Ici en France, le nom d’Alex Agnew ne vous dit sans doute rien. Pourtant, au Benelux il est l’un des comédien de stand-up les plus populaires, à l’humour politiquement incorrect et piquant, n’hésitant pas à faire le sniper sur tout le monde, tous les sujets, même les plus polémiques, la liberté de parole étant l’un de ses Graal, en particulier à notre époque où celle-ci semble vaciller. Mais le Belge n’a pas que la comédie dans sa vie : c’est également un grand fan de metal, comme en attestent les T-Shirts de Shining, par exemple, qu’il arbore parfois durant ses spectacles. Et c’est en 2005 qu’il prend le micro et fonde avec quelques copains le groupe Diablo Blvd.
Et justement, trois albums de heavy rock bien pêchus et une signature sur la prestigieuse écurie Nuclear Blast plus tard, le voilà de retour avec son groupe pour proposer Zero Hour. Un opus où la bande fait en partie peau neuve, accentuant les influences new wave, avec quelques touches d’industriel, pour un résultat des plus rafraichissants. L’occasion également pour Alex Agnew de se rapprocher un peu plus des thématiques politiques et sociétales qu’il aborde dans ses spectacles – parce que l’époque s’y prête, comme nous le disent de plus en plus d’artistes.
Rien d’étonnant, donc, à ce que l’interview qui suit empiète pour une bonne part sur ces thèmes, Alex étant lui-même très volubile sur ces questions. Mais qu’on se rassure, il a également pris le temps de nous parler de ce nouveau disque, qui mérite vraiment sa mise en lumière, et de l’évolution réussie de Diablo Blvd. Tout comme il évoque aussi les parallèles entre ses deux carrières ainsi que de la scène belge. Bref, une entrevue consistante !
« Je ne veux pas forcément faire quelque chose de beau, je veux faire quelque chose qui fasse réfléchir les gens ou les mettent de temps en temps mal à l’aise, mais aussi qui leur fasse passer du bon temps. C’est un peu schizophrène. »
Radio Metal : Même si on pouvait déjà entende ces influences par le passé, vous avez cette fois-ci clairement décidé de mettre en avant les influences new wave et post-punk à la Sisters Of Mercy et Killing Joke, avec davantage d’éléments électroniques. Comment avez-vous décidé ceci ?
Alex Agnew (chant) : Il y a toujours deux choses lorsque nous faisons un album : nous écoutons l’album précédent, en l’occurrence Follow The Dead Lights, les choses que nous avons vraiment aimé et celles que nous trouvions être les meilleurs sur celui-ci, et ensuite nous construisons le suivant à partir de là. J’étais en réunion avec Nuclear Blast, je parlais à un gars et il a dit : « Tu sais ce que j’aimais vraiment dans la chanson ‘Follow The Deadlights’ ? C’était qu’elle mélangeait l’influence new wave des années 80 avec le heavy rock. » Dès qu’il a dit ça, ça m’a frappé. J’avais le sentiment que : « Ouais, exactement ! C’était ça ! » Parce que j’ai grandi en grande partie avec cette musique lorsque j’étais gosse, car j’ai grandi dans les années 80 ; j’ai quarante-cinq ans cette année. Toutes ces influences ont toujours plus ou moins été présentes, un petit peu par-ci par-là, mais cette fois, nous avons décidé de les mettre plus en avant. Et nous avons décidé ceci avant de commencer d’enregistrer les chansons, et même avant de commencer la composition. C’est ce que nous voulions faire. Aussi, sur les anciens albums, parfois nous avions une petite influence thrash metal de temps en temps et ça n’a jamais vraiment été mon truc, donc si nous devions avoir une chanson rapide sur l’album, je voulais que ça aille vite comme les groupes de punk ou les groupes tels que Killing Joke iraient vite, lorsque il y a un côté un peu dansant. Il y avait donc tout ce truc qui, musicalement, collait parfaitement. Et puis, bien sûr, avec les paroles aussi, j’ai décidé, avec cet album, de vraiment écrire à propos de choses qui me foutaient en rogne sur notre époque et auxquelles je réfléchissais beaucoup. C’est donc devenu moins personnel et plus de la critique sociale, bon, certes de façon un peu personnelle. Donc en gros, tous les éléments qui étaient déjà là, nous avons décidé de les exagérer un peu plus.
Les parties électroniques ont été faites par le guitariste Andries Becker, le producteur Dal Taeldenan et votre ingénieur. Comment ont-ils abordé cet aspect de la musique ?
C’était juste quelques éléments que nous voulions avoir là-dedans, nous n’allions pas partir à fond dans l’électronique, mais nous savions tous à peu près comment c’était censé sonner. Comme dans la chanson qui s’intititule « The Song Is Over », il y a un petit séquenceur au milieu qui sonne un peu old school. Donc nous voulions clairement utiliser les éléments électroniques de la même manière que Killing Joke les utilise, ils les utilisent pour améliorer leur son mais ça ne fait pas tout leur son parce que la majorité est toujours faite par la guitare, la basse et la batterie. Mais c’était marrant d’expérimenter un peu avec ça et il se peut que nous le fassions encore plus à l’avenir.
De façon plus générale, tu as parlé de fortes influences des années 80 sur cet album. Qu’est-ce que les années 80 représentent pour toi ?
Elles représentent ma jeunesse, avant tout. Je sais qu’il y a plein de nouveaux groupes qui font des trucs façon années 80 mais ce sont tous des gars qui sont nés en 95 ou dans les environs. Je suis né en 72, donc j’étais adolescent durant les années 80, je me souviens très bien de ce que c’était. Et je me souviens encore que, lorsque j’étais gosse, j’étais effrayé quand j’ai entendu la chanson « Russians » de Sting, là où il chante « J’espère que les Russes aiment aussi leurs enfants », et je me souviens encore que j’avais très peur qu’il y ait une guerre nucléaire, parce que c’était quelque chose qu’on nous rabâchait sans arrêt, et que les Russes étaient les méchants. Tu le voyais dans tous les films, comme les Rocky et Rambo et tous ces trucs avec lesquels j’ai grandi. D’un côté, les années 80 représentent ma jeunesse et une époque où je me suis beaucoup amusé parce que j’étais gamin, je découvrais plein de choses pour la première fois, comme le heavy, le punk, etc. et d’un autre côté, c’était une époque sombre, il y avait beaucoup de tension dans le monde, alors que ça semblait mieux aller dans les années 90. Lorsque le mur de Berlin est tombé et que c’était la fin de la guerre froide, Clinton était président, c’était la fin de la première Guerre du Golfe, et tu avais l’impression que les choses commençaient à s’améliorer, on retirait les frontières en Europe, et l’Euro est arrivé en 2000… On avait toujours l’impression que le monde devenait plus petit et plus facile, et qu’on ouvrait tous nos frontières et qu’on allait tous s’entendre, et puis le 11 septembre est arrivé et, en gros, ça a tout changé, et tout est revenu en arrière vers plus de politique isolationniste, au point qu’aujourd’hui on a des pays qui ne font que parler de faire ce qu’il y a de mieux pour eux-mêmes et fermer les frontières pour tous les autres. Ça ressemble à une régression, de bien des façons. Je pense que si les années 80 représentent une chose pour moi, c’est la tension. Il y avait beaucoup de tension dans les années 80. Plein de coupes de cheveux bien moches aussi ! [Rires] Mais c’était marrant. On s’éclatait pas mal dans les années 80 aussi, je dois dire. On était moins politiquement correct.
