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Interview   

Le parfum lugubre de Katatonia


Katatonia by Ester SegarraJonas Renkse et Anders Nyström, les deux têtes pensantes de Katatonia, respectivement chanteur et guitariste, sont des débrouillards qui savent toujours rebondir, avec l’amour de leur art pour moteur. Les Suédois ont vécu un énième changement de line-up avec les départs simultanés du batteur Daniel Liljekvist et du guitariste Per Eriksson. Certainement pas déstabilisés, ils en ont profité pour poursuivre l’expérience de Dethroned And Uncrowned (2012) via une tournée acoustique, menant à la prestation dans le magnifique cadre de l’Union Chapel de Londres, éclairé de bougies, immortalisé dans le CD/DVD Sanctitude (2013).

Et s’ils savent si bien rebondir, c’est peut-être parce qu’ils ont depuis longtemps pris l’habitude de ces changements qui ont émaillé la carrière du groupe mais aussi de vivre sommairement, donnant tout à Katatonia malgré le peu de retombées financières. Ils ont appris par la force des choses, depuis leurs premiers pas dans l’underground du début des années 90 dont il gardent une certaine nostalgie, la débrouille et à s’adapter. C’est ainsi que Katatonia n’a pas perdu ce qui fait son essence : sa force émotionnelle. En atteste son nouvel album The Fall Of Hearts, plus travaillé que jamais, un brin plus progressif, mais à la patte indéniablement reconnaissable.

Nous nous sommes longuement entretenus avec Jonas et Anders pour nous parler de cet opus et ces changements dans les rangs de la formation, mais aussi les difficultés que peut rencontrer un tel groupe ou la nostalgie d’un temps révolu. Nous faisons également le point à la fin sur leurs projets Bloodbath, qui a accueilli en 2014 son nouveau chanteur en la personne de Nick Holmes de Paradise Lost, et Wisdom Of Crowds.

Katatonia by Ester Segarra

« Dans les années 90, notre vision était la même, elle avait la même sincérité, nous lui étions tout aussi dévoués mais nous n’étions pas aussi prêts en tant que performeurs et musiciens à la saisir. »

Radio Metal : En 2013, vous avez sorti un album spécial intitulé Dethroned And Uncrowned qui revisitait avec des arrangements plus intimes l’album Dead End Kings, et vous avez suivi ça de Sanctitude, un album live de la tournée acoustique. Est-ce que ces expériences, où vous avez allégé votre musique, ont eu un impact sur la façon dont vous avez abordé votre nouvel album, The Fall Of Hearts ?

Jonas Renkse (chant) : Ça a eu un impact, ouais !

Anders Nyström (guitare) : Nous avons beaucoup apprécié l’expérience que nous avons vécue en réalisant Dethroned And Uncrowned, ça nous a ouvert une nouvelle voie, musicalement, pour Katatonia. Et je pense que nos fans ont vraiment, vraiment apprécié ce petit aparté que nous avons offert, musicalement. Ca fait donc clairement partie de notre son mais le nouvel album n’est pas à cent pour cent une suite dans cette direction, il en a juste emprunté des éléments pour les incorporer dans notre son principal, comme les guitares acoustiques, évidemment, mais aussi davantage dans le style global où on allège des choses, avec une approche plutôt de chanteur-compositeur, je suppose. Je pense que tout le truc est assez logique.

Jonas : Tout Dethroned et aussi la tournée acoustique était une expérience. Ce n’était clairement pas notre nouvelle direction en tant que groupe, c’était juste quelque chose que nous avons faite parce que nous nous sommes rendu compte que ce serait excitant et intéressant d’essayer. Donc, maintenant que notre nouveau véritable album s’apprête à sortir, je pense que les gens verront que Katatatonia reste un groupe heavy, que c’est un groupe de metal. Mais bien sûr que nous avons pris avec nous une part de cette expérience acoustique pour faire ce nouvel album. Ca a donc fonctionné dans les deux sens, je pense, pour le bien du projet.

D’ailleurs, je me souviens que l’idée de Dethroned And Uncrowned est venue en retirant accidentellement les gutiares du mix de Dead End King. Pensez-vous que la sagesse et l’intelligence en musique viennent du fait de retirer des choses plutôt que d’en rajouter ?

Dans de nombreux cas, il peut être bien plus créatif de retirer des choses et trouver le cœur de la chanson. Mais parfois, comme nous en avons la réputation, nous ajoutons aussi pas mal de choses. Donc tout dépend de ce que tu veux accomplir avec une chanson donnée. Mais ça peut être une bonne chose. Si tu es coincé, si tu as ajouté des trucs et que tu ne vas nulle part, ça peut être une bonne chose d’en retirer et voir quel est l’âme de la chanson et travailler plus en profondeur là-dessus à la place.

A propos de The Fall Of Hearts, vous avez déclaré que « cet album est probablement tout ce que nous avions rêvé de sortir sans le savoir. C’est un lugubre mais aventureux voyage à travers les éléments, nous n’avons eu aucune retenue. » Est-ce que vous diriez que vous vous êtes retenus sur les albums précédents ?

Anders : Non mais chaque album nous représente à des moments différents dans nos vies et je pense qu’avec chaque album, nous n’avons qu’une capacité donnée, dans une certaine mesure, de satisfaire notre vision du moment. Aujourd’hui, nous sommes plus expérimentés, nous sommes de meilleurs musiciens. Tu évolues et grandis constamment en tant que musicien et personne, en tant qu’être humain. Je crois que c’est… Je ne dirais pas plus facile mais nous sommes plus âgés et plus sages aujourd’hui pour aller chercher et empoigner cette vision que nous poursuivons toujours. Si tu compares cet album à un album, disons, dans les années 90, notre vision était la même, elle avait la même sincérité, nous lui étions tout aussi dévoués mais nous n’étions pas aussi prêts en tant que performeurs et musiciens à la saisir, et tu peux l’entendre dans les enregistrements. Dans cet enregistrement, je pense que tu peux ressentir que c’est un groupe motivé et qui a beaucoup de contrôle.

On peut entendre des percussions, des claviers organiques et du piano, de la voix féminine, etc. Des chansons comme « Last Song Before The Fade » et « Shifts » ont même un côté un peu jazzy. Souhaitiez-vous élargir le son de Katatonia et explorer de nouveaux territoires en dehors du metal ?

