qui passait sur scène.

Interview réalisée par téléphone le 17 janvier 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Photos : Léo Margarit (1, 3, 5, 6, 7) & Cindy Canto (2).

Facebook officiel de Klone : https://www.facebook.com/kloneband/

Acheter l’album Meanwhile.



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  • Assurément un très bon groupe.
    J’adore leur évolution. « Dreamers… » est Dantesque, mais la suite avec le live unplugged qui a transcendé les compos d »Here Comes… » et le sublime « Grand Voyage » sont à ranger au panthéon du métal prog’.
    Ces mecs ont dépassé les limites d’un style et affirmé leur identité. Un parcours d’artistes, un vrai.

    J’attends d’être dans une bonne mood pour découvrir et approfondir leur « Meanwhile »

  • Red Hot Chili Peppers @ Lyon
    Queens Of The Stone Age @ Lyon
    Kiss @ Lyon
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    Depeche Mode @ Lyon
    Scorpions @ Lyon
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