Ce que l’on peut remarquer avec cet album c’est que, même si on reconnait toujours le style du groupe, il y a un fort sentiment de renouvellement, avec ces influences new wave et électroniques, mais même aussi avec l’artwork. Y avait-il un effort conscient de remettre votre musique en question ?
Clairement. Je pense toujours qu’un groupe cesse d’être intéressant dès qu’il arrête d’évoluer et qu’il ne cesse de sortir le même album, ce qui n’a jamais été ce que nous voulions faire. Et il y a eu beaucoup de changements dans le groupe aussi, parce que nous nous sommes séparés de notre guitariste originel avec qui nous étions depuis les premiers pas du groupe, et il avait un son caractéristique, qui était un peu plus rock n’ roll, tandis que notre bassiste, Tim [Bekaert], qui à la base était un guitariste lead, et est justement désormais notre guitariste lead, a un son de guitare bien plus froid et mécanique. Tu sais, c’était une très mauvaise séparation que nous avons vécu avec notre guitariste aussi, donc nous avons traversé des moments assez difficiles en tant que groupe. Il y a d’ailleurs eu un moment où nous avons envisagé d’arrêter, nous pensions que nous n’allions pas continuer. Mais ensuite, nous avons décidé de continuer et alors, tout d’un coup, la dynamique du groupe a complètement changé et nous avons eu le sentiment que si nous faisions ça, il faudrait que nous fassions les choses un peu différemment parce que notre feeling avait totalement changé. Nous étions dans un état d’esprit sombre, donc les paroles le reflètent. Le dernier album, Follow The Deadlights, était le premier album que nous avons sorti chez Nuclear Blast et c’était le premier album qui soit sorti internationalement, et tu te rends compte que si tu veux rivaliser dans l’arène mondiale, tu dois sortir du lot, tu dois faire quelque chose que personne d’autre ne fait. Et même si je pense que nous avons toujours eu notre propre son, nous pensions aussi qu’il était temps de vraiment peaufiner ce son et faire quelque chose d’unique à partir de qui nous étions. Et je pense que nous y sommes parvenus avec cet album. C’était donc la direction que nous devions vraiment prendre.
Tu as déclaré que cet album était plus un effort de groupe. Penses-tu que c’était davantage collaboratif cette fois ?
Oui, c’est sûr. Sur le dernier album, c’était généralement Andries qui a écrit la majorité de la musique et moi les mélodies de chant et les paroles. Donc, en gros, c’était toujours nous deux qui faisions la musique, et parfois, Tim, notre guitariste a fait aussi une ou deux chansons. Mais là, c’était tout le monde. Nous avons vraiment tous collaboré sur l’album. Nous nous sommes tous écoutés, nous avons tous apporté des idées. Plus personne n’a amené de chanson complète. C’était genre « j’ai ce riff, j’ai cette partie, j’ai une idée pour ce type de chanson. » En fait, la chanson « You Are All You Love » a commencé avec seulement mon chant, donc il n’y avait pas de musique. J’avais juste cette mélodie de chant que j’ai chanté et tout le monde était là « super ! », et ils ont commencé à faire de la musique autour. Nous avons tous parlé de ce qui selon nous fonctionnait et ne fonctionnait pas. Du coup, c’était un processus complètement différent. Ça a aussi pris plus de temps. Si deux gars décident tout, ça va généralement plus vite que si tu écoutes tout le monde, mais nous avons tous pensé que c’était nécessaire, pour trouver de nouvelles idées, de nouvelles choses à faire différemment.
« Je trouvais que les terroristes se comportaient comme des animaux mais ce que je n’aime pas, c’est qu’ils font aussi ressortir l’animal en moi. »
Tu as mentionné la chanson « You Are All You Love » qui a démarré avec le chant et la musique qui est venue après. Penses-tu que ça a donné un feeling spécial et différent au résultat final ?
Ouais, je suppose. C’était juste différent. C’était une autre façon de travailler. Car quand nous avons commencé, il y avait des guitares vraiment heavy et ensuite, tout d’un coup, j’étais là : « Qu’est-ce que vous pensez de lâcher les guitares au début et de n’avoir que la basse et la batterie, et n’avoir que ces sonorités bizarres avec les guitares ? » Et ça a un peu changé toute l’atmosphère de la chanson, la rendant encore plus sombre. Elle avait aussi un refrain très différent, il était vraiment gros mais ensuite, soudain, nous avons décidé « c’est trop entraînant, donc on va calmer ça. » Donc nous avons ralenti le refrain pour le rendre plus sombre. Nous avons très consciemment essayé de maintenir la même atmosphère partout, d’avoir un album qui avait un certain feeling, et conserver ce feeling sur tout l’album.
Penses-tu que cet album représente mieux qui vous êtes en tant que groupe et individus ?
Ouais, c’est sûr ! Car j’ai aussi une autre carrière en tant qu’humoriste, et en tant que tel j’ai beaucoup de succès en Belgique et en Hollande, et ce que je fais est toujours un peu de la critique politique et sociale, et avant je ne le faisais pas tellement dans mes paroles, juste quelquefois, comme sur le dernier album, il y avait une chanson qui s’appelait « Rise Like Lions ». Nous avions toujours quelques chansons qui le faisaient mais pas tant que ça. Alors que cette fois, j’ai décidé d’écrire à propos de toutes les choses que j’aborde lorsque je suis sur scène, c’est-à-dire, en gros, soit au sujet de la politique, soit de la religion ou ce genre de trucs qui m’intéressent vraiment et aussi me mettent régulièrement en colère. Et bien sûr, les temps que nous vivons en ce moment font qu’il est bien plus pertinent de faire un album comme celui-ci. Je ne pensais pas que nous puissions nous contenter de faire un album avec des paroles, genre, « on s’en fiche ».
