C’était un secret de polichinelle pour certains, une vraie surprise pour d’autres – qui croyaient encore que le batteur Baard Kolstad, originellement annoncé dans le line-up d’Abbath, se cachait derrière le mystérieux personnage de Creature – bref, aujourd’hui le doute n’est plus permis, notre Kevin Foley national est bel et bien Creature. Ou plutôt « était », puisque celui-ci vient d’officialiser son identité en annonçant son départ du groupe de l’ex-Immortal, six mois à peine après son intégration. Mais force est de constater que ces quelques mois furent riches, puisqu’il a eu le temps de fouler les planches aux côté d’Abbath, King Ov Hell et le guitariste live Per Valla, et surtout, enregistrer un album qui s’annonce des plus prometteurs et dont il avoue n’être pas peu fier. Autre information révélée par le communiqué : Kevin Foley non seulement tombe le masque et quitte Abbath, mais quitte également le groupe de brutal death Benighted, dans lequel sa situation était encore incertaine, après neuf années de bons et loyaux services.
L’interview qui suit a été en grande partie conduite fin novembre et devait originellement paraître en janvier, suite à l’annonce que le groupe prévoyait pour révéler l’homme derrière le masque de Creature. La donne ayant changé depuis la semaine dernière, nous avons retrouvé le batteur ce week-end pour compléter l’entretien, en faisant le point sur son départ d’Abbath et de Benighted, ainsi que sur son avenir.
De ses premiers pas dans le groupe d’Abbath juqu’à son départ, donc, en passant par l’enregistrement de l’album et le personnage de Creature, Kevin vous raconte tout sur son aventure norvégienne… Ou presque.
« Ils ont fait [le masque] à partir d’un moule, donc il est à ma taille. Personne d’autre, à part quelqu’un qui aurait la même gueule de con [petits rires], peut le porter. »
Radio Metal : On sait désormais officiellement que c’était toi qui se cachait derrière le personnage de Creature dans le groupe d’Abbath, puisque tu as fait un communiqué en ce sens et aussi pour annoncer que tu n‘en fait désormais plus partie. Mais avant de parler de ça, tu officialises dans le même temps ton départ de Benighted après la tournée avec The Black Dahlia Murder, alors que jusque-là, ta place dans le groupe n’avait toujours pas été clairement statuée. Pourquoi ?
Kevin Foley (batterie) : A la base, avec Benighted, c’était un départ temporaire. On ne savait pas ce qu’il en était, car justement rien n’était réglé par rapport à Abbath. On ne savait pas trop où ça allait aller. Avec Benighted, vu qu’il n’y a pas beaucoup de dates, après la tournée avec The Black Dahlia Murder, il était question que je fasse les dates si j’étais dispo, en fonction d’Abbath, et que j’enregistre l’album si Benighted ne trouvait pas de batteur non plus. C’est toujours difficile de partir d’un groupe comme ça. Ça fait neuf ans que j’étais avec eux, ce sont mes frères. Le fait est aussi que pour Benighted, c’était compliqué de trouver des batteurs remplaçants parce que la plupart sont pris. Je sais que Kévin Paradis a fait pas mal de dates mais au final, il est dans Svart Crown, donc Benighted ne voulait pas piquer le batteur d’un groupe de potes. Ils ont eu David Diepold, un Autrichien, donc forcément c’était compliqué. Il a été question de Fotis Benardo, l’ancien batteur de Septicflesh, qui est fan de Benighted et s’est proposé de lui-même. Mais pareil, il habite en Grèce, il va être papa, etc. donc c’était compliqué. Aussi, il était question à un moment donné qu’Anthony Reyboz, donc un de mes potes que je leur ai proposé et qui a enregistré le dernier album de Kronos, fasse peut-être la tournée de The Black Dahlia Murder avec eux. Bref, depuis, il y a plusieurs points qui se sont résolus. Donc, oui, je ne fais plus partie d’Abbath mais le fait est que si je revenais à part entière dans Benighted, je ne pourrais pas me permettre comme avant d’accepter des offres si elles se présentaient. Ils ont déjà été ultra patients, ils m’ont toujours soutenus dans le fait d’accepter des offres pour d’assez gros groupes qui tournent. Mais je ne peux pas revenir dans le groupe et si dans six mois j’ai une autre offre, dire que je pars à nouveau. Au bout d’un moment il faut statuer le truc et que Benighted ait un peu de stabilité. Mon départ a même failli être annoncé au tout début, limite au mois de mai lorsque je suis rentré dans Abbath, mais ça a toujours pris du temps, on l’a laissé traîner. Et le dernier concert que j’ai fait avec eux, c’était au Portugal, le SWR Barroselas Metalfest. C’était un bon concert mais pas incroyable non plus et ça ne faisait pas concert de fin pour moi avec Benighted. Et là, l’occasion est trop belle pour la louper, avec une tournée pour The Black Dahlia Murder, c’est quand même énorme. Et pour après, il y a deux batteurs qui sortent du lot pour rentrer en tant que batteur permanent dans Benighted, mais là, je leur laisse le soin déjà de prendre la décision et puis d’annoncer le batteur qu’ils auront choisi.
