Tous les ans, cette discrète commune accueille un festival de rock/metal rassemblant les artistes les plus prestigieux, multipliant ainsi, le temps de quelques jours, la population présente par cinquante. Alors qu’elle ne représentait pas une destination touristique ou culturelle populaire, elle s’est indirectement fait un nom par le biais de ce festival, organisé par une équipe composée de certains de ses habitants.
Cette commune, c’est bien entendu celle de Wacken, en Allemagne, qui accueille le Wacken Open Air tous les ans depuis 1990. Certains d’entre vous avaient pensé à Clisson et à son Hellfest ? Il faut bien admettre que, même en voulant éviter la facilité, il est difficile de ne pas trouver les deux parcours similaires. D’ailleurs, Thomas Jensen, l’un des deux fondateurs du festival allemand valide généreusement cette comparaison dans cette interview qu’il nous a accordée il y a quelques semaines.
Une interview qui n’avait pas seulement pour but d’analyser les points clés, les problématiques et les anecdotes de l’histoire du Wacken et de son ascension médiatique et commerciale. En effet, c’est surtout d’une forme de philosophie du business dont il est question ici.
« Maintenant c’est gros mais lorsque nous avons commencé, tout le monde faisait tout et personne ne savait rien ! [Rires] Je crois que nous avons fait toutes les erreurs qu’on puisse faire ! [Rires] […] Nous ne savions vraiment pas ce que nous faisions ! »
Radio Metal : Tous les metalleux connaissent le Wacken Open Air mais ils ne connaissent pas forcément les gens derrière le festival. Peux-tu donc nous parler un peu de toi, de ta relation à la musique et au metal, etc. ?
Thomas Jensen : Moi et mon partenaire – nous sommes deux -, en gros, nous sommes des gens de la région de Wacken, nous sommes nés à Wacken ou près de Wacken et nous avons grandi ici. Nous avons commencé en tant que fans de musique, donc nous n’avions jamais prévu de faire de notre hobby une profession. Nous étions vraiment des fans qui adorons le rock en général, et le heavy metal en particulier. J’ai un large éventail de goûts musicaux. J’ai une grande histoire avec le punk rock, j’ai joué dans des groupes de punk. Les AC/DC, Ramones, Motörhead, etc. c’était ça le rock n’ roll lorsque j’avais quatorze ou quinze ans, ce hard rock simple en trois accords, cette musique rock rentre-dedans. Comme tu peux l’imaginer, dans la campagne en Allemagne, il ne se passait pas grand-chose, donc je jouais dans un groupe et Holger [Hübner] était un fan de musique, nous allions à des concerts ensemble. Nous avions donc une petite communauté, un petit gang qui s’intéressait au rock et pas à la pop, au disco et toutes ces conneries. Nous pensions : « Qu’est-ce qu’on peut faire ? » Donc nous avons organisé de petites fêtes, nous avons loué une salle de bal dans une ville du coin et nous avons organisé des événements musicaux. Voilà comment a commencé notre passion pour ce type de musique, ces guitares hard, ces batteries tonitruantes, toutes ces conneries ! [Petits rires] Ca peut paraître un peu pathétique mais c’est comme ça.
Etait-ce important d’organiser votre festival près du village de Wacken, car c’était chez vous ?
Ouais ! C’était chez nous et nos parents vivent toujours là-bas, mon frère y habite toujours, donc nous avons un fort rapport à cette région. Plus tard, lorsque nous sommes devenus plus établis dans le business de la musique, j’ai tourné partout dans le monde, en gros, j’ai souvent été au Japon, en Amérique du Nord, j’ai souvent été en France avec Saxon (Thomas est aussi manager de Saxon, NDLR), mais la région de Wacken reste mon chez-moi, et maintenant, nos bureaux sont revenus à Wacken. Nous avons une vraie et forte relation avec cette région. Nous sommes vraiment de ce coin. J’ai un grand amour pour Hambourg mais nous sommes des gens d’ici.
Comment décrirais-tu la relation entre le festival et les citoyens de Wacken ?