Parce que je vois plein de parallèles, pas seulement avec l’influence des années 80 dans la musique. Je ne voulais pas faire un album nostalgique, je ne voulais pas faire un genre d’album qui sonnait comme s’il avait été fait dans les années 80, je voulais prendre des influences de trucs venant des années 80 et les mettre dans un album qui sonne actuel. Car plein de choses qui se passent dans le monde en ce moment peuvent être mises en parallèle avec les années 80. Je veux dire que nous avons un président américain que personne n’a pris au sérieux lorsqu’il s’est présenté aux élections mais ensuite il les a remportées et il pourrait bien devenir un président très influent, qu’on l’apprécie ou non. C’est pareil avec Ronald Reagan que personne n’a pris au sérieux dans les années 80. Pareil avec la Grande Bretagne qui a une femme comme premier ministre aujourd’hui, tu as le Brexit, on parle de construire des murs tandis que le mur de Berlin a marqué la fin de la Guerre Froide, on a à nouveau un homme fort en Russie, toute la politique est centrée autour de cette fausse nostalgie de redonner sa grandeur à notre pays… Beaucoup de ces choses sont en train de revenir et puis, bien sûr, il y a toutes les attaques terroristes et tout ça. Il y a donc plein de choses qui se passent dans le monde en ce moment qui réclament ce genre d’album, un album qui en parle, qui soit un témoignage de son époque. Car il se passe plein de choses intéressantes en ce moment, donc ce serait dommage de ne pas en parler.
Etant donné que le titre de l’album est Zero Hour, celui-ci semble être destiné à être la bande son de la fin des temps. Crois-tu que nous vivons, si ce n’est la fin des temps, au moins la fin d’une ère dans les sociétés humaines modernes ?
Je ne dirais pas la fin des temps, par rapport à l’apocalypse et nous allons tous mourir, etc., parce que je pense que c’est quelque chose de très typique des gens qui vivent à notre époque. Car nous sommes une génération qui a vécu un changement de siècle et un changement de millénaire, ce qui n’arrive pas à tant de générations que ça. J’ai lu un livre il y a quelques temps qui s’appelait Rubicon, qui parle de la fin de l’Empire Romain, qui a vécu exactement la même chose, c’était la fin d’un siècle et le début d’un nouveau millénaire. C’était un grand changement, tout le monde avait ce sentiment que quelque chose allait arriver, et c’est toujours ce qui se passe avec les gens quand il y a un changement. Même aux changements de siècles, il y a toujours de grandes choses qui se passent, comme le passage du XIXème siècle au XXème siècle, il y avait la Première Guerre Mondiale. Donc on a le sentiment que plein de choses changent, et elles changent rapidement. La technologie change très vite, la façon dont nous interagissons les uns avec les autres via les réseaux sociaux, via les smartphones est totalement différente, nous élevons une génération d’enfants complètement différente. Et même si ça ne signifie pas la fin du monde, ça signifiera la fin de plein de choses telles que nous les connaissons. La même chose s’est passée avec l’industrie musicale, une bonne partie a totalement changé. On dirait que nous sommes à une époque de grands bouleversements.
Si ça veut dire que ce sera la fin du monde, je ne le crois pas mais je pense que la fin est toujours un début aussi. Rien ne se termine vraiment et rien ne commence vraiment, il y a juste des moments dans l’histoire où tu ressens que tu traverses des changements, ce n’est pas juste le statu quo où tout reste intact. Les gens font aussi le choix du changement. Je veux dire que le Brexit est le meilleur exemple, où ils ont décidé de quitter l’Union Européenne, même si la plupart des Britanniques ne savaient même pas pourquoi ils votaient ça, c’est juste qu’ils voulaient quelque chose de différent. Je pense que Donald Trump est un super exemple, c’est-à-dire qu’ils l’ont choisi en tant que président au lieu d’Hillary Clinton dont tout le monde en Amérique estimait représenter le statu quo et le non-changement. Donc tout le monde vote plus ou moins pour le changement et pour des choses différentes. Ce qui n’est pas toujours mieux mais ça fait qu’on vit une période intéressante. Donc ouais, je pense clairement que nous vivons une période qui va influencer plein de choses qui vont arriver dans quelques centaines d’années.
Plus tôt, tu as dit que tes paroles dans cet album étaient plus dans la veine de ce que tu racontes en tant qu’humoriste. Mais lorsque tu fais tes sketchs, tu parles en néerlandais. Du coup, penses-tu que le fait de parler de ces sujets dans ce groupe, en anglais, te permet de transmettre ce que tu as à dire à un plus large public ?
Ouais, peut-être. Je suppose. Je trouvais que c’était très rafraîchissant parce que j’étais en train d’écrire un spectacle en même temps que j’écrivais les paroles de l’album. Donc plein de thèmes se croisaient, et ça me permet d’écrire les paroles bien plus facilement. C’était plus facile que jamais parce que je pouvais vraiment ressentir ce que je racontais et l’écrire. Et ce qui est bien, c’est que lorsque tu fais ça pour les paroles d’une chanson, tu n’as pas besoin de penser à une blague. Tu n’as pas besoin de dire quelque chose d’horrible et ensuite faire passer la pilule en en faisant une histoire drôle. Tu peux dire « voilà ce que je dis. » Du coup, ça rend la chose plus facile, d’une certaine façon. Et oui, c’est toujours cool si plus de gens écoutent ce que tu as à dire parce que tu le fais en anglais maintenant et le monde entier peut l’écouter. Mais tandis qu’avec mes spectacles c’est toujours mon intention de faire rire les gens, avec ça, ce n’était pas vraiment mon intention. C’était juste « voilà ce que j’ai à dire sur certaines choses et c’est tout, » donc c’est à prendre ou à laisser.
« Je ne réclame pas une révolution sur cet album, je réclame une évolution. »
La chanson « Animal » a été écrite après les attaques terroristes de Bruxelles. Comment ceci t’as affecté personnellement et comment as-tu abordé ce thème dans cette chanson ?
Je pense que ça nous a tous affectés. Tu es en France, tu sais plus que quiconque de quoi je parle ! Nous étions déjà choqués par les attaques dans votre pays, ce qui s’est passé au Bataclan avec les Eagles Of Death Metal, ce qui s’est passé au Stade De France, ce qui s’est passé avec Charlie Hebdo… Toutes ces choses étaient aux infos. J’ai fait des débats télévisé pour défendre le sens de l’humour de Charlie Hebdo. Tu sais, ils peuvent parfois dire quelque chose de très politiquement incorrect et énerver des gens mais ils ne méritaient pas de mourir, parce que c’est la liberté d’expression, c’est la démocratie, c’est le fait de vivre dans un pays où tu peux dire ce que tu veux. Et tous ses attentats terroristes m’ont mis en colère, pas parce que les terroristes ont fait des choses horribles, car c’est en gros ce que font les terroristes, mais la chose que je trouvais vraiment effrayante était le fait que ça faisait aussi ressortir le pire chez plein de gens bien. Tu entendais plein de gens qui sont habituellement très tolérants dire des choses très intolérantes. Les gens commencent à faire des jugements personnels à cause de la peur et de la colère, et ce n’est jamais la meilleure chose à utiliser lorsque tu prends une décision. Donc je trouvais que les terroristes se comportaient comme des animaux mais ce que je n’aime pas, c’est qu’ils font aussi ressortir l’animal en moi, c’est-à-dire que j’avais ces pensées très sombres, du genre « oh, ne leur accordez pas de procès ! Contentez-vous de les exécuter ! » et toutes ces conneries, et j’étais là : « Bon, alors tu n’es pas meilleur qu’eux. » C’est ça qui fait de nous des êtres humains plus évolués que ce genre de personne.