Jonas : Absolument. Nous l’avons fait pendant des années mais peut-être de façon moins poussée. Comme nous en avons fait allusion, nous sommes plus âgés maintenant, et nous écoutons plein de types de musiques différents, même si le metal est ce qui nous a amené ici au départ. Du coup, nous prenons nos influences de partout et essayons au final de les faire sonner comme Katatonia. Le côté jazzy, c’est quelque chose que nous aimons vraiment faire, simplement pour pimenter une chanson qui évolue peut-être au départ dans un contexte heavy. Je trouve ça joli. Et je crois que tout le côté percussion, c’est aussi quelque chose que nous avons récupéré de la tournée que nous avons faite pour Dethroned And Uncrowned, car nous n’avions pas de batteur sur cette tournée mais nous avions un percussionniste. Nous apprécions vraiment la façon dont on peut, comme tu le dis, élargir la musique en y ajoutant quelques épices, comme des percussions, simplement pour que ça se tienne mieux. C’est donc quelque chose que nous avons voulu vraiment développer sur le nouvel album. Nous avons utilisé ça par le passé aussi mais je pense que sur The Fall Of Hearts, c’est mieux mis en avant qu’auparavant. C’est l’une des choses que nous avons vraiment aimé avec les trucs acoustiques. Ceci dit, il n’y a pas de véritable voix féminine. Je suppose que tu fais allusion aux petits trucs dans « Shifts » où quelqu’un chante une petite mélodie. Je crois que c’est un sample, juste pour mettre en valeur les paroles à un moment donné. Donc ce n’est pas une vraie personne que nous avons amenée au studio, malheureusement.

La chanson « Last Song Before The Fade » est d’ailleurs intrigante. C’est le genre de titre qu’on s’attend plutôt à voir en conclusion de l’album…

C’est une chanson très énergique qui commence au piano et ensuite enchaîne dans ce rythme et riff vraiment entraînant, mais aussi elle prend différents tournants, empruntant différents styles. C’est donc probablement une des chansons les plus variées de l’album. Il se pourrait qu’elle ait été la première à avoir été terminée pour l’album.

Anders : Ouais, le titre est un peu dramatique mais nous n’avons pas envisagé de la mettre en dernier sur l’album juste à cause du concept du titre. Ça aurait été bizarre. Elle se tient d’elle-même de toute façon. Je pense que plein de titres que nous avons sur nos albums pourraient être de potentiels meilleurs titres pour la dernière chanson de l’album mais ce n’était pas prévu ainsi.

Jonas : Ca fait juste partie des paroles, donc ça n’a rien à voir avec le fait de terminer la musique en fondu ou…

Anders : De toute façon, ce n’est pas le dernier album de Katatonia, donc… Le fondu est un long fondu en ce sens [petits rires].

Presque comme un fondu qui ne se termine jamais…

Exactement. C’est presque comme un cycle. Peut-être que quand tu arrives au bout du fondu ça revient en fondu inverse. Donc, qui sait ?

Katatonia by Ester Segarra

« Nous avons une approche saine du prog, alors que Mike [Åkerfeldt d’Opeth] est un fanatique obsédé ! »

L’album a un aspect plus progressif, surtout au niveau des structures qui sont plus longues et plus complexes. Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette direction ?

Je dirais que c’est venu assez naturellement parce que c’est notre dixième album et nous ne voulons pas nous répéter. Nous avons lentement construit ce groupe. Nous avons fait des albums qui sont très, très directs et très monotones. Le défi, il est évidemment lorsque l’on créé de la musique plus complexe. Je ne dis pas que nous sommes devenus un groupe technique mais c’est un challenge de toujours améliorer sa performance. Katatonia n’as pas tellement donné dans ce côté soi-disant progressif du metal en général, donc c’est quelque chose que nous trouvons très intrigant et stimulant à amener plus loin.

Et qu’est-ce que ça a changé au niveau du processus de composition ?

Les chansons sont bien plus longues cette fois, donc ça a ouvert à une certaine liberté, dans le sens où tu n’es pas contraint au même type de formule encore et encore. Tu laisses un peu les chansons s’écrire toutes seules. Ça n’a pas vraiment d’importance si ça fait huit ou quatre minutes au final. C’est une question d’aller dans le sens de l’intérêt de la chanson, au bout du compte. C’était différent mais c’était aussi très naturel. Le processus d’écriture en lui-même n’a pas été très différent par rapport aux albums passés, c’est juste que de nouveaux éléments sont entrés en considération qui, de façon plus apparente, étaient des éléments progressifs. Voilà donc où nous en sommes !

Cette approche plus progressive que vous avez sur The Fall Of Hearts peut parfois rappeler ce qu’a fait Opeth dernièrement. Avez-vous la même fascination pour la vieille musique progressive que Mikael Åkerfeldt ?

[Petits rires]

Jonas : Pas du tout ! Lui, c’est un mordu de progressif. Nous, nous sommes juste… Nous aimons certains groupes et certaines parties de ce mouvement prog. Alors que Michael est un collectionneur compulsif. Donc nous prenons les trucs prog que nous aimons et les amenons dans le contexte de Katatonia. Mais nous ne sommes pas d’aussi gros fans de prog que Michael.

Anders : Nous avons une approche saine du prog, alors que Mike est un fanatique obsédé ! Nous prenons un peu de recul et, comme l’as dit Jonas, nous en choisissons les caractéristiques que nous aimons et, de nos jours, ce sont en fait surtout les longueurs de chanson. Le nouvel album est le premier album depuis très longtemps où nous avons des chansons aussi longues. C’est une caractéristique typiquement progressive, une indication typique. Mais toutes ces petites règles sur ce qui est progressif et tout, nous n’y pensons pas trop. Nous avons nos propres petites règles et nous prenons ce que nous voulons d’un peu tout. Je n’irais jamais clamer que nous sommes un groupe de metal progressif mais si quelqu’un dit que nous le sommes, je dirais « bien », je ne le contesterais pas. Mais ce n’est pas comme si nous étions devenus un groupe de metal progressif du jour au lendemain ou quoi que ce soit de ce genre. Nous faisons des mélanges, c’est tout.

Vous avez une nouvelle fois produit l’album vous-même. Est-ce important que vous ayez le contrôle total de cet aspect de la musique ?

