Le credo labyrinthique de Gorod a pour nom liberté. Une liberté artistique qui a pour source la volonté de diversifier le propos et pour arme la technique. Les musiciens du quintet sont époustouflants et l’arrivée du batteur Karol Diers pour le nouvel album A Maze Of Recycled Creeds n’a pas changé cet état de fait. Gorod est toujours aussi démonstratif sans être prétentieux, intelligent sans être pédant et reste le disciple des bonnes références sans pour autant recycler les personnalités de tous ces artistes qu’il apprécie. En somme la force de Gorod est d’être un peintre talentueux qui sait créer de multiples ambiances (parfois complexes) sur sa palette grâce à sa capacité à jongler avec les différents pinceaux de sa créativité.
Le 27 octobre dernier, nous recevions en direct dans l’émission Anarchy X Mathieu Pascal, le guitariste du combo de death/prog/jazz, qui nous en a dit plus sur la manière dont le groupe bordelais crée ses compositions en forme d’usine à riffs et à l’efficacité remarquable, mais aussi sur le concept assez pointu, pensé et écrit par le chanteur Julien Deyres. Un entretien où ressort bien une certaine intelligence dont fait preuve ce groupe mais aussi une ouverture, puisqu’on y parle aussi bien d’Erik Satie (dont l’oeuvre est au cœur de l’album) que de la série Amicalement Vôtre, de Jean-Michel Jarre, de funk ou de Maître Gims…
« C’est quelque chose qui nous énerve tous plus ou moins au quotidien : la propagande, l’endoctrinement, les religions bidons, etc. On voit bien à travers [les Rose-Croix], qui date du début du XXème siècle, que c’est quelque chose qui a malheureusement toujours existé. »
Radio Metal : Vous sortez votre nouvel album A Maze Of Recycled Creeds trois ans après le précédent, A Perfect Absolution, ce qui est à peu près votre timing habituel entre les albums…
Mathieu Pascal (guitare) : En fait, ça a été un petit peu plus que d’habitude parce qu’on a changé de batteur, on a beaucoup tourné les deux années précédentes, et du coup, je n’ai rien composé pendant ces années-là, et puis tout le monde est un peu occupé avec son boulot et tout, donc c’est de plus en plus difficile et long de faire des albums et de la musique.
Tu trouves que ça devient plus compliqué avec le temps ?
Forcément. Il y a toutes les histoires de famille, de petite copine et de travail surtout, donc il faut du temps pour tout ça, en plus du groupe. Plus on prend de l’âge et plus ce sont des choses qui nous touchent, donc on y passe autant de temps que pour le groupe, et forcément il reste moins de temps pour la musique.
L’album parle d’un thème un peu particulier, l’Ordre des Rose-Croix. Qu’est-ce que c’est et comment vous en êtes arrivé à baser l’album sur ce thème ?
L’Ordre des Rose-Croix, c’est une sorte de secte – mon chanteur pourrait t’en parler mieux que moi – du début du XXème siècle, il me semble, qui essayait de rassembler tous les grands esprits de leur époque et les contrôler, contrôler l’art, la science, au travers d’une pseudo religion faite à partir de mythes et ce genre de choses. Mais en fait, les Rose-Croix, c’est plus une illustration qu’autre chose. Le thème général, c’est surtout la manipulation de masse et l’endoctrinement plus que cette secte-là en particulier.
J’imagine que l’actualité vous a beaucoup poussé vers ce thème…
Peut-être bien, oui. Encore une fois, je ne m’occupe pas du tout du concept et des paroles. Julien aurait pu t’expliquer ça mieux que moi. En gros, je pense que c’est quelque chose qui nous énerve tous plus ou moins au quotidien : la propagande, l’endoctrinement, les religions bidons, etc. On voit bien à travers ça, qui date du début du XXème siècle, que c’est quelque chose qui a malheureusement toujours existé.
Tu parlais du contrôle de l’art, alors qu’au contraire, sur cet album, on dirait que vous avez peut-être pris encore un peu plus de libertés. Est-ce que c’est le paradoxe de l’album ?
[Rires] Peut-être, oui. Aujourd’hui, on assume peut-être un peu plus les influences un peu bizarres qu’on peut avoir. C’est sûrement un peu normal : là c’est le cinquième album, donc on se dit qu’on a peut-être un peu le droit de se lâcher et de faire des choses neuves, sans forcément se préoccuper de rentrer dans tel ou tel format de brutal death, de tech death ou va savoir quoi.