Et je ne parle pas des Musulmans, évidemment, je parle des terroristes, je parle des gens qui abusent de la religion pour faire des choses horribles, parce que plein de personnes religieuses n’embêtent personne. Je ne suis pas une personne religieuse moi-même. Je n’aime pas vraiment la religion non plus, pour être honnête. Je pense que le monde se porterait mieux si la religion disparaissait. Je trouve que c’est le signe d’une espèce non-évoluée, d’une certaine façon. D’un autre côté, la religion fait partie de l’imagination et c’est ce qui nous démarque de tous les autres animaux sur cette planète, et nous démarque de toutes les autres espèces humaines qui ont foulé cette terre avant nous. La chose que nous pouvons faire qu’eux ne pouvaient pas est d’imaginer des choses qui ne sont pas là. Nous pourrions créer un homme à tête de tigre et appeler ça un dieu, et dire que c’est un esprit, et faire croire des choses aux gens. C’est ce qui, en gros, nous a permis de constituer des sociétés et des groupes qui sont plus grands que cent-cinquante personnes. Si tu veux faire bouger des milliers de gens, alors tu as besoin d’un truc collectif en lequel ils peuvent croire, et ceci est bien sûr la religion, mais la plupart du temps, la religion est utilisée de façon vraiment horrible. Donc je n’en suis pas très fan. Je crois que si les gens veulent croire en un Dieu et être spirituel, si ça les aide à vivre ou à traverser des moments difficiles, ce n’est absolument pas un problème, mais dès que ça devient quelque chose qui réprime les gens et commence à leur dire quoi faire et ne pas faire, que des gens veulent en tuer d’autres à cause de ça, alors je ne pense pas qu’un mec imaginaire dans le ciel en vaille vraiment la peine [rires].
« You Are All You Love » parle de Donald Trump…
Un petit peu, ouais. Ça parle d’un gars comme lui, de toute façon. Je veux dire que les gens disent que c’est sur Donald Trump, on peut dire ça. Je l’ai un peu écrite sur lui, ouais, ou sur les gens comme lui. En fait, ça peut aussi être sur un gars comme Poutine. Ce genre de leaders, ce ne sont que des gars qui sont vraiment amoureux d’eux-mêmes. Ils sont très narcissiques. C’est comme Poutine qui poste des photos de ses vacances où il est allongé là, torse nu, exhibant son corps, clamant « je ne suis pas homo ! » [Rires]. C’est comme écouter Donald Trump dire constamment à quel point il est génial et il le fait comme un enfant de dix ans le ferait, genre : « Je suis le meilleur au monde et tout le monde doit m’aimer ! Et si vous ne m’aimez pas, vous pouvez aller vous faire foutre ! » C’est bizarre, on semble élire ce genre de personnes aujourd’hui. On dirait que c’est le truc à la mode. Je pense qu’Erdogan en Turquie fait partie de ces mecs. En Belgique, on a un gars qui s’appelle Bart De Wever qui est un politicien très populaire qui est aussi plutôt à droite et qui est aussi très obsédé par lui-même. On dirait juste que ce genre de politicien est ce que nous recherchons, des gens qui déversent du poison dans nos oreilles, s’en vont et laissent le monde aller à reculons et penser qu’il fut un temps où tout était mieux. « Revenons à cette époque où tout était super et où il n’y avait pas d’étrangers… » Ce qui est vraiment une façon bizarre de voir le monde parce que je ne pense pas que nous ayons vraiment d’autre choix que vivre dans une société multiculturelle, c’est là où on vit. On a énormément de diversité et ce que l’on doit faire c’est apprendre à s’entendre, et si on ne le fait pas, alors on va se tuer jusqu’à l’extinction.
On doit évoluer, ce qui est une autre chose dont je parle beaucoup dans mes paroles. On doit faire un nouveau bond dans notre ADN, on doit avoir un autre truc qui fera évoluer notre cerveau, qui le grossira, qui rendra notre perspicacité par rapport à la vie plus affûtée, qui nous fera voir que nous sommes un collectif, qu’aucun humain n’est fait pour être seul. On a besoin de résoudre des choses et si on veut le faire, on doit être plus intelligents, on doit se débarrasser de la religion, on doit se débarrasser des dogmes, on doit se débarrasser du racisme, on doit se débarrasser de ces pensées très primitives et animales qui n’arrêtent pas de réapparaître et sont, en gros, incrustées dans notre ADN et nous poussent à faire des choses qui… Tu sais, on sait un peu mieux, on sait qu’on ne devrait pas le faire mais on a toujours cet animal en nous qui réagit de façon très instinctive aux choses qui sont différentes de nous. Je ne sais pas si nous gagnerons un jour cette bataille mais il est clair que ce sera intéressant. Je ne réclame pas une révolution sur cet album, je réclame une évolution.
L’illustration de Hedi Xandt est assez intriguante et, comme je l’ai dit, très différente de vos pochettes passées. Qu’est-ce qu’elle symbolise pour toi ?
Nous voulions juste une image vraiment forte qui représentait un peu le contenu de l’album. Et comme je l’ai dit, nous avons presque tout commencé de zéro avec cet album, c’est comme si nous nous étions réinitialisés. Nous avons voulu que l’artwork représente également ça. C’est une image un peu froide mais elle possède une forme de beauté mais aussi de laideur. C’est un peu sombre mais c’est aussi très beau. Je pense que notre musique a toujours été comme ça aussi : il y a de la mélodie et il y a de la beauté mais il y a aussi une vraie laideur là-dedans. Donc je pense que nous avons une illustration qui représente ce qu’est notre musique, c’est-à-dire plutôt sombre, plutôt heavy, plutôt belle et plutôt laide. Nous voulions une image qui représentait un peu tout ça, et cette image le fait parfaitement, je trouve.