Jonas : Ouais, c’est clair. Je veux dire que nous pourrions impliquer un producteur et obtenir un bon résultat. Mais je pense, autant moi qu’Anders, que lorsque nous écrivons la musique, dès le départ, il y a plein d’idées que nous voulons concrétiser. Même si nous n’avons que les fondements d’une chanson, nous pouvons facilement entrevoir ce qu’elle deviendra au final, et je pense que si nous impliquions un producteur, ces visions seraient compromises. Il se peut que parfois le résultat soit meilleur mais globalement, nous nous portons mieux sans parce que nous sommes très pointilleux sur la direction que nous voulons prendre avec notre musique et il semblerait que nous sommes ceux qui la connaissons le mieux. Et puis il y a toujours des restrictions de budget. Je ne pense pas que nous ayons écarté l’idée de faire appel à un producteur simplement à cause de ça mais si nous devions le faire, alors nous aurions probablement à faire des coupes budgétaires ailleurs. Donc le budget est toujours une problématique lorsque l’on fait un album à notre époque. Mais tant que nous sommes à l’aise en le faisant nous-mêmes, il n’y a aucun besoin d’amener quelqu’un et nous pouvons mettre cet argent dans un bon mix ou autre chose à la place. En fait, je n’écarte pas la possibilité de travailler avec un producteur à l’avenir, mais aujourd’hui, nous avons le sentiment de bien maîtriser notre vision quant à la direction que doit prendre notre musique.

Le communiqué de presse du label qui accompagne l’album évoque « un voyage à travers le plus lugubre des hivers métaphysiques. » Considérez-vous donc les textes de cet album comme étant métaphysiques ? Quels sujets abordez-vous ?

Je crois que c’est la maison de disque qui a écrit cette phrase, donc je ne sais pas très bien ce qu’elle veut dire [petits rires]. Je ne sais pas si c’est métaphysique. C’est difficile à dire. Chaque texte est différent des autres. Chacun a une signification différente pour moi et pour quiconque le lit. C’est donc vraiment difficile d’identifier des choses particulières dans les paroles, et ça vaut pour n’importe quel album que nous avons fait. Ils ont tous des caractéristiques indépendantes, je dirais. Avec Katatonia, ça a toujours plutôt parlé de la part sombre de la vie de tous les jours, des luttes internes. Tout ce qui a une nuance obscure dans la vie de tous les jours, je pense, peut trouver et trouvera sa place dans des paroles à un moment donné. J’essaie juste de réfléchir sur ces choses d’une façon peut-être plus poétique ou abstraite que le simple fait de décrire un jour normal dans ma vie. J’essaie aussi de faire en sorte que chaque texte aille de pair avec sa chanson. C’est très important pour moi. C’est pourquoi je n’écris jamais à l’avance. J’ai besoin d’entendre la chanson avant de finir les paroles.

Au bout du compte, c’est quoi The Fall Of Hearts (« La chute des cœurs » ou « l’automne des cœurs », NDT) ? Quelle métaphore y a-t-il derrière ce titre ?

Ça peut être n’importe quoi. Ça peut faire référence à l’automne. Donc « l’automne des cœurs », c’est lorsqu’on vieillit. Mais aussi, pour moi, ça peut renvoyer au type de personnes que nous sommes dans le groupe et que nombre de nos fans sont, des gens sensibles, des gens qui ont un goût pour le côté lugubre de la vie. Nos cœurs ont peut-être succombé mais… Je ne sais pas, c’est très dur à dire.

Anders : Il y a plein de significations derrière ce titre, pas seulement une. Ça change suivant l’humeur du moment, en gros. Mais il représente Katatonia. Immédiatement, dès que tu vois le titre, tu te dis : « Oh, ce titre a un véritable parfum de Katatonia. » Il a bonne allure et il sonne bien, donc c’est parfait !

Katatonia by Ester Segarra

« [The Fall Of Hearts], ça peut renvoyer au type de personnes que nous sommes dans le groupe et que nombre de nos fans sont, des gens sensibles, des gens qui ont un goût pour le côté lugubre de la vie. »

D’où vient ce « goût pour le côté lugubre de la vie », comme tu dis, Jonas ?

Jonas : Je ne sais pas. Pour notre part, je pense que ça vient en partie du fait que nous soyons Suédois. Je pense que la Suède est un endroit où tu peux facilement être inspiré ou influencé par des choses lugubres, car nous avons de longs hivers et de longs automnes, la météo est un peu merdique quasi toute l’année. Ça devient très, très sombre la moitié de l’année. Mais bien sûr, nous avons des fans dans le monde entier et je pense que plein de gens se retrouvent dans ce que nous faisons, même s’ils vivent au Mexique ou peu importe. Car nous mettons aussi beaucoup d’émotions humaines dans la musique et les paroles. Ça vient du fond du cœur. Je pense qu’il est assez facile d’être attiré par cette musique si tu as ce type d’état d’esprit, que je crois beaucoup de gens ont.

Malgré l’atmosphère lugubre de l’album, il y a quand même un peu de lueur. Est-ce important malgré tout pour vous d’inspirer l’espoir dans votre musique, même si tout y semble si désespéré ?

Je pense que, musicalement, c’est plus intéressant si tu équilibres un peu les choses. Avoir un album qui n’est que de l’obscurité à répétition… Je veux dire, c’est bien, d’une certaine façon, mais ce n’est pas pour Katatonia. Nous avons besoin d’équilibre pour rendre la musique intéressante. La lumière et l’ombre, comme on dit. Evidemment, nous sommes plutôt du côté sombre mais il doit y avoir des changements dans la musique qui aident les chansons à avoir une lueur d’espoir.

L’illustration par Travis Smith est comme d’habitude très belle mais aussi énigmatique. Qu’est-ce qu’elle symbolise ?

Anders : Il n’y a pas grand-chose à dire, elle est aussi simple qu’elle en a l’air. C’est plus une question d’atmosphère que d’une quelconque histoire que cette illustration raconterait. Evidemment, tu as l’oiseau qui est la marque de fabrique de Katatona, donc ça parle pour soi. Tu n’as rien que de la désolation et tu as cet oiseau qui est piégé à l’envers dans une chute, donc tu ne sais pas vraiment dans quelle direction va l’oiseau… Je veux dire que l’oiseau a des ailes donc tu ne sais pas s’il va tomber par terre ou s’il va s’envoler de là. C’est donc à celui qui regarde de l’interpréter. Il offre beaucoup de matière et de sens à l’observateur.

Comme tu l’as dit, l’oiseau est une marque de fabrique pour Katatonia. Qu’est-ce que cet animal représente pour vous ?

Il symbolise la mort, évidemment. C’est quelque chose que nous abordons depuis les débuts du groupe. C’est un sujet très important qui va et vient dans toutes nos paroles. Et il représente aussi la liberté. Voilà la symbolique que nous relions à l’oiseau, surtout, en particulier, dans notre cas, le corbeau ou la corneille, que l’on peut observer tous les jours autour de nous ici en Scandinavie. C’est une entité parfaite pour Katatonia. Ce n’est pas quelque chose que nous avons sciemment planifié mais il se trouve que ça nous suit à travers les paroles et les illustrations, et maintenant, on le retrouve même dans notre logo, c’est donc très affilié au groupe. Nous nous y sentons très lié.

