Interroger Magnus Pelander à propos de son groupe Witchcraft peut s’avérer être une expérience troublante. Ce sont deux motivations opposées qui s’affrontent, presque incompatibles. Le journaliste creuse pour obtenir des réponses de l’artiste, alors que l’artiste affirme ouvertement qu’il n’a pas de réponse à donner, que c’est à l’auditeur de les trouver en lui-même. En résulte une sorte de tension entre l’un qui essaie d’extirper des informations que l’autre retient. Qu’on ne s’y trompe pas, Magnus n’en demeure pas moins un personnage adorable et même plutôt patient (il a accepté de rester plus d’une heure au téléphone), juste un peu « mystique », très légèrement agacé lorsqu’on aborde d’emblée le sujet des changements de line-up dans son groupe, pour lesquels il dit n’avoir aucun intérêt mais qui pourtant résulte pour une bonne part du mode de fonctionnement de Witchcraft.
Il avouera d’ailleurs ne pas vraiment aimer l’exercice de l’interview, des photos promotionnelles et, de façon générale, tout ce qui touche à la couverture médiatique. Mais s’il s’y plie, comme il le confesse, c’est parce que c’est le jeu et encore le moyen le plus efficace de faire connaître sa musique. Et justement, on peut dire que son nouvel opus Nucleus, d’une qualité rare, en valait bien l’effort. Reste que Pelander prend plaisir à entretenir le mystère, celui qui force à la réflexion, quitte à user parfois d’un humour quelque peu absurde (notamment au sujet du groupe compatriote Ghost, il nous ferait presque douter : et s’il était ou avait été l’un des membres masqué ?). Curieusement, la discussion n’en demeure pas moins très intéressante. En tout cas, espérons qu’après cette lecture, son message sera passé.
« C’est tout ce que nous faisons [petits rires] : expérimenter avec l’univers ! »
Radio Metal : Witchcraft est de retour avec un tout nouveau line-up. Tous les musiciens qui ont joué sur l’album Legend sont partis, excepté toi. Que s’est-il passé avec eux ?
Magnus Pelander (chant/guitare) : Ça fait si longtemps que pour moi, ça n’est plus vraiment pertinent. Je suis simplement content de pouvoir faire des albums. J’ai de la chance parce qu’on dirait que les gens aiment ce que je fais, donc je vais sans doute continuer [petits rires]. Qui est dans le groupe n’est pas très important. Ce qui importe, dans le meilleur des mondes, c’est de pouvoir inspirer quelqu’un avec sa musique. C’est la clef. Witchcraft, c’est grosso-modo moi, et les autres gars qui ont fait l’album Nucleus sont tous des amis à moi qui ont accepté de le faire. Donc, tu ne sais pas qui sera sur le prochain album. Ca a toujours fonctionné ainsi.
Tu n’aimes pas avoir un line-up stable dans ton groupe ?
Je ne sais pas. C’est quelque chose de très personnel. [Il hésite] Donc, la chose la plus importante, c’est de se concentrer sur la musique. Je veux dire que si tu écoutes l’album, tu n’es pas censé penser à qui est dans le groupe ou pourquoi je choisis ces gens. Ce n’est pas très important.
Penses-tu que les gens se focalisent trop sur les personnalités qui composent un groupe, de façon générale ?
Je ne sais pas de quoi parlent les gens [petits rires]. Je peux juste dire ce que je pense.
Est-ce que ça signifie qu’avec tes groupes favoris, tu te fous de savoir qui les composent ?
Parfois, parfois pas.
Sur l’album Legend, tu avais mis de côté la guitare pour te concentrer sur le chant, or là, avec le nouvel album Nucleus, non seulement tu t’es remis à la guitare mais en plus, pour la première fois, tu t’es chargé de toutes les parties de guitares. Qu’est-ce qui a déclenché ce revirement ?
Ca fait si longtemps que c’est arrivé… C’est juste la vie, vraiment. C’est comme pour la musique, il faut être aussi ouvert que possible et voir ce que tu peux faire avec toutes les possibilités et non-possibilités. Au final, il se trouve que je suis à la guitare et je pense que j’ai relevé le défi ! Il y a plein de facteurs qui expliquent ça – bien trop pour les aborder – mais j’ai décidé de le faire et j’aime ça. Voilà un facteur important : je trouve ça super amusant !