« Etre humoriste, c’est être tout seul tout le temps. Ça peut aller parce que si tu as un super public et un super spectacle, tu peux en récolter tous les lauriers, et si ça tourne mal, alors tu dois l’assumer également. Tandis que dans un groupe, tu peux toujours accuser le batteur [rires]. »
Vous être un groupe belge, et vous avez employé un producteur belge, Dag Taeldenan, et un artiste belge pour l’artwork, Hedi Xandt. Est-ce important pour vous de valoriser le savoir-faire belge ?
Ouais, bien sûr. C’est clairement typique des gens venant d’un petit pays comme le nôtre. Tu sais, la Belgique est un tout petit pays, et en plus il est divisé en deux langues. Donc c’est un petit pays vraiment schizophrène et on a toujours un peu l’impression que les autres pays sont mieux que nous, on a toujours ce complexe d’infériorité. Je sais qu’il y a plein de gens talentueux en Belgique, il y a plein de gens qui font des trucs vraiment sympas. Et parce qu’on est si petits, on est aussi très individualistes. On a toujours envie de tout faire à notre façon. Notre producteur Dag Taeldenan, était aussi le chanteur et le guitariste d’un groupe qui s’appelait A Brand, qui était un peu un hybride entre le rock et la dance. Ce n’est pas un metalleux mais il comprenait vraiment ce que nous voulions faire et c’est vraiment un grand fan de plein de groupes des années 80 que moi-même j’aime beaucoup et ce genre de choses. Il était donc assez branché par ce que nous faisions. Je trouvais qu’il était le choix parfait. Les gars qui ont fait le mix et le mastering sont Jay Ruston et Paul Logus, qui sont deux Américains, et qui ont fait aussi le mix et mastering de notre dernier album, donc nous travaillons toujours avec ces gars parce que nous trouvions que nous formions une bonne équipe et ils étaient bons pour notre son. Mais, lorsque nous cherchions un producteur, nous pensions que nous n’avions pas besoin d’aller en Amérique ou en Angleterre parce qu’on a plein de gens talentueux aussi en Belgique. Donc c’était amusant de travailler avec lui. Et c’est bien plus pratique aussi parce qu’il vit au coin de la rue, donc c’était très facile de travailler avec lui.
Vous avez votre propre festival, le Diablo Fest, où vous offrez une plateforme à des groupes émergents pour toucher un plus grand public. A quel point est-ce important pour vous d’aider d’autres groupes à obtenir de la reconnaissance ?
Je pense que c’est très important ! Parce que comme je l’ai dit, on est un petit pays, on a une très bonne scène metal, avec plein de groupes heavy, très variée aussi, mais on ne passe pas beaucoup à la radio, on n’est pas beaucoup soutenus par les médias, en particulier les médias populaires. Donc je pense que plein de gens, s’ils ne sont pas branchés metal, ne connaissent pas vraiment ces groupes. Et parce qu’en Belgique nous sommes un plus gros groupe, nous voulions monter notre propre festival et inviter nos amis et les gens que nous aimions vraiment. Lorsqu’ils sont venus et ont joué, nous avons passé une super soirée ! Nous voulions montrer aux gens plein de bons groupes pour pas cher, parce que nous avons mis le prix des billets très bas, car plein de festivals de nos jours sont si ridiculement chers que plein de jeunes qui aiment le metal ne peuvent pas se permettre d’y aller. Donc nous avons mis les billets à vingt euros, je crois. Il y avait cinq groupes. Donc tout le monde pouvait venir et assister aux concerts. On a fait une after, on a fait de la distrib avec des CDs, on avait un food truck, on avait plein de choses pour faire passer une super soirée aux gens et leur faire vivre une bonne expérience. Tu sais, Andries et moi, nous venons tous les deux des scènes punks et hardcore lorsque nous étions gamins, donc nous avons grandi en écoutant des groupes qui étaient très proches de leur public et qui n’essayaient pas de les escroquer en leur demandant cent euros pour des billets ou leur vendant des T-Shirts pour quarante euros ou ce genre de choses. Donc nous essayons vraiment de garder cet état d’esprit. Il y a un groupe de punk basique en nous, quelque part, aussi. Donc j’imagine que c’est ça l’idée du Diablo Fest.
Vous êtes le tout premier groupe belge à avoir signé chez Nuclear Blast. Penses-tu que vous pourriez devenir un exemple à suivre pour les autres groupes belges, pour une meilleure reconnaissance de la scène belge ?
C’est sûr. C’est ce que nous essayons de faire. En fait, il y a plein de groupes qui viennent de Belgique et qui se portent plutôt bien à l’international aujourd’hui. Un groupe comme Amenra joue dans pas mal d’endroits dans le monde, ça va bien pour eux. Il y a un groupe qui s’appelle Steak Number Eight qui tourne beaucoup en dehors de la Belgique. Il y a un groupe de thrash qui s’appelle Evil Invaders qui fait plein de choses. Mais ouais, nous sommes sans doute le groupe qui sonne le plus mainstream, donc je suppose que nous avons plus de chance de passer en radio ou peu importe, même si je ne compte pas dessus parce que plein de radios mainstream ne passent plus de musique, surtout pas de la musique heavy ou orientée guitare. Les temps changent mais si nous pouvons aider un peu… C’est comme, si quelqu’un fait quelque chose en premier alors d’autres groupes se mettent à croire qu’ils peuvent aussi le faire, et c’est là que les choses changeront. Après le premier gars qui bat un record du monde, tout d’un coup, tout le monde dit « oh ce record du monde pouvait être battu ! » Et ensuite la plupart du temps, il est battu très rapidement par plein d’autres gens aussi. Donc je pense que parfois les gens ont juste besoin de quelqu’un qui passe en premier, et je suis très content que ce soit nous. J’étais très honoré par le fait que nous étions le premier groupe de notre pays à signer sur le plus gros label metal de la planète. J’en suis très content.
Tu as mentionné plusieurs groupes belges, on pourrait aussi citer Channel Zero ou Aborted, mais penses-tu qu’il y a une patte belge en termes de metal, quelque chose de reconnaissable ?
Je ne sais pas ! Pour être honnête, je pense que nous sommes très variés. Tous les groupes sont différents. Ils ont tous leur propre son et leurs propres trucs, donc je ne dirais pas qu’il y a un type de son précis. Par exemple, je connais quelques groupes de metal français mais je ne pense pas non plus qu’il y ait un son français typique. Je pense que Gojira a fait quelque chose de très spécial mais c’est de toute façon un groupe spécial. Il aurait été spécial peu importe d’où ils seraient venus parce qu’ils possèdent quelque chose d’unique. La plupart des meilleurs groupes possèdent généralement quelque chose que personne d’autre ne possède. Mais je ne pense pas que nous ayons quelque chose de typique… On pourrait dire qu’il y a un son metal scandinave typique ou qu’il y a un son metal américain typique mais pour les groupes européens, je pense que c’est toujours plus difficile. En général, on absorbe plein d’influences et on en fait quelque chose d’étrange. On fait donc notre propre truc. Je pense que ce qui est typique des groupes belges est qu’on est généralement hybrides. Les groupes regroupent plein de styles et font des trucs vraiment bizarres. Par exemple, on a un groupe qui s’appelle Oathbreaker qui mélange un peu le hardcore et le black metal et a un peu de post-rock dans sa musique. Globalement, plein de groupes en Belgique n’ont pas vraiment un seul style. Ils écoutent plein de trucs et ensuite font un mélange, ce qui est grosso-modo ce que nous avons également fait. Nous avons juste des influences différentes de plein d’autres groupes et c’est ce qui fait que nous sonnons comme nous sonnons. Je suppose, ouais, que s’il y avait une chose qu’on pourrait dire à propos des groupes belges, c’est qu’ils sont plutôt variés et ils adorent rassembler différents styles.
