Pas de messe cette fois-ci, mais avec son septième album, De Doorn (L’épine), le rituel est toujours à l’honneur pour les Flamands d’Amenra. Après plus de vingt ans de carrière, le sludge écorché du groupe n’est plus à présenter : connus pour leurs performances live intenses et riches en émotions, les musiciens menés par Colin H Van Eeckhout ont créé une esthétique pointue et singulière, et mobilisé autour d’eux tout un collectif, la Church of Ra. Pour De Doorn, donc, ce sont cette fois-ci trois cérémonies organisées dans plusieurs villes de leur Belgique natale qui sont à l’origine du projet. Voilà de quoi nous parlons en détail avec un Colin H Van Eeckhout toujours aussi posé, généreux et réfléchi.
Fidèle à une approche résolument humble, collective et sensible de sa musique, le chanteur évoque avec nous ce qui l’inspire et ce qu’il espère accomplir avec sa musique, les valeurs qui portent le groupe et sa vision de la vie. Si les fans attendaient un nouvel album depuis 2017, les musiciens n’ont pas chômé entre-temps, travaillant toujours sur de multiples projets individuels et collectifs : Colin nous en touche un mot au passage. Mieux qu’un prêche, une discussion à cœur ouvert.
« Quand tu joues dans une salle de concert et qu’une centaine ou des milliers de gens se taisent tous dans les passages silencieux, ça crée une espèce de tension dans l’air, quelque chose de magique, de spécial. Quand ça n’est pas là, ce n’est pas aussi intéressant pour les musiciens. »
Radio Metal : Ce week-end, vous avez joué pour le Dunk Festival en Belgique qui était en streaming. Comment ça s’est passé, surtout pour un groupe si orienté vers le live et la communion avec son public ?
Colin H. Van Eeckhout (chant) : Oui, ça a été préenregistré parce que nous ne pouvions pas tous être ensemble dans le même studio, ce qui fait qu’il y a une espèce de magie qui n’est pas là. Quand tu joues dans une salle de concert et qu’une centaine ou des milliers de gens se taisent tous dans les passages silencieux, ça crée une espèce de tension dans l’air, quelque chose de magique, de spécial. Quand ça n’est pas là, ce n’est pas aussi intéressant pour les musiciens. Lorsque tu fais un stream, tu fais un film, tu te sens plus acteur qu’autre chose, tout le monde est un peu hors de son élément. Mais on essaie de faire du mieux possible malgré tout.
Il me semble que vous avez aussi joué dans des petites salles, en configuration acoustique, ce que vous aviez déjà pu faire par le passé…
C’est la même chose pour nous s’il y a cent personnes ou mille personnes dans le public… Quand c’est des concerts acoustiques, tout le monde est assis, nous sommes dans notre cercle, et nous avons moins besoin de l’énergie du public dans ce cas. Ce sont des expériences différentes.
Qu’est-ce que ça a changé pour vous les autres contraintes imposées par le Covid ?
Ça n’a pas vraiment changé grand-chose… Au début, nous étions un peu perdus : nous ne pouvions pas jouer du tout car il y avait un confinement très strict et on ne pouvait voir personne, mais c’est à ce moment-là que nous nous sommes mis à travailler sur des reprises. C’était le plus facile à faire : les guitaristes jouaient chez eux, nous nous disions : « Moi, j’aime ce morceau-là », puis j’apprenais les paroles. Nous pouvions faire quelque chose vraiment vite. Après ça, nous avions trouvé notre élan et nous pouvions répéter un peu, alors nous nous sommes mis à finaliser les projets sur lesquels nous étions en train de bosser : de la musique pour un film d’art russe ici en Belgique, notre propre version d’un morceau médiéval flamand, et d’autres projets. J’ai aussi un autre groupe avec notre guitariste et nous avons finalisé un album qui doit encore sortir de notre côté, et beaucoup de choses comme ça, des trucs solos… Ne pas avoir à partir en concert chaque week-end, ça nous a donné du temps pour travailler et pour notre famille. C’était bienvenu, en fait, cette pause, parce qu’entre janvier et mars, lorsqu’on a été confinés, nous avions déjà enregistré aux États-Unis, tourné en Amérique du Sud, en Russie… Nous avons toujours tendance à en faire trop, en fait. Nous avions l’intention de prendre une pause d’au moins six mois sans concerts un jour ou l’autre, nous en parlions depuis longtemps déjà, mais nous n’osions pas, nous disions oui à tout ce qu’on nous proposait… Donc c’est bien tombé !