Le groupe revient en tant que trio. Est-ce qu’il se pourrait que ce soit une configuration de groupe qui te convienne mieux, dans le sens où moins de musiciens signifie moins de prise de tête et une communication plus facile ?
Ouais, c’est assurément plus facile de communiquer lorsqu’il n’y a que trois personnes. Je suis d’accord avec ça. C’est facile. C’est facile de faire passer ton message lorsque tu es en salle de répétition également. J’aime cette configuration en trio, ça marche comme sur des roulettes. Mais j’ai joué avec cinq, quatre et trois personnes… Je ne sais pas, j’apprécie toutes ces configurations, en fait.
Peux-tu nous présenter tes deux collègues actuels, Rage Widerberg et Tobias Anger ?
Tobias jouait dans un groupe qui s’appelait 2 Ton Predator dans les années 90. Il a aussi son propre groupe qui s’appelle All Hell – un groupe plutôt bon, ils devraient être mieux reconnus. Pour couronner le tout, c’est un mec vraiment sympa et je suis ami avec lui depuis plus de vingt ans. Rage est un multi-instrumentiste qui s’apparente au Dave Grohl d’Örebro. Il joue avec plein de musiciens différents et de groupes. C’est un mec adorable et apprécie vraiment le processus créatif pour faire de la musique.
Quelle a été leur implication dans la musique de Nucleus ?
Eh bien, j’écris toute la musique. J’ai fait quelques démos sur guitare avec Rage dans son studio. C’est un mec qui respire la joie de vivre et qui est très créatif. Parfois, si je suis coincé sur quelque chose, c’est super d’avoir quelqu’un avec qui échanger des idées. Il est incroyable. Je lui disais : « Hey Rage, est-ce que c’est vraiment bien ? » J’ai de la chance d’avoir des gens qui m’entourent. Et puis nous avons été en salle de répétition avec toute la musique écrite et avons travaillé dessus. Puis nous avons été en studio et avons continué à travailler dessus. Chaque processus a quelque chose de particulier. Ça n’arrête pas d’évoluer, même durant le mixage, jusqu’à la fin.
« Ça reste de l’art, ce n’est pas un manuel d’instruction […]. Il faut penser par soi-même et pouvoir tirer ses propres conclusions sans que quiconque nous explique ce qu’il faut penser, ce qu’il faut faire. »
Plus tôt tu disais que « tu ne sais pas qui sera sur le prochain album. » Est-ce qu’ils sont d’accord avec ça ?
Ouais ! Ils n’ont aucun problème avec ça. Nous nous sommes juste mis d’accord pour faire cet album. C’était le but, d’en quelque sorte enchaîner sur le succès du dernier album. Ils sont assez d’accord avec ça. Ils ont leur vie, ce sont des pères de famille, ils ont un travail principal et plein d’autres choses à faire. Je pense qu’ils se sont dit que ce serait un truc amusant et sympa à faire.
Et n’as-tu pas eu peur qu’ils ne se donnent pas à cent pour cent parce qu’ils ne font pas vraiment partie du groupe ? Comment les motives-tu ?
Tu le vois si quelqu’un ne met pas tout son cœur à l’ouvrage. Et je pense qu’ils y ont mis tout leur cœur. Lorsque tu vas en répétition, ce sera tout de suite évident si quelqu’un n’est pas dedans [petits rires], crois-moi ! Tu le remarqueras ! Ça ne vaut pas que pour la musique. Si tu as un projet et que quelqu’un n’est pas dedans, tu le remarqueras.
Sur cet album, tu as collaboré avec les producteurs Philip Gabriel Saxin et Anton Sundell. Pourquoi avoir choisi de collaborer avec deux producteurs ?
Je ne sais vraiment pas. Je suis le producteur principal, même si je ne connais pas grand-chose aux trucs techniques. C’était surtout moi et Philip. Philip est le gars qui sait comment faire les choses [petits rires]. Moi, je sais juste ce que je veux, quels genres de choses je recherche, et j’essaie de lui expliquer. Anton était plus un coproducteur et surtout le mixeur, en fait. Encore une fois, c’est juste la vie. Je ne prévois rien. Peut-être que la prochaine fois ce sera cinq personnes [petits rires]. Pas que je pense que ça se passera comme ça, ce serait un peu dingue. Mais Anton était dans les parages et il appréciait d’être impliqué dans le projet, et il sait pas mal de choses. Il était impliqué par intermittence au départ et il a été nécessaire lorsque est venu le moment de faire le mixage. Anton a donné de très, très bons conseils.