Comme tu l’as mentionné, tu es avant tout connu en tant qu’humoriste de stand-up très populaire au Benelux. Peux-tu nous parler de ce qui est venu en premier ? Le metal ou la comédie ?
Les deux, je suppose. Lorsque j’ai vu Eddie Murphy jouer Delirious quand j’avais environ onze ans, c’est là que je me suis rendu compte que c’était ce que je voulais faire. Mais dès que j’ai entendu mon premier album de punk et de metal, j’ai su que je voulais un groupe et chanter dans un groupe comme ça aussi. La chose qui est venue en premier est la comédie. C’était ma première carrière. C’est ce que j’ai commencé à faire en premier. Ensuite j’ai rencontré quelques-uns de mes meilleurs amis qui se sont avérés être de très bon musiciens également et nous avons décidé de nous réunir et fonder un groupe. Car je n’ai jamais eu d’autre groupe en dehors de Diablo Blvd, c’était mon premier groupe. Nous avons démarré ça vers 2004, 2005, je crois, donc ça fait un petit moment maintenant que nous existons. Je ne suis pas du genre précoce, tu sais. Dans ma vie, j’ai toujours commencé assez tard les trucs que je voulais faire, donc j’ai commencé la comédie quand j’avais environ 28 ou 29 ans. Avant ça, j’ai fait toutes sortes de boulots merdiques, j’ai fait plein d’études que je n’ai pas vraiment terminées… Je cherchais tout le temps quelque chose et j’avais l’impression de trouver nulle part ma place. Mais ensuite, lorsque la comédie est venue, tout s’est mis en ordre et ensuite Diablo s’est lancé…. Ceci dit, ce sont tous les deux mes passions. Tu sais, étant gamin, j’ai grandi en écoutant plein de musique et la musique a toujours été la bande son de ma vie, tout ce que j’ai fait, je l’ai fait sur de la musique. Je ne pense pas qu’il y ait eu une chose qui soit venue en premier chez moi, et il n’y a pas non plus une chose que j’estime plus importante que l’autre. Je pense que Trent Reznor de Nine Inch Nails l’a très bien dit lorsqu’il a dit : « L’art, c’est de la résistance. » C’est grosso-modo aussi comment je vois les choses. Je ne veux pas forcément faire quelque chose de beau, je veux faire quelque chose qui fasse réfléchir les gens ou les mettent de temps en temps mal à l’aise, mais aussi qui leur fasse passer du bon temps. C’est un peu schizophrène. Je veux que les gens apprécient ce que je fais mais je veux aussi qu’ils s’énervent un peu [petits rires].
« Il est évident que je n’aurais pas envie de me faire tirer dessus à cause de mes blagues. Je ne cherche clairement pas à mourir, à être assassiné ou à devenir un martyr pour la liberté de parole mais je ne vais pas renoncer. Ce n’est juste pas une chose à faire. »
Est-ce que les gens qui te connaissaient en tant qu’humoriste ont été surpris par la musique que tu faisais lorsque tu as démarré le groupe ?
Certains l’étaient. J’ai eu un public assez important très rapidement en tant que comédien, donc dès que j’ai annoncé que j’avais un groupe, plein de monde était là : « Oh, ça sera une blague ! » ou « Ça sera un genre de groupe marrant. » Ensuite, ils ont réalisé que ce n’était pas une blague, que c’était très sérieux. Il est clair que plein de gens étaient surpris. J’avais des fans de metal dans mon public aussi parce que j’avais des sketchs sur la scène metal, sur la new wave, sur le punk et ce genre de choses, donc j’attirais un peu un public venant de ces milieux de toute façon. Mais dès qu’ils ont entendu la musique, ouais, il y avait des gens qui ont vraiment adoré et disaient « ouais, c’est exactement ce que je pensais que tu ferais », et puis il y avait d’autres gens qui trouvaient ça vraiment horrible. Tout dépend à qui tu demandes, je suppose.
Y a-t-il des parallèles à établir entre le fait de monter sur scène en tant qu’humoriste et en tant que chanteur ?
Bien sûr. La seule chose… Ce que j’aime dans le fait d’être dans un groupe est que tu es sur la route avec quelques gars, et c’est genre « nous contre le monde entier », c’est le sentiment qu’on a, ce qui est vraiment marrant. Alors qu’être humoriste, c’est être tout seul tout le temps. Ça peut aller parce que si tu as un super public et un super spectacle, tu peux en récolter tous les lauriers, et si ça tourne mal, alors tu dois l’assumer également. Tandis que dans un groupe, tu peux toujours accuser le batteur [rires].
Comment ton expérience en tant qu’humoriste de stand-up t’impacte en tant que chanteur et performer ?
Je suis vraiment habitué à me tenir devant des gens et les affronter aussi, donc ça facilite ma communication avec eux. Si je dois parler entre les chansons, je parle à une foule plus facilement. Généralement, lorsque je parle entre les chansons, parfois je ne peux pas m’empêcher de dire quelque chose de drôle, quelque chose qui fait rire le public, ce qui n’est pas vraiment mon intention lorsque je suis sur scène avec le groupe mais il y a toujours ce truc, je ne sais pas… Ça me pousse à ne pas prendre tout trop au sérieux, d’une certaine façon, ce qui est plutôt marrant, même si je prends mon boulot d’humoriste et mon groupe très au sérieux. C’est juste le genre de chose qui facilite la communication avec les gens, même si j’ai vraiment dû apprendre que lorsque tu es sur scène et que tu chantes, c’est totalement différent que d’être là debout et parler. Lorsque j’ai démarré le groupe et commencé à chanter, j’ai eu très conscience de moi-même lorsque j’étais sur scène, me disant vraiment : « Oh mon Dieu, qu’est-ce que je fais ici ? » Ca a donc pris un peu de temps pour m’y habituer aussi. Mais puisque ça fait maintenant plus de douze ans que je fais ça, j’ai fini par m’y habituer aussi.