De Doorn ne fait pas partie du cycle Mass. Est-ce que c’est une pause ou une fin ?
Ça dépend, nous ne savons pas encore. Ce n’est pas quelque chose que nous décidons à l’avance. Celui-là en tout cas ne pouvait pas s’appeler Mass VII. Nous avons écrit cet album d’une manière totalement différente de ce que nous faisions dans le passé, où nous évoquions une période ou une expérience traumatique pour un ou plusieurs de nos membres. Nous attendions le moment où nous avions vraiment quelque chose à dire aux gens, et ensuite seulement nous nous mettions à écrire la « Mass ». Évidemment, nous sommes toujours en train d’écrire des choses à l’avance, ce n’est pas qu’il n’y a rien et que nous nous mettons à faire un album un mois plus tard, mais en tout cas c’est à ce moment que nous nous mettons ensemble pour y travailler. Pour De Doorn, cet album-ci, nous avons écrit d’une autre manière. Nous avons commencé à écrire le premier morceau presque immédiatement après Mass VI, pour des rituels, des événements spéciaux que des villes en Belgique nous avaient demandé de faire. L’un d’entre eux était la commémoration de la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
« Dès nos débuts en 1999, nous savions que nous voulions être plus qu’un groupe de musique, que seulement du son. »
Nous avons aussi créé un rituel pour les habitants de ma ville, Gand, qui avait pour but de rendre hommage aux pertes non reconnues des habitants. Nous avons mis pour quelques semaines une sculpture faite par un artiste au SMAK à Gand, et les gens pouvaient y mettre un papier où ils écrivaient les choses qui les faisaient souffrir ou qui pesaient sur eux. Ensuite, la sculpture a été emmenée dans le parc de la ville et nous l’avons brûlée tous ensemble : nous, nous faisions la musique pour cet événement, pour ce moment ; nous accompagnions les gens et le feu. Et puis il y a eu un troisième rituel, le dernier, dans une ville près de la frontière française, Menin, où nous avons fait un autre rituel de feu pour présenter une statue en bronze faite par Johan Tahon pour Amenra. Alors nous avons écrit des morceaux pour chacun de ces moments, nous avions des deadlines, et à la fin du dernier, quelqu’un s’est dit : « Les mecs, nous avons écrit un album en fait, nous avons tellement de musique ! » Nous nous sommes rendu compte que c’était vrai et nous l’avons finalisé pour avoir un bloc cohérent. C’est à ce moment-là que nous nous sommes demandé si ce serait Mass VII, et nous nous sommes dit que non car l’angle et la manière de travailler étaient complètement différents. Ce n’est pas Mass VII, mais ça ne veut pas dire qu’on ne va plus avoir le modèle dans nos vies, et nous allons sûrement probablement écrire une Mass VII un jour ou l’autre. On peut le voir comme une pause, mais ça donnerait l’impression que nous trouvons cet album moins important, or ce n’est pas vrai. C’est juste une autre période ou une autre manière de travailler.
Quelle chanson correspond à quel rituel ?
C’est un peu divisé entre tous. Les morceaux où il y a plutôt de l’imagerie de la guerre et de tout ce qui est cette période-là dans notre histoire correspondent au premier événement, et dans les morceaux qui ont été faits pour les rituels de feu, je m’adresse plutôt au feu, je parle de cendres, de brûler la solitude, le silence…
Lors de notre discussion précédente à l’occasion de la sortie de Mass VI, tu nous disais : « Je me rends compte qu’un jour ou l’autre, comme nous voulons vraiment faire ces albums en tant que collectifs et que ça rend les choses assez compliquées, ça risque de devenir impossible. » Qu’en est-il maintenant ?