Tu avais l’impression avant de devoir te conformer à certaines règles auparavant ?
Oui, quand même, dans une certaine mesure. Après, ça représente une petite partie, mais je sais forcément qu’il y a des choses qui vont marcher en live et d’autres qui ne marcheront pas, donc j’essaie à chaque fois de trouver un équilibre entre les deux, de faire des choses qui fonctionnent en live, c’est-à-dire bourrines, et ensuite se faire plaisir avec des choses un peu plus destiné à une écoute sur CD où je peux faire autre chose. J’imagine que les gens qui viennent voir nos concerts ne viennent pas écouter des chansons lentes ou progressives. Je ne sais pas. C’est moi qui me fais mes questions-réponses, mais j’imagine que c’est à peu près ça. J’espère en tout cas que cet album sera la bonne recette.
Pour revenir sur le concept, dans le livret de l’album, chaque chanson est sous-titrée avec un narrateur. A quoi ça correspond ?
Chaque chanson est un petit bout d’histoire et donc pour chacune, Julien, le chanteur, incarne un personnage de cette histoire. Tu as par exemple, Joséphin Péladan, qui était justement le gourou de la secte des Rose-Croix. Dans le dernier morceau de l’album, tu as Erik Satie, le compositeur Français du début du XXème siècle qui faisait partie de cette secte et qui, au bout d’un moment, s’en est retiré en insultant presque Joséphin Péladan. Ce dernier morceau, c’est la confrontation entre ces deux personnages.
Et du coup, c’est pour ça que vous ouvrez l’album avec « Air De L’Ordre », un morceau basé sur une œuvre d’Erik Satie…
Oui, tout à fait. Le truc, c’est que Julien savait que j’étais assez fan de ce compositeur et vu qu’il était en train de bosser sur le concept, il m’a fait passer les « Sonneries de la Rose-Croix », que j’ai mis sur l’intro, et j’ai dit : « Ouais, banco ! » Ça nous a fait un bon point de départ pour commencer l’album. Et le morceau qui suit, il n’est pas calqué mais je me suis servi de ces progressions d’accord pour le faire. Sans trop rentrer dans l’analyse musicale, c’est grosso-modo bâti là-dessus, et plein d’autres moments dans le disque sont construits ou inspirés d’œuvres d’Erik Satie. Après, c’est très technique, mais il y a des progressions d’accord dans le style d’Erik Satie, c’est-à-dire quasiment que des triades, que des accords à trois sons, des choses un peu inattendues… Moi, c’est ça que j’aime bien chez Erik Satie justement, son côté inattendu et son côté à la fois glauque et joyeux – je ne sais pas trop comment expliquer. J’aime beaucoup ça et j’ai essayé de donner cette couleur à la fois glauque et joyeuse à la plupart des titres.
C’est un compositeur qui t’avait beaucoup influencé même avant cet album ?
Je crois que c’est ma mère qui a dû me faire écouter ça quand j’étais petit et ce côté dérangeant m’a toujours attiré. Je ne sais pas si tu connais ses morceaux les plus connus, les « Gymnopédies » et les « Gnossiennes », c’est beau et en même temps il y a un côté décalé, ou décadent, je ne sais pas, j’ai toujours aimé ça !
« Ca serait tellement délicat d’essayer de mettre du Maître Gims sur du Gorod ! Mais pourquoi pas… J’essaierai ! »
Puisqu’on en est aux références, c’est un peu votre truc avec Gorod d’en mettre par ci, par là dans vos morceaux…
Oui, après, ce sont plus des blagues mais le truc que j’aime bien faire, quand j’entends un truc que je connais, plutôt que d’essayer de le contourner, j’y vais franchement ! La fin de « Dig Into Yourself », c’est la fin de « Tornado Of Souls » de Megadeth ; c’était plus pour rire [petits rires]. J’ai mis le thème d’Amicalement Vôtre dans « From Passion To Holiness », parce que quand je l’ai fait ça me semblait tellement évident que je l’ai laissé ! J’espère qu’on n’aura pas de problème… [Petits rires] Dans le même morceau, il y a un bout du thème du dessin animé Les Cités D’Or. Il est assez difficile à trouver, c’est le moment où il y a le condor en or qui s’élève dans le ciel. Ce sont juste trois notes, mais je sais d’où ça vient [petits rires]. Ce sont des réminiscences de quand j’étais gamin !