C’est un lien qui est fort. Tu ne peux pas avoir l’un sans l’autre, vraiment. Tu ne peux pas imaginer le Wacken Open air sans penser à Wacken, le village. La différence avec de nombreux autres événements est que tout a évolué de façon organique. Je pense qu’en ce moment, on assiste à la même chose avec le Hellfest à Clisson ; Je suis très bon ami avec Ben [Barbaud] (fondateur du Hellfest, NDLR). J’ai regardé tout le processus, nous avons joué à l’un des tout premiers Hellfest avec Saxon et Motörhead, donc j’y ai été très tôt, et je suis bon ami avec Olivier Garnier (l’attaché de presse du Hellfest, NDLR), donc je connais toutes les histoires qui se sont passées là-bas. Et c’est une relation similaire, ils ont une forte connexion avec Clisson. Donc c’est un processus organique, même si vu de l’extérieur, les deux choses ne semblent pas compatibles – une sous-culture, le heavy metal, le rock n’ roll, des gens dingues, et d’un autre côté, un village avec des gens « normaux ». Mais ce que j’essaie d’expliquer, c’est que les deux composantes ne sont pas si différentes. Elles ont plus en commun que ce que la plupart des gens peuvent penser. Je pense que tous nos fans ont un grand sens de la loyauté, ils ont beaucoup de passion, ils aiment beaucoup rire, et c’est pareil avec les gens qui vivent dans le village. Ils ont beaucoup d’honnêteté. Je dis toujours qu’il n’y a jamais de conneries ! Si tu vas à la rencontre des citoyens de Wacken, il n’y a pas beaucoup de conneries avec eux. Si quelqu’un les accueille, est sympa avec eux, si quelqu’un fait la fête avec eux, ils le rendent. C’est du donnant-donnant. J’y ai beaucoup réfléchi récemment parce que je donne des interviews et j’entends souvent la question, mais je pense que c’est comme ça, pas de conneries. En gros, les citoyens de Wacken et les fans de metal veulent tous la même chose, ils veulent s’amuser, ils veulent être avec leur communauté, avec leur famille, donc il n’y a pas autant de différence qu’on pourrait le penser. Lorsque tu as été là, ça ne semble pas étrange, non, au contraire, ça paraît naturel.
« C’est hyper important que nous ayons des festivals parce que c’est en train de devenir de plus en plus difficile pour les jeunes groupes de trouver un public, et un festival, c’est une plateforme pratique pour les groupes et pour le public pour tester des choses. »
Tout le village a le droit à une entrée gratuite pour le festival. Etait-ce important de faire ça de façon à remercier les gens et le village pour ce qu’ils t’ont apporté ?
Ouais, c’était deux choses. C’est comme un voisinage. Lorsque nous avons démarré le festival, pas avec tout le monde, mais ça suscitait un intérêt. Ils disaient : « Ça paraît étrange ce que tu fais là, on ne connait pas cette musique. » Certaines personnes étaient curieuses et intéressées, donc nous avons dit : « Si vous voyez quelque chose et rencontrez quelqu’un, n’ayez pas peur. Si vous ne savez rien sur lui, si c’est étrange, si vous avez le sentiment d’une musique dangereuse, alors ça vous fait peur, mais si vous rencontrez quelqu’un et qu’il est ouvert, vous voyez ce qu’il fait, vous voyez que ce sont des gens normaux qui s’amusent. » Nous voulions monter ça parce que nous étions fiers. C’est pour beaucoup une question de respect et d’être fier de ce que nous faisons. J’étais fier du festival lorsque personne ne venait et maintenant, je suis encore plus fier parce que je pense que nous rassemblons les gens. Donc nous voulons montrer ça à nos voisins, c’est-à-dire le village. Grace à ça, ils voient ce que nous faisons. La plupart d’entre eux apprécient ce que nous faisons. Disons-le ainsi : tu ne peux pas forcer une relation, tu dois y travailler. Je vais le redire, c’est du donnant-donnant. Ils doivent donc comprendre ce que tu fais, ils ne sont pas obligés d’aimer tout ce que l’autre fait… [Rires] C’est comme ça que ça a commencé avec les sapeurs-pompiers, ils blaguaient en disant : « Oh, le festival est très sympa mais essayez d’avoir de la vraie musique ! » Et j’ai dit : « Mais c’est quoi de la vraie musique ? » Et ils ont dit : « De la musique faite avec des cuivres. » J’ai dit : « Oh, allez ! » Donc nous blaguions là-dessus. Et puis plus tard, ils ont dit : « Peut-être que nous pourrions jouer ‘Highway To Hell’ ou ‘Smoke On The Water’ avec un groupe de cuivres, avec les sapeurs-pompiers. » Donc c’est un peu du donnant-donnant, le fait d’apprendre sur l’autre… Tout ça, ça sonne comme une histoire de hippies, l’amour et la paix, on est tous assis autour d’un feu [rires], mais c’est comme ça !
Et as-tu des informations sur combien de gens du village viennent au festival ?
