Leprous – dont les membres font office de backing band de luxe pour Ihsahn – n’a plus exactement le même statut qu’à la sortie de Coal (2013). Ce dernier avait permis au groupe de se voir attribuer le statut d’un des fers de lance de la musique progressive moderne, à raison. Entre influences progressives larges et éléments plus rock dans leur essence, Leprous proposait une musique innovante et extrêmement riche. Aujourd’hui, Leprous n’est plus ce petit prodige « underground ». Leur nouvel opus The Congregation ne bénéficiera d’aucun effet de surprise. C’était sans compter que Leprous n’en a nul besoin.
Einar Solberg, chanteur-compositeur du groupe a déclaré vouloir s’écarter des « vieilles habitudes », en procédant différemment sur The Congregation. Cette direction fait directement écho au thème principal de l’album, à savoir le danger de « suivre le courant aveuglément », sans chercher à explorer davantage. Pourtant, la musique de Leprous reste aisément reconnaissable, portée par son riffage complexe parfois apparenté djent, une batterie inventive (oeuvre de Baard Kolstad qui prend ici la suite de Tobias Ørnes Andersen parti l’an dernier) et le suspense inhérent à chaque composition. Seulement, là où Coal construisait des ambiances chiadées à l’image de « The Valley », The Congregation se veut davantage concis. « Within My Fence » assume ainsi un côté pop très prononcé. Loin de là l’idée que Leprous ait adopté un format « radio », la plupart des titres dépassant les sept minutes. Simplement que les compositions ne donnent plus l’impression bénigne de traîner parfois en longueur. Leprous n’a pas pour autant délaissé sa méthodologie : établir une tension précédant chacune de ses interventions plus appuyées ; le titre d’ouverture « The Price » en témoigne, avec un refrain chanté redoutable. Surtout, la grande réussite de cet album est de construire des thèmes mélodiques sans cesse captivants, suppléés par l’usage intelligent de synthétiseurs, approchants souvent l’électro dans leurs textures. Le chant clair d’Einar Solberg y est pour beaucoup avec des élancées qui, osons le dire, ont parfois un semblant de Matthew Bellamy (« The Moon ») quand elles ne tendent pas vers les vocalises de Ross Jennings (Haken).
L’univers de Leprous n’a rien perdu de sa superbe, la tonalité globale de l’œuvre reste sombre, sans pour autant susciter une quelconque forme de désespoir. Les Norvégiens arrivent subtilement à rendre hypnotiques les différentes angoisses que leur opus développe. Leprous réalise ainsi à travers The Congregation un véritable paradoxe : transformer ce qui est obscur en un produit addictif. « Slave », l’un des seuls titres contenant du chant hurlé, est l’essence de ce qui fait la réussite de The Congregation : une musique vouée à l’émotion qu’elle renvoie, cathartique à l’image de son riff principal porté par un une ligne de guitare complètement débridée. Seul véritable bémol qui n’entache pas réellement le reste de l’ouvrage, le titre final « Lower », trop mièvre et facile par rapport aux compositions qui le précèdent et qui donne l’impression d’une complainte agaçante.
Non, définitivement Leprous n’est plus un outsider. The Congregation apporte suffisamment de nouveaux éléments pour ne pas accuser les Norvégiens de sombrer dans une routine. Certes, The Congregation n’est pas une évolution radicale par rapport à Coal. C’est l’œuvre résultant d’une progression logique. De fait, Leprous signe là un opus qui fait honneur à ce que devrait prôner le progressif avant tout : une force mélodique et la facilité de son appréhension, malgré la complexité du langage musical employé.
Regarder le clip du morceau « The Price » et écouter « Rewind » :
Album The Congregation, sortie le 25 mai 2015 chez InsideOut Music.
Faites gaffe : plusieurs membres du staff disent et écrivent « Ihshan », mais le second ‘h’ est en réalité après le ‘a’, si j’en crois mes sources.
C’est corrigé ! Merci.