C’est eux qui t’ont imposé le fait que si tu reviens, tu ne pourras plus accepter les offres ou bien c’est toi qui en as pris l’initiative ?
C’est moi. Complètement. Ils ne l’ont pas dit et ne m’ont en aucun cas poussé vers la sortie, au contraire. Il n’y a aucun froid, aucune tension avec le groupe – d’ailleurs on va se taper une bonne raclette ce soir ! C’est même aussi par rapport aux fans et aux gens qui suivent le groupe. La question qui revenait, c’était : « Qui va être le batteur ? » C’était un peu bizarre. Il faut que le groupe ait une stabilité et, en l’occurrence, moi je ne pourrais pas l’apporter parce qu’en toute franchise, si je revenais dans Benighted et que dans quelques mois j’ai une autre proposition, du même genre que celle d’Abbath ou les autres groupes auxquels j’ai participé avant, je dirais oui, clairement. De base, je suis quelqu’un qui veut vivre de la musique, alors que les Benighted prennent ça vraiment pour le loisir, et c’est tout à leur honneur.
D’ailleurs, comment tes collègues de Benighted avaient pris la nouvelle lorsque tu avais décidé de rejoindre le groupe d’Abbath ?
Vraiment super bien ! Je n’ai aucun reproche à leur faire là-dessus. Je sais qu’il y a bien des groupes avec lesquels ça se serait passé beaucoup plus mal. Au contraire, j’ai de la chance, ils m’ont toujours soutenu. Ils savent depuis le début, de toute façon, que je veux vivre de la musique et que quand allait arriver une grosse opportunité, je foncerais. Et voilà, l’opportunité s’est offerte à moi et je l’ai saisie. Forcément, c’était un peu triste de quitter le groupe parce qu’on s’entend vraiment extrêmement bien mais ils étaient quand même très contents pour moi. Abbath, c’était une opportunité à côté de laquelle je ne pouvais pas passer.
Alors, du coup, on y est : qu’est-ce qu’il s’est passé avec Abbath pour que ton implication dans ce groupe arrive à son terme si rapidement, alors que l’album n’est même pas sorti, qu’il y a une tournée de prévue et que vous aviez pris le soin de développer tout un personnage autour de toi ?
Il y a eu deux ou trois petits différends, sans rentrer dans les détails. Je ne veux pas donner de raisons précises. Il y a eu quelques petits différends dans le groupe, et ce n’était plus tenable. Du coup j’ai décidé de partir ; je n’ai pas été viré, bien au contraire. Après, il n’y a pas de rancœur. En ce qui concerne le personnage de Creature, je pense qu’ils vont le maintenir. Je pense que c’est ça aussi un des avantages du personnage. Je pense que ce sera quelqu’un d’autre avec le masque, tout simplement. Comme tu l’as dit, ça n’a pas duré si longtemps – au final ça a duré six mois -, on a fait de supers concerts et surtout l’album, et pour être franc, j’en suis vraiment content. Ça m’a permis de bosser en plus avec Daniel Bergstrand, un gros producteur qui a produit quantité de groupes dont je suis très fan, donc c’était super. Ça a été vraiment, vraiment cool à enregistrer.
Tu as fait un communiqué pour annoncer ton départ mais le groupe n’a rien officialisé pour l’instant à ce sujet, et c’est d’ailleurs peut-être pour ça que des sites comme Blabbermouth ont mis un peu de temps à relayer l’info…
Alors, l’erreur qui s’est produite avec Blabbermouth, et que le groupe a essayé de corriger, d’après ce que j’ai compris, c’est qu’ils ont pensé que le personnage de Creature était Baard Kolstad. Après, le groupe n’a pas fait de communiqué mais d’une, mon communiqué est très récent, et de deux, la plus grosse actu du groupe, ce n’est pas mon départ mais la mise en ligne d’un nouveau morceau. Si ça se trouve il y aura un communiqué sur internet, je ne sais pas. Mais – et je le comprends, ce n’est pas du tout un reproche que je leur fais – ils n’ont aucun intérêt spécialement à le dire, vu que de toute façon, je pense que le personnage de Creature va continuer à exister avec un autre batteur. Après, je sais qu’Abbath parle de moi en tant que Kevin Foley dans les interviews à venir, donc c’est une sorte de communiqué aussi. Et puis, à la base, dans moins d’un mois, il devait y avoir un communiqué me révélant. Avec Abbath, on avait même pour idée, sur la tournée, de faire un solo de batterie et même au milieu du set, enlever le masque et que j’aie du corpse paint aussi sur le visage. Ça aurait appuyé l’annonce et là, il n’y aurait plus eu de doute possible.