Ça fait longtemps maintenant que vous travaillez avec Travis Smith sur vos visuels. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre relation avec lui ? Comment votre collaboration fonctionne ?

La façon dont ça a fonctionné jusqu’ici avec Travis est que nous lui envoyons des codes et indications, comme des couleurs… Nous voyons les couleurs très tôt dans la conception de l’album et nous essayons de les suivre, ce qui aide beaucoup pour notre vision. Nous lui envoyons des titres, lui suggérons des petites idées, textures et ce genre de choses. En général, nous avons un concept et une idée bien spécifiques derrière l’illustration. Donc nous faisons un croquis que nous lui envoyons et nous lui demandons de faire au mieux et de faire marcher sa magie avec Photoshop. Nous procédons ainsi depuis 99, je crois que c’était la première fois que nous avons travaillé avec Travis. C’est une routine qui a bien fonctionné jusqu’ici. Donc nous verrons. Il y a plein d’autres façons d’aborder les artworks, ce n’est pas comme si… Je veux dire que nous gardons l’esprit ouvert par rapport à ça aussi. Tu peux faire le choix de Photoshop ou bien tu peux faire le choix d’une photographie complètement réaliste, si tu le souhaite, ou bien tu peux également choisir une peinture très artistique. Il y a plein de portes ouvertes mais nous verrons, nous ne fermons aucune porte. Nous les gardons toutes ouvertes et nous verrons ce qu’il adviendra à l’avenir.

Cet album est le premier avec votre nouveau batteur Daniel Moilanen et votre nouveau guitariste Roger Öjersson. Quelle a été leur implication sur cet album et qu’ont-ils apporté au son de Katatonia ?

On peut facilement se rendre compte de ce que notre nouveau batteur Daniel a apporté parce qu’il a fait une prestation fantastique. Il joue la batterie sur chaque chanson et il a fait un boulot merveilleux. Il a en fait mis la barre plus haute au point où, en ayant ses capacités de batteur en tête, nous pouvions amener la composition des chansons à un autre niveau. C’est donc un incroyable atout pour Katatonia aujourd’hui. Il n’y a rien qui nous retient et il n’y a aucun compromis au niveau des parties de batterie. Roger, lui, est arrivé très tard dans le processus. L’album était déjà écrit et enregistré lorsqu’il est arrivé. Il est arrivé juste à temps pour pimenter l’album de quelques solos, et c’est bien qu’il ait pu laisser sa marque aussi. Car on va pouvoir en voir davantage de la part de Roger. C’est un musicien fantastique également. C’est un super chanteur, un super guitariste et, si tu y réfléchis, c’est aussi un super bassiste et un super batteur. Ce sera un très bon atout pour le groupe en live. Il va faire plus de chœurs que nous n’en avons jamais eus auparavant, il va un peu pimenter certaines des vieilles parties de guitare et il rendra aussi justice aux autres parties. Nous allons donc clairement bénéficier de la présence de Roger sur scène. Il sera occupé ! C’est juste un musicien fantastique qui va relever le niveau du groupe en live.

Est-ce que c’est lui qui jouera les percussions ?

Non, les percussions seront des samples.

Katatonia - The Fall Of Hearts

« Nous sommes très dévoués à nos albums qui sont les choses les plus importantes dans nos vies. »

Est-ce que ça veut dire qu’avant d’avoir Roger, vous deviez faire des compromis avec vos chansons en live par rapport à la façon dont elles étaient faites en studio ?

Il y a toujours des détails particuliers sur lesquels tu dois faire des compromis parce que tu n’as pas un line-up capable d’exécuter tous ces sons en concert. Soit tu les mets sur samples, ce qui revient aussi à faire un compromis, d’une certaine façon, mais c’est un compromis qui nous convient, ou bien… Ouais, il se peut qu’il y ait des parties qui sont très délicates à jouer en concert aussi et je pense qu’avec le nouveau line-up que nous avons aujourd’hui, tous ces obstacles partent par la fenêtre. Nous pouvons tout faire !

Et pensez-vous qu’il sera également utile en tant que multi-instrumentiste au niveau composition ?

Ça reste à voir. Katatonia a un certain style dans lequel nous filtrons ce qui passe. Nous nous fichons de qui écrit les chansons, du moment que ce sont de bonnes chansons et que ça sonne comme Katatonia. Donc s’il débarque avec une chanson que moi et Jonas aimons, la chanson sera incluse et il aura fait du super boulot ! C’est aussi simple que ça. N’importe qui dans le groupe est le bienvenu pour écrire. Il se trouve juste qu’au final c’est toujours moi et Jonas qui le faisons. Mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas une démocratie dans le groupe. Les autres, bien entendu, apportent également leurs pattes à la musique. Tu mets un autre batteur sur l’album et ça ne sonnerait pas pareil. Ils contribuent beaucoup en termes d’interprétation. Mais au niveau écriture, il faudra voir. C’est encore tôt pour Roger. Nous avons beaucoup de concerts à donner avec lui et il va se passer pas mal de temps avant que nous pensions à un nouvel album. Donc nous croisons les doigts et peut-être aurons-nous un nouvel atout créatif dans le groupe, nous verrons.

Mais penses-tu qu’avoir en tête le fait que vous ayez un multi-instrumentiste dans le groupe sera utile pour vous en tant que compositeurs ?

Ouais, c’est sûr ! Car lorsque tu écris et que tu as en tête le fait d’être entouré de musiciens qui peuvent faire tout ce que tu leur demande de jouer, c’est clair que ça affecte ta composition. C’est comme lorsque nous avons eu Daniel Moilanen en tant que batteur. Plus rien ne nous retenait au niveau arrangement de batterie. Nous pouvions faire tout ce que nous voulions. C’est pareil avec Roger, lorsque nous écrirons de nouvelles chansons, nous allons assurément avoir Roger en tête pour défaire les nœuds, pour ainsi dire.

Aviez-vous le sentiment d’être dans la retenue au niveau batterie avec votre précédent batteur, Daniel Liljekvist ?