Tu as qualifié le producteur Philip Gabriel Saxin d’ « espèce rare ». Qu’est-ce qui te fait penser ça ?
Oh, il faudrait que tu le rencontres ! C’est impossible à expliquer ! Mais c’est difficile de le rencontrer parce qu’il a des heures différentes [rires]. Peu de gens ont l’occasion de le rencontrer ! C’est peut-être un extra-terrestre. Je n’en suis pas vraiment certain… [Rires]
Et à propos d’Anton Sundell, tu as dit qu’il « est la personne la plus diabolique » que tu connaisses. Qu’est-ce qui le rend si diabolique ?
C’est surtout son sourire. C’est un rictus diabolique.
Nucleus propose de la musique aventureuse et des arrangements très intéressants, comme du violoncelle, du chant féminin et même de l’accordéon. Est-ce que tout était permis en termes d’expression artistique ?
Peut-être. J’imagine qu’il faut quand même mettre une limite quelque part. « Tout est permis », je suppose, est une assez bonne explication mais quand même, tu ne peux pas partir complètement en vrille, tu dois t’imposer une limite. Mais je suis très ouvert à essayer de nouvelles choses et à simplement être honnête vis-à-vis de ce qui se produit dans tout type de situation où on est créatif. Si tu as une idée, simplement, essaie là. Ça vaut le coup, je trouve. Je dirais que celui-ci et le premier [de nos albums], peut-être sont ceux dans lesquels j’ai eu le plus de liberté. Peut-être parce qu’ils ont été enregistrés pas très loin de chez moi. Je dirais que c’est un facteur important, et le fait que j’étais le producteur principal. Je ne sais pas si c’est une bonne chose ou pas [petits rires] mais, en tout cas, je me suis beaucoup amusé à le faire [rires]. C’est en gros ce que j’ai dit : lorsque tu écoutes [ce que tu fais], tu obtiens une idée et tu l’essayes. Il se peut aussi qu’une partie soit des idées de Philip, il ne faudrait pas l’oublier. Il a eu quelques idées géniales lui aussi. Même Rage, le batteur, c’est une personne très créative, donc je ne devrais pas omettre de lui accorder du crédit.
Ce n’était donc que des expérimentations ?
Ouais. C’est tout ce que nous faisons [petits rires] : expérimenter avec l’univers !
L’album va de passages sombres et vraiment heavy à d’autres plus légers et émouvants. Et puis il y a une chanson qui fait à peine plus de deux minutes et une autre de seize minutes. Est-ce important d’avoir ce large éventail et cette grande dynamique dans votre musique, pour embrasser un spectre complet, pour ainsi dire ?
Ouais, j’apprécie beaucoup ça, le fait d’avoir autant… Enfin, pas tout le temps mais si j’ai l’occasion de mettre une variation, j’aime vraiment ça. Et, à la fois, je ne pense pas qu’on devrait trop réfléchir à ça, à la façon dont la musique se développe, car ça vient du cœur, ça vient du fait d’être ouvert et ça vient de l’inspiration. Qui sait ? Peut-être que le prochain album sera bien moins varié et expérimental. Tant qu’il suit notre cœur et reste fidèle à notre jus créatif, je pense qu’au final tout ira bien. Que ça fasse deux minutes, cinq minutes, dix minutes, vingt minutes ou… Qui sait ? Peut-être pas quarante minutes [rires], c’est très long mais on ne sait jamais ! Il faut donc rester fidèle à ce qui se passe au fond de nous.
« Composer est quelque chose de très naturel pour moi […]. Personne ne m’a jamais vraiment appris comment faire. Je me laisse un peu porter par le courant, ouais. C’est un peu comme partir en balade, en fait [petits rires]. »
L’illustration et le nom de l’album, Nucleus, sont assez énigmatiques. Quelle est l’idée globale derrière cet album ?
