« Nous entrons dans un nouveau chapitre avec le groupe », nous disait le guitariste Mark Morton à l’occasion de la sortie de l’album sans-titre de Lamb Of God en 2020. Un nouveau chapitre semble-t-il marqué par la sagesse. Celle qui les a amenés à atténuer les égos, à revoir leur processus créatif pour revenir aux fondamentaux collaboratifs, à ne pas se prendre pour ce qu’ils ne sont pas et à apprendre du passé pour ne pas revivre les mêmes déboires. C’est d’ailleurs là tout le thème du nouvel album Omens : il faut savoir reconnaître les schémas qui se répètent continuellement pour briser les boucles délétères, les mêmes causes créant les mêmes effets. Ça vaut autant pour la vie de tout un chacun que pour l’humanité et son histoire. Mais la sagesse n’empêche pas la hargne : Lamb Of God s’est assurément nourri du climat de ces dernières années pour engendrer un album particulièrement percutant et virulent.
Nous parlons de tout ceci avec un Randy Blythe sirotant une bière… sans alcool (certains diront que la sagesse à ses limites), rentrant dans les rouages d’un album non seulement conçu « tous ensemble dans la même pièce », mais aussi enregistré live – chant compris – dans un studio ayant autrefois appartenu à Charlie Chaplin. L’occasion pour lui, d’ailleurs, de confesser et expliquer « détester être en studio », à la différence de Mark…
« En tant qu’artiste, j’ai tendance à refléter l’époque et cette époque est très perturbante [rires]. »
Radio Metal : Le précédent album était déjà un peu plus collaboratif, en tout cas entre Mark Morton et Willie Adler qui avaient travaillé sur la plupart des compositions ensemble. Mais Omens a l’air d’être encore un pas de plus dans cette direction, puisque vous vous êtes cette fois réunis dans votre QG pour une série de sessions de composition et de préproduction, sur la base de leurs riffs et en impliquant chaque membre. A quel point était-ce différent de travailler ainsi ?
Randy Blythe (chant) : Ça revient à retravailler à l’ancienne. Au début du groupe, tout se passait toujours comme ça, nous travaillions toujours ensemble dans une pièce. Puis internet est arrivé [rires] et les logiciels pour enregistrer à la maison sont devenus très bon marché et très accessibles. Pendant un moment dans le groupe, c’était plus Mark et Willie qui travaillaient tout seuls chez eux, alors qu’avant, nous étions tous réunis et nous enregistrions des trucs sur un magnétophone merdique. Je trouve que la meilleure musique vient quand tout le monde est ensemble dans la même pièce, il y a une magie qui opère. Avec l’album sans titre, nous sommes vraiment revenus à cette manière de faire et nous avons eu des sessions d’écriture plus longues. C’est à nouveau ce qui s’est passé avec ce nouvel album et je trouve que la musique en bénéficie. C’est ainsi que j’ai toujours voulu faire des albums. La technologie et tout c’est super, mais rien ne remplace le fait de rassembler tous les gars d’un groupe dans une même pièce, au lieu de s’échanger des fichiers par e-mail. Je ne suis pas en train de dire que la technologie c’est mauvais, car ça nous a permis de faire plein de choses, mais le rock n’ roll est censé se passer avec des mecs ou des filles qui interagissent en étant physiquement ensemble.
Qu’est-ce qui vous a poussés à ce retour arrière en termes de processus ? Avez-vous eu l’impression d’avoir atteint une limite à travailler via internet ?