Ça veut dire que tu aurais abandonné le masque à ce moment-là ?
Il était question à un moment ou un autre d’abandonner le masque de toute façon. Je pense que l’abandonner tout de suite ça aurait fait aveu d’échec, du genre on renie déjà le masque au bout de si peu de temps, donc il fallait quand même le « rentabiliser » et puis instaurer un peu le personnage de Creature. Mais ensuite, je sais par exemple que pour le second album, soit il y aurait eu un masque différent, blanc et noir comme leur maquillage, soit pas de masque.
« Il y a pas mal de personnes qui ont pensé que c’était juste Baard [Kolstad] déguisé derrière un masque, alors que pas du tout ! […] Au final, ça a plus rajouté un peu de mystère autour de tout ça et on s’est dit que ce n’était pas mal. »
Quand j’ai vu ton communiqué et que le groupe ne le relayait pas, je me suis dit qu’ils allaient en profiter pour faire perdurer le mystère derrière le personnage de Creature et laisser le doute planer, malgré ton communiqué, que les gens se demandent : « Est-ce que c’était vraiment lui ? »
Il y a peut-être de ça et vu qu’ils se sont aperçus qu’en l’espace de moins d’un an il y a déjà eu deux batteurs, peut-être qu’ils vont se dire qu’ils vont vraiment ne faire aucune annonce pour Creature et laisser le plus de mystère possible. Je ne sais pas trop. Ou alors, dès maintenant laisser tomber Creature, quitte à avoir un batteur qui affiche son vrai nom ou alors un nom de scène comme Abbath et King. D’un autre côté, le masque est unique et ne va qu’à moi. Ils l’ont fait à partir d’un moule, donc il est à ma taille. Personne d’autre, à part quelqu’un qui aurait la même gueule de con [petits rires], peut le porter. Du coup je ne sais pas trop ce qu’il va en être pour mon successeur. On va le découvrir assez rapidement, de toute façon, avec les concerts qui arrivent fin janvier.
Justement, est-ce qu’ils vont avoir le temps de se retourner pour les concerts qui débutent le 23 janvier ?
Oui. D’après ce que j’ai compris, il y a un batteur américain qui les rejoindra. Par contre je ne sais pas s’il va faire la tournée européenne ou seulement la tournée américaine. Je leur ai juste dit que s’ils voulaient, je pourrais peut-être les aider à les rencarder sur deux ou trois batteurs mais je n’en sais pas plus.
Pour revenir sur cette période passée au sein du groupe d’Abbath, concrètement, comment cette opportunité s’est-elle présentée ? Disons que j’ai ma petite idée, puisque Benighted est chez Season Of Mist, Abbath est signé chez Season Of Mist. J’ai l’impression que c’est un peu le lien…
Bonne idée [rires]. C’est Michael Berberian, le boss de Season, qui a donné mon contact à King Ov Hell. Il a fait passer mon Facebook, il m’a envoyé un mail et deux jours après j’ai eu une audition avec deux morceaux, « Tyrants » et « One By One », et quelques jours après j’étais à Bergen.
En avril 2015, le line-up d’Abbath a été annoncé et dans ce line-up, il y avait Baard Kolstad. Mais du coup, qu’est-ce qu’il s’est passé entre temps ? Parce qu’on n’a pas trop compris le changement…
Je crois que niveau humain ça ne l’a pas trop fait, au final, tout simplement. Ils ont recherché quelqu’un d’autre et coup de bol, c’est tombé sur moi. Et c’est là qu’ils ont fait l’annonce du line-up avec le personnage masqué de Creature à la batterie. En toute honnêteté, je pense qu’ils m’ont pris peut-être le jour même ou le lendemain où c’était fini avec Baard. Parce que de toute façon, ils étaient vraiment pressés, dans le sens où il y avait le premier concert, le Tuska Open Air en Finlande, qui arrivait bientôt. Et, en plus de la setlist pour le concert qu’il fallait apprendre et jouer, il fallait aussi apprendre le set du nouvel album qu’on a enregistré cet été, fin juillet, je crois. Et puis, les morceaux n’étaient pas complètement finis d’être composés. Il fallait quelqu’un qui soit disponible et motivé. Après, il y a pas mal de personnes qui ont pensé que c’était juste Baard déguisé derrière un masque, alors que pas du tout ! Après, on s’est demandé si ça valait vraiment le coup de faire un communiqué pour dire que ce n’était pas Baard. Au final, ça a plus rajouté un peu de mystère autour de tout ça et on s’est dit que ce n’était pas mal. Mais on est arrivé à un point où on se disait qu’il y a pas mal de monde qui croient que c’est encore Baard et ça serait un peu dommage que les gens pensent aussi que c’est Baard qui a enregistré l’album qu’on a fait cet été. Peut-être que même lui n’aimerait pas mes parties de batteries [rires]. Enfin, il y a plein de problématiques de ce genre. Donc, comme je disais, le groupe avait prévu de faire l’annonce en janvier, si je n’étais pas parti. C’est sûr qu’annoncer simplement que Creature n’est pas Baard aurait ajouté plus de mystère, mais vu les photos et les vidéos YouTube, il y en a déjà certains qui ont repéré les tattoos et ce genre de choses. Et forcément, le fait que Benighted n’a plus de batteur à ce moment-là aussi… Toi-même tu as fait le rapprochement avec Season Of Mist… Tout allait dans ce sens.