C’est grosso-modo le même message que l’album précédent et aussi le message qui dit que tu devras trouver par toi-même quel type de… Tu sais, si ça résonne en toi, peu importe ce que tu ressens, c’est ça la signification pour toi ! L’idée, c’est de penser par toi-même, et même de penser librement. Ça reste de l’art, ce n’est pas un manuel d’instruction, comme un problème mathématique. C’est une question de s’ouvrir. Il faut penser par soi-même et pouvoir tirer ses propres conclusions sans que quiconque nous explique ce qu’il faut penser, ce qu’il faut faire. Peut-être que sur le long terme, c’est une question d’être une personne et un être humain plus libre. En ce qui concerne l’illustration, c’est toujours un peu délicat de trouver une bonne pochette d’album qui colle. Cette image, je suis un peu tombé dessus accidentellement en navigant tranquillement sur internet. Elle a été faite par un Américain qui s’appelle Andy Gilmore, et instinctivement, j’ai immédiatement senti que ce serait ça l’illustration. Et essentiellement, elle résonne en moi. Si tu as ce sentiment, je pense qu’il n’y a pas de question à se poser. Ce n’est pas toujours facile parce que, tu sais, peut-être qu’il existe quelque chose de mieux [petits rires]. Mais je suis content de celle-ci.
Penses-tu que les gens contraignent un peu trop leur expérience musicale en appliquant des étiquettes et en ayant des préjugés, et aussi en sur-analysant ?
Ouais, c’est clair. Mais d’un autre côté… Je veux dire que je ne peux pas en porter la responsabilité [rires]. Ils me demandent des choses qui, je trouve, sont… J’imagine que c’est un peu humain de sur-analyser les choses mais moi, je ne vais pas le faire avec mon art parce que lorsque ça fonctionne bien et que c’est bon, ça n’a rien d’intellectuel mais… Ouais, il y a quand même un aspect intellectuel, mais la chose la chose la plus importante, c’est d’être en phase avec soi-même. Lorsque tu sur-analyses, tu sais bien ce qu’il se passe [rires], tu finis un peu nulle part !
Est-ce que ça signifie que tu ne forces jamais rien dans ta musique, ni même dans ta vie ? Comme si tu te laissais porter par le courant…
Tu vois, tu sur-analyses [rires]. Non, je veux dire que pour ce qui est de la musique, c’est très naturel pour moi. J’imagine que j’ai de la chance ! Il y a beaucoup de choses qui entourent [ma musique]. Je travaille extrêmement dur, c’est ma vie. Je donne tout, tout, tout, tout, tout, tout pour la rendre bonne mais j’ai quand même une fibre naturelle. Composer est quelque chose de très naturel pour moi, bien que ce ne soit pas comme si je me réveillais en écrivant une chanson, car ça prend beaucoup de temps mais je pense quand même avoir eu le truc dès le départ. Personne ne m’a jamais vraiment appris comment faire. Je me laisse un peu porter par le courant, ouais. C’est un peu comme partir en balade, en fait [petits rires]. Ceci dit, pour ce qui est de la vie, c’est une autre histoire. J’aimerais bien rencontrer quiconque n’a jamais eu à forcer quoi que ce soit [rires]. Peut-être est-ce que ça vaudrait le coup qu’on se penche là-dessus, voir si l’on se force ou pas.
Tu as dit que tu donnais tout pour faire de la bonne musique, mais y a-t-il parfois des limites ? Comme par exemple si tu voulais avoir un orchestre au complet…
[Rires] Ouais, ça, ce sera difficile ! Dans la mesure où je fais tout ça moi-même… Bon, j’ai été aidé par Philip et Rage, bien sûr, mais tu n’as qu’une quantité limitée d’énergie. Donc, par exemple, tu dis : « Hey, je veux un orchestre ! » Ouais, il se peut que ça sonne bien dans ta tête mais ensuite, en réalité, tu vas avoir besoin d’en trouver un, tu devras réserver du temps, il y a des deadlines, etc. Tu seras obligé de redescendre sur terre [rires].
Tu dis que tu fais tout toi-même, à l’exception de l’aide que t’apportent tes collègues. Est-ce important d’avoir un contrôle total sur ta musique et livrer l’intégralité de ta vision musicale, sans compromis ?
Peut-être pas un contrôle total… Bon, ouais, je suppose que le terme que tu cherches c’est « maniaque du contrôle » [petits rires]. Ouais, j’imagine [que je suis comme ça]. Je ne sais pas. Il y a certains domaines où, je crois, je lâche un peu de lest mais, puisque ce sont toutes mes idées et ma musique, je pense qu’il est préférable que je trouve une façon de faire ce qui me plais. C’est un peu logique. Et je pense que le résultat est plutôt bon ! [Petits rires]
Vois-tu la création musicale comme quelque chose d’égoïste ?