Je pense que notre producteur en est en grande partie responsable. Sur les autres albums où il y a eu beaucoup d’échanges par e-mail, nous avons remarqué que lorsque les gars se retrouvaient pour travailler sur de la musique, ils se prenaient quand même mutuellement des riffs, les changeaient et travaillaient dessus. Les meilleures chansons sur ces albums viennent de là, donc c’en est arrivé à un point où nous voulions juste faire ça. Mark et Willie sont tous les deux chez eux à faire des démos sur leur ordinateur et tout, mais au lieu d’apporter une chanson complète en disant : « Voici la chanson », ils apportaient des parties, travaillaient dessus, les dépeçaient et les disséquaient. Il y a quelque chose de très impersonnel quand on travaille sur une chanson tout seul chez soi plutôt qu’en groupe. J’aime faire partie d’un groupe. Si je voulais juste faire des trucs solos sur un ordinateur, je pourrais toujours le faire [sans groupe].
L’album précédent a été enregistré au Studio 606 de Dave Grohl, sur la console légendaire des vieux studios Sound City. Cette fois vous vous êtes rendus aux historiques studios Henson Recording, fondés par Charlie Chaplin en 1917 et où un paquet de classiques ont été enregistrés (par les Doors, Pink Floyd, Soundgarden, Guns N’ Roses, Paul McCartney…). Est-ce que ça apporte une dimension supplémentaire aux sessions d’enregistrer dans un lieu historique aussi spécial ?
Evidemment, on peut enregistrer de la super musique dans un garage. Des groupes ont fait de merveilleux albums dans un garage, c’est certain. Mais le fait d’enregistrer dans ce studio était très spécial. Un autre aspect est qu’il possède une superbe pièce pour enregistrer la batterie. Comme je l’ai dit, on peut enregistrer une batterie dans un garage, on peut tout enregistrer dans un garage, mais quand tu as un studio spécialement conçu pour ça où tout sonne génial, on obtient un bien meilleur son, surtout avec la batterie. Avec cet album, nous avons aussi enregistré toutes les chansons live ensemble, en groupe. Ce n’était pas Mark qui enregistre ses parties, puis Willie, puis le batteur. Nous avons tout joué ensemble, moi y compris, même si j’étais isolé dans la cabine de chant pour chanter. Evidemment, nous sommes revenus sur les enregistrements pour insérer des corrections et revoir les pistes rythmiques individuellement, mais chaque chanson, excepté une parce que nous avons manqué de temps, c’est du live, tout le monde qui travaille ensemble, c’est dans la musique. C’est impossible de remplacer cette énergie.
C’était aussi vraiment cool d’être dans le studio de Charlie Chaplin parce qu’il a été construit en 1917. Evidemment, il l’a utilisé pour des films et ensuite, il y a de ça des années, ils ont converti certaines parties insonorisées en studios audio où, comme tu l’as dit, de grands classiques ont été enregistrés, mais Charlie Chaplin avait toujours sa pièce de projection où il montrait des films et tout. Donc un soir, ma copine est venue et ils ont aménagé la pièce pour que nous puissions regarder le film de Jim Henson, The Dark Crystal. Il n’y avait que moi et elle, dans le studio de projection privée de Charlie Chaplin, dans lequel il avait montré des films à toutes les célébrités de l’âge d’or d’Hollywood : Marlene Dietrich et ce genre de personne ; il y a même montré un film à Winston Churchill ! C’était donc vraiment cool pour moi de pouvoir me poser là-bas avec ma copie et de regarder un film dans le studio de Charlie Chaplin. C’était un super environnement !
« Si on s’extermine, peut-être qu’on ne mérite pas cette planète. Et ensuite elle repartira de zéro et avec un peu de chance, quelque chose de plus intelligent s’y développera. »
Tu as mentionné le fait que la majorité de l’album a été enregistrée live en studio, y compris pour toi qui as fait des prises de chant live sur tous les morceaux sauf un. Qu’est-ce que ça a changé pour toi en particulier en tant que chanteur ? Quels sont avantages et les inconvénients de cette approche ?