Je ne sais pas… Nous restons des musiciens et ce que nous faisons le mieux dans la vie, c’est de la musique. Comme je le disais, nous ne réalisions pas que nous étions en train de faire un album. Je pense que ça, ça diminuait le stress ou l’angoisse de savoir si ça allait marcher ou pas, puisque nous n’avions pas de but en dehors de tenir les deadlines pour les événements, nous ne l’avons pas ressenti comme étant dur à écrire. C’était intéressant de le faire d’une autre manière pour une fois.
C’est une période qui était importante pour le groupe parce que vous fêtiez vos vingt ans de carrière. Qu’est-ce que représente cet anniversaire pour vous ?
Pour ces vingt ans, nous savions que nous voulions faire des trucs spéciaux. Dès nos débuts en 1999, nous savions que nous voulions être plus qu’un groupe de musique, que seulement du son. Alors pour nos vingt ans, nous voulions vraiment combiner l’art, le collectif, un peu tout, faire quelque chose de plus grand que de la musique. Ça a été une année folle, 2019, pas seulement comme expérience mais aussi en termes de stress, de logistique, etc., c’était fou ce qu’il a fallu mettre en place pour organiser tout ça nous-mêmes. Tout a marché, tout s’est bien passé, mais c’était dur, aussi, c’était beaucoup en un an et demi. Mais nous avons survécu, ça va ! [Sourire]
« Les gens aussi cultivent leurs propres épines pour se protéger de tout ce qui pourrait les faire souffrir. En même temps, on a tous des cicatrices ou des blessures qui ont été produites par les épines d’autres gens ; tout le monde a à la fois ses propres armes et ses propres blessures. »
Levy Seynaeve a donc quitté le groupe, et le line-up compte désormais Tim De Gieter (à la basse) et Caro Tanghe d’Oathbreaker qui t’épaule à la voix. Comment ces changements ont influencé ce nouvel album ?
Ça n’a pas vraiment changé notre manière de travailler mais ça a fait entrer de nouvelles opinions très intéressantes au sein de notre cercle. Tim jouait déjà avec nous depuis 2017, en fait, parce qu’il remplaçait Lenny chaque fois que nous faisions un concert lorsqu’il était en tournée avec Wiegedood et que nous ne pouvions pas tous l’attendre pour continuer. Tim, qui était déjà un pote, a été très sympa de nous aider à cette époque, et là, il nous a donné un coup de main à l’écriture dès le premier morceau. Nous avions donc déjà l’habitude de travailler avec lui. Et puis Caro… Elle nous manquait ! Ça fait quelques années déjà qu’elle vit aux États-Unis. Nous avons beaucoup tourné ensemble, nous avons vécu dans la même ville pendant longtemps, et puis comme c’était un album en flamand, c’était la première personne à laquelle nous avons pensé. Lennart [Bossu, guitare] a écrit la plupart de cet album, il jouait aussi avec Caro dans Oathbreaker, donc ça allait de soi pour nous qu’elle fasse une partie des voix. Nous aimons aussi avoir un équilibre entre une voix masculine et une voix féminine, ça donne un plus, un équilibre qui correspond avec la vie, la société, l’humain. Comme elle habite aux États-Unis, Lennart et moi sommes allés là-bas pour enregistrer avec elle.
Cette fois-ci, vous n’utilisez en effet que le flamand pour les paroles. Pourquoi ce choix ?