Non. Parce que dans le meilleur des mondes, j’espère vraiment que je suis capable d’offrir quelque chose à autrui. Je veux dire que c’est toujours dans mon esprit. Je sais parfaitement que la musique a un sens pour les gens, dans leur vie personnelle. D’une certaine façon, j’espère que… Bon, je sais que certaines personnes sont vraiment touchées et peut-être que tu peux motiver une personne à prendre le chemin qu’elle aimerait prendre dans sa vie, peut-être.
Toutes les chansons renvoient un peu à des sentiments et émotions intimes, comme les doutes, les obsessions, l’amertume, l’impuissance, etc. Est-ce que ça se réfère directement à toi ?
Ça se réfère à l’auditeur. Donc, là tout de suite, ça parle de toi [rires]. C’est un peu ce qui résonne en toi. C’est cadeau ! Tu peux le bazarder, tu peux t’en servir comme un fond musical divertissant ou, si tu le souhaites, peut-être que tu peux vraiment creuser en profondeur et en ressortir quelque chose, l’utiliser plus comme un catalyseur pour grandir. Ça ne parle pas de moi. C’est une question de choisir de… Je veux dire que c’est un effort conscient de… J’ai choisi d’enregistrer cette connerie mais une fois que c’est fait, j’essaie de ne pas trop l’analyser. Et je ne peux que me répéter sur le fait que c’est surtout à toi de savoir si tu veux le recevoir et vraiment l’assimiler. C’est toi qui décide.
« C’est cadeau ! Tu peux le bazarder, tu peux t’en servir comme un fond musical divertissant ou, si tu le souhaites, peut-être que tu peux vraiment creuser en profondeur et en ressortir quelque chose. »
Tous ces sentiments et émotions dans les titres des chansons sont en quelque sorte négatifs…
Encore une fois, c’est ton expérience. Ce que tu ressens comme du tourment ou une expérience négative, quelqu’un d’autre pourrait le voir comme une expérience positive. J’essaie de faire en sorte que ça reste ainsi.
…mais tu parles aussi d’exorciser les doutes ou transcender l’amertume, ce qui donne une idée de surmonter la négativité. Est-ce que la musique est une façon pour toi de changer le négatif en positif ?
C’est une bonne question. D’une certaine façon, oui. Tu pourrais dire ça. En fait, c’est un exutoire pour ventiler [la négativité]. Evidemment, si tu écoutes les chansons à travers l’histoire, il y a beaucoup de gens qui ont écrit sur des choses mauvaises [petits rires] qui leur sont arrivées. Et puis il y a aussi de la musique joyeuse, bien sûr. Il y a des chansons d’amour, certaines négatives, d’autres positives… Mais ouais, c’est une bonne façon de gérer les émotions négatives. D’un autre côté : qu’est-ce qu’une émotion négative ? Est-ce que la colère, la tristesse et l’amertume… Bon, l’amertume, je suppose que c’est négatif… Mais la colère et la tristesse, je ne crois pas que ce soit des émotions négatives. Je pense que si tu veux grandir, tu dois [vivre ces émotions]. Ceci étant dit, je pense que pour certaines personnes, ça peut nécessiter un processus permanent pour accepter plutôt que refuser ces émotions. En musique, plus tu es libre, plus tu accèdes à tes émotions.
Est-ce ta définition de la liberté ?
Non, je pense que pour définir la liberté, tout ce que tu pourras dire en une minute ne sera pas suffisant [rires]. Mais c’est assurément la bonne direction, je pense.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
[Il réfléchit] Je ne sais pas. Je dirais que ma plus grande inspiration est le simple fait de pouvoir communiquer. La musique est une forme de langage supérieure. Lorsque les mots… Il y a aussi des mots dans la musique mais lorsque les mots ne peuvent pas dire ce que tu veux dire, je pense que la musique et l’art, en général, est la manière parfaite de communiquer tes propres vécus ou les choses que tu veux exprimer ou lorsque tu ne sais pas ce que tu veux dire mais tu sais que tu veux dire quelque chose [petits rires].
C’est amusant parce que tu dis qu’avec ta musique tu veux communiquer mais, d’un autre côté, c’est à l’auditeur d’interpréter ta communication.