Pour moi, en tant que chanteur, ça m’a permis de ne pas autant détester le studio. Tout d’abord, je n’aime pas enregistrer. Je déteste ça parce que je suis là avec mes écouteurs, la plupart du temps à chanter pour une bande magnétique et je ne peux pas voir mes gars. Mon truc c’est le live, j’adore tourner, j’adore faire des concerts. Il y a une énergie qui passe quand on joue live qui est très dure à capturer en studio. Cette fois, même si j’avais quand même des écouteurs et que j’étais dans une cabine d’isolation, je n’étais pas sur une scène bruyante avec tout qui retentit, mais je pouvais quand même voir mes potes, je pouvais ressentir l’énergie. C’est dur à expliquer, mais ça se traduit sur l’enregistrement.
L’inconvénient de cette méthode est qu’il faut tout faire en une fois. On ne peut pas chanter juste une partie et s’arrêter, il faut le faire en une traite et comme c’est un studio d’enregistrement, il faut bien le faire. C’est vraiment le seul inconvénient, mais c’est aussi un avantage, je trouve, car quand tu es obligé de faire ça, tu apprends et ressens comment la chanson sera le mieux chantée en condition live. La plupart du temps, les gens nous demandent : « Est-ce que vous répétez ? » Et nous répondons : « Non, on compose l’album et on enregistre, ensuite on part en tournée et on apprend à jouer les chansons qu’on vient d’enregistrer » [rires]. Nous ne répétons pas ; si ça fait une éternité que nous n’avons pas joué, nous faisons le set une fois, mais c’est à peu près tout. Le fait d’enregistrer de cette manière m’a permis de bien mieux ressentir comment je pourrai exécuter les chansons en concert et où les respirations devront être prises. Ça paraît beaucoup plus naturel parce qu’on peut tout rendre parfait quand on enregistre avec Pro Tools et découpe en tout petits morceaux, mais quand tu dois faire ça live, il faut bien l’exécuter. C’est plus difficile, mais je trouve que c’est à la fois un avantage et un inconvénient, suivant comment on voit ça.
Dirais-tu que cet album est plus proche de ce qu’on obtiendra en concert quand on vous verra jouer ces chansons ?
Je n’ai pas encore tellement assimilé l’album et nous n’avons pas encore joué les chansons en concert, mais c’est ce que j’espère. Je ne peux pas dire avec certitude, nous n’avons pas encore beaucoup joué. Nous n’avons fait que deux ou trois concerts dans des festivals ici aux US où nous avons joué de nouvelles chansons. Mais c’est une question à laquelle je devrai répondre après avoir tourné un peu.
Mark a dit que le son de cet album est « un petit peu plus libre ». As-tu l’impression que vous avez brisé certaines chaînes avec Omens ?
Je ne sais même pas j’avais de quelconques chaînes avant !
Tu as personnellement beaucoup insisté sur le fait que c’était un album « extrêmement énervé ». Evidemment, on a tous vécu – et on vit toujours – des temps difficiles, pas seulement avec la pandémie, mais aussi avec des troubles sociaux, des problèmes politiques, etc. Dirais-tu que vous avez été comme une éponge émotionnelle et que vous avez évacué toute la colère et frustration de l’époque dans cet album ?
Je peux seulement parler pour moi, je ne peux pas parler à la place des autres, mais oui, c’est exactement ce qui s’est passé. C’est pourquoi j’ai dit que c’était un album très énervé. Ça a été une période extraordinairement stressante, avec la pandémie, les troubles sociaux, la situation politique et la Russie qui lançait la guerre en Ukraine… J’ai cinquante et un ans, j’ai été élevé durant la guerre froide, et j’ai l’impression que c’est la continuité. C’est super stressant. Donc pour moi, oui, absolument. Cependant, je pense qu’il est important de se souvenir que ce sont toutes des choses qu’on a vécues par le passé. Il y a eu des dépressions économiques, il y a eu des troubles sociaux, il y a eu de grandes guerres, il y a eu des épidémies… Tout ça s’est produit au cours de l’histoire humaine. On peut regarder l’histoire romaine qui a été écrite, toutes ces conneries sont déjà arrivées avant, c’est juste que ça se reproduit aujourd’hui. En tant qu’artiste, j’ai tendance à refléter l’époque et cette époque est très perturbante [rires].