Je ne suis pas sûr que les jeunes auditeurs d’aujourd’hui entendront ces références, Amicalement Vôtre ne leur parlera peut-être pas. Remarque avec Satie non plus [rires]…
Non, c’est sûr. En même temps, ça serait tellement délicat d’essayer de mettre du Maître Gims sur du Gorod ! Mais pourquoi pas… J’essaierai !
J’ai l’impression que vous aimez avoir plusieurs niveaux de lecture de vos morceaux qui sont assez complexes. Vous aimez crypter un peu les choses et pousser vos fans à creuser ?
J’essaie de faire ça mais, en même temps, que ça reste toujours très lisible, que ce soit simple à écouter. Enfin, j’espère que c’est l’effet que ça rend ! Parce que je sais qu’il y a beaucoup d’infos et je ne veux pas que ce soit indigeste. J’aime quand on comprend bien la tonalité, on comprend bien le rythme, quand les rythmes ne sont pas trop tarabiscotés… Tu vois, des trucs du genre Blotted Science, moi je perds pied, j’en ai marre au bout de dix secondes parce qu’il y a quarante-cinq changements de tempos et de tonalité.
Malgré tout, il se passe quand même beaucoup de choses dans votre musique. Comment fais-tu pour coordonner tout ça ? Comment construis-tu tes morceaux pour obtenir ce juste milieu ?
Je ne sais pas trop… En général, je fais comme n’importe qui. J’aligne mes riffs et quand j’arrive à un certain temps – à une minute ou une minute et demi, disons -, je me dis qu’il faut répéter des trucs [rires], parce que sinon les gens vont en avoir marre. Après, avec du recul, j’essaie de voir si ça fonctionne et si ça reste ou bien s’il y a des riffs ou parties qui sortent trop du contexte de la chanson. Si c’est le cas, je les vire et j’essaie de faire en sorte que le morceau soit cohérent, qu’il ait une identité propre. Encore une fois, ça, c’est juste une des règles. Par exemple « From Passion To Holiness », il y a trop de choses ! Je veux dire qu’il y a très peu de choses qui se répètent, donc il n’y a pas non plus tant de règles que ça. Après, les règles, j’imagine que ce sont toujours les mêmes pour la chanson, c’est de faire, pas des couplets-refrains, mais des structures compréhensibles quand même.
C’est important pour toi que chaque morceau ait son identité ? Car on voit aujourd’hui beaucoup de groupes où les différences entre chansons ne sont pas si flagrantes…
Oui et c’est même le truc le plus important pour moi ! Je veux qu’il y ait une identité au niveau de chaque morceau et de chaque album. Je veux vraiment à chaque fois que, pas que tout se renouvelle, mais d’essayer au maximum de faire du neuf.
En parlant d’identité, « Rejoice Your Soul » est un morceau qui ressort comme étant assez jazzy et part dans quelque chose d’assez proche de Trepalium…
J’adore Trepalium ! Mais oui, je trouvais dommage qu’il n’y a qu’eux qui fassent ce genre de metal avec les rythmes swing. J’adore ça aussi ! C’est dommage que trop peu de groupes fassent ça. Après, Trepalium le font beaucoup mieux que nous. Eux, ils en ont carrément fait leur identité. Enfin, moi, je les reconnais à ça. A la base, entre les deux albums, A Perfect Absolution et celui-ci, on voulait sortir un EP un peu fourre-tout, avec des choses marrantes, et Julien avait envie de faire une reprise du « I Put A Spell On You » de Screamin’ Jay Hawkins. J’avais commencé à travailler dessus, à faire des arrangements et tout. Mais du coup, comme on n’a pas du tout eu le temps de faire l’EP, j’ai gardé mes riffs et je les ai mis en forme dans cette chanson.
Tu t’inspires souvent d’autres morceaux pour faire tes propres morceaux ?
Oui, très souvent ! Par exemple, dans Process Of A New Decline, on avait un morceau qui s’appelait « The Path » et ça, ça vient d’un morceau de Jean-Michel Jarre, « Magnetic Fields », première partie. Si tu écoutes le début des deux à la suite, tu t’en rendras compte. A la base, Jean-Michel Jarre ce sont des arpégiateurs, des machines qui font des arpèges toutes seules, et comme les arpège c’est un peu mon jeu de guitare, j’ai fait le morceau avec la même progression d’accords. Après, ça peut être des idées rythmiques, de thèmes ou d’ambiances. Ca peut-être n’importe quoi, pas forcément des morceaux précis mais plus des ambiances que je cherche.