Et puis pour Wikipedia tu étais déjà mentionné comme étant Creature !
Oui, j’ai vu. Si Wikipedia le dit… [Rires]
C’est difficile de maintenir un secret ?
Je ne peux pas dire non plus que j’ai vraiment voulu maintenir le secret à fond. Et d’ailleurs, même eux, lorsqu’ils me présentaient à leurs amis, ils disaient : « Voilà, c’est Kevin, le nouveau batteur d’Abbath. » Ce n’était pas non plus un secret-défense comme ça peut l’être avec Ghost par exemple, où là, ouais, ils sont bien dans le secret – même si je sais qui c’est [petits rires maléfiques].
C’était quoi ta relation à la musique d’Abbath avant ça ?
Aucune [rires]. Non, forcément, je connaissais Immortal. Je les ai vus en concert au Hellfest en 2007, je crois, lorsqu’ils ont eu pas mal de soucis techniques au moment de monter sur scène. Ils ont dû faire quatre fois l’entrée sur scène même, à cause de problèmes électriques. Il y a quelques morceaux que j’avais entendu par ci par là que j’aime bien, « Sons Of The Northern Darkness », « Tyrants » qui est vraiment cool. Après, du coup, ça m’a fait découvrir I quand j’ai eu l’offre. Et pour le coup, je préfère I parce qu’il y a une approche un peu plus rock n’ roll. Gorgoroth (dans lequel le bassiste King Ov Hell a officié, NDLR) aussi, je connaissais de nom, forcément, mais je n’avais jamais écouté.
C’est vrai que dans ton CV tu n’as pas beaucoup de black metal…
Je n’en ai jamais fait du tout, même ! C’était une grande première pour moi le black metal.
« Abbath a été vraiment cool, il écoutait toutes les idées de tout le monde. […] Il disait qu’apparemment ça lui changeait beaucoup par rapport à Immortal. Il était content d’avoir des personnes qui se sentaient plus impliquées. »
Tu as participé à la composition de l’album ?
Oui. Alors, à la base, les morceaux en eux-mêmes, du moins, les riffs sont composés depuis quelques années, deux ou trois ans environs. Et c’était censé être le nouvel Immortal. Abbath lui-même les avait composés ; il composait tout dans Immortal depuis pas mal de temps. Et au final, on a juste apporté notre patte King et moi, ce qui donne un son un peu plus rock, moins triggé, moins calibré, beaucoup plus vivant. Abbath a été vraiment cool, il écoutait toutes les idées de tout le monde. Il était vraiment ouvert sur ce point. Il voulait justement notre retour et il disait qu’apparemment ça lui changeait beaucoup par rapport à Immortal. Il était content d’avoir des personnes qui se sentaient plus impliquées.
Il n’avait pas ce sentiment dans Immortal parce que les autres n’étaient pas très moteurs ?
Oui. Lui, il était tout le temps vraiment à fond. Comme il le dit lui-même dans les interviews, si ça ne tenait qu’à lui, Immortal serait tout le temps en tournée ! Et les autres ralentissaient, ralentissaient, jusqu’au moment où ça a explosé.
Pourtant les autres ont décidé de continuer malgré tout.
Eh bien, oui ! Grande surprise ! Je ne sais pas du tout ce qu’il se passe de leur côté.
Est-ce qu’Abbath t’en a parlé de cet épisode sur les différends juridiques avec les membres d’Immortal ? J’imagine que ça a dû être un peu douloureux…
Oui, ça l’est mais au final il n’en a pas tant parlé que ça. Il a plus envie de voir les choses aller de l’avant. Donc non, il n’a pas trop parlé d’Immortal, vraiment. De toute façon, je pense qu’il le sait depuis bien longtemps qu’Immortal, c’était fini. Et la création du groupe Abbath, ça faisait déjà depuis de longs mois qu’il en parlait. Même si forcément ça le chagrine un peu parce qu’Immortal, c’était aussi son bébé, je suppose, mais il en a quand même bien fait le deuil et il se concentre complètement sur Abbath.