« En ce moment, je suis plutôt en train d’essayer d’écrire un livre avec de la pensée positive et c’est très dur. C’est plus facile pour moi d’être négatif que d’être positif. Être positif requiert beaucoup plus d’effort. »
Tu fais remarquer que tout ceci est déjà arrivé avant. Penses-tu que ces points de vue apocalyptiques qu’on a aujourd’hui, comme si c’était la fin du monde, sont exagérés ?
Oui et non. Toutes ces choses se sont déjà produites par le passé, cependant, je pense que la différence principale avec ce cycle particulier de troubles ou peu importe comment on veut appeler ça, c’est le fait qu’il y a maintenant beaucoup plus d’êtres humains sur la planète qu’avant, disons, au temps des Romains. Il y a bien plus de consommation et nous avons la technologie, les outils et les armes pour causer des dommages catastrophiques à l’environnement au point de rendre notre planète incapable de soutenir la vie humaine. A n’importe quel moment, il suffit que deux personnes prennent une mauvaise décision et pressent le bouton pour que les bombes atomiques se mettent à voler, et alors toute vie sur Terre telle que nous la connaissons prendra fin. Ce n’est pas imaginaire, c’est un fait. Ça pourrait se produire dans vingt secondes. C’est la grosse différence pour moi. Ceci étant dit, j’essaye de regarder les choses sur le long terme, j’espère que ça n’arrivera pas. La planète ira bien, ce sont les êtres humains qui pourraient ne pas s’en sortir, comme l’a dit George Carlin. Si on s’extermine, peut-être qu’on ne mérite pas cette planète. Et ensuite elle repartira de zéro et avec un peu de chance, quelque chose de plus intelligent s’y développera.
L’album s’intitule Omens (présages) : ces chansons sont-elles de bons ou mauvais présages ?
Le truc avec Omens, c’est que c’est un peu ironique. Dans cette chanson, je raconte que la plupart du bordel et des mauvaises situations dans lesquelles les êtres humains se retrouvent auraient pu être entièrement évités si on avait fait attention et vu ces schémas qui se reproduisent continuellement. Comme je l’ai dit, dans l’histoire, il y a eu des épidémies, des déclins économiques, des troubles civils, des guerres à grande échelle… Une fois qu’une de ces choses se termine, disons la Seconde Guerre mondiale, les gens sont toujours là : « On ne peut pas permettre que ça se reproduise », ils apprennent. Puis le temps passe et les gens commencent à oublier, et de petites choses commencent à se produire et la machine de guerre se remet lentement en action. Ça n’arrive pas du jour au lendemain, ça se fait progressivement. Ce que je dis dans cette chanson, c’est de prêter attention, que ce soit dans un contexte sociopolitique plus large ou dans sa propre vie, si on fait quelque chose et que ça ne marche pas. En l’occurrence, pour moi c’est l’alcoolisme. Je n’ai pas bu une goutte d’alcool en douze ans, mais pendant vingt-deux ans, je buvais énormément et ensuite de mauvaises choses m’arrivaient. Est-ce que j’y ai prêté attention ? Non, j’ai continué à boire ! Donc si je n’avais pas été un tel idiot et que j’avais prêté attention à ce qui se passait, peut-être que j’aurais arrêté plus tôt. J’ai dû apprendre à mes dépens. Il se passe énormément de choses aujourd’hui qui sont évitables et auxquelles les gens ne font pas attention. C’est donc un « j’emmerde tout, je me fiche de tous ces présages » ironique et sarcastique, car ce ne sont pas vraiment des présages, ce sont juste des manifestations de schémas historiques qui se répètent continuellement.
Penses-tu que, plus que jamais, tu avais besoin de Lamb Of God en tant qu’exutoire ou même que catharsis ?