On a l’impression que tu vas vraiment piocher un peu partout, tu parlais d’Eric Satie, puis d’un truc un peu plus jazzy et maintenant de Jean-Michel Jarre. Il n’y a aucune limite pour toi dans la musique ?
Franchement, non, je ne pense pas. Il y a des trucs bons partout ! Tout n’est pas super dans tous les styles mais je suis persuadé de pouvoir trouver des trucs que j’aime dans à peu près tous les styles. Ça c’est sûr.
A quand un morceau de Gorod inspiré par du rap ?
Du rap ? [Rires] Faut un minimum que ce soit musical, tu vois. Après…
Parce que tu estimes que le rap n’est pas musical à la base ?
Ca l’était dans les années 90 et un petit peu avant. Maintenant, à mon sens, ça ne l’est plus. Les rappeurs ne font même plus l’effort de chanter en rythme, alors à partir de là… Pour la hauteur, ils ont trouvé un truc : ils se mettent tous à l’auto-tune maintenant, donc ils arrivent à peu près à chanter juste mais pour le rythme, ça s’est vraiment perdu. Enfin, je trouve. Mais j’aimais bien Cypress Hill, les Beastie Boys, I Am, NTM, Assassin, etc. Ce genre de trucs pas forcément très récents.
Tu aimais bien les rappeurs qui aiment jouer avec des musiciens…
Oui, c’est vrai. Mais mon second style de prédilection que j’aime par-dessus tout après le metal, c’est le jazz-funk des années 70. Dans ma voiture, il n’y a que ça ! [Rires]
« Je sais qu’il y a beaucoup d’infos [dans notre musique] et je ne veux pas que ce soit indigeste. J’aime quand on comprend bien la tonalité, on comprend bien le rythme, quand les rythmes ne sont pas trop tarabiscotés… »
A quand un album de Gorod funk alors ?!
On aimerait bien ! A la base, c’est ce qu’on voulait faire avec l’EP – on aurait aimé sortir à chaque fois un EP entre les albums – mais on n’a pas eu le temps. Du coup, il nous reste quelques trucs dans les tiroirs et je pense qu’on essaiera de faire ça peut-être pour 2017, sortir un truc un peu décalé, avec sûrement des reprises de Gorod mais orchestrées complètement différemment, peut-être avec des flûtes, sections cuivres, etc. Un peu dans l’esprit de Transcendence où on avait fait des morceaux à la guitare classique et tout, mais là j’aimerais essayer de faire un truc du genre big band avec les morceaux de Gorod [petits rires]. Il faut voir ce que ça peut rendre… Des fois j’ai des gars qui me disent qu’ils entendent de la trompette sur certains morceaux, alors qu’il n’y en a pas. Donc c’est qu’elles doivent avoir leur place.
Il y a un morceau en deux versions dans l’album : « An Order To Reclaim ». Pourquoi ? Tu ne savais pas laquelle tu préférais et du coup tu as mis les deux ?
Non, c’est plus terre à terre que ça. Il nous fallait un morceau bonus et on n’avait aucun morceau en rab. Grosso-modo, on m’a dit le vendredi qu’il fallait que ce soit prêt pour le dimanche et on n’avait rien à mettre, pas de version live, rien à donner. Du coup j’ai pris mon week end, j’ai pris les prises de batterie de pré-prod de l’album – donc pas triggé, avec un son naturel – et j’ai refait d’autres riffs par-dessus les prises batteries. J’ai aussi un peu retaillé la batterie. J’ai fini très tard dimanche soir mais j’ai réussi à finir ça ! [Rires] Et pour la version américaine de l’album, il y a un autre bonus, ce que j’ai fait avec « An Order To Reclaim », j’ai fait la même chose avec « Celestial Nature », c’est-à-dire que j’ai pris les batteries et j’ai enregistré des trucs par-dessus [petits rires]. Ca ressemblerait à quelque chose comme Cacophony, l’ancien groupe de Marty Friedman et Jason Becker. Ce sont que des guitares rapides. Friedman, c’est mon guitariste préféré…
D’où aussi le petit clin d’œil à « Tornado Of Souls »…
Oui, tout à fait. Etonnamment, cet album-là de Megadeth, je l’ai entendu très tard. J’ai dû l’entendre il y a dix ans pour la première fois, c’est tout. Alors que les albums solo de Marty Friedman, c’est presque ce qui m’a fait mettre à la guitare électrique ! C’est-à-dire bien vingt ans avant ! [Rires]
J’ai l’impression que Julien a un peu ouvert son spectre sur cet album. C’est le concept qui l’a poussé à donner d’autres couleurs à son grain de voix et son chant ?