C’était quoi ton challenge de jouer et enregistrer avec Abbath par rapport aux autres groupes et projets que tu as pu faire ?
On va dire déjà que c’est moins extrême que Benighted – bon, aussi plus extrême que certains groupes dans lesquels j’ai joué. Mais c’est une toute autre approche en termes de batterie. Il n’y a pas de trigger. Il a fallu beaucoup bosser la « patate » avec les grosses caisses. C’est beaucoup moins froid, beaucoup plus vivant. Après, avec Benighted, il y avait déjà pas mal de groove, du fait que j’écoute beaucoup de hardcore, que tout le monde écoute dans le groupe. Là, ce sera un groove un peu plus rock, donc une toute autre approche. Sans le renier – au contraire, je suis très fan de death metal -, j’avais aussi envie d’apprendre à jouer autre chose, de varier, de montrer que je pouvais faire un peu autre chose, sans paraître prétentieux non plus [rires]. A la base, je ne viens pas non plus du death metal, je viens plus du punk rock avec mon premier groupe.
Est-ce que tu penses qu’on va découvrir sur cet album un nouveau visage de ton jeu ?
Je ne sais pas trop… Après, la vérité, c’est que je ne suis pas non plus une super star, donc au final ce sera peut-être ce visage-là qui sera retenu plus que le visage dans Benighted. On ne peut pas dire que j’ai marqué l’histoire de la musique… Je ne sais pas trop. C’est sûr qu’entre les albums de Benighted et celui d’Abbath, il y a une grosse différence, en tout cas du point de vue du son de batterie. Le son de batterie d’Abbath est beaucoup, beaucoup plus naturel, il y a plus de nuances, il y a plus de vie. Après, est-ce que les gens vont plus ou moins aimer… Ce sont juste deux approches complètement différentes.
Comment s’est passé l’enregistrement avec le producteur Daniel Bergstrand ?
Énorme ! Le mec est ultra gentil, ultra drôle. Après, je n’y suis pas resté longtemps, j’y suis resté seulement trois jours, je crois. Les prises ont été relativement rapides. Il y avait une dizaine de morceaux. C’était un bon challenge, d’autant que je n’avais aucune guitare témoin, juste le clic et « go ». Pour lui, par contre, c’était un peu plus compliqué parce qu’il n’avait jamais entendu les morceaux et il les a découverts une fois que les guitares ont été enregistrées. Il ne savait pas du tout ce que j’enregistrais, donc il ne pouvait pas me dire : « Là tu pourrais faire ci ou ça. » Aucun recul. C’était un peu à l’aveugle pour lui. Comme je disais, le son est complètement naturel, aucun trigger, que du vrai micro. Après, je sais que ce qui marche le mieux en studio, c’est de frapper le plus fort et régulier possible, d’avoir la même frappe, donc j’ai essayé de marteler le plus possible. Ce qui était cool aussi, c’est qu’il y avait un drum tech qui était là et qui s’appelle Urban, et tous les deux, avec Daniel, ce sont les responsables d’EZDrummer (un logiciel basé sur des samples de batterie, NDLR). Ce sont de grosses, grosses pointures. Je n’ai jamais vu autant de micros à côté d’une batterie et de petits secrets d’ingénieurs du son. C’était vraiment génial de voir comment ils ont procédé pour l’enregistrement. A titre personnel, bosser avec Daniel, c’était un peu un rêve. Il a produit des groupes dont je suis ultra fan. Ce n’est sûrement pas le premier qui viendra à l’esprit de tout le monde mais ne serait-ce que Raised Fist dont je suis archi fan. Nine – un bon groupe de rock – avec l’album Killing Angels, c’est une de mes productions préférées. Après, son CV parle pour lui : Meshuggah, Strapping Young Lad, Dimmu Borgir, In Flames, Soilwork… J’avais adoré le boulot qu’il avait fait avec Soilwork, même si je suppose qu’il avait été bien aidé par Dirk Verbeuren, évidemment.
Le groupe s’appelle Abbath mais apparemment King y a quand même une certaine importance. Est-ce que tu peux nous en parler ?
Maintenant, il y a une manageuse qui s’appelle Christine mais King gère le groupe. Abbath gère la musique et King l’administratif, on va dire. C’est lui qui a recruté toute l’équipe technique, le booking, le label et mêmes les membres, c’était avec lui que j’étais en contact au début, pareil pour le guitariste. Je pense qu’Abbath a juste envie de se concentrer sur la musique, tout simplement. Surtout qu’à la base, ça ne devait pas être Abbath mais I – dont faisait partie King -, et au final, ils se sont dit que le groupe Abbath, ça aurait plus d’impact. D’où l’importance de King, malgré le nom du groupe. Les deux ont une part au moins aussi importante l’un que l’autre dans le groupe.
