L’affiche était presque insensée. Inespérée pour quiconque se délecte du metal technique dans la région Lyonnaise. Pouvoir successivement rencontrer des formations d’un niveau de jeu et d’une créativité rare comme celles d’Animals As Leaders, Exivious, Textures ou Tesseract dans une salle comme le Totem de Rilleux-la-Pape ou le CCO de Villeurbanne est une opportunité rare. Dire que le niveau technique était le point commun de tous les groupes est une évidence qu’il n’est pas utile de développer. Cependant, cette technique a toujours été exploitée avec identité et originalité par chaque groupe, qualité qui n’est malheureusement pas systématiquement acquise par tous les combos souhaitant de déployer dans le même style musical. Cette soirée accueillait un trio avec Nonsense et Exivious autour de Textures, tête d’affiche hollandaise en tournée pour la célébration du dixième anniversaire de leur premier album Polars.
Un CCO plein à craquer et impatient entame donc son voyage avec Nonsense.
Artistes : Textures – Exivious – Nonsense
Date : 25 octobre 2014
Salle : CCO
Ville : Villeurbanne
Etre en première ligne d’un concert emmené par Textures et Exivious n’est pas un défi à la portée de toute formation. Nonsense a su s’acquitter de ce rôle et nous proposer ses titres avec une envie et une énergie palpable dans la salle. Très vite le groupe nous plonge dans une ambiance où se mêlent brutalité et catharsis entre les rythmiques mécaniques et les refrains plus épurés où la voix respire. Le son est massif et maîtrisé. La technique vocale est inspirée et variée. Le jeu de scène est évidemment en place et propre. L’identité musicale proposée par Nonsense ne s’écarte pas des codes du courant Djent actuel, mais demeure exécutée avec dextérité et consistance. On décéléra aisément plusieurs accents vocaux et mécaniques instrumentales propres à d’autres groupes plus anciens comme Meshuggah et Textures mais sans pour autant choquer ou lasser, bien au contraire. Le groupe est cependant évidemment encore jeune par rapport à ses homologues néerlandais et on a pu sentir une certaine tension chez les artistes lyonnais, notamment durant les premiers titres du set. Une fois la communication établie avec émotion par le chanteur, Nonsense a su nous emporter dans un spectacle de qualité avant de laisser place à Exivious.
Différent. Si Nonsense nous avait proposé une belle entrée en matière par un chemin bien connu, Exivious nous emmène clairement ailleurs. Dès l’ambiance sonore qui permet d’accueillir les membres sur scène, le public comprend qu’il s’agit d’une autre atmosphère. Presque un an après la sortie de leur dernier album Liminal, Exivious nous livre une énergie moins frontale, sans pour autant être diluée, beaucoup plus contemplative et lunatique. Parce qu’instrumentale, la formation adopte une communication musicale différente pour toucher son auditoire. Et si la technique est omniprésente et accablante de propreté, elle endosse ici un rôle bien précis et travaillé. A la manière d’Animals As Leaders, Exivious laisse à ses parties guitares le soin de guider l’oreille du public pour se laisser envelopper par les mélodies aériennes et les rythmiques épaisses. Le son des guitares est millimétré, la reverb est suave, le tout étant magistralement porté par le duo batterie/basse fretless. Le style plus jazz de certains morceaux invite la salle à suivre des structures et des sonorités différentes, moins balisées. L’expérience scénique des membres d’Exivious s’impose très vite ; la complicité et l’aisance qui émanent des Hollandais rend leur prestation encore plus appréciable et impressionnante. Un périple mêlant maîtrise et émotion.
La tournée résonne particulièrement pour Textures qui fêtait le dixième anniversaire de son premier album ; Polars. Le pari de livrer un retour aux origines le temps d’une soirée n’est pas si évident qu’il n’y parait, le style et le son ayant considérablement évolué au travers de leurs productions. Car bien que remasterisé pour la tournée anniversaire, l’album n’était pas aussi accessible que ses successeurs, l’épaisseur et la qualité du son de Drawing Circles ou Silhouettes rendant parfois difficile l’écoute rétrospective des titres de Polars. Il n’était pas garanti de rencontrer un engouement aussi intense que pour la promotion d’un nouvel album.
Néanmoins, la tête d’affiche a clairement bien réfléchi à sa setlist en opérant une savante combinaison de titres extirpés de chaque album. Aucun laissé pour compte. Le concert est divisé en deux sets avec en premier lieu l’intégral de Polars, suivi d’un mélange entre Drawing Circles, Dualism et Silhouettes. Suite à « Surreal State Of Enlightment » en guise d’introduction, le set anniversaire débute. Le groupe dissipe alors très vite les réserves quant à la pertinence de rejouer l’album de leur début. Entièrement réapproprié, Polars a été interprété avec un son des plus méticuleux et contemporain. Agressif et effréné, le set bénéficie à la fois d’un son plus profond et massif que par le passé, appuyé par la performance vocale de Daniel De Jong qui contribue beaucoup au renouveau. Celui-ci s’acquitte de son rôle de frontman avec charisme en connectant la salle au combo. A l’instar d’Exivious, Textures fait peser son expérience scénique et sait comment galvaniser son auditoire, qu’il s’agisse des apostrophes du chanteur, ou de la proximité permanente des guitaristes vis à vis des premiers rangs. Vient ensuite le morceau éponyme amorçant la fin du premier set : un péplum de vingt minutes où plusieurs séquences atmosphériques viennent ponctuer un récit progressif et versatile qui trouvera sa conclusion dans un passage particulièrement caractéristique du style cultivé dans les albums futurs, qui sont eux aussi très attendus par le public.
Après une courte pause, le second set s’ouvre sur Singularity qui replace Textures dans son style actuel. Plus classique dans sa structure, ce set offre un panorama des titres les plus efficaces et les plus populaires des trois derniers albums, mais en alternant successivement les ambiances, à l’instar de « Reaching Home » et « Awake » venant tempérer des titres comme « Laments Of An Icarus » ou « Regenesis ». Le son de Textures sur ces morceaux est particulièrement percutant et organique, et ne manque pas de se déployer sur des passages comme la fin de « Storm Warning ». Mais ce set a aussi et surtout été marqué par l’annonce de la sortie du prochain album dans la première moitié de 2015, ainsi que par l’interprétation d’un nouveau morceau issu de cet album. Très bien accueilli par le public lyonnais, l’expérience laisse de bons espoirs pour la suite.
Avec du recul, Textures a su proposer un concert intelligemment découpé en déployant une énergie aux spectres multiples et une maîtrise jouissive de chaque morceau. Au delà d’une rétrospective éphémère, Textures nous a surtout prouvé que sa discographie formait un cercle où chaque album se répond, mais qui est loin de tourner en rond.
SetList Textures :
Surreal State Of Enlightenment
Swandive
Ostensibly Impregnable
Young Man
Transgression
The Barrier
Polars
Singularity
Regenesis
Baking Poo
Reaching Home
Storm Warning
Awake
Laments Of An Icarus
Live report : Julien Gachet.
Photos : Claudia Mollard.