Ouais parce que si je pouvais communiquer directement, j’écrirais probablement un livre ou un article. La musique et l’art sont bien plus diffus. C’est comme je l’ai dit avant, je ne communique pas comme un manuel d’instruction, comme un problème mathématique [petits rires]. Ce n’est pas toujours très clair et je pense que c’est ainsi que ça devrait être. Et puis, comme je l’ai dit, je communique mais il faut que ça résonne en toi. Si ça n’est pas le cas, alors c’est probablement que je n’ai rien à dire. Et ce n’est pas un souci. Tu trouveras quelque chose dans d’autres œuvres d’art.
Tu dis que ce n’est pas « comme un problème mathématique » mais, en fait, le nom de l’album, Nucleus, ainsi qu’une chanson comme « Theory Of Consequence » utilisent un peu une terminologie scientifique. L’illustration a également un aspect géométrique. On pourrait presque se dire que tu théorises les sentiments et émotions…
Ouais. C’est ton interprétation et c’est comme ça que je pense que ça devrait se passer ! Tu entres dans un processus de réflexion. Apparemment ça a résonné en toi [petits rires] et ça, je pense, est la façon dont l’art devrait fonctionner. C’est comme ce que j’ai dit plus tôt : si tu veux voir ça comme du divertissement ou de la musique de fond, ça me va parfaitement, mais si tu veux creuser plus loin ou t’impliquer, c’est ta décision. Encore une fois, peut-être que ce n’est pas pour toi. Je ne sais pas. Mais apparemment il y a quelque chose qui se passe et ça me rend extrêmement heureux parce que j’ai pu communiquer [rires].
Un noyau (Nucleus en anglais, NDLR), c’est le cœur, le centre de quelque chose. Dirais-tu que cet album représente le cœur de ton âme, en tant qu’artiste et même être humain ?
Peut-être que je devrais révéler quelque chose : [il réfléchit] « trouver le calme dans la tempête. » Ouais, voilà ce que je t’offre. Le reste est à ta charge [rires].
Il y a une reprise de la chanson « Even In His Youth » de Nirvana sur la face b du single « The Outcast », et qui était à l’origine la face b du single de « Smells Like Teen Spirit ». Pourquoi ce choix de reprise ? Qu’est-ce que cette chanson signifie pour toi ?
[Réfléchit] Qu’est-ce qu’elle signifie pour moi ? [Réfléchit à nouveau] Eh bien, je suis fan de Nirvana depuis que j’ai treize ans, lorsque j’ai commencé à jouer de la guitare. Donc, en ce sens, le fait de me rappeler cette époque signifie beaucoup pour moi. Il est par contre impossible d’expliquer pourquoi j’ai choisi cette chanson. Tu passes parfois en revue dans ta tête des chansons que tu aimes… Je ne sais pas. J’ai très, très longtemps été attaché à cette chanson. Tobias Anger est également un énorme fan de Nirvana, bon, Rage aussi mais surtout Tobias, donc ça convenait. Je leur ai demandé ce qu’ils en pensaient et ils étaient motivés pour la faire. C’était amusant parce que nous ne l’avions grosso-modo pas du tout répétée. On s’est éclaté à l’enregistrer !
« Tout ce que tu sais à mon sujet ou tout ce que je veux que tu saches à mon sujet est sur l’album. »
En parlant de ça, y a-t-il beaucoup d’improvisation dans ta façon de faire ta musique ?
Non, pas lorsque nous sommes en studio mais le chemin pour y parvenir est une longue improvisation pour que les chansons soient prêtes. En fait, composer une chanson, c’est de l’improvisation [petits rires]. Mais il n’y a aucune partie jammée sur l’album, pas vraiment. Evidemment, ce sera un peu différent de ce à quoi tu t’attendais au départ mais il n’y a pas de longues improvisations que nous aurions faites en studio.
Tu as une approche très analogique et organique de ta musique et ton son. Et il y a eu une certaine mode dernièrement pour ce type de musique. Les gens appellent ça, sans doute à tort, du « retro rock ». Que penses-tu de tous ces groupes qui veulent aujourd’hui reproduire la musique des années soixante-dix, avec le vieux son et le vieux matériel que les musiciens de rock avaient à cette époque ?