Je ne sais pas. Je ne dirais pas particulièrement ça parce que c’est un peu une constante dans ma vie. J’ai aussi d’autres activités artistiques, je suis photographe, je suis un écrivain… En ce moment, je suis plutôt en train d’essayer d’écrire un livre avec de la pensée positive et c’est très dur. C’est plus facile pour moi d’être négatif que d’être positif. Je pense que c’est vrai de beaucoup de personnes car on réagit aux choses et être positif requiert beaucoup plus d’effort. Donc je ne sais pas si je dirais que j’avais besoin de Lamb Of God, c’est ce que c’est et ça reste ce que ça a toujours été. Comme je l’ai dit, un artiste reflète son époque. La légendaire Nina Simone a elle-même dit que c’était le devoir de l’artiste, et c’est selon moi ce que j’ai fait durant toute notre carrière, je n’ai pas vraiment le choix.
On dirait que tu élargis continuellement le spectre de ton chant, comme le prouvent des chansons telles que « Overlord » et « Bloodshot Eyes » sur les albums précédents et maintenant « Nevermore ». Comment travailles-tu en ce sens, en particulier dans le domaine du chant clair ?
J’essaye juste de chanter. En tant qu’artiste, la seule chose qui me permet de rester aussi longtemps dans ce groupe, c’est si j’essaye différentes choses. Je ne peux pas me contenter de faire sans cesse la même chose. Evidemment, je chante beaucoup dans le style que j’ai toujours eu, mais je veux élargir mes capacités. C’est une démarche très consciente sur chaque album, y compris avec le chant crié, en essayant de trouver une hauteur différente. Dans cet album, il y des tonalités dans le chant crié que je n’avais jamais utilisées avant. Il y en a une dans « Nevermore », quand nous l’avons maquettée, j’ai fait un cri et mon producteur et moi, nous nous sommes regardés et nous étions là : « Ouah, d’où c’est venu ? » C’était un nouveau cri, c’est un son légèrement différent. Le fait de travailler là-dessus, d’essayer quelque chose au moins d’un peu différent sur chaque album et, comme tu le dis, de se développer en tant que chanteur, ça me pousse à revenir. Ça ne me satisfait pas de faire continuellement la même chose.
« Je vais me coucher tous les soirs avec un mal de tête à force de crier, ma gorge me fait mal, je peux parfois entendre mes propres mots qui tournent en boucle dans ma tête. J’ai l’impression de devenir fou quand je fais un album. »
Malgré tout, tu utilises encore ta voix claire parcimonieusement. As-tu peur de gâcher Lamb Of God ou de rebuter les fans si tu l’utilises trop ?
Non, je m’en fiche ! [Rires] Nous écrivons de la musique pour cinq mecs. Nous sommes très reconnaissants envers les fans, ils nous ont permis de vivre de ce groupe, mais je pense qu’ils comprennent que nous écrivons de la musique pour nous. Je l’ai déjà dit auparavant et je le redis, il faut que nous soyons contents de notre propre musique. Ça signifie que nous la composons pour nous. Donc si nous sortons quelque chose et que j’en suis satisfait et que les gars en sont satisfaits, c’est suffisant. Certaines personnes vont aimer, d’autres pas. C’est la vie, comme vous dites en France ! C’est notre musique, il faut que nous en soyons contents.
Donc j’imagine que si tu ne l’utilises pas plus, c’est simplement parce que les chansons ne le réclament pas…
Exactement. Je ne vais pas me mettre à utiliser la voix claire si je ne pense pas que ça convient. Je respecte ce qu’est Lamb Of God. Je respecte ce que nous avons construit et je respecte l’identité et le son que nous avons façonnés au fil des années. Mais si une chanson ne le réclame pas, je ne l’utiliserai pas. Quand il y a du chant clair, c’est toujours naturel. Ce n’est jamais : « Ecris une chanson de façon à ce que je puisse essayer de faire du chant clair. » C’est toujours plutôt que moi ou mon producteur, nous allons entendre quelque chose et penser que nous pourrions essayer du chant clair à tel endroit. Ce n’est jamais un effort conscient. Si c’est là, c’est là, si ça ne l’est pas, ça ne l’est pas.
