Pour Jean-Paul Gaster, batteur de Clutch, le rock’n’roll est un art qui se perd. Voilà pourquoi le groupe est revenu cette année avec un nouvel album, Earth Rocker, très largement inspiré, à leur manière, des origines de ce courant, dans ce qu’il est, dans ce qu’il représente mais aussi dans la manière dont il est joué. Ceci signifie une musique plus brute, directe et avec davantage de vélocité mais sans toutefois perdre en finesse de jeu. Un subtil alliage qui se fait rare et fait de ce Earth Rocker un album majeur de cette année 2013.
La recette, c’est dans ses récentes tournées en compagnie de Motörhead et de Thin Lizzy que Clutch a en partie été la chercher. Mais également dans l’histoire du rock’n’roll, Gaster s’avouant être un admirateur du travail de ces batteurs qui ont façonné à ses origines la manière de le jouer.
L’évolution, pour Clutch, est on ne peut plus naturelle. Lui qui affichait déjà par le passé ce genre de sensibilité et un goût prononcé pour les sessions de jam, comme celles qui ont servi de base à ce nouvel album et ont pu même amener le groupe sur des terrains un peu plus jazzy par moments.
Jean-Paul Gaster nous raconte tout ceci.
Radio Metal : Earth Rocker est un album de rock plutôt direct. Vous avez déclaré que les influences blues avec lesquelles vous avez flirté sur les quelques derniers albums étaient plus ou moins absentes de ce nouvel album, mais que vous ne vous en étiez pas rendus compte avant de le réécouter avec du recul. Il semblerait que vous vous êtes vous-mêmes surpris avec cet album…
Jean-Paul Gaster (batterie) : Ouais, je le pense. Très tôt pendant l’enregistrement de l’album nous avons vraiment consciemment choisi les chansons qui étaient directes et avec un tempo rapide. Je pense que les éléments blues sont sûrement toujours présents mais c’est quelque chose auquel nous ne pensions pas particulièrement pour cet album. Il a des saveurs légèrement différentes de certains de nos albums passés.
Est-ce que la tournée avec Motörhead a influencé votre orientation ?
Absolument, de bien des manières. Ce qui est intéressant à propos de Motörhead, tout du moins pour moi, c’est que lorsque j’étais un jeune homme et que j’écoutais Motörhead, je trouvais que ce groupe était le plus heavy dans le heavy metal et probablement la chose qui envoyait le plus dans ce que j’avais pu écouter à ce stade. Lorsque j’écoute du Motörhead aujourd’hui, j’y vois un lien avec le très vieux rock’n’roll. Donc, lorsque je les écoute aujourd’hui, je pense à un groupe de rhythm-and-blues avec des amplis poussés. C’est quelque chose d’intéressant qui se passe : plus tu apprends au sujet de la musique, plus tu peux mettre une nouvelle perspective sur ce que tu as écouté pendant des années.
Qu’écoutiez-vous avant d’écrire ce nouvel album et est-ce que cela a inconsciemment influencé le groupe ?
Je suis certain que ça a une influence. Nous écoutons énormément de musique sur la route, une très large variété de musiques. Généralement, ce n’est pas de la musique forte ou rapide, ce qui, en y réfléchissant, est intéressant. Mais oui, nous écoutons énormément de musique. A titre personnel, j’écoute beaucoup de vieux batteurs, des batteurs qui ont en quelque sorte modelé notre manière de penser et de jouer la batterie rock’n’roll. J’écoute donc Earl Palmer qui a joué avec presque tout le monde mais surtout Fats Domino et Professor Longhair. Ce feeling que l’on trouve dans les origines du jeu de batterie rock’n’roll a été très important pour moi.
Peut-on dire que vous aviez besoin de vous échapper un peu de ce que vous avez fait musicalement ces dernières années ?
Je ne crois pas qu’il y avait une envie d’échapper à quoi que ce soit. Je crois que, plus que tout, il s’agissait d’un développement de notre son. Nous jouons beaucoup, nous bœuffons beaucoup, donc le son du groupe évolue constamment. Cette fois-ci il y avait une approche un peu plus directe dans la manière dont cet album a été fait. Je crois que l’enregistrement en lui-même a un son très efficace.
