« Je n’ai peur d’aucune censure. Je n’en ai rien à faire de ça » nous disait récemment le leader de KMFDM, Sascha Konietzko, en parlant de son nouvel album Kunst. Cette phrase et le caractère à la fois insoumis et agitateur qu’elle traduit est un important pilier de la musique du combo allemand. Cette liberté de parole et de propos est un droit fondamental pour Konietzko : « Je suis pour une liberté d’expression et d’information absolue et sans limite pour tout le monde » nous affirmait-il en 2011. Plus qu’un droit fondamental, on pourrait croire que c’est même un devoir. Un devoir sur lequel il s’applique depuis près de trente ans en abordant de nombreux sujets sensibles d’actualité et notamment sociétaux mais aussi, et surtout, sur une musique industrielle des plus ouvertes.
Cette philosophie se retrouve cristallisée dans Kunst. Le constat s’impose au premier coup d’œil : une pochette qui s’avère être, peut-être, la plus provocante de l’histoire de KMFDM. On y voit, toujours selon le trait inimitable d’Aidan « Brute! » Hughes, une femme enragée, les mamelons nus et fiers, sciant avec une tronçonneuse une croix chrétienne. L’illustration a déjà été censurée par Facebook et l’on peut croire que certaines associations chrétiennes ne la verront pas d’un bon œil, si tant est qu’elles en aient vent. Plus qu’une provocation, elle est avant tout un soutien au collectif punk-rock féministe russe Pussy Riot dont trois membres sont actuellement emprisonnées en camp de travail à cause de prières jugées profanatrices faites dans une église orthodoxe. Un titre portant le nom de leur collectif leur est d’ailleurs dédié. Comble de l’impertinence, KMFDM fait également un pied de nez à l’Eglise Catholique via le titre intitulé « Ave Maria ». Rien d’étonnant, la dénonciation des religions dites organisées ont toujours été l’un des chevaux de bataille de Konietzko.
Il est évident que les dérives et aberrations de nos sociétés stimulent un homme tel que Konietzko, comme nombre de ses pairs d’ailleurs. Et Kunst en bénéficie très largement. C’est ainsi qu’on retrouve la rage d’un Prong de la grande époque (Rude Awakening) sur « Quake ». C’est aussi une ardeur punk/rock’n’roll parfois proche d’un Ministry qui est disséminée ici et là, comme sur le refrain de « Hello ». C’est d’ailleurs sournoisement que Lucia Cifarelli s’y égosille après avoir pris le temps de susurrer lubriquement à l’oreille de l’auditeur. « Lubrique » est aussi le mot pour qualifier la prestation de l’étrange William Wilson sur « Next Big Thing » et que l’on imagine sur scène se pencher en avant nous chanter au visage comme il aime tant le faire. C’est une Cifarelli cette fois-ci protestataire que l’on retrouve pour défendre ses consœurs de Pussy Riot sur le titre qui porte leur nom. Sur le plan des comparaisons, il y a aussi du Killing Joke dans le refrain de « Pseudocide », jusque dans le néologisme qui lui sert de titre, ou du Combichrist dans le beat aggrotech soutenu et enivrant de « The Mess You Made » ou celui plus lourd de « I Heart Not ». Outre la conviction qui en transpire, rarement metal industriel n’a proposé une palette de couleurs aussi ouverte que ce que propose KMFDM et en particulier sur cet album.
Mais tout ceci est avant tout fait avec une bonne grosse dose de « fun ». KMFDM est sans complexe. KMFDM est même possédé voire un peu fou par moment : ce « yeehaa! » vers la fin de « Next Big Thing » et sa guitare en slide façon cowboy. En fait, tout l’album apparaît comme un gros « fuck » à tous ceux qui nous pourrissent la vie – dans la grande tradition du genre diront certains. Une musique électronique diablement dansante, généralement renforcée de riffs de guitares infectieux et heavy à souhait, qui appelle à la libération de soi. « Let your animal out! » (« libère l’animal en toi! ») chante Cifarelli comme avec une main tendue vers l’auditeur, l’appelant à la rejoindre. D’où l’importance que prend sur cet album le cas hautement symbolique de l’emprisonnement des Pussy Riot.
Kunst non seulement tend à résumer l’œuvre de KMFDM autant dans ses libertés que dans son intensité mais il tend également à synthétiser plus de vingt ans de musique industrielle. Après tout, ce n’est peut être pas un hasard si l’album a été baptisée Kunst, qui signifie « art » dans la langue de Goethe. L’art avec un grand A, l’art qui libère et ouvre les esprits. Ce n’est peut-être pas un hasard non plus si l’album s’ouvre sur un titre éponyme qui célèbre « vingt neuf ans de continuité conceptuelle », pour reprendre une réplique de la chanson, de la part du combo.
KMFDM a toujours, ou presque, eu pour tradition d’inclure dans ses disques un titre où le groupe s’invoque lui-même. Mais ici Konietzko pousse le bouchon plus loin encore avec un hymne coup de poing dont le texte est quasi exclusivement écrit à partir de noms d’autres chansons de son répertoire (on en a compté par moins de quarante deux). Konietzko s’amuse comme un fou (« J’aimerais revenir mais je traine avec knmfmdm… putain j’arrive même pas à le prononcer! » lance une voix hilare en introduction). Il en vient d’ailleurs à faire un slogan d’une des interprétations longtemps supposées – mais jamais avérée – de l’acronyme KMFDM : Kill Mother Fuckin’ Depeche Mode. Un slogan totalement gratuit dans la mesure où il entretient la confusion sur cet acronyme et du fait que Konietzko avoue lui-même n’avoir, en définitive, strictement rien contre le célèbre groupe electro anglais… Et la liberté c’est aussi ça : se permettre d’être absurde dans un monde où il est toujours demandé de se justifier, simplement parce qu’on trouve ça drôle.
Album Kunst, sortie le 26 février 2013 via KMFDM Records
Je connais encore peu KMFDM mais l’esprit Konietzko me plaît énormément, ainsi que l’extrait éponyme de ce nouvel album qui comptera certainement dans mes prochains skeuds assez prochainement. Et assumer une nouvelle fois « Kill Motherfuckin’ Depeche Mode » : une façon tellement cynique d’en appeler à l’esprit critique (KMFDM avait essuyé de lourdes accusations dans l’affaire de la fusillade de Columbine), une manière tellement rock n’ roll de grincer « Sérieusement, vous y avez cru ? »