Eh bien, c’est difficile de savoir ce que « retenue » veut dire. Je veux dire que ces gars sont deux individus différents qui ont des styles différents. Donc l’un peut être meilleur à quelque chose que l’autre, tu vois. C’est pareil pour tout le monde. Si tu es au travail et que tu as une tâche, tu voudras la donner à quelqu’un capable de la faire. Si tu n’as que cinq personnes dans le groupe, c’est assez difficile de faire en sorte de tout concrétiser. C’est pareil pour moi : je ne peux pas faire tout ce que j’aimerais faire à la guitare non plus, car je n’en suis pas capable, tu vois. C’est donc bien d’avoir des gens qui comblent tes lacunes, pour ainsi dire.

Per et Daniel ont tous les deux quitté le groupe en 2014 et ça a pris pas mal de temps pour les voir remplacer. Est-ce difficile pour un groupe comme Katatonia de trouver les bons musiciens ?

Ça a toujours été difficile. Nous avons lutté avec ça pendant toute notre vie, en fait. Il y a des gens qui vont et viennent. Si tu n’as pas le cœur à ça, alors tu ne resteras pas bien longtemps. Katatonia est probablement le plus éloigné que tu puisses être de la mentalité fast food. Nous faisons les choses très sérieusement et avec beaucoup de passion et nous sommes très dévoués à nos albums qui sont les choses les plus importantes dans nos vies. C’est donc rare de trouver des gens qui partagent ça et ne sont pas simplement là pour passer du bon temps et être dans un groupe ou peu importe. Ça va plus loin que ça. Pour Katatonia les racines sont plus profondes. Ceci dit, avec le nouveau line-up que nous avons aujourd’hui, c’est probablement le plus proche que nous avons été de voir la stabilité, car les musiciens sont très professionnels et, à la fois, tout le monde comprend ce qu’est le groupe. En fait, je me sens vraiment bien là tout de suite ! Mieux que depuis des années !

En 2014, le guitariste Per Eriksson et vous vous êtes « mutuellement mis d’accord pour [vous] séparer » en raison de « divergences de points de vues. » Pouvez-vous nous dire quelles étaient ces divergences ?

Jonas : Je pense que lorsque Per a quitté le groupe, c’était un certain nombre de choses qui ont mené à ça. Tout d’abord, je pense que la musique de Katatonia n’était pas son style préféré. En fait, c’est bien plus un guitariste de death metal comme il le prouve au sein de Bloodbath où nous jouons encore avec lui. Il a aussi déménagé à Barcelone, ce qui a compliqué nos répétitions. Nous sommes toujours bons amis. Il n’y a absolument aucun drame. Je pense qu’il se porte mieux à jouer ce style de guitare shred que le style de Katatonia qui est, la plupart du temps, un peu plus posé.

N’avez-vous pas considéré embaucher Bruce Soord ou Tomas Akvik qui ont joué live avec vous lorsque Per est parti ?

Bruce a joué avec nous sur les concerts acoustiques mais il vit en Angleterre et nous voulions quelqu’un qui vivait en Suède, de préférence à Stockholm où nous sommes basés. Et Tomas Akvik, c’était juste un mec de session qui nous a aidés pour le live jusqu’à ce que nous trouvions un guitariste permanent. Il ne voulait pas rejoindre le groupe. Nous étions content qu’il le fasse, c’était un super guitariste aussi, mais maintenant, avec un peu de chance, nous avons à nouveau un line-up stable.

Il y a deux ans, le batteur Daniel Liljekvist a quitté le groupe parce qu’il avait besoin de passer un peu de temps avec sa famille mais aussi parce qu’il avait besoin de trouver un boulot « qui paie les factures. » Et ceci était incompatible avec les activités du groupe. Comment ça se fait que vous ne soyez pas confrontés aux mêmes problèmes, si Katatonia ne paie pas les factures ?

Tout dépend quelle quantité d’argent au minimum tu as besoin [petits rires]. En fait, au moment où il a quitté le groupe, Daniel et sa femme attendaient un enfant. En soit, avoir trois enfants, ça devient aussi une problématique en termes financier. Aussi, lorsque nous tournions, vers la fin, il voulait toujours rentrer à la maison voir sa famille. Il est très attiré par… Nous le sommes tous, bien sûr, mais surtout Daniel, il se sentait mal loin de sa famille. Financièrement, ouais, ce n’est pas facile pour nous de faire ceci en tant que boulot et certaines personnes veulent peut-être avoir plus d’argent dans leur vie privée. Nous avons choisi de vivre de façon assez minimale pour pouvoir faire ce que nous faisons et ce n’est pas pour tout le monde.

Katatonia by Ester Segarra

« Nous avons choisi de vivre de façon assez minimale pour pouvoir faire ce que nous faisons et ce n’est pas pour tout le monde. »

Parvenez-vous à vivre de votre musique ou avez-vous toujours besoin d’avoir des « boulots normaux » à côté du groupe ?

Certains d’entre nous ont des boulots à temps partiel. Moi et Anders, nous le faisons à plein temps pour pouvoir faire des trucs comme ça, faire des voyages de presse, écrire l’album et ce genre de choses. Donc nous avons fait ce choix mais ça ne nous enrichit pas [petits rires].

Anders : Après, d’un autre côté, c’est un énorme sacrifice parce que tu finis toujours sans un sou et tu dois faire une croix sur certaines choses dans ta vie pour pouvoir faire ça. Tu ne peux pas aller dépenser ton argent dans ce que tu veux. Tu dois vraiment choisir judicieusement. Tout ce que nous faisons est réinvesti dans le groupe parce que c’est le choix que nous avons fait. Nous avons dès le début fait un sacrifice et nous poursuivons notre vision. On n’a qu’une vie, tu sais, il faut donc aller au bout de ce qu’on veut faire. Le temps est précieux, tu sais. Si tu ne le fais pas maintenant, alors tu seras désolé et tu le regretteras ; c’est le pire des sentiments, le fait de regretter des choses et d’être malheureux plus tard en ayant de l’argent. Je préfère faire ça maintenant tant qu’il est temps, car nous ne rajeunissons pas non plus [petits rires]. Ce n’est pas comme si nous pouvions stopper le temps ou quoi. Mais nous aimons nous entourer de gens qui pensent la même chose et lorsque nous y parvenons, nous sommes forts mentalement.

Jonas, tu as dit que vous avez « choisi de vivre de façon assez minimale » pour pouvoir faire le groupe et tu as aussi mentionné plus tôt des problématiques budgétaires. Est-ce si dur financièrement pour un groupe comme Katatonia ?

