Pas un mot. Seulement des notes. Si les compositions de Leprous peuvent paraître foisonnantes voire bavardes, le groupe lui n’a rien de prolixe, préférant laisser parler sa musique. C’est donc sans détour ni introduction que se lance ce « live préenregistré » de The Congregation, quatrième opus sorti en 2015 et joué ici dans son intégralité.
Sobrement installé en studio, le quintet a joué la carte de la simplicité et s’en remet à sa classe sans artifice. Entouré de quelques spots jaunes et bleus seulement, les Norvégiens tout de noir vêtus attaquent un « The Price » incisif qui donne tout de suite la nette impression que, derrière leur retenue habituelle, le frein a suffisamment été rongé. Einar Solberg n’hésite pas à accentuer le grain de certaines lignes de chant, leur conférant une texture moins policée que sur l’album. Cet excès de zèle est le bienvenu tant il résulte d’un manque viscéral des musiciens et s’apparente à une saignée des humeurs artistiques, refrénées depuis des mois maintenant.
Par ailleurs, le choix de jouer en studio et non pas sur une scène prend ici tout son sens. Le groupe n’ayant pas pour habitude de communiquer outre mesure avec son public, il était nettement plus pertinent de le faire jouer ainsi, dans sa bulle pour ainsi dire. Disposés en arc de cercle, les cinq artistes semblent communier, unis les uns aux autres, laissant les doutes et les angoisses à la porte du local. Ce parti pris de l’espace restreint permet également de ne pas mettre en exergue l’absence cruelle d’auditoire, évitant la morne vision d’une salle de concert vidée de son âme. Ici, Leprous est libre d’être lui-même et remplit l’espace de sa musique baroque et lumineuse. Exubérantes mais pas ronflantes, les chansons s’enchaînent avec justesse et virtuosité, pas d’accrocs, pas de temps faible, la claque est réelle.
Il faut dire qu’avec un album de cette trempe, la sortie de route s’annonçait peu probable. Dépourvu de passages oubliables, The Congregation était un candidat idéal pour cet exercice de style. Bien sûr, Malina ou Pitfalls (prévus en live-stream les 20 et 21 février) auraient rempli le contrat avec brio mais, subjectivement, les quelques traçantes hurlées de leur grand frère apportent un supplément de rudesse diablement jouissif. Avec « Rewind » ou « Slave », l’apport parcimonieux du scream procure un sentiment de délivrance à l’arrache, plutôt jubilatoire en ces temps troublés. À noter que cette performance était aussi l’opportunité pour les fans d’assister à une version live de « Within My Fence » et « Triumphant », morceaux quasi vierges de toute expérience scénique. Enfin, en choisissant de jouer cet opus dans son intégralité, Leprous nous permet d’en redécouvrir les contours et les dynamiques, comme une nouvelle écoute, moins parfaite certes, mais plus organique.
Du reste, la captation est d’excellente facture, tant sur l’image que le son. Tous les instruments se détachent distinctement dans le mix, pas de bouillie à déplorer entre les différentes couches sonores, pas d’arrangement qui passe au travers, un vrai plaisir pour les esgourdes. Après, il est clair qu’avec le niveau de maîtrise affiché, l’ingénieur du son dispose dès le départ d’une copie de haute volée. Aux fûts notamment, Baard Kolstad déroule son toucher subtil et expressif avec une précision d’orfèvre. La réalisation le mettra d’ailleurs en valeur durant le morceau « Within My Fence », sur lequel le batteur joue deux plans de batterie complémentaires, le premier ayant été filmé en amont. En résulte un montage très malin, jonglant entre deux séquences parfaitement combinées. Tantôt posé, tantôt pêchu, le tout reste naturel et lisible, offrant notamment d’intéressants cadres serrés sur le jeu des musiciens.
Un tel rendu est bien sûr le fruit d’une captation mûrement réfléchie en amont du stream. Certains fans déploreront l’absence de live, au sens strict du terme, qui peut conférer ce sentiment d’unité et de partage à un instant précis. Ceci étant dit, au vu du résultat, difficile de reprocher quoi que ce soit à Leprous qui délivre un show à son image, inspiré et inspirant. Dans l’attente de jours meilleurs, sachons saisir au vol ces échappées salvatrices.
Setlist :
The Price
Third Law
Rewind
The Flood
Triumphant
Within My Fence
Red
Slave
Moon
Down
Lower
« Quatre artistes » ? Lequel des 5 n’a pas le droit à ce titre ? 😀
(Je n’ai hélas pas vu le live, donc peut-être qu’il y a un truc qui justifie ce nombre…)
Voilà pourquoi on a pas fait S au lycée.
C’est corrigé, merci. 😉
J’ai fait « L » aussi 😉
Merci pour la correction 😀