Je ne sais pas exactement mais je sais qu’on a essayé de théâtraliser au maximum ses parties chantées, vu qu’il devait incarner des personnages et qu’il devait aussi savoir jouer des émotions comme la colère. D’un autre côté, comme c’est le deuxième enregistrement que je fais avec Julien, on commence un peu à se connaître et on sait bien mieux comment gérer les types de voix qu’il sait faire, et enlever ceux où il était un peu trop limite. On a bien plus travaillé main dans la main cette fois-ci que pour l’enregistrement précédent où c’était tout frais, et puis comme en plus ce n’était pas moi qui m’en occupais, on n’était pas à l’aise à la maison, disons. Alors que là, on a vraiment pu prendre le temps de faire exactement comme on voulait et, je pense, avec un peu plus de maturité. Et le problème sur l’album d’avant, c’est qu’il avait toujours le fantôme de Guillaume, l’ancien chanteur. Bien qu’on ait dit dès le départ qu’il ne fallait pas qu’il cherche à faire ce que faisait Guillaume, il y avait quand même pour les fans et tout le monde une attente de ce côté-là et il avait un peu le cul entre deux chaises : « Est-ce que je fais ce que j’ai envie de faire et ce que je sais faire ou est-ce que j’essaie de faire du Guillaume alors que ce n’est pas forcément ma spécialité ? »
Il y a eu un changement de line-up depuis le dernier album, au niveau de la batterie. Vous avez accueilli Karol Diers. Est-ce que tu peux nous parler de comment s’est fait ce changement ?
Je ne vais pas trop m’étendre mais comme j’ai dit au début, on a beaucoup tourné il y a deux ans et il y a des choses dont tu t’aperçois lorsque tu passes un mois les uns sur les autres et dont tu ne t’aperçois pas forcément lorsque tu te vois ponctuellement. C’est un peu comme quand tu emménages avec ta copine, tu t’aperçois tout d’un coup qu’elle pète au lit… Enfin, là je rigole mais c’est ce qui a fait qu’au bout d’un moment il y a eu comme une espèce de ras le bol général du reste de l’équipe et qu’on a préféré se séparer de Sam [Santiago].
Et du coup, j’imagine que pour ce genre de musique, ça ne doit pas être très évident de trouver des musiciens au niveau…
Oui et en plus on voulait trouver quelqu’un de Bordeaux donc c’était encore plus compliqué ! Mais finalement on a trouvé Karol assez facilement parce que j’ai enregistré son groupe Juggernaut en 2007. Et les premiers jours de la prise, j’ai eu la mâchoire qui trainait par terre ! Je me suis dit : « Mais qu’est-ce que c’est que ce gars ?! » Et vu que c’était la période où Sandrine [Bourguignon] était partie et qu’on cherchait un batteur, je lui ai directement proposé de venir dans Gorod. A l’époque, c’était il y a quand même sept ans, il était beaucoup plus jeune, et il avait dit non parce qu’il avait déjà d’autres groupes, etc. Et puis, je pense qu’à l’époque on n’était pas aussi gros que maintenant. Du coup, quand on s’est séparé de Sam, c’est la première personne que j’ai appelée et là il a accepté.
Qu’est-ce qu’il a apporté selon toi à la musique de Gorod ?