« Abbath est, je pense honnêtement, une des personnes les plus gentilles que j’ai rencontrées de ma vie. »
D’où est venu le personnage de Creature, à l’origine, et pourquoi t’être caché derrière un personnage ?
C’est King et Abbath qui ont pensé au personnage de Creature. Ils m’ont proposé de joindre le groupe en tant que Creature. Le nom, Creature, ça viendrait, a priori, de Creatures Of The Night de Kiss parce qu’Abbath est ultra fan de ce groupe. Ils n’avaient pas tout de suite le design du masque en soi, mais l’idée générale, oui. Déjà, je pense qu’ils voulaient juste un mec masqué parce qu’à la base, clairement, ils se sont dit qu’ils voulaient faire monter un peu la sauce et faire en sorte que les gens se demandent qui est le batteur. Je pense que c’est peut-être aussi parce que c’est un poste à « siège éjectable ». Mais oui, c’était juste pour apporter une touche de mystère au groupe, tout simplement.
Abbath et King ont le traditionnel corpse paint et toi tu dénotais un peu dans le line-up. On pense plus à Slipknot, par exemple. Pourquoi ne pas avoir opté comme eux pour le traditionnel corpse paint qui masque quand même le visage ?
Déjà, il y aurait quand même eu moins de mystère d’identité. Après, eux, ils se sont quand même dit que j’avais les tattoos et que ça se saura très vite.
C’est un peu le problème qu’il y a eu avec Slipknot et le nouveau bassiste…
… qui a les tattoos sur les mains, oui. D’ailleurs, c’est pour ça qu’ils n’en ont pas fait un immense secret dans Abbath. Ils ne m’ont pas non plus demandé de trop cacher mes tatouages, etc.
Je ne sais pas si la décision avait été influencée par ça mais le groupe Ghost fait pas mal de buzz en ce moment et a remis la « mode » des masques, de l’identité masquée, etc. au goût du jour.
Oui, mais ça n’a pas du tout été fait en fonction de Ghost. Ils s’en foutent de Ghost, ils ne connaissent pas. Moi, en l’occurrence, à titre perso, je leur ai dit : « Non mais les mecs, ça ressemble vraiment beaucoup à Ghost, avec les deux cornes, etc. » Les nouveaux masques de Ghost et le mien, ça se ressemblait un peu, même ma tenue. Mais non, c’était juste pour créer du mystère.
Tu as dit que le masque avait été moulé à ton visage. Comment a-t-il été réalisé et par qui ? Idem pour ton costume ?
C’est une new-yorkaise qui s’appelle Jolie Perez qui bosse dans le maquillage et la création de masque et qui l’a fait pour nous, à ma taille. Elle est venue exprès à Bergen pour faire un moule. Ça lui a pris un bon mois pour le faire. Le masque a été fait en argile, il fait trois ou quatre kilos quand même ! Le masque de Creature, quand on l’a sous les yeux, il est quand même vraiment impressionnant, de par la façon dont il a été fait, le design, etc. C’est assez bizarre à porter. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus simple pour jouer avec, c’est sûr ! Il était question au départ qu’il ne m’arrive que jusqu’au-dessus de la bouche et qu’il y ait donc la barbe qui ressorte. Mais on s’est dit au final que le masque complet du visage, c’était quand même ce qui rendait visuellement plus classe. On voulait juste quelque chose qui ait l’air d’une créature, qui ait l’air mystérieux, qui n’ait pas de connotation religieuse ou quoi que ce soit. Enfin, en même temps, King a une croix renversée sur le front [rires]. Ensuite, le jour où on a fait les photos à Londres, qui ont un peu circulé sur internet, on a été à Camden – c’est un peu la capitale européenne pour les vêtements de ce type. Moi, du coup, je me suis acheté un long manteau en cuir qui reste assez sobre et qui apportait aussi un peu sa touche de mystère au personnage.
D’ailleurs, le masque et le costume, tu les as gardés ?
Non, ils ont tout.
Tu as eu l’occasion de faire quelques dates avec Abbath. Comment ça s’était passé ?
