Depuis l’incontournable et incroyablement pessimiste River Runs Red, Life Of Agony a parcouru un sacré bout de chemin et revient de loin. Entre crises d’identité, dépressions, séparations, frictions, à bien y regarder, c’est presque un miracle que Life Of Agony soit toujours parmi nous aujourd’hui. En réalité, toutes les expériences négatives qu’ont pu vivre les membres du groupe et qui auraient pu avoir raison de celui-ci semblent, en réalité, avoir été son carburant. La musique de Life Of Agony sert autant de journal intime que de thérapie pour panser les plaies. En vingt-six ans, on ne peut que constater le bien qu’elle a fait à la fois aux fans et aux membres du groupe eux-mêmes, dont le cœur semble enfin avoir trouvé un brin de lumière et d’espoir.
Fort d’une nouvelle membre, la batteuse Veronica Bellino, et d’une alchimie renforcée, Life Of Agony nous revient avec un projet audacieux, celui de donner une suite à River Runs Red et son concept, dont le final était pourtant marqué par le suicide sanglant du protagoniste. Ainsi, The Sound Of Scars se retrouve avec un pied dans le passé, un pied dans l’avenir, thématiquement comme musicalement. Nous nous sommes entretenus avec celui qui fut le cerveau créatif de River Runs Red, le bassiste Alan Robert, pour qu’il nous parle de cette suite et de l’état d’esprit de Life Of Agony plus de deux décennies plus tard.
« Nous nous sommes dit : et si l’adolescent perturbé à la fin de River Runs Red survivait à sa tentative de suicide ? Tout comme tant de nos fans et même nous dans le groupe avons survécu en ayant combattu chaque jour la dépression. »
Radio Metal : Vous avez tourné presque toute l’année sur la tournée Rise Of The Underground, où vous avez ressorti de vieilles chansons. Comment cette expérience live a-t-elle influencé ou même façonné le nouvel album, The Sound Of Scars ?
Alan Robert (basse) : Je pense que ça a véritablement influencé tout le son de l’album. Quand nous avons intégré notre nouvelle batteuse, Veronica, l’année dernière, déjà, elle est incroyable, et la première fois que nous avons joué ensemble, elle connaissait six chansons sur le bout des doigts. Nous étions stupéfaits à quel point c’est une perfectionniste. C’était juste extraordinaire de jouer avec elle. Les tout premiers concerts que nous avons faits avec elle étaient deux soirées à guichet fermé à Brooklyn, chez nous. Chaque soir, nous avons joué des sets différents. Nous sommes donc revenus sur les vieux enregistrements et avons écouté tous les anciens albums ensemble, et nous avons choisi des chansons que nous n’avions pas jouées depuis des années et même parfois que nous n’avions jamais jouées. Généralement, nous enregistrons les albums et nous ne les écoutons plus tellement après. Nous jouons tous les soirs plein de chansons mais nous ne les réécoutons pas souvent. Donc le fait d’écouter ces albums avec des oreilles neuves, avec une nouvelle personne dans le groupe, c’était une tout autre expérience. Nous avons réalisé que nous avions un peu abandonné certains éléments de composition au fil des années, en évoluant et en nous développant. Nous étions là : « Oh, tu te souviens qu’on faisait ça avant ? On devrait le refaire ! » Des choses comme le fait de mettre de gros chœurs ou de faire certains types d’arrangements de chansons. Ça nous a un peu ouvert les yeux. Nous voyions les vieilles musiques différemment et nous essayions de retrouver l’état d’esprit que nous avions quand nous avons commencé le groupe au début des années 90.
D’ailleurs, tu as déclaré que votre approche était de vous amuser à nouveau avec la composition. Est-ce que ça veut dire que vous aviez perdu ce plaisir, ce côté ludique ?
Je ne dirais pas que nous l’avions perdu, car c’est toujours excitant de faire un nouvel album, mais il y avait quelque chose de spécial avec cet album en particulier, The Sound Of Scars, car je pense que dans ce groupe d’individus, nous sommes bien plus proches que nous ne l’avons été depuis des années. Cette sorte de camaraderie a vraiment emmené tout le processus à un autre niveau, autant émotionnellement que spirituellement. Aussi, le fait de lier cet album à River Runs Red, en poursuivant l’histoire et en faisant un autre album conceptuel, c’était une étape majeure pour nous. Ça a requis beaucoup de réflexion et de travail d’équipe. Il y a plein de parties émouvantes, pas seulement à travers le son de l’album, ou son style, mais aussi avec le message qu’il y a derrière. Tout ce que The Sound Of Scars renferme a été très réfléchi, y compris l’illustration. Il y a plein de liens avec cet album, cette époque.
Sal Abruscato avait eu un grand impact sur A Place Where There’s No More Pain puisque, d’après lui, il a écrit neuf chansons dessus et il avait impliqué le producteur Matt Brown, qui à l’époque faisait partie de son groupe A Pale Horse Named Death. Comme Sal n’est plus dans le groupe maintenant, à quel point les contributions à la composition ont été différentes sur The Sound Of Scars, par rapport à A Place Where There’s No More Pain ?
L’expérience était complètement différente. Là, c’était plus un retour aux premiers instants du groupe, lorsque nous nous posions ensemble dans une pièce et échangions des idées, puis développions ces idées ensemble. A Place Where There’s No More Pain a principalement été écrit via e-mails, chacun étant très isolé, et il a également été enregistré comme ça. Il n’a pas été enregistré ensemble dans le même studio. Donc The Sound Of Scars est plus un retour aux racines de ce qu’est Life Of Agony, le bon vieux temps quand nous avons créé River Runs Red, avec comme état d’esprit le fait de vouloir écrire des chansons qui susciteront des réactions en concert. Nous en voyons déjà les effets. Nous avons essayé de présenter quelques nouvelles chansons durant l’été, quand nous avons joué en Europe, et nous jouions la chanson « Empty Hole » tous les soirs. Alors que les fans ne connaissaient pas la moindre note, tous les soirs d’énormes circles pits explosaient. Cette chanson a d’elle-même pris vie et elle provoquait instantanément des réactions frénétiques de la part des gens. C’est l’intention que nous avons donnée à la nouvelle musique, le fait qu’elles se tiennent d’elles-mêmes, même si elles sont liées par un thème commun et par un message, comme de vraies chansons live.
Vous remettez même un peu plus en avant vos racines hardcore, surtout sur une chanson comme « Once Below », avec toi qui cries comme tu le faisais sur « Method Of Groove ».
Oui ! [Rires] Nous sommes revenus sur un bon paquet d’éléments bien cool de ce genre. Ça nous manquait. Nous jouions des chansons telles que « Method Of Groove » ou « Underground » tous les soirs, et Joey et moi, nous faisions ces gros chœurs bruyants. On n’entendait pas ça sur les chansons plus récentes. Ça ne nous avait jamais traversé l’esprit de ressayer de faire ça avant cet album. C’était vraiment marrant et ces chansons vont être géniales à jouer en concert.
Tu étais un peu le cerveau derrière River Runs Red, puisque tu avais écrit tous les textes et toute la musique, et le concept était ta vision. Etais-tu à nouveau le cerveau artistique de The Sound Of Scar, malgré le côté collaboratif dont tu parlais ?
Je ne dirais jamais ça. Ce n’est pas ainsi que je me vois. Je n’aurais jamais