Est-ce que le fait de jouer plus vite sur cet album était un critère particulier que le groupe voulait prendre en compte ?
C’était une chose importante à faire pour nous. Nous pensons qu’il y a un manque d’albums purement rock’n’roll de nos jours. Il y a peu de groupes qui abordent la musique de cette manière, et en cela j’entends le fait de jouer du rock’n’roll de manière très brute mais aussi avec beaucoup de finesse. Ce n’est pas parce que tu rends les choses brutes ou plus directes que cela veut nécessairement dire que le jeu doit être pauvre. Nous continuons à développer notre propre son sur les instruments.
La vitesse des morceaux vous a-t-elle posé des difficultés ?
Non, absolument pas. C’était très naturel à faire. Et je pense que le fait d’avoir tourné avec Motörhead et Thin Lizzy nous a beaucoup inspirés et poussés à jouer des tempos plus rapides. De bien des manières, il s’agit là d’un des albums les plus rapides que nous ayons enregistré.
Sur l’album il y a un titre intitulé « Gone Cold » avec un feeling très jazzy et groovy. Pourrait-on imaginer que poussiez davantage cette orientation dans le futur ?
Bien sûr, c’est possible. Lorsque nous nous retrouvons pour faire de la musique, nous ne parlons pas vraiment du type d’album que nous allons enregistrer ou du type de chansons que nous voulons écrire. Ça survient naturellement. « Gone Cold » était l’une des dernières chansons que nous avons écrite pour cet album et l’une des raisons à cela est que nous savions que nous avions besoin d’une chanson pour faire respirer l’album. Nous avions beaucoup de chansons rapides et qui envoyaient et nous voulions ajouter quelque chose au milieu de l’album pour arrondir un peu le tout et peut-être donner une chance à l’auditeur de faire une pause avant de repartir sur la suite. Ainsi « Gone Cold » le fait très bien. C’est la première fois que j’ai enregistré en jouant avec des balais. Jouer avec des balais est une compétence en soit et c’est quelque chose qui pendant des années m’a intimidé. Beaucoup de batteurs diront qu’ils savent jouer avec des balais mais tout ce qu’ils font, vraiment, c’est simplement taper sur la batterie avec les balais et ceci, pour moi, ce n’est pas vraiment jouer avec des balais. La chose la plus importante selon moi dans le fait de jouer avec des balais c’est que ton corps tout entier doit bouger en rythme. Ce n’est pas tant une question de frapper quelque chose en rythme que de bouger en rythme. C’était donc un challenge pour moi et j’étais très fier d’avoir été capable de faire ça sur « Gone Cold ».
Sur la pochette de l’album on voit le visage d’un homme qui semble être un indien d’Amérique. Cela veut-il dire qu’ils sont pour vous les Earth Rockers (« rockers de la terre ») ?
Eh bien, ça pourrait l’être. Je pense que ce qui est super à propos de l’imagerie de l’album, c’est que qu’elle laisse la part belle à de nombreuses interprétations. Tu peux considérer cet homme comme le Earth Rocker. Il y a aussi une chanson, juste après « Gone Cold », intitulée « The Face » (« Le Visage ») et je sais que quand j’écoute cette chanson et regarde la pochette, pour moi, les deux sont liées. Mais ce n’était pas quelque chose d’intentionnel. C’est ce qui est super à propos de nos artworks : tu peux vraiment faire tes propres conclusions sur ce qu’est Earth Rocker et de la manière dont c’est lié à l’album. Donc, dans ma tête, la pochette, cet Indien d’Amérique, est le visage mais, tu sais, si tu veux qu’il soit le Earth Rocker, ce n’est certainement pas une mauvaise chose ! (Rires)
Est-ce que, d’une certaine façon, le titre Earth Rocker serait aussi une manière pour vous d’exprimer votre amour pour la planète ?
Non. Je crois que lorsque nous avons appelé l’album Earth Rocker, nous voulions quelque chose qui sonne dur et puissant et Earth Rocker se trouvait être le nom d’une des chansons. Je pense qu’on a choisi le bon. Je sais que nous avons aussi pensé appeler l’album Crucial Velocity. Ç’aurait pu être sympa aussi mais je pense que Earth Rocker convient mieux.