On a fait le Tuska Open Air, le Heavy MTL, le Fall Of Summer – c’était cool de jouer à Paris -, un festival en Suisse, le Meh Suff, une date à Tokyo et trois dates en Australie. Donc, on en a fait huit, plus l’enregistrement de l’album qui sort le 22 janvier. Il y a toujours un peu la pression des premiers concerts mais c’est une pression positive. Après, sur les derniers concerts, non, on se sentait tous à l’aise. Sur les premiers concerts, il faut toujours s’habituer à ce qu’il se passe dans les retours. D’un groupe à un autre, ça change complètement. Et le fait que je n’avais pas de trigger, ça change pas mal la donne. Après, tout s’est très bien passé. Et le public est différent, par rapport à ce que j’ai pu voir avant. J’étais plus habitué à un public de furieux avec Benighted, avec tout le monde qui venait sur scène, qui slammait et pogottait. Là, c’est un public plus attentif, on va dire, à part sur les morceaux où il y a un peu de blast, les « One By One » et ce genre de titres où ça pogotte pas mal. Mais c’est plus un public « traditionnel » qui est plus là pour regarder le concert plutôt que de se défouler.
Et tu n’as jamais eu envie de laisser tomber ton masque parce qu’il était trop pénible pour jouer ?
[Rires] Non, pas vraiment. C’est marrant. Mais c’est sûr que si j’en étais arrivé au stade où nous allions faire des concerts d’une heure et demie, je pense qu’au bout d’une heure et quart ça aurait été un peu chiant. Mais au final, au début on sent le poids sur le crâne mais une fois que tu es dans le concert, tu n’y prêtes plus trop attention. Et j’avais un trou pour respirer et un trou pour boire. La vision, par contre, c’est différent, c’est un peu fermé. Rien que pour le jeu, j’étais obligé de tourner la tête si je voulais vraiment regarder mes cymbales à droite et à gauche.
Tu parlais des triggers, ça changeait quoi concrètement pour toi de ne pas en avoir ?
La grosse caisse a des micros, donc pour les passages où ça va plus vite, forcément, c’est une question de physique, quand tu frappes plus vite, tu frappes moins fort. Donc, la différence avec les triggers, c’est que quand tu joues avec, tu n’es pas obligé de frapper fort pour aller vite, alors que sans, tu es obligé de frappé fort, même si tu joues vite, pour qu’il y ait un son qui ressorte et que ce soit capté par le micro. Après forcément, quoi qu’il en soit, à moins d’être un ultra monstre, il y aura toujours une différence de volume entre les passages rapides et les passages lents. Par contre, de ce fait, les passages lents seront beaucoup plus vivants. Certes, les passages rapides sont peut-être moins agressifs, vu que la grosse caisse passe un peu en dessous au niveau volume, mais les passages lents ont beaucoup plus de vie, la durée de note est beaucoup plus longue avec la grosse caisse.
« Par rapport au second degré, c’est même une préoccupation pour [Abbath]. Il a limite un peu peur de passer pour ridicule, alors que ce n’est pas du tout son envie ! »
Ils mettent des compresseurs quand même…
Oui, il y en a mais il y a certaines vitesses dans les morceaux d’Immortal et d’Abbath qui sont quand même assez costaudes. Je ne dis pas non plus qu’on n’entend pas la grosse caisse mais le volume baisse beaucoup.
Comment tu décrirais la relation que tu entretenais avec les membres du groupe ?
Abbath est, je pense honnêtement, une des personnes les plus gentilles que j’ai rencontrées de ma vie. C’est marrant, parce qu’il est comme dans les interviews qu’on voit de lui sur YouTube, où il est complètement décalé et vraiment marrant. Il est exactement comme ça ! On s’entendait vraiment super bien. Et puis il y avait Per Valla de Vredehammer, qui est le guitariste de session et était là uniquement en live. Il est incroyable. Il est génial ! On se marrait tout le temps, fou rire sur fou rire, très drôle. On a été colocataires même à un moment, on a eu notre appart’ lui et moi cet été. Humainement, c’était vraiment cool. Et même avec toute l’équipe technique qu’il y avait autour de nous.
Abbath est quand même assez connu pour mettre du second degré dans son black metal. Est-ce que tu peux nous en parler ?
Une anecdote par rapport à ça : je lui ai demandé ce qu’il en était du clip dans la forêt (pour la chanson « Call Of The Wintermoon », NDLR) parce que, oui, beaucoup de monde trouve ça quand même ridicule. Et il m’a juste dit qu’à la base, c’est plus dans la façon dont ça a été retranscrit et filmé que ça paraît ridicule, alors qu’avec Demonaz, il se disait : « Si j’étais un diable, je marcherais comme ça ! » Par rapport au second degré, c’est même une préoccupation pour lui. Il a limite un peu peur de passer pour ridicule, alors que ce n’est pas du tout son envie ! Avec mille guillemets, il a l’air ridicule à l’insu de son plein gré [petits rires]. Mais après, oui, il a une approche très rock n’ roll. C’est clair que c’est un vrai showman.
Parce qu’il y aussi sa démarche sur scène…
Le crabe… C’est ça, justement, pour lui, à la base, ça vient du fait qu’avec Demonaz, ils se disaient si un diable ou un démon devait avoir une démarche, ce serait celle-ci, tout simplement.