Je pense qu’il y a plusieurs raisons qui expliquent cette décision. L’une d’elles est que nous avons joué des reprises de morceaux flamands lors de nos sets acoustiques, et là, j’ai été confronté au pouvoir de notre langue maternelle. Pour la majeure partie de ma vie, je n’ai pas considéré le flamand comme une option parce que ça avait une connotation négative, comme si c’était quelque chose qu’on pouvait pas prendre au sérieux, je ne sais pas pourquoi, c’est étrange. C’est peut-être parce qu’on n’a pas vraiment de vraie culture musicale néerlandophone ici. En France, c’est différent, tu as vraiment des trucs crédibles en français. Ici, moins. Ce n’était donc pas vraiment quelque chose que nous aurions pensé faire, mais ces reprises nous ont prouvé que c’était une possibilité. Et puis j’écris aussi de la poésie en flamand, qui a été insérée entre les morceaux de Mass VI. C’était déjà un pas dans cette direction. Et puis les rituels étaient tous centrés sur la Belgique, c’étaient des événements tous situés dans les Flandres et nous n’avions pas l’objectif de tourner avec, alors… C’était intéressant d’utiliser le flamand parce que la langue que tu connais le mieux offre plus de possibilités, elle permet d’aller plus en profondeur et de jouer plus avec les mots, les rimes etc.
De Doorn sort sur Relapse et pas Neurot, contrairement à vos deux derniers albums. Pourquoi ? Est-ce que ça a changé quelque chose, concrètement ?
Nous étions très contents de Neurot, nous les adorons, ils sont cool, mais ce n’est pas le genre de label qui a toute une équipe qui travaille à temps plein pour lui. Maintenant qu’Amenra est plus « grand », c’est plus dur à gérer pour eux. Ce n’est pas toujours facile même pour nous, et pour eux non plus, ils sont souvent en tournée et ce n’est pas évident. Alors c’était mieux pour tout le monde que nous changions et nous mettions à travailler avec un label qui a dix personnes qui bossent pour lui à temps plein. Il y a beaucoup d’amis à nous qui sont sur Relapse et qui nous disaient que ce serait cool pour nous, que les gens de Relapse sont cool, et puis ils sont venus nous dire bonjour quand nous jouions à Philadelphie, et tout s’est bien passé. Ce n’est pas parce que nous étions mécontents de Neurot du tout. Je pense que parfois c’est bien de changer, il ne faut pas nécessairement tout le temps rester où tu es dans la vie.
Même s’il n’est pas question de « messe » cette fois-ci, avec l’utilisation des épines, on reste quand même proche de l’imagerie chrétienne. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Beaucoup de gens font le rapprochement avec la couronne d’épines de Jésus mais ce n’était pas vraiment le but, en fait. Je suis un peu obsédé par des branches avec des épines de différentes sortes parce que j’aime bien à quoi ça ressemble et j’aime l’idée que la nature aide les plantes à créer leurs propres armes de défense, par exemple pour qu’une fleur puisse protéger sa beauté, ou qu’une plante protège ses fruits. Je la rapproche de l’idée que les gens aussi cultivent leurs propres épines pour se protéger de tout ce qui pourrait les faire souffrir. En même temps, on a tous des cicatrices ou des blessures qui ont été produites par les épines d’autres gens ; tout le monde a à la fois ses propres armes et ses propres blessures. Nous aimions beaucoup ce symbolisme. Nous avons pris des branches de différentes plantes avec des épines, et nous les avons peintes en or pour en souligner la valeur. C’est quelque chose qui demande du respect de la part des humains. Et puis nous avons fait des sculptures de six différentes branches d’épines en bronze : chaque branche symbolise l’un des musiciens, chacun de nous a ses propres épines. Quand tu les mets toutes ensemble, nous devenons plus forts.
« Ce qui est différent avec ce nouvel album, c’est que c’est plutôt quelque chose d’universel. […] C’est plutôt une voix abstraite, archaïque, qui a une langue formelle, religieuse, qui parle aux gens et qui prend ceux qui le veulent par la main pour essayer des les guider en direction de la lumière. »
C’est le même symbolisme qui est utilisé dans la vidéo que Dehn Sora a créée pour « De Evenmens », n’est-ce pas ?
Oui. C’est aussi inspiré par une sculpture d’un autre artiste originaire de Gand, George Minne, où des personnes en cercle regardent au centre [la Fontaine des Agenouillés, ndlr].