Ce n’est pas du tout le même genre de musicien que Sam. Sam, c’était un instinctif. Je caricature mais c’est le gars qui n’a jamais travaillé et s’il le sent, il le fait et s’il ne sait pas le faire ou s’il a une difficulté, il ne le fera jamais. Alors que Karol, c’est un batteur qui a fait le conservatoire, déjà, donc il a une culture musicale beaucoup plus grande. Il sait faire beaucoup plus de choses et il est capable de travailler ce qu’il ne sait pas faire. C’est très enrichissant pour nous parce que du coup, il peut amener des choses qu’on ne connaitrait pas et, pour l’instant, on ne connait pas ses limites ! Vu que quand il ne sait pas faire quelque chose, il le travaille jusqu’à ce qu’il y arrive ! [Rires] C’est exactement le batteur qu’on recherchait. Je préférais prendre un batteur qui sait jouer et qui accessoirement sait faire de la double pédale et des blasts, plutôt qu’un batteur qui ne fait que du death metal et qui ne saurait pas se servir d’un charley, par exemple. C’est exactement la bonne personne. Et c’est clair que sa proximité m’a beaucoup aidé. Il habite à dix kilomètres de chez moi. On pouvait facilement bosser les morceaux, se parler, trouver des compromis, des idées, etc. C’était beaucoup plus simple.
Vous avez souvent eu des invités dans vos albums, et cette fois-ci on retrouve Denis Cornardeau qui fait un solo sur « Syncretic Delirium ». Est-ce que tu peux nous en parler ?
C’est un copain à nous, et franchement, c’est LE meilleur guitariste de Bordeaux, à mon avis. C’est un gars qui était venu remplacer Arnaud [Pontaco, ancien guitariste de Gorod] sur une tournée avec Cattle Decapitation il y a trois ou quatre ans, je crois. Et depuis on n’avait pas eu l’occasion de le remercier comme il se doit. Donc je l’ai appelé un dimanche pour qu’il vienne enregistrer un solo sur l’album. Il a joué avec Warattah mais après, il ne fait pas beaucoup de metal. Il aime ça mais je crois qu’il est intermittent. C’est quelqu’un qui fait de la musique pour vivre [petits rires].
« Tout n’est pas super dans tous les styles mais je suis persuadé de pouvoir trouver des trucs que j’aime dans à peu près tous les styles. »
Le visuel de l’album tranche pas mal par rapport à ce que vous avez pu faire jusqu’à maintenant, avec ce côté très crayonné. Même le logo a changé, il y a un côté presque primitif dans tout ça. C’est voulu ?
Oui. Le logo, c’est Eric Liberge qui l’a fait en même temps que la pochette. Il voulait nous le proposer parce que pour lui, le logo n’était pas assez lisible et justement peut-être pas assez, comme tu dis primitif pour aller avec l’artwork. Le nouveau logo, on en est content. Après, je ne peux pas dire si on le gardera à jamais, c’est juste un logo. En tout cas, pour cet album c’est parfait. Il y a aussi un petit côté thrash dans les angles, et comme cet album est un petit peu thrash, je trouvais que ça allait bien aussi pour ça. Et pour le visuel, ça faisait assez longtemps qu’on avait envie d’avoir une pochette en style BD, donc comme tu dis, crayonné. Et en parlant, en essayant de trouver quelqu’un pour faire la pochette, Benoît [Claus], notre bassiste, s’est souvenu qu’il y a très longtemps, un artiste bordelais qui s’appelle Eric Liberge avait offert un album à notre chanteur, ou quelque chose comme ça. Du coup, c’est comme ça qu’on en est venu à le contacter. Son truc le plus célèbre s’appelle Mardi-Gras Descendres. Pour te représenter un peu le truc, ce sont des espèces de squelettes qui se retrouvent après la mort sur la lune, et c’est dans des tons assez gris et assez glauque. Dès qu’on a vu ça, on s’est dit que si en plus il habite Bordeaux, c’est parfait !
C’est important que ceux qui participent au groupe et vos albums soient de Bordeaux ? Tu as l’air d’insister là-dessus…
Le truc, c’est qu’on se rend compte que c’est vraiment plus simple pour communiquer et plein de choses. Quand la personne est à côté, tu peux passer la voir. Le dessinateur est venu directement au studio pour nous montrer la pochette et voir les modifications qu’il y avait à faire. Ce sont des trucs qui auraient pu prendre trois ou quatre semaines par mail. Sachant qu’on n’est pas non plus ultra doué en anglais, si on devait travailler avec des gens extérieurs, ça devrait être quasiment que par mail et ce serait un peu plus compliqué. Et en plus, c’est une fierté d’avoir que du local. D’ailleurs, mis à part Eric Liberge qu’on ne connaissait pas avant cet album, il y a absolument que des copains qui ont participé.