N’est-ce pas tentant parfois d’automatiquement faire carrément de petits sketchs entre les chansons ?
Parfois, ouais. Parce que, ce que je fais en tant qu’humoriste, c’est que j’observe plein de choses, et je remarque toujours plein de choses. Donc lorsque je suis sur scène et que quelqu’un me crie quelque chose ou je vois quelqu’un avec un drôle de t-shirt ou un mec bizarre ou quelqu’un qui fait un truc étrange, j’ai presque cet instinct qui me pousse à en parler, ce qui provoque des situations très drôles parfois. Ou si nous sommes dans un pays et que je me suis baladé et j’ai vu un truc bizarre dans la ville, j’ai l’impression d’être obligé d’en parler, et généralement, ça fait marrer les gens parce qu’ils trouvent ça drôle lorsque un étranger fait remarquer une bizarrerie dans leur propre ville. C’est le genre de chose qui est enraciné en moi. Je ne le fais pas tout le temps mais je sais que si quelque chose se passe ou si quelqu’un dans le public dit quelque chose, je suis plutôt bon pour réagir à ça parce que j’en ai l’habitude.
Il y a eu de grands débats dernièrement sur la liberté d’expression, surtout par rapport aux humoristes. Et tu es toi-même connu pour ton humour corrosif. Et je sais que tu as un sketch sur l’Islam et Daesh. As-tu déjà eu des problèmes à cause de ça, comme des gens qui ont essayé de te museler ou même te menacer ?
Ouais, j’imagine. Mais je pense que c’est ce que les humoristes doivent faire. Il y a deux types d’humoristes : ceux qui racontent des blagues pour faire rire les gens et ceux qui disent quelque chose qui fait rire les gens mais aussi les fait réfléchir, et ça, c’est le genre d’humoriste que je préfère et c’est aussi le genre d’humoriste que je veux être. C’est très dur d’ignorer tous ce que Daesh a fait au cours de ces dernières années, des choses qui ont impacté nos vies et notre manière de penser, et j’essaie vraiment d’être responsable lorsque je parle de ce genre de sujet. Tu sais, parfois je dis des choses qui sont assez, disons, politiquement incorrectes ou un peu choquantes mais d’un autre côté, je fais toujours la distinction entre les gens de Daesh et les musulmans normaux. Je ne suis pas raciste, je ne fais pas tout mon possible pour… Mais j’ai aussi des critiques au sujet d’Israël, sur leur politique étrangère et notamment leur lien avec l’Amérique, et désormais l’idée de l’Amérique sur le Moyen Orient est en gros de soutenir Israël, qui viole également des droits de l’homme. C’est aussi une chose très difficile à aborder parce que plein de gens protesteront. Donc ouais, j’ai dû me défendre à quelques occasions. Il y avait un gars en Belgique d’une organisation qui s’appelle Charia For Belgium, qui est, en gros, un musulman fondamentaliste, qui a aussi dit qu’il n’aimait pas mon sens de l’humour. Tu sais, ça peut devenir dangereux parfois mais je crois qu’il n’y a pas de raison de se taire et rester silencieux.
Je pense que la chose la plus importante que nous ayons est notre liberté de parole, c’est notre droit de dire ce que l’on veut. Et critiquer non seulement le gouvernement mais aussi la religion, critiquer les gens qui ont des idées oppressives, si on renonce à ça à cause de la peur, je pense que c’est la pire chose à laquelle nous pourrions renoncer. Ça fait partie des choses dont nous avons pris conscience en tant que société, des choses comme permettre aux homosexuels de se marier et adopter des enfants, permettre à des gens de changer de sexe s’ils le souhaitent, permettre aux noirs et personnes de tout type de couleur d’avoir de meilleurs boulots, de meilleures vies, de meilleurs postes en politique, de meilleures carrières, etc. et je pense que ce serait vraiment mauvais si on laissait tomber simplement parce qu’on a peur de quelques gars avec des flingues. Il est évident que je n’aurais pas envie de me faire tirer dessus à cause de mes blagues. Je ne cherche clairement pas à mourir, à être assassiné ou à devenir un martyr pour la liberté de parole mais je ne vais pas renoncer. Ce n’est juste pas une chose à faire. D’ailleurs, aucun de mes héros ne l’a fait. Je veux dire que Jello Biafra a dit ce qu’il avait à dire. Johnny Rotten a dit ce qu’il avait à dire. Des comédiens comme Bill Hicks et George Carlin, des gens comme ça, disent ce qu’ils ont à dire. J’imagine qu’il y a sans doute des gars en France qui font aussi ça qui sont peut-être assez controversés.
« J’espère qu’il existe un futur où on trouvera tous le moyen de résoudre tous ces problèmes parce que le fait de se détester ne nous mène nulle part. »
La différence entre moi et un gars comme… Vous avez un gars comme Dieudonné, n’est-ce pas ? Qui est très controversé, mais le problème avec ce gars est qu’il s’est aussi mis à la politique, et quand tu fais ça, tu n’es plus neutre. Moi, je suis un comédien, donc je regarde tout le monde et je cible tout le monde. Je ris de la gauche, je ris de la droite, je ris des Musulmans, je ris des Juifs, je ris des Chrétiens, je ris de la religion, je ris de moi, je ris des films stupides, je ris de tout ! C’est ce qui est important : si tu décides d’attaquer quelqu’un, tu dois attaquer tout le monde à égalité. Tu ne dois pas juste t’en prendre à une catégorie de personne, et encore moins si tu as un humour politiquement incorrect. C’est très cool aussi mais si ensuite tu lances un parti de droite, alors plus personne ne pense que c’est de l’humour, alors c’est genre « oh, donc en fait, ce mec est sérieux ! » Pour ma part, il y a plein de choses pour lesquelles je suis sérieux mais il y en a aussi plein d’autres que j’exagère vraiment rien que pour faire une remarque pertinente. Si tu veux montrer aux gens à quel point le racisme est mal, généralement ça fonctionne mieux lorsque tu dis quelque chose d’horriblement raciste. Ça pousse les gens à se dire : « Oh, merde ! Qu’est-ce qu’il vient de dire ? » Et ensuite tu peux signaler que ce n’est pas la bonne voie à prendre, ce que je fais toujours. Ça me rend un peu polémique mais tout le monde connait mes positions. Personne ne se dit que « c’est un genre de nazi islamophobe » ou autre. Ça fait partie des choses qu’il faut faire. En gros, je pense que c’est notre boulot en tant qu’artiste de remettre en question le statu quo, de ne pas laisser seulement les politiciens et les médias décider ce qu’on doit penser. Il y avait cette citation vraiment sympa que j’ai lue sur Facebook qui disait : « Avant, les humoristes nous faisaient rire et on écoutait les politiciens. Et maintenant, les politiques nous font rire et on écoute les humoristes. » Donc si c’est ce qu’il faut, alors c’est ce que je ferais.