Presque deux mille personnes vivent ici, nous donnons une entrée d’un jour gratuite à tous les villages alentour, donc ça fait peut-être plus de six mille personnes qui pourraient venir mais la moitié vient. Ça fait vraiment beaucoup ! Tout le monde vient simplement pour dire bonjour, même des gens qui disent « oh, nous n’aimons pas la musique, ce n’est pas notre tasse de thé. » Ils aiment être là. C’est comme passer rendre visite à son voisin pour dire bonjour. Tu dois y aller une fois et dire « salut ». Mon père est décédé il y a trois ans et il connaissait tout le monde là-bas, il gérait une boutique, donc je connais plein de gens et ils disent : « Nous passons juste dire bonjour. » Ils appellent ça la cinquième saison de l’année [petits rires].
Les premières éditions d’un festival ne sont jamais parfaites, loin s’en faut. Te souviens-tu de problèmes que vous avez eus dans les années 90 lorsque vous organisiez les premières éditions du festival ?
Ouais, de tout. Nous étions vraiment naïfs, nous ne savions pas vraiment comment procéder… Et le tout premier festival, il n’y avait aucun gros groupe, mais en, disons, 92, lorsque nous avions Blind Guardian et Saxon pour la première fois, nous ne savions rien au sujet du catering et tous les groupes réclamaient à manger… Car nous ne savions pas ce que font les groupes, ce que l’équipe qui les entoure fait, tout était nouveau pour nous ! Maintenant c’est gros mais lorsque nous avons commencé, tout le monde faisait tout et personne ne savait rien ! [Rires] Je crois que nous avons fait toutes les erreurs qu’on puisse faire ! [Rires] C’est pourquoi j’ai beaucoup de patience lorsque je parle à d’autres festivals qui ne font que commencer, et nous aidons certains festivals. J’ai beaucoup été impliqué dans le Bloodstock, j’ai été un genre d’ambassadeur, j’ai fait beaucoup d’interviews pour eux, mais aussi en tant que conseiller, je leur dis comment faire les choses. J’ai rencontré Ben du Hellfest à l’époque, il y a très longtemps lorsque nous avons donné un concert avec Saxon à Paris. Nous avons beaucoup parlé de festivals et comment nous avions démarré, quelles erreurs nous avions commises, etc. Je pense que c’est hyper important que nous ayons des festivals parce que c’est en train de devenir de plus en plus difficile pour les jeunes groupes de trouver un public, et un festival, c’est une plateforme pratique pour les groupes et pour le public pour tester des choses. Si tu vas au Wacken dans la tente Bullhead City Circus, tu as des groupes dont tu n’as probablement jamais entendu parlé et tu peux découvrir des choses. Ça ne coûte pas plus cher. Je pense qu’il est important que les fans fassent des choses pour découvrir à nouveau de jeunes groupes. Parce que nous avons besoin de jeunes groupes. Nous avons besoin de nouveaux venus. Nous avons besoin de sang neuf dans toute la scène musicale rock.
« A un moment donné, nous avons atteint un point de non-retour [petits rires]. Nous avions perdu tellement d’argent au début que nous avons dit : ‘Nous devons faire en sorte que ça réussisse, autrement nous pouvons nous suicider.’ [Rires] »
Le Hellfest a rencontré par le passé des problèmes avec des groupes catholiques qui voulaient que le festival soit annulé. Avez-vous rencontré des problèmes similaires avec des organisations religieuses ?
Non. Pas vraiment. Je ne peux pas vraiment dire ça. Nous avons une bonne relation avec les gens de l’église. Il y a un groupe qui est toujours dans les rues de Wacken pour distribuer la bible metal, c’est un peu ridicule. Les Catholiques sont plus au sud, et pas tellement au nord de l’Allemagne. Mais nous devons parler à ces gens, il n’y a rien mal avec la religion. Le seul problème est lorsque les gens essaient de te forcer à adhérer à quelque chose. En ce moment, le monde s’éloigne de la liberté. Surtout en Europe, nous devrions rester unis au lieu de nous diviser encore et encore. Je ne veux pas rentrer sur un terrain politique maintenant mais je pense que nous pouvons tous être différents, tu peux être un Catholique, tu peux être un Protestant, tu peux être un Musulman, tu peux être tout ce que tu veux mais tu dois respecter la liberté des autres. Nous, en tant que personnes travaillant dans la musique ou en tant que fans de hard rock et de metal, nous ne faisons rien de mal. Plein de groupes se soucient avant tout de bonnes choses. Je ne peux pas vraiment comprendre pourquoi une église aurait quoi que ce soit contre la musique. La musique est la chose qui connecte tout le monde. La musique, c’est de l’émotion. La musique, c’est la liberté. Si quelqu’un est contre la musique, alors c’est une personne que je ne comprends pas et que je n’aime pas [rires]. Donc si Ben a besoin de soutien, il peut m’appeler quand il veut [petits rires]. Je ne crois pas que ce soit la majorité des Catholiques. Je pense que c’est un petit groupe qui ne pige pas de quoi il s’agit. Je ne crois pas que Dieu ait dit qu’il fallait haïr quelqu’un. Si tu regardes de près, tout le truc du Christianisme, c’est beaucoup d’amour et de liberté.