Je pense que ça a très peu à voir avec mon message qui est, en gros, tout l’opposé, c’est-à-dire d’être ouvert et libre, simplement apprécier la musique. Je ne sais pas de quels groupes tu parles. Je veux dire que je suis juste un fan de musique depuis que je suis gamin ; ça vient peut-être du pouvoir réconfortant de la musique et même de son pouvoir de guérison. Peu importe le nom du groupe, peu importe le style, peu importe le pays… Ça peut être intéressant mais c’est secondaire. J’aime beaucoup de vieux matos mais c’est aussi un peu en fonction de ce qui est disponible. Je suis un peu étranger vis-à-vis de tout le… Quel type de guitare, quel type de pédale, quel type de matériel j’utilise… Si tu écoutes un album… Ouais, je suppose que je pourrais dire : « Merde, c’est une Gibson, c’est une Fender qui joue. » Mais ce n’est pas la raison pour laquelle je fais de la musique, pour communiquer sur le matériel que j’utilise [rires]. Non. Ce n’est pas du tout le but.
Pourtant, tu as choisi de jouer de la guitare et de chanter, ce qui ne revient pas au même que de jouer, disons, du trombone. Ce qui signifie, dans l’absolu, que tu as des affinités en termes d’instruments pour exprimer ton art…
Ouais. Je n’ai jamais essayé le trombone [rires] mais je trouve que c’est un instrument assez cool, et assez difficile à jouer, je suppose. Je pense que ça prendrait beaucoup de temps à apprendre. Je ne sais pas. Peut-être que je devrais garder mes distances avec le trombone [rires].
J’ai remarqué sur ta page Facebook que tu aimais partager des genres de petites phrases qui suscitent la réflexion. L’une d’elles était assez intrigante : « Soyez forts et créatifs. Le rock’n’roll est mort. » Que voulais-tu dire ?
On ne peut jamais savoir qui a écrit ça ! [Rires] Donc, nous ne savons pas !
Tu n’as pas la main sur le compte Facebook du groupe ?
Peut-être. Mais tu ne sais pas qui écrit ça. Tu ne peux jamais le savoir. Encore une fois, n’importe où, si tu lis quelque chose, vois quelque chose ou entends quelque chose, j’en reviens à ce que je disais tout à l’heure : si ça résonne en toi, contente-toi de le prendre, de jouer avec et d’en profiter ! Et si ça soulève une question, du genre : « Qu’est-ce que ça veut dire ? » Si je savais ce que ça voulait dire, je ne le dirais jamais, je ne voudrais surtout pas gâcher cette expérience ; car je vois ça comme un spoiler. Tu l’as dit toi-même : ça suscite la réflexion.
Mais toi, personnellement, penses-tu que le rock’n’roll est mort ?
Si je le pense ? Je ne sais pas. Qu’est-ce que le rock’n’roll ? Je crois que le rock’n’roll, ça revient à baiser, n’est-ce pas ? Donc le sexe est mort ! Je ne sais pas [rires]. Le sexe est plus vivant que jamais, je suppose, dans cette société. Le sexe vend un max !
[Rires] En fait, je t’ai vu plusieurs fois employer cette phrase : « Soyez forts et créatifs. » Est-ce que c’est comme une devise pour toi ?
Peu importe qui a écrit ça, je trouve que c’est une phrase incroyable [petits rires]. Je peux m’y identifier. Je pense que j’ai souvent dit ça au cours de cette interview mais ça veut dire qu’il faut rester fidèle à son cœur, suivre son intuition. Si tu es une personne créative, ne le nie pas, admet-le et sers toi de ça.
Qu’est-ce que ça signifie pour toi « être créatif » ?
Ça signifie de ne pas stagner, j’imagine, et ne pas être trop rigide. Dans mon cœur, ça signifie de transcrire les expériences qui se passent en toi, en dehors de toi, dans la société, dans la nature. Dans mon cas, c’est surtout via la musique. C’est une assez bonne définition.
Penses-tu que le monde manque de créativité de nos jours ?
Je ne sais pas. De toute façon mon monde est un peu petit en ce moment [petits rires]. Non, je ne le crois pas. Peut-être manque-t-il d’originalité. On dirait que ce n’est pas très populaire d’être original de nos jours, ce qui est un peu triste. Mais il faut aussi être positif, genre pessimiste optimiste [petits rires]. Bien sûr, il y a beaucoup de créativité, mais il y a aussi beaucoup de conneries. Enfin, ce n’est que mon avis.
« J’ai peur qu’à l’avenir Ghost pompe tout à Witchcraft [rires]. J’en ai vraiment peur ! J’en chie au froc ! Véridique ! »
Sur les dernières photos promos du groupe, on vous voit avec des masques. Quelle est l’idée derrière ça ?