Tu as déclaré par le passé que faire un album de Lamb Of God « n’est généralement pas une expérience plaisante à vivre » et c’est un peu ce que tu disais tout à l’heure. C’est drôle, parce que la dernière fois, j’ai fait réagir Mark à ça et il n’était pas d’accord, il disait que « composer, enregistrer et être en studio, c’est ce qu[’il] préfère dans [v]otre métier ». Est-ce que ça veut dire que vous vivez deux expériences très différentes quand vous faites un album ?
A cent pour cent, oui. Mark adore le studio. Moi, je n’aime pas. Je déteste être en studio. J’adore notre producteur, c’est notre pote. J’adore les gars dans mon groupe, j’aime faire de la musique avec eux, mais je n’aime pas le studio. De même, Mark compose des riffs de guitare et la plupart du temps, il n’écrit pas de paroles. C’est arrivé qu’il le fasse, mais il écrira quelques textes et ensuite se remettra sur sa guitare. Ce que je fais est émotionnellement épuisant, particulièrement parce que, comme je l’ai dit, nous reflétons l’époque et c’est différent. De même, physiquement, c’est une expérience très différente pour moi d’enregistrer un album en comparaison de Mark. Je vais me coucher tous les soirs avec un mal de tête à force de crier, ma gorge me fait mal, je peux parfois entendre mes propres mots qui tournent en boucle dans ma tête, rien que des fragments, encore et encore, parce que je les chante encore et encore. J’ai l’impression de devenir fou quand je fais un album. Je suis content que lui apprécie le studio, il nous faut des gens qui aiment ça, mais je n’en fais pas partie [rires]. Nous vivons une expérience très différente quand nous enregistrons, car lui adore ça. D’un autre côté, Mark déteste tourner. Il aime se poser chez lui et jouer de la guitare, mais ce n’est pas comme ça qu’on vend des t-shirts ! [Rires]
Est-ce que ça te rend anxieux avant d’aller en studio pour enregistrer un nouvel album ?
Bien sûr, à chaque fois. Chaque putain de fois. Je suis là : « Merde, il faut qu’on aille enregistrer un album. » Pas une seule fois dans toute ma vie j’ai dit : « J’ai trop hâte d’aller en studio enregistrer un album de Lamb Of God. » Carrément pas, ça craint. C’est un mal nécessaire.
Il y a un côté à la Slayer dans les riffs de « Greyscale » et vous avez fait partie de leur tournée d’adieu. Maintenant qu’ils se sont retirés, n’y a-t-il pas une place à prendre pour un groupe comme Lamb Of God ?
Non. Personne ne prendra jamais la place de Slayer. Slayer est Slayer. Je ne pense même pas comme ça. Ce sont de bons amis, je les adore. Je ne serais jamais arrogant au point de dire que nous allons prendre la place de Slayer. Personne ne peut prendre la place de Slayer. Personne. C’est Slayer. Je comprends ce que tu dis et c’est très flatteur. Tu n’es certainement pas la première personne qui me parle de ça, mais j’essaye de ne pas penser à ce genre de chose car sinon, je pense qu’on devient égocentrique. Et quand on devient égocentrique, la musique en souffre. Nous essayons juste d’être le meilleur Lamb Of God que nous pouvons être. C’est tout ce que nous pouvons être, nous ne pouvons pas être Slayer, nous ne pouvons pas être Black Sabbath, nous ne pouvons être personne d’autre que nous et nous sommes contents d’être nous. Concernant le morceau « Greyscale », je n’y avais jamais pensé dans le contexte de Slayer – peut-être que les guitaristes l’ont fait. On a tous des influences. Tous les groupes ont des influences. Slayer a des influences. Donc étant de notre génération dans la scène metal, bien sûr, Slayer est une de nos influences, mais ce n’est pas quelque chose auquel nous réfléchissons. Ce n’est pas comme si nous allions écrire une chanson de Slayer ou je ne sais quoi. C’est ce que c’est : une influence.
