Il y a quelques années, voyant le boom de la scène stoner (et en France, c’est peu dire que ça se voit avec certains talents qu’on y trouve) au cours de cette première décennie du siècle, je me demandais d’où cela pouvait venir. Pourquoi ce genre plutôt que le death ou l’indus ? Et puis, avec un groupe comme Mudweiser, j’ai mis la main sur une clé de compréhension : le cowboy. Car comment un mec comme Reuno, le chanteur de Lofofora, pas vraiment avare de critiques sur les puissants qui gouvernent ce monde – et c’est peu dire que l’Amérique est une puissance – peut-il revêtir sur scène un costume de cowboy, l’archétype du Ricain ?
Un paradoxe ? Pourquoi pas. L’image de l’Amérique est elle-même paradoxale, au moins depuis une dizaine d’années elle aussi (même si ces années peuvent paraître symptomatiques de toute son histoire), repoussant autant qu’elle fascine : elle a notre compassion quand elle perd deux tours et trois mille âmes mais on la hue quand elle part en guerre pour des raisons bancales ; puis on la félicite pour avoir élu son premier président noir, et puis Wall Street est pointé du doigt comme la cause de la crise mondiale. Mais le cowboy n’est pas là comme symbole de l’Amérique. Ce qui fascine chez celui-ci – même si on ne trouve pas non plus cette figure, en l’état, partout dans la scène stoner – c’est le « lone rider » (le cavalier solitaire) qu’il soit à cheval, en voiture ou en camion, bouffant de la poussière, du sable ou de l’asphalte sous un soleil de plomb, cet espèce d’antihéros asocial et bagarreur, qui plaît aux femmes mais ne tolère aucune attache. Presque une métaphore du rockeur, sur la route, autant craint qu’adoré. Le rockeur/metalleux a-t-il besoin de retrouver le cowboy qui est en lui ?
En fait, le phénomène est plus large. Le monde semble manquer de cowboys. Il faut voir au cinéma notamment comment ces dix dernières années le western est revenu comme un genre majeur au cinéma alors qu’il était devenu désuet à la fin des années 90. Pour preuve de ce dernier point, prenons la figure, la gueule même, du cowboy par excellence : Clint Eastwood. En tant que réalisateur (et même comme acteur puisqu’il ne joue quasiment plus que dans ses propres films), il n’a pas touché au western depuis « Impitoyable » (Unforgiven) en 1992 (l’histoire de cowboys vieillissants, faisant partie de l’histoire ancienne), et la dernière fois qu’il s’est servi de l’idée de « cowboy », c’était pour « Space Cowboys » en 2000 (là encore l’histoire de vieux bougres, vestiges d’une époque révolue). Mais quand les aînés rengainent les colts, la jeune garde est prête à renfiler le ceinturon et de « Open Range » en 2003 à « Cowboys Contre Envahisseurs » l’an dernier, on sent un besoin de stetson. Rien que l’année 2007 a été explosive en la matière : les remakes de « 3h10 Pour Yuma » et de « Django » (« Sukiyaki Western Django » par Miike Takashi), « L’Assassinat De Jesse James… », No Country For Old Men »… Sans parler d’un Tarantino qui récupère les codes du western spaghetti dans « Kill Bill » et « Inglorious Basterds » et qui prépare son propre « Django » (après une apparition dans celui de Miike).
On peut ajouter à la liste le succès d’un jeu vidéo comme « Red Dead Redemption » sorti en 2010 et on ne s’étonne plus que le metal, comme d’autres modes d’expression et/ou de divertissement, ait sa « période western » depuis une dizaine d’années. A force d’avoir rendu le monde de plus en plus accessible, de plus en plus connu, il nous semble de plus en plus étroit et il nous manque de grands espaces dans lesquels errer en toute liberté vers le soleil couchant.
Toute une réflexion éveillée par le nouveau clip des Dezperadoz (ex-Desperados), groupe allemand qui sortira le 27 avril son quatrième album intitulé Dead Man’s Hand, dans lequel on compte le chanteur-guitariste Alex Kraft, qui a lancé le groupe en 2000 avec Tom Angelripper de Sodom (Kraft est musicien de tournée de ce dernier groupe), qu’il côtoie toujours dans son projet solo Onkel Tom. Dezperadoz se définit comme du western metal ou comme « Ennio Morricone qui rencontre le metal » (bon, le rapport au compositeur reste à prouver). Alors, on ne se retient pas et on pousse un bon « Yippie Ya Yeah ! » puisque c’est de ça dont on a besoin.
Et récemment, il y a aussi l’excellent « True Grit », qui pour moi est le Western le plus marquant de ces dernères années.
Sinon, en revenant à Dezperadoz, j’aimais beaucoup à l’époque, ca met une bonne patate le matin.
A ne pas confondre non plus avec le Desperado de Dee Snider de Twisted Sister.
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C’est drôle de voir des allemands singer un certain esprit américain!
Le plan Marshall a été plus loin que l’on aurait pensé.
Chez nous on a Phazm qui est un putain de groupe de Black’n Roll inspiré et transpirant le redneck.
Excellent article au demeurant.
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Ça manque de « redneckitude » dans la société actuelle, et certaines valeurs que véhicule le cow-boy comme l’esprit libre, la simplicité ou l’humilité feraient du bien à pas mal de personnes. Je pense que ce style d’attitude est remis au goût du jour grâce à l’envie de certains à vouloir revenir à l’essentiel, lassé par le monde qui nous entoure et toutes ses frasques.
J’ai adoré l’article bravo 🙂
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Par contre je ne vois pas trop ce que le groupe a de stoner. Un peu de Southern Rock (et encore c’est léger)
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En fait, je n’affirme à aucun moment que ce groupe fait du stoner mais plutôt qu’il partage avec le stoner l’esprit cowboy.
Une fourchette c’est stoner???