Jonas : Ouais, je pense que pour beaucoup de groupes dans notre situation, où tu ne vends pas des tonnes d’albums, tu dois prendre chaque aspect en considération pour économiser de l’argent ou bien déterminer ce sur quoi dépenser de l’argent. C’est donc difficile mais, bien sûr, nous faisons en sorte que ça fonctionne parce que nous adorons le faire. Je ne sais pas, c’est difficile de savoir tout le temps où on en est financièrement. C’est évidemment différent lorsque tu es en tournée parce qu’il y a de l’argent qui rentre grâce à ça mais si tu es en pause, ce sera plus difficile. Chaque situation est différente, en gros. Mais c’est éprouvant, tu sais. Je pense que la plupart des groupes de notre niveau seront d’accord là-dessus.

Ça fait un moment que le groupe existe. Du coup, est-ce plus dur maintenant ?

Ça aussi c’est difficile à dire. En fait… Je ne sais pas. C’est sûr que le groupe grandi à chaque album mais à la fois, on dirait qu’il y a de moins en moins de gens qui veulent acheter les albums et tout, donc c’est… Je ne peux pas vraiment dire si c’est mieux maintenant ou si la situation est pire parce que nous n’avons jamais été comme un groupe à succès dans les années 80, donc on ne peut pas vraiment comparer à quoi que ce soit. Nous avons pris l’habitude de vivre dans une situation de pénurie financière, donc ce n’est pas nouveau pour nous.

Est-ce que vous auriez aimé être un groupe dans les années 80 ?

Ouais !

Anders : Bien sûr ! Qui ne l’aurait pas aimé ? C’était l’âge d’or pour la musique en général. Pas forcément toujours musicalement mais pour n’importe quel groupe, tout était énorme. Ca n’avait pas d’importance si tu étais un groupe de pop ou de hard rock, de heavy metal ou peu importe, tout le monde était gros à l’époque ! Donc les années 80, c’était génial !

Est-ce que ça veut dire que vous préférez les années 80 aux années 70 ?

Les années 70 étaient bien aussi. Ça me va. Tu peux choisir l’un ou l’autre, les deux me vont !

La musique de Katatonia a toujours été écrite par vous deux. Pouvez-vous nous dire comment se passe votre collaboration et relation de travail ?

Jonas : Pour les quelques derniers album, nous avons travaillé d’une façon qui était vraiment confortable. Tout d’abord, nous ne sommes pas le genre de personnes capables d’écrire en tournée. Je pense que moi et Anders avons tous les deux besoin d’un cadre sans aucune distraction au moment où nous faisons de la musique. Donc lorsque nous nous posons chez nous séparément, nous commençons à enregistrer des idées et nous nous les échangeons pour avoir le point de vue de l’autre. C’est sain d’avoir un second avis sur à peu près tout ce que tu fais. Dans la mesure où nous faisons ça depuis si longtemps, nous savons à peu près à quoi s’attendre l’un de l’autre. Par exemple, si Anders m’envoie quelque chose, je sais qu’il sera capable d’ajouter si et ça pour le faire sonner encore plus comme Katatonia, et c’est aussi vrai dans l’autre sens. En général, nous nous envoyons juste des choses jusqu’à obtenir les bases des chansons, ensuite je rajoute des idées vocales et nous envoyons ça aux autres gars pour voir également ce qu’ils en disent, ainsi ils ont toujours l’occasion de contribuer à la façon dont le groupe peut sonner. La façon dont nous fonctionnons est très fructueuse, je trouve. Il se peut que ça ne fonctionne pas pour n’importe quel groupe mais pour nous, c’est parfait.

Les autres ne sont pas intéressés pour apporter leurs propres chansons ?

Pas vraiment. Je veux dire que nous avons toujours encouragé chaque membre que nous avons eu, et que nous avons aujourd’hui, à écrire. Parfois ils amènent quelque chose, mais la plupart du temps ils n’amènent rien. C’est difficile pour moi d’expliquer pourquoi c’est ainsi mais peut-être qu’ils ont l’impression que ce qu’ils font ne sonnera pas assez Katatonia ou bien ils nous font entièrement confiance. Mais il est toujours important pour moi d’avoir l’avis du batteur, du bassiste, etc. pour voir où ils ont envie d’aller avec les chansons, sous la perspective de leurs instruments respectifs. Je dirais que c’est un travail d’équipe mais c’est principalement moi et Anders qui écrivons. C’est comme ça que ça a fonctionné jusqu’à présent.

Katatonia by Therés Stephansdotter Björk

« [Les jeunes de l’âge d’internet] devraient se rendre eux-mêmes service en remontant les traces de leurs prédécesseurs et en apprenant toute l’histoire, voyant comment les choses ont évoluées. »

Anders, tu as mentionné un peu plus tôt que « Katatonia a un certain style dans lequel [vous] filtr[ez] ce qui passe. » Est-ce que ça signifie que le style de Katatonia est quelque chose de très conscient et réfléchi, par opposition à quelque chose qui viendrait de façon organique ?

Anders : Pour moi et Jonas, c’est très naturel. Nous n’avons même pas à penser à ce filtre. Ce filtre, c’est l’intuition. Mais pour d’autres gens, je pense que ça peut être un problème qui explique pourquoi ils ne contribuent pas autant. Peut-être qu’ils ne ressentent pas ce filtre de façon aussi naturelle que nous. Je veux dire que moi et Jonas, nous pouvons immédiatement nous mettre d’accord si une idée conviendra à Katatonia ou pas. C’est ça la différence entre nous.

Est-ce important pour un groupe de cadrer son style et y mettre des limites ?

Eh bien, c’est ce qui fait que nous sommes Katatonia ! Car si on n’aime qu’un certain style… Je veux dire que nous sommes très ouverts mais, au milieu de ça, nous avons un grand filtre qui s’applique à chaque catégorie. Donc mettre en œuvre uniquement ce que nous aimons, c’est ce qui fait le son de Katatonia. Et je ne vois pas ça comme une limite, je vois ça comme un niveau de qualité.

Que pouvez-vous nous dire au sujet des trois titres bonus qui sont sur la version deluxe de l’album ? Surtout celui avec Gregor Mackintosh de Paradise Lost ?

Ca, en fait, c’est la version digitale. Je n’ai pas beaucoup parlé de cette version parce que c’est la moins intéressante. Ce n’est pas quelque chose que tu peux tenir dans tes mains. La chanson, en soi, est sympa, elle sonne un peu plus comme du vieux Katatonia traditionnel mais le solo de Gregor Mackintosh est incroyable ! C’est tellement son style ! Tu n’as besoin d’entendre qu’une seconde pour te rendre compte que c’est Gregor Mackintosh qui joue de la guitare. Le résultat est super. Mais il y a quelques titres bonus sur tous les formats et tous sont sympas pour des raisons différentes. Je pense juste que les gens devraient se procurer ce qu’ils aiment le plus et s’ils peuvent se le permettre, tous se les procurer mais ce n’est pas indispensable.