Eh bien, tout le business est géré par… Si tu veux te retrouver dans les magazines ou faire des interviews, ce que je n’aime vraiment pas tant que ça mais si je ne le faisais pas, Witchcraft serait oublié, c’est donc ma seule chance. L’industrie veut des photos. Je ne veux pas de photos, je ne veux pas vendre mon visage ou mon corps. C’est donc un peu une solution de dernière minute [petits rires]. Pas de photo, pas de couverture médiatique. C’est très triste mais avec un peu de chance Witchcraft continuera de grandir et au bout du compte, quoi qu’il arrive, les gens entendront parler de nous.
Il paraît clair que tu n’aimes pas trop parler de toi…
Eh bien, la clef, c’est que c’est un effort conscient de faire cette musique qui, bien sûr, vient de moi et je pense que c’est suffisant. Analyser et creuser dans cette connerie, ça ne regarde personne et ce n’est pas comme ça que ça devrait se passer. Car je ne peux que me répéter un millier de fois encore et encore [petits rires], c’est un processus, c’est toi. Si tu veux le voir comme du divertissement, très bien, mais si ça résonne plus profondément, je pense que tu devrais l’écouter et en profiter. J’estime que c’est comme ça que fonctionne l’art. Donc, tout ce que tu sais à mon sujet ou tout ce que je veux que tu saches à mon sujet est sur l’album.
Est-ce frustrant pour toi que, de façon à faire connaître ta musique, tu sois obligé de faire des photos, des interviews et tous ces trucs de couverture médiatique ?
Ouais.
Pourtant c’est une forme de partage et de communication [petits rires]…
D’accord, ok, donc tu essaies de démonter ce que je dis ou tu essaies juste de m’encourager [rires]. Non, je veux dire que bien sûr, tu as droit à ton opinion, c’est juste que je ne suis pas d’accord. Je pense que la communication à travers la musique, à travers l’art, et non par le visage ou… Ouais, je peux donner des interviews, bien sûr, mais la plupart des gens ne semblent pas comprendre ce que je dis [rires] parce qu’ils veulent savoir des choses qui n’ont rien à voir avec le message de la musique. Peut-être qu’un jour les gens comprendront. Je ne sais pas. Il faut garder espoir ! [Petits rires]
Pour revenir sur les photos, n’as-tu pas peur que les gens pensent que vous avez piqués l’idée au groupe Ghost ?
En fait, le premier album de Witchcraft a énormément été inspiré par le premier album de Ghost (soit il nous tourne en bourrique, soit il parle du groupe de rock expérimental japonais, car le premier album du groupe suédois Ghost est paru six ans après le premier album de Witchcraft, NDLR). Est-ce qu’ils existent toujours ? On parle bien du groupe de musique ? Pas le jeu vidéo ? [Rires]
Je parle du groupe Suédois Ghost qui a, à l’origine, été signé chez Rise Above Records…
J’ai peur qu’à l’avenir Ghost pompe tout à Witchcraft [rires]. J’en ai vraiment peur ! J’en chie au froc ! Véridique !
Donc tu n’as pas écouté ce qu’ils ont fait dernièrement ?
Je ne sais pas. Peut-être. On ne peut jamais savoir.
Tu ne sais pas ce que tu écoutes ?
Exactement [rires].
Est-ce que ça signifie que tu as parfois des absences dans ta vie ?
[Rires] Ça signifie que j’écoute tout ce qui est disponible. Ça peut être les oiseaux, les abeilles, les nuages, les voitures ou peut-être le dernier album de Ghost. Je ne sais pas.
Tu as sorti en 2010 un EP solo intitulé A Sinner’s Child. Penses-tu lui donner un successeur ?
Oui ! Je m’en occupe en ce moment même ! Pas cette semaine mais sûrement la semaine prochaine. Le processus est en marche.
Comment choisis-tu ce qui va à Witchcraft et ce qui va à ton projet solo ?
C’est très naturel. Tu te rendras compte… C’est impossible à expliquer. C’est comme faire un choix entre qui ira à gauche et qui ira à droite [petits rires]. Et ce n’est pas si important. Tu le sais. La plupart du temps, je dirais quatre-vingt-quinze pour cent du temps, je sais où ça atterrira.
Interview réalisée par téléphone le 12 janvier 2016 par Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Photos promo : Philip Saxin, éditées par Ragnar Widerber.
Facebook officiel de Witchcraft : www.facebook.com/witchcraft.