De nos jours, lorsqu’un humoriste rit de tout, comme tu l’as dit, on dirait quand même que les gens ont tendance à se focaliser sur le fait qu’il rit de l’Islam…
Ouais, parce que c’est la peur ! Les gens ont tout simplement plus peur de l’Islam que de tout le reste, ce qui n’est bien sûr pas infondé. Je ne crois pas que si je ris d’un chrétien je me ferais tirer dessus dans la rue par un chrétien. Enfin, pas ici, pas là où je vis. Je suppose qu’il y a quelques états en Amérique où ils ne rient pas trop aux blagues chrétiennes, je pense qu’il y a plein de pays en Afrique où ils ne pensent pas que rire de Jésus soit drôle. Donc c’est juste la société où nous vivons aujourd’hui : la religion qui effraie le plus les occidentaux est l’Islam. Tu sais, en Hollande, nous avions un réalisateur qui s’appelait Theo Van Gogh qui a été tué par un extrémiste musulman rien que parce qu’il avait fait un film qui critiquait l’Islam. C’est vraiment quelque chose avec laquelle on doit vivre et ce n’est pas toujours marrant. D’un autre côté, je ne veux pas que les gens me disent de quoi je ne dois pas parler, parce que si on fait ça, ça ne fait qu’empirer les choses. Je n’ai jamais cru que le fait de ne pas parler de quelque chose l’améliore, et encore moins faire semblant que ce n’est pas là ou dire que ce n’est pas un problème. Il y a un problème.
Tous les musulmans ne sont pas un problème. Il y a plein de bonnes personnes parmi eux qui ne font rien de mal, qui veulent juste faire la même chose que nous. Il ne faut donc pas juger les gens. Par contre, je juge la religion, je juge l’idée, et pas seulement l’islam mais chaque religion parce que les trois principales, la religion chrétienne, le judaïsme et l’islam sont grosso-modo des variations du même thème. C’est tout un Dieu qui est assurément masculin, qui n’aime pas tellement le sexe et les femmes, donc c’est toujours ça. On a dû passer par notre propre émancipation et c’est exactement ce qui va aussi arriver aux musulmans. Ça prendra peut-être un peu de temps, ça pourrait prendre quelques centaines d’années, mais ça va arriver. Il y a plein de jeunes femmes musulmanes qui vont à l’école, qui obtiennent de meilleurs diplômes, de meilleurs boulots, qui gagnent plus d’argent que plein de jeunes hommes musulmans. Donc le truc, c’est qu’elles vont devenir plus indépendantes, elles vont commencer à penser par elles-mêmes aussi. Plein de choses font se produire dans les prochaines années. En fait, nous sommes sur le point de vivre une époque intéressante. Il y a des musulmans qui veulent vraiment travailler sur un islam européen, qui veulent travailler sur un islam compatible avec les valeurs des démocraties occidentales, et il y a d’autres gens qui détestent ça, qui ne veulent pas que ceci se produise et veulent une version vraiment radicale de l’islam, et ces gens sont en guerre les uns contre les autres aussi. Le truc, c’est que les terroristes musulmans tuent plus de musulmans que qui que ce soit d’autre ! Les Shiites et les Sunnites se sont entre-tués pendant des siècles ! C’est une religion vraiment bizarre et on fait face à plein de choses qui sont différentes de notre manière de penser, ce qui fait peur à plein de gens. Donc je comprends vraiment que les gens disent : « Oh, ne faites pas de blagues sur eux, faites juste des blagues sur des gens qui ne réagiront pas violemment. » Mais si tu cèdes face à ces gens qui emploient la violence pour réduire tout le monde au silence, alors c’est que tu abandonnes, tu as perdu, et je ne pense pas que ce soit la solution.
Au final, je pense que nous devrons tous apprendre à vivre les uns avec les autres et à collaborer, il n’y a pas d’autre solution pour que ça fonctionne, mais c’est difficile parce que les gens ne veulent pas faire ça. Les gens se méfient les uns des autres et choisissent la voie la plus dure, ils choisissent la voie de la violence ou de se battre. Parce qu’on est des animaux ! C’est comme ça, c’est dans notre ADN, on n’est pas encore suffisamment évolués. On fait toujours plein de choses parce qu’elles sont, en gros, programmées en nous. On a toujours tendance à manger beaucoup trop, même si on a suffisamment de nourriture, parce qu’avant, lorsque nous étions des chasseurs-cueilleurs il y a cinq-mille, six-mille, dix-mille, cent-mille ans, si on tombait sur un arbre avec des fruits, on mangeait tous les fruits aussi vite que possible avant que quelqu’un d’autre n’arrive, car on voulait survivre, et en gros, c’est encore dans notre ADN. C’est pour ça qu’on se lève encore à quatre heures du matin pour manger tout ce qu’il y a dans le frigo parce qu’on a l’impression qu’on a besoin de le faire, même si notre société ne nécessite plus ça, on en n’a pas besoin mais c’est enraciné en ce que nous sommes. Et il y a plein de choses enracinées dans notre ADN humaine qui nous pousse à faire des trucs vraiment étranges. Donc ouais, je pense qu’il faut une évolution parce qu’autrement, on ne pas va pas survivre, on va continuellement répéter les mêmes erreurs jusqu’à la fin. On se détruit les uns les autres, et j’espère qu’on parviendra à devenir plus intelligents que ça.
D’un autre côté, les animaux n’ont pas de religion…
C’est vrai ! Les animaux ne posent pas de souci. C’est juste qu’on est ce truc différent. Les homo sapiens sont l’espèce la plus incroyable sur la planète parce que c’est la seule espèce qui a de l’imagination qui nous détraque complètement et, à la fois, nous a poussé à faire les choses les plus incroyables qu’on ait pu faire. L’Homme a accompli des choses sensationnelles mais on a aussi fait les pires armes que ce monde ait jamais connu et on s’est infligés les choses les plus horribles qui soient. Soit il faut qu’on devienne plus animal, qu’on ait moins d’imagination et qu’on arrête de s’entre-tuer pour des choses dont personne ne peut prouver l’existence, soit on doit devenir bien plus intelligents. On a encore besoin d’un bond dans l’évolution, d’aller plus loin et devenir une meilleure race humaine, ce qui j’espère arrivera, vraiment. J’espère qu’il existe un futur où on trouvera tous le moyen de résoudre tous ces problèmes parce que le fait de se détester ne nous mène nulle part.
Interview réalisée par téléphone le 4 septembre 2017 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Tim Tronckoe (2, 3, 5, 6 & 7).
Site officiel de Diablo Blvd : www.diabloblvd.be.
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