La lyric video de la chanson « Old Heart Falls » est basée sur une vieille machine à écrire. Et vous avez déclaré qu’ « il y a trente ans lorsque [vous étiez] actifs dans la scène underground où on s’échangeait des cassettes, il n’y avait pas d’ordinateur, donc [vous deviez] écrire toutes [vos] lettres à la main [en utilisant] une machine à écrire. » Et vous disiez que ça procurait « un sentiment particulier qu’aucun ordinateur ne pourrait imiter. » Pouvez-vous décrire ce sentiment, ce qu’il avait de si spécial ?

En gros, c’était très primitif. Et ça représentait beaucoup de travail ! En fait, je me souviens qu’il fallait vraiment mettre de la passion à écrire des lettres. Il n’y avait pas de touche retour arrière ou peu importe comment tu appelles ça, il fallait réfléchir avant d’écrire et tu écrivais avec passion, et c’était fait manuellement. Et tu faisais ça tous les jours avec des centaines d’amis que tu avais à travers le globe, simplement pour rester en contact et échanger de nouvelles démos, envoyer des prospectus, échanger des magazines et tout. Pendant un bon moment ça faisait partie de ta vie. Être assis, à faire ça pendant des heures, ça créait ce sentiment. Je veux dire que tu es là tout seul à faire ça. Et depuis nous avons arrêté, en gros. Donc le fait de voir cette vieille machine à écrire, ça rappelle énormément ces premières années lorsque tout était tellement nouveau, c’était palpitant et c’était très spécial. C’était donc une façon sympa de revenir en arrière et rendre comme un petit hommage à ces années-là. Et à la fois, ça permettait d’éviter ces lyrics videos typiques que nous n’aimons pas vraiment et que de toute façon tout le monde fait. C’était du gagnant-gagnant ! Ca a vraiment fait du bien. J’adore cette vidéo ! Le résultat est super !

Es-tu nostalgique de cette scène underground d’il y a trente ans ?

[Petits rires] Oh ouais ! Bien sûr ! Ca a pris une telle part de notre vie. Nous avons grandi avec. C’est ce que nous côtoyions chaque jour pendant de nombreuses années. Et ces années-là étaient nos années formatrices, donc elles nous ont laissés de très forts et authentiques souvenirs. Je suis quelqu’un d’assez nostalgique par nature. Ce n’est pas comme si je repensais tous les jours à cette époque mais si je commence à y penser, ça devient quelque chose de très nostalgique.

Dirais-tu que le fait que cette scène où on s’échangeait des cassettes n’existe plus vraiment a changé le visage de la scène metal ?

Je n’y ai même pas réfléchi. Je suppose qu’un équivalent aujourd’hui à l’échange de cassette serait le fait de s’échanger des liens YouTube [rires]. Mais la mentalité est différente. C’est ça la différence entre cette époque et aujourd’hui : la mentalité.

Penses-tu que la jeune génération née à l’âge d’internet loupe quelque chose ?

Oh ouais, ils loupent énormément. Ils devraient revenir… Tout d’abord, ils devraient se rendre eux-mêmes service en remontant les traces de leurs prédécesseurs et en apprenant toute l’histoire, voyant comment les choses ont évoluées. Car il y a plein de gens qui ignorent totalement ce qui s’est passé avant l’âge d’internet et ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’il se passait, à quoi ressemblait la scène ou quoi. Et c’est vraiment faire preuve d’ignorance, je trouve.

Tu disais que vous n’aimiez pas vraiment ces lyric videos typiques que tout le monde fait. Qu’est-ce que tu leur reproche ?

Elles sont ennuyeuses ! C’est aussi simple que ça ! Je veux dire que lorsque j’ai vu la première, c’était assez impressionnant mais dès que tu en avais vu trois, tu en avais déjà marre. Car tout le monde fait exactement la même chose et ils ne font qu’essayer de les rendre de plus en plus dingues, pour faire mieux que les autres. C’est comme un cirque, ça n’a aucun véritable but, ce n’est que de la gymnastique… C’était cool la première fois mais maintenant, ça a été tellement fait et refait que ce n’est clairement pas intéressant à faire pour un groupe comme nous.

As-tu le sentiment que la musique est en train de devenir une compétition de nos jours ?

Il y a beaucoup de compétition aujourd’hui. Surtout au niveau des tournées, c’est là où je vois la compétition en ce moment. Je me fiche des compétitions musicales parce que de toutes façons, nous ferons ce que nous faisons indépendamment de ça et nous ne regardons pas les autres groupes pour nous mesurer à eux. Nous sonnerions comme nous sonnons, peu importe la situation dans laquelle nous nous trouverions, peu importe si nous sommes gros ou petits. Mais la compétition là tout de suite est dans tout l’aspect tournée. Tout le monde se dispute l’audience et, en gros, leur argent de poche. Parce que les gens ne peuvent pas se permettre d’aller à un concert tous les soirs de la semaine alors que de nos jours, il y a quantité de tournées qui se battent et entrent en compétition toute l’année ronde. C’est vraiment dingue. Et ça, c’est le résultat de la chute des ventes de disques.

Katatonia by Therés Stephansdotter Björk

« Au niveau des tournées, c’est là où je vois la compétition en ce moment. […] Tout le monde se dispute l’audience et leur argent de poche. »

A la fin 2014, vous avez sorti le premier album de Bloodbath avec le nouveau chanteur Nick Holmes. Avec le recul, que pensez-vous de ce changement de chanteur et l’album Grand Morbid Funeral ?

Jonas : Je trouve que c’est super ! Autant le changement de chanteur que le résultat final de l’album, c’est parfait. C’est exactement ce que nous voulions que ce soit. Nous avions changé de chanteur avant, c’était d’ailleurs l’une des premières choses dont nous avons parlé lorsque nous avons démarré Bloodbath, ou tout du moins lorsque Peter [Tägtgren] a fait le second album, nous avons dit que peut-être nous devrions avoir un chanteur différent pour chaque album ou quelque chose comme ça. Ce n’est donc pas nouveau pour Bloodbath d’avoir un chanteur différent. Là tout de suite, nous sommes très contents avec Nick et il est à fond dans Bloodbath. Je pense que tout le monde est très content de la façon dont les choses ont évoluées avec lui derrière le micro. Et l’album a été très bien reçu des gens. Surtout ceux qui étaient peut-être un peu plus porté sur le style death metal de la vieille école et c’est aussi quelque chose que nous voulions incarner sur l’album, puisque Nick y faisait le chant. Il vient de la vieille école du death metal. Il sonne comme ça sonnait vers la fin des années 80, début des années 90. Donc pour ceux qui ont ce type de death metal dans leur cœur, c’est juste parfait, et nous sommes nous-même de grands fans de ce style. Nous sommes très contents du son que nous avons illustré sur l’album Grand Morbid Funeral.