Il y a aussi ces photos qui ont été prises à Londres où on voit Abbath te faire des cornes derrière la tête à ton insu…
Ah ouais ? [Rires] Je ne m’en souviens même pas !
Il y en a une autre où vous essayez de refaire la pochette d’Abbey Road des Beatles. Globalement, ils ont l’air d’être de grands blagueurs quand même !
Oui, quand même. Alors, à la base, l’idée de toute cette série de photos à Londres venait du fait qu’Abbath est fan de Kiss. Et Kiss a fait des photos aussi à Londres, je crois qu’il m’a dit en 75 ou quelque chose comme ça, en tout cas dans les années 70. Et il voulait retranscrire un peu ces photos avec le groupe Abbath. Après, pour la pochette des Beatles, on a trouvé un peu les lieux cultes de Londres. Quand on a cité Abbey Road, on s’est dit pourquoi ne pas faire Abbath Road. Il y a une photo où on est assis tous les trois sur un banc, avec le panneau derrière où c’est écrit en vrai Abbey Road, et justement ça a été trafiqué pour écrire Abbath Road. C’est sûr que si on dit qu’on se prend au sérieux avec des photos comme ça, on a un peu l’air idiot. C’était notre petit délire à nous. Faut bien se marrer à un moment ! Ceci dit, c’était une longue journée. De dix heures du mat’ jusqu’à dix-huit heures à se balader dans Londres comme ça pour les photos…
Qu’est-ce que tu retiens, au final, de cet épisode au sein du groupe d’Abbath ?
Des concerts cool, une nouvelle expérience et l’album que je trouve vraiment bien, j’en suis relativement fier. Des belles rencontres aussi, je garde contact avec toute l’équipe technique. L’enregistrement avec Bergstrand. Vraiment que du bon ! C’était ma première fois au Japon et en Australie. Après, j’ai fait partie du groupe mais avant la sortie de l’album, donc on a juste joué du Immortal, du I et un seul morceau qui figurera sur l’album, donc je n’ai pas vraiment eu l’occasion de jouer les vrais morceaux d’Abbath en concert, ce qui aurait été vraiment cool ; forcément c’est mon jeu de batterie, donc je suis plus à l’aise. Mais c’était quand même une chouette expérience.
C’est une déception pour toi de ne pas avoir pu jouer en concert ces morceaux sur lesquels tu t’es investi ?
Oui, évidemment parce qu’au moment où j’enregistre l’album et où je l’écoute pour la première fois, je me dis que je vais les jouer en live. Mais, sans rentrer dans les détails, étant donné la façon dont ça s’est passé, non, ce n’est pas une déception. Je n’ai aucun regret.
Dans le communiqué, tu dis que tu as hâte d’être en 2016. Est-ce que ça veut dire que tu as déjà des choses dans les tuyaux pour la suite, après la tournée avec Benighted ?
Concrètement, non. Mais de par cette expérience d’Abbath, oui, j’ai énormément de contacts. Je suis en très bon terme avec toute l’équipe technique. Il est même question que je sois, pourquoi pas, drum tech sur certaines tournées de gros groupes. Ce serait avec plaisir, ça me permettrait de rester actif. Mais grosso-modo, le but, c’est justement de rester actif et que ça me permette de vivre de la musique. N’importe quelle offre, si ça me plait, évidemment, sera étudiée. En tout cas, ça ne causera aucun tort à Benighted. Ils ne se retrouveront pas à l’ « arrache » à la dernière minute, à devoir annuler un concert à cause de moi ou quoi que ce soit. Donc, aucune offre concrète mais des choses qui se préparent un peu.
Tu vois ça comme un nouveau chapitre de ta vie qui s’ouvre ?
Oui, complètement. En tout cas, après la tournée avec Benighted, ce sera la première fois depuis mes dix ans, je pense, que je n’aurais pas de groupe et que je n’aurais aucun concert prévu, si je n’ai rien d’ici là. Forcément, ce sera ultra nouveau pour moi. Mais on verra bien ce qui pourra se passer d’ici là. Des offres, c’est vite arrivé. Abbath ou Sepultura ou tout ces groupes, si la veille on m’avait dit que j’allais jouer avec eux, je n’aurais pas cru et au final, ça s’est fait très, très vite.
Interview réalisée en face à face les 19 novembre 2015 et 12 décembre 2015 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Photos promo : Ester Segarra.
Photo live : Nicolas Gricourt.
Site officiel d’Abbath : www.abbath.net.
Merci Kevin et Spaceman pour cette interview qui transpire la sincérité dans les réponses et la pertinence dans les questions.
Abbath Road, top moumoute!
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