Ce qui est intéressant, c’est le contraste entre cet album très direct, le nom Earth Rocker, et ce dessin très psychédélique…
Ouais, on voulait créer une image qui était dans un esprit psychédélique de la fin des années 70 ou début 80 ou même un côté album de heavy metal. Une couverture d’album à laquelle on a beaucoup pensé était celle du Screaming For Vengeance de Judas Priest, avec cet aigle qui vole à travers le ciel : ça rend super bien et ça offre un sentiment de puissance. C’est quelque chose que nous voulions obtenir. Et puis ça a un côté surnaturel ou psychédélique, comme tu dis. C’est ça aussi qui fait qu’il s’ouvre à de nombreuses interprétations.
Allez-vous réaliser une vidéo pour l’album, notamment pour le single « Earth Rocker » ?
Je ne sais pas, c’est difficile à dire. Nous y réfléchissons. Mais, tu sais, il est difficile de trouver un concept qui nous motive vraiment. Et c’est ainsi simplement parce qu’il y a tant de vidéos qui sont faites. L’une ressemblant à la suivante, elle-même ressemblant à la suivante, etc. Lorsqu’il s’agit de faire un clip, je pense que nous voulons vraiment essayer de faire quelque chose de différent de ce qu’on peut voir et de ce que nous avons nous-mêmes fait par le passé. Nous n’aimons pas nous répéter. Nous verrons donc ce qu’il adviendra dans le futur. Nous voulons en quelque sorte faire un clip mais nous ne sommes pas encore sûrs de quel genre. Des idées ont été balancées mais rien de concret, en tout cas rien dont je puisse réellement parler. En plus de ça, nous avons une quantité incommensurable de concerts à venir. Donc si nous réalisons une vidéo, ce ne sera pas avant l’été.
Sur un autre sujet, peux-tu nous en dire plus sur votre formation instrumentale The Bakerton Group que les musiciens de Clutch partagent ?
Oui. The Bakerton Group est une manière pour nous d’expérimenter d’autres formes de musique et en disant cela, je veux dire faire de la musique qui n’est pas focalisée sur les paroles. Je crois qu’au fil des années nous sommes devenus meilleurs dans l’art de créer des chansons qui s’enroulent bien autour des mots et des textes de Neil (Fallon). Lorsque nous faisons un album avec The Bakerton Group, c’est une expérience totalement différente. Nous sommes bien plus soucieux des lignes de guitare ou de certaines parties de clavier – notre ami Per Wiberg (Spiritual Beggars, ex-Opeth) a joué du clavier sur le dernier album – et je crois que cela constitue une partie importante du son de The Bakerton Group. C’est un état d’esprit différent, c’est une mentalité différente. Mais c’est un bon exercice et c’est un énorme plaisir de penser la musique d’une manière différente.
OK, mais, même si c’est une expérience différente, y a-t-il un lien entre Clutch et The Bakerton Group ? Les deux formations s’influencent-elles mutuellement ?
Eh bien, il y a clairement un lien dans le fait que ce sont les mêmes gars. (Rires) Mais, effectivement, je pense que probablement les deux s’influencent beaucoup l’un et l’autre. Ce que je veux dire, c’est que peut-être il y a des choses que par le passé nous avons essayé d’incorporer dans Clutch et qui aurait mieux convenu à un groupe comme The Bakerton Group. Désormais on a une connaissance pour ce genre de choses. Donc, peut-être que d’une certaine manière cela nous permet de mieux nous concentrer sur le son de Clutch. Mais c’est difficile à dire. Nous verrons bien ce que le futur réservera à The Bakerton Group et à quoi ressemblera le prochain album. Je ne sais pas encore.
Très bien. Aurais-tu une dernière chose à ajouter ?
Nous avons hâte de revenir en France cet été. Nous espérons pouvoir jouer bien plus là-bas et avoir la chance de connaître la France un peu mieux !
Interview réalisée par téléphone le 5 mars 2013
Retranscription et traduction par Spaceman
Site internet officiel de Clutch : pro-rock.com
Site internet de Jean Paul Gaster : www.jeanpaulgaster.com
Album Earth Rocker, sorti le 19 mars 2013 chez Weathermaker Records
Superbe interview. Vive le Rock! #forever
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