Vous êtes tous les deux dans Bloodbath, dont le style n’a rien à voir avec Katatonia. Diriez-vous que la dynamique de travail est également différente ou bien y voyez-vous des similarités ?

Anders : Je pense que ça fonctionne pareil, dans la mesure où nous écrivons tous individuellement. Nous ne répétons jamais. Nous ne faisons jamais de jams. Nous n’écrivons jamais sur la route. Il y a donc plein de similarités. C’est plus un ensemble d’individus différents qui se rassemblent en de rares occasions, simplement pour s’amuser et rendre hommage à la vieille époque. C’est juste pour s’éclater, vraiment ! Rien de plus.

Est-ce que le fait d’avoir Bloodbath en tant que projet parallèle vous permet d’étendre Katatonia vers des cercles un peu hors metal, sachant que vous avez toujours ce groupe de death metal pour exprimer vos envies de gros metal ?

Jonas : Ouais mais quand même, le metal que nous faisons dans Bloodbath n’est de toute façon pas quelque chose que nous ferions dans Katatonia. Je veux dire que Bloodbath est carrément plus extrême, alors que les parties metal dans Katatonia sont plus basées sur des riffs atmosphériques. C’est donc difficile de comparer les deux. Evidemment, nous y allons un peu plus fort avec le metal sur Bloodbath mais avec Katatonia, on peut quand même satisfaire les envies de trucs heavy. Je crois que ce que nous avons fait avec cet album, c’est assurément un album de metal. Je pense que cet album est plus heavy que Dead End Kings. Il représente où nous en sommes aujourd’hui. Nous ne savons pas ce que le futur amènera mais nous aimons toujours la musique metal. Katatonia est toujours un mélange de trucs heavy et de trucs doux. Parfois c’est plus doux et parfois c’est plus heavy.

Anders : Ouais, la différence entre le côté heavy de Bloodbath et celui de Katatonia est très simple : la lourdeur brutale dans Bloodbath alors que dans Katatonia, c’est une simple lourdeur, pour ce qui est du côté metal.

En fait, Nick a continué avec le chant death metal avec le nouvel album de Paradise Lost sorti après l’album de Bloodbath. Je ne sais pas pour toi Jonas, mais je sais, Anders, que tu es un fan de Paradise Lost, du coup, qu’avez-vous pensé du résultat ?

C’est cool ! Je trouve que c’est… Je ne sais pas [rires]. Je trouve simplement ça cool, en fait ! Je ne pense pas que Bloodbath était vraiment le… [Réfléchit] Je ne sais pas. Pour être honnête, je ne vais rien dire parce que je ne sais pas. Je trouve juste que c’est cool.

Jonas : Ouais, en fait, je suis également un fan de Paradise Lost. C’est même l’un des groupes qui nous ont poussés à former Katatonia au départ. Ce qu’ils ont fait avec le nouvel album est vraiment cool. Surtout la chanson « Beneath Broken Heart », c’est une manière parfaite de revenir à ce qu’ils faisaient lorsqu’ils sont devenus le groupe Paradise Lost, et ils ont amené ça dans un contexte où ça fonctionne très bien aujourd’hui. Ce sont les racines qui éclatent au grand jour. Je dois dire que c’était une très bonne décision. Je ne pense pas qu’ils l’aient fait pour prouver quoi que ce soit aux fans. Ça donne le sentiment d’un souhait sincère de revenir en arrière et jouer certains des trucs qu’ils ont fait au début. Ce n’est probablement rien de plus que ça et ça sonne vraiment classe !

Avez-vous déjà songé également à faire revenir le chant death metal dans Katatonia ?

Pas vraiment, je pense que nous en avons fini avec ça. Donc non, ce n’est pas quelque chose que nous prévoyons de faire. C’est du passé. Je suis très content de comment c’était mais nous sommes passés à autre chose et nous ne ressentons pas vraiment le besoin de le refaire. Il n’y a donc aucune raison de le faire.

Jonas, tu as sorti en 2013 un album avec Bruce Soord intitulé Wisdom Of Crowds. L’année dernière Bruce nous a dit que « le plan est de faire un autre album de Wisdom Of Crowds » et que tu étais « très motivé pour prendre un rôle plus créatif. » Peux-tu nous en dire plus et à quoi peut-on s’attendre ?

Eh bien, là tout de suite, c’est difficile à dire parce que nous allons être très occupés avec Katatonia pendant au moins un an. Le truc avec Wisdom Of Crowds, c’est que sur le premier album, je suis juste intervenu en tant que chanteur, je n’ai fait que chanter, en gros, ce qui était déjà sur la démo. Mais j’ai dit à Bruce – et je pense que c’était aussi son souhait – que si nous en faisions un autre, je serais peut-être davantage impliqué dans la composition et les paroles. C’est assurément quelque chose que nous avons hâte de faire dès que nous en aurons le temps. Car je sais que Bruce sera également occupé, il vient tout juste de sortir un album solo et je crois qu’il est déjà en train de terminer un autre album avec son groupe principal, Pineapple Thief. Je suppose que c’est la même chose qu’avec Bloodbath, où tous les membres sont aussi membres d’autres groupes qui se portent assez bien. Et c’est toujours une malédiction parce que tu ne trouves presque jamais le temps de faire quoi que ce soit parce que tout le monde est très occupé. Mais, tu sais, c’est bien d’être occupé ! Je suis impatient de retravailler avec Bruce et voir ce qui va se passer mais là tout de suite, il est clair que je suis concentré sur l’album de Katatonia. Je veux dire que peut-être nous pourrons glisser un peu d’écriture à un moment donné mais pour vraiment se concentrer sur la réalisation d’un album, je veux avoir du temps libre et ça, ça n’arrivera pas avant 2017.

Interview réalisée en face à face et par téléphone les 6 avril et 4 mai 2016 par Valentin Istria et Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Ester Segarra (1, 2, 3, 4 & 6) & Therés Stephansdotter Björk (7 & 8).

Site officiel de Katatonia : katatonia.com



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