Et du coup, pour revenir à la pochette, qu’est-ce qu’elle symbolise dans ce concept ? Idem pour le titre de l’album ? Même si j’ai bien compris que c’est Julien qui a pensé tout ça…
Oui mais ne t’inquiète pas, il m’a expliqué un peu quand même [rires]. A Maze Of Recycled Creed, ça veut dire un mélange ou un bazar de croyances recyclées, et quand on se penche sur les doctrines des sectes, c’est quasiment à chaque fois la même chose. Ils vont, par exemple, piocher dans un mythe chrétien qu’ils vont mélanger avec un mythe juif qu’ils vont mélanger avec autre chose, et au final, c’est tellement n’importe quoi que le mec de base qui n’a pas de culture est obligé d’adhérer parce que forcément, comme il ne connaît rien, il va gober tout ce qu’on lui raconte, surtout que c’est fait de manière très fouillie. Le titre, c’est rapport à ça, à ces doctrines un peu débilitantes des sectes de tout poil. Et la pochette représente ces moutons qui vont à l’abattoir. Alors, je ne suis pas très pointu sur le sujet, mais il me semble que les espèces de grottes, il appelle ça des molochs et que quelque part c’est comme une sorte de sacrifice, comme un monstre vers qui on envoie les gens en sacrifice. Il me semble, après je ne veux pas trop m’avancer car sinon je vais dire des bêtises ! [Rires] Et évidemment, il y a le gourou au premier plan qui tend la croix de Rose-Croix.
Toi, tu t’occupes de la compo, Julien des textes et du concept. Comment est-ce que vous rejoignez ces deux aspects ? Est-ce que c’est chacun dans son coin et vous mettez en commun ou bien vous travaillez en symbiose ?
C’est chacun dans son coin jusqu’à un certain moment où il faut commencer à vraiment trouver une unité. Là, par exemple, comme je disais tout à l’heure, le point de départ ça a été les « Sonneries de la Rose-Croix », quand il m’a dit qu’Erik Satie avait fait partie de la secte et que du coup ça aurait été ultra pertinent qu’on essaie de s’en inspirer. Il y aurait pu y avoir des thèmes où ça aurait pu être moins évident, mais là c’était parfait. Surtout que c’était un compositeur que je connaissais bien et vu que lui, de son côté, il avait assez profondément pousser les recherches, on en avait assez à tous les deux pour ne pas trop dire de conneries ou trahir sa musique.
Vous avez sorti une version US de l’album. Est-ce que vous commencez à avoir un bon public là-bas ? Comment ça se passe à l’international pour vous ?
Ça se passe plutôt bien ! En fait, je pense qu’on a eu le public aux Etats-Unis avant de l’avoir eu en France. Nos deux premiers albums sont sortis quasiment exclusivement aux Etats-Unis. En tout cas, notre label était américain, donc tout ce qu’il pouvait faire en terme de promotion, ça se passait surtout aux Etats-Unis. Il a fallu attendre qu’on soit chez Listenable et qu’on ait quelqu’un qui s’occupe de nous ici pour que ça puisse décoller un peu. Ce n’était pas facile au début.
Comment expliques-tu que vous ayez plutôt suscité l’intérêt d’un label américain que français au départ ?
Je pense que le brutal death est plus leur truc qu’ici en Europe, j’ai l’impression. Tu vois tous les groupes les plus bourrins, en général, viennent des Etats-Unis. Après, pas forcément le death technique qui est peut-être plus européen, ou canadien, je ne sais pas. Mais c’est vrai que dans cette niche-là, j’ai l’impression que tout vient des Etats-Unis. Après, on ne l’a pas fait exprès, c’est le seul label qui nous avait contacté pour acheter les droits du premier album et qui s’est occupé de nous. Nous, on n’a rien démarché de spécial.
Et avec le temps, comment cette relation avec les Etats-Unis a évoluée ?
Si on en croit les ventes, les Etats-Unis représentent cinquante pour cent de ce qu’on vend. La première fois qu’on y est allé, c’était en 2007 ou 2005, on y avait fait juste un festival, on y est retourné deux ans après, on a fait quinze jours avec cinq ou six concerts, et il y a deux ans, quand on y est allé c’était pour un tour complet des Etats-Unis. Je suppose que pour cet album-là, il y aura une tournée aux Etats-Unis qui sera prévue.
Interview réalisée par téléphone le 27 octobre 2015 par Nicolas Gricourt et Damien Renard.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Page Facebook officielle de Gorod : www.facebook.com/GorodOfficial.