« Je ne serais jamais arrogant au point de dire que nous allons prendre la place de Slayer. Personne ne peut prendre la place de Slayer. J’essaye de ne pas penser à ce genre de chose car sinon, je pense qu’on devient égocentrique. Et quand on devient égocentrique, la musique en souffre. »
Concernant l’entente au sein de Lamb Of God, Mark a dit que « les rouages internes du groupe n’ont jamais été meilleurs ». Ils n’ont pas toujours été bons ?
Non, nous avons toujours été très batailleurs les uns envers les autres, en particulier durant le processus d’écriture. Ce qui s’est passé, je pense, est que nous avons tous vieilli et mûri. Chaque membre de ce groupe a, à un moment ou un autre, été obstiné, en voulant que les choses soient faites à sa façon, car on s’attache trop à nos idées au lieu de se soucier de ce qui est le mieux pour la musique. Avec l’âge, nous avons vraiment essayé d’écraser nos égos et nous avons appris à plus travailler ensemble pour le bien de la musique. Nous sommes vieux, mec ! Une partie d’entre nous ne boit plus d’alcool maintenant. Il n’y a plus autant de chaos et c’est bien, car le monde est suffisamment chaotique comme ça. C’est à cent pour cent une question d’expérience et d’acquisition d’une forme de sagesse. Nous étions idiots quand nous étions plus jeunes [rires].
D’ailleurs, avec quel regard repenses-tu au jeune Randy Blythe ?
J’ai fait plein de choses stupides. Je pense que c’est à ça que sert la jeunesse, à faire des trucs stupides et avec un peu de chance, apprendre grâce à ça. A bien des égards, je suis une personne très différente, et à bien des égards, je suis exactement le même que quand j’étais plus jeune. J’ai toujours envie d’écrire de la musique qui aborde des sujets importants. Je n’ai pas envie d’écrire à propos de dragons, d’elfes et toutes ces conneries. Je veux écrire de la musique qui compte, qui au moins discute de l’état du monde. Je pense qu’avec l’âge, je retiens mieux mes impulsions qui me faisaient exploser ou peu importe. J’essaye aussi d’avoir mieux conscience de ce que je peux et ne peux pas contrôler. J’essaye de me concentrer davantage sur ce que je peux changer et sur ce qui est de mon ressort, sans trop me soucier de toutes les conneries que je ne contrôle pas, et il y en a beaucoup !
Ça fait dix ans maintenant depuis le douloureux épisode où tu as été arrêté, inculpé, détenu en garde à vue et jugé en République tchèque. Dix ans plus tard, que gardes-tu de cette expérience ? Est-ce que ça a changé quoi que ce soit pour toi, en tant que personne ?
C’était une expérience vraiment malheureuse et triste. Bien sûr, j’y pense tous les jours d’une façon ou d’une autre, mais il faut avancer dans la vie. Ça m’a rendu beaucoup plus conscient du besoin que tout le monde soit le plus en sécurité possible. Ça a fait que nous et d’autres groupes également – nous ne sommes pas les seuls – prêtons beaucoup plus attention à la sécurité. Je continue à faire ce que j’ai toujours fait, mais il y a eu d’énormes défaillances au niveau de la sécurité lors de ce concert, donc le groupe, notre tour manager et ainsi de suite, nous faisons tous très attention à vérifier du mieux possible le contrat et nous assurer qu’il est bien rempli et toutes ces conneries.
Interview réalisée par téléphone le 29 juillet 2022 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Travis Shinn.
Site officiel de Lamb Of God : www.lamb-of-god.com
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