Le festival a démarré en tant que petit événement pour des groupes Allemands du coin et est devenu ce rendez-vous international pour metalleux. Mais y a-t-il eu un moment en particulier, un tournant dans l’histoire du festival qui a changé la donne ?
J’aime « rendez-vous pour fans de metal », j’aime ça ! [Rires] Je vais me servir de ça ! Tu verras ça dans un de nos posts, « rendez-vous metal », j’aime ça, c’est cool. Mais non, c’était plus une évolution qu’une révolution, je pense, même si j’aime la révolution [rires] ; je pense que nous avons besoin de plus de révolutions. Le Wacken, c’était un processus organique, je continue à le dire. Notre meilleur outil promotionnel était les fans de metal, la propagande du bouche à oreille. Nos fans hardcore disaient à d’autres fans hardcore de metal « c’est là que tu dois aller, » et c’est quelque chose que tu ne peux pas vraiment forcer via le marketing ou avec une campagne promo. C’est vraiment prodigieux que nous ayons cette histoire mais c’était vraiment organique et c’était lent. Lorsque nous en sommes arrivés au stade où on pouvait dire « oh, ça commence à être viable financièrement, » ça faisait déjà dix ans que nous étions dans le business ! Aujourd’hui, tu dois établir un évènement bien plus rapidement parce que l’argent manque. Car nous ne savions pas ce que nous faisions, nous avons fait toutes les erreurs possibles… Ouais, je ne sais pas comment l’expliquer. C’est vraiment… Nous ne savions vraiment pas ce que nous faisions ! Nous continuions à le faire parce qu’à un moment donné, nous avons atteint un point de non-retour [petits rires]. Nous avions perdu tellement d’argent au début que nous avons dit : « Nous devons faire en sorte que ça réussisse, autrement nous pouvons nous suicider. » [Rires]
Comment en 2016 parvenez-vous à trouver de nouvelles idées pour faire évoluer le festival ?
Nous rencontrons plein de défis. Nos réseaux sociaux sont des outils très importants pour nous. Nous obtenons plein d’informations sur ce que les fans pensent, nous les questionnons beaucoup, nous essayons d’écouter, essayons de faire ressortir le meilleur pour tout le monde, nous essayons de découvrir ce que les gens veulent vraiment. Parfois ça prend un ou deux ans avant qu’une idée soit concrétisée. Mais nous essayons constamment d’écouter les fans et de trouver de nouvelles choses. Il y a différentes catégories, certains veulent plus d’attractions, certains de nos fans disent que ce que nous faisons n’est pas suffisant. J’essaie de me concentrer encore plus sur le côté musique, faire plus pour les jeunes groupes, mais il y a d’autres gens qui s’intéressent plus aux décorations et tout. Donc c’est toujours un processus et une discussion, et nous invitons tout le monde à nous dire ce qu’ils aimeraient voir. C’est pareil avec les groupes, avec la programmation, etc. Ce n’est pas comme le Hellfest, le Hellfest est plus tôt, en juin, et il y a bien plus de groupes disponibles en Europe, mais pour une raison ou pour une autre notre festival a commencé à devenir gros en août, ce qui parfois est bien mais la plupart du temps, c’est plus difficile pour faire venir de gros noms, car ils ne tournent pas à ce moment de l’année. Donc nous devons faire plus d’efforts pour trouver des groupes. C’est plus facile de faire ça en juin. Mais nous ne voulons pas changer ça. Mais si vous avez une idée, venez nous en parler, peut-être que nous pourrons la mettre en place, nous nous pencherons assurément dessus. Toute idée est bonne à prendre en considération, disons-le ainsi.
Interview réalisée par téléphone le 6 octobre 2016 par Philippe Sliwa.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel du Wacken Open Air : www.wacken.com
Interview intéressante et très instructive. Voilà qui pourrait donner des idées à des personnes désireuses de monter un Festival…