En vous écoutant, a fortiori en live, il est évident que la douleur a un rôle important de votre processus créatif. Qu’est-ce que tu peux nous en dire ? Quelle est la fonction de la douleur, pour toi ?
C’est super important la souffrance, la douleur, le sacrifice, ce sont des choses qui reviennent tout le temps. Nous mettons l’accent sur ce qui nous pèse le plus et nous partons de là : nous recherchons ce que nous pouvons en faire, la place à y accorder dans nos vies… Jusqu’à Mass VI, c’était surtout moi qui parlais de mes problèmes personnels ou de ceux d’autres membres du groupe. C’était une attaque contre tout ce qui foutait la merde dans nos vies. Ce qui est différent avec ce nouvel album, c’est que c’est plutôt quelque chose d’universel. Je parle pas vraiment de nous, de nos expériences, mais je parle plutôt de la vie en commun. C’est une voix différente, ce n’est pas moi personnellement qui parle des expériences, c’est plutôt une voix abstraite, archaïque, qui a une langue formelle, religieuse, qui parle aux gens et qui prend ceux qui le veulent par la main pour essayer des les guider en direction de la lumière. Mais ça parle toujours de la douleur qui vit dans les gens et qui ne peut pas nécessairement sortir, s’exprimer.
Donc votre musique donne une possibilité à cette douleur de s’exprimer, de s’extérioriser, peut-être de se transformer ?
Oui, et pour nous aussi ça donne une place à la douleur, ça lui donne une raison d’être… C’est l’occasion de prendre conscience de la douleur, de la respecter. À partir de là, tu y peux y penser activement, tu peux travailler avec elle pour lui trouver une place possible dans ta vie, plus facilement en tout cas.
La transmission de la connaissance est apparemment un thème important dans l’album. Est-ce que tu envisages ton art en ces termes ? Comme une manière de transmettre à l’auditeur les expériences que tu as traversées, les enseignements que tu en as tirés ?
Oui, quand quelqu’un a vécu quelque chose de dramatique et a trouvé comment gérer cette expérience, ça devient une information précieuse pour les gens qui ont vécu une situation similaire. Et les commentaires des gens qui ont vraiment vécu le même truc que toi, ça a de la valeur, tu prends quand même un peu de temps pour écouter, contrairement aux gens qui disent n’importe quoi ou des trucs clichés. Donc tu essaies d’expliquer comment tu l’as fait, tu le mets dans un contexte poétique et musical, et tu espères qu’il y a quelqu’un qui peut faire quelque chose de cette information, pour le dire simplement.
Tu l’évoquais plus haut, ces derniers temps, vous avez sorti des reprises – de This Mortal Coil, Townes Van Zandt, Tool… Qu’est-ce que ces artistes très différents représentent pour vous ?
Pendant les quinze premières années du groupe, nous ne voulions pas faire de reprises. Nous avions une théorie selon laquelle ce n’était pas notre musique, pas notre histoire, alors il ne fallait pas y toucher. La première reprise que nous avons jouée, c’était parce qu’un ami à nous nous avait demandé de le faire pour un film sur lequel il travaillait. Nous avons commencé comme ça et nous nous sommes dit que c’était intéressant, en fait, de naviguer dans un autre monde. Nous avons commencé à chercher des groupes qui avaient une signification spéciale à nos yeux, qui selon nous évoluent dans le même monde que nous, le monde d’émotions, qui parlent des mêmes choses que nous, dont l’essence est proche de celle de notre musique. « Song to the Siren » de This Mortal Coil, c’est Lennart qui l’a choisi. C’est à l’origine une reprise de Tim Buckley mais c’est la version de This Mortal Coil qui nous l’a fait découvrir. Townes Van Zandt, lui, a une manière de raconter des histoires de manière très réaliste, il parle de la noirceur de la vie d’une manière très poétique, très jolie, très émouvante. Nous avons aussi fait Tool… Le style de la musique n’est pas nécessairement le plus important, c’est plutôt de quoi il s’agit, d’où ça vient, si ça correspond à notre monde.
« Quand quelqu’un a vécu quelque chose de dramatique et a trouvé comment gérer cette expérience, ça devient une information précieuse pour les gens qui ont vécu une situation similaire. »
Je crois que tous dans le groupe vous avez des projets créatifs en dehors d’Amenra, mais toi notamment tu t’investis dans plein de choses différentes, tu collabores avec des artistes de tous horizons etc. Qu’est-ce que tout ça t’apporte en tant qu’artiste et en tant qu’individu ?
C’est un peu la même chose : nous cherchons des gens qui font de la musique – ou d’autres choses – qui viennent de leur cœur. Le style n’est pas nécessairement important, et même plus il est différent du nôtre, plus c’est intéressant. C’est un monde qu’on ne connaît pas et c’est intéressant de l’explorer nous-mêmes avec ce qu’on fait. C’est le but aussi quand on travaille avec un sculpteur ou un peintre ou un photographe ou un danseur, qu’il y ait un lien abstrait, qu’on raconte un peu la même histoire de notre propre manière. Chacun de nous bosse avec d’autres gens, c’est intéressant de parler d’art et de musique avec des personnes qui ont une vision des choses différente, qui parlent une autre langue, ça t’apprend vraiment beaucoup. Ce que tu apprends, tu l’amènes ensuite dans Amenra, pour tout le monde, et toutes ces nouvelles expériences nous inspirent à nouveau, d’une nouvelle manière. Ça rend notre monde plus grand. Notre vision s’agrandit, nous avons plus d’idées, des fois nous cherchons dans d’autres directions. En ce moment par exemple, je m’intéresse beaucoup à l’opéra et aux ballets. J’aime le soin et le temps qu’ils investissent dans leurs productions. Les lumières, etc., tout est très minutieusement fait, ils prennent le temps de le faire, ce qui dans le monde de la musique est assez rare car tout va très vite : une fois qu’un groupe a écrit un album, il se jette sur scène sans beaucoup y réfléchir. J’ai vu une fois une pièce qui s’appelle Giselle par Akram Khan, de Londres. C’est du ballet contemporain, mais c’était vraiment fou. Ça m’inspire, ce genre de chose, comme, dans un genre complètement différent, La Route de Cormac McCarthy : c’est la fin du monde mais c’est très beau. Ça parle du feu qui vit dans l’enfant, c’est une histoire qui correspond un peu à la nôtre. Sinon…
Pour rester dans le même sujet, vous avez travaillé sur Le Miroir de Tarkovski. Qu’est-ce que tu peux nous en dire ?
Tarkovski a nous a toujours inspirés visuellement, comme les frères Quay. Dans ce cas, nous avons mis un projecteur avec le film dans notre local de répèt et nous avons essayé de changer la musique du film, de raconter ce que le film est en train de raconter… Ce sont des films très difficiles, je trouve, ça prend vraiment de l’énergie de se les approprier. Nous avons pris ce temps et essayé de traduire ce que nous voyions dans notre langue musicale pour établir un pont entre le film et nous. C’était super intéressant parce que c’était une nouvelle manière de travailler pour nous.
Apparemment, en plus de De Doorn, vous avez un nouvel EP qui est déjà prêt ?
Nous avons beaucoup de choses prêtes, en fait, notamment des lives – avec ces streams que tout le monde fait en ce moment, tu as immédiatement un enregistrement super pro d’un concert, alors je pense que chaque groupe va sortir un live bientôt. Mais nous n’arrêtons pas de jouer et d’enregistrer, notamment pour ce projet dont je te parlais. Nous avons beaucoup travaillé et nous travaillons toujours beaucoup !
Interview réalisée par téléphone le 17 avril 2021 par Chloé Perrin.
Retranscription : Chloé Perrin.
Photos : Eva Vlonk (1) & Stefaan Temmerman (2, 3, 5).
Site officiel d’Amenra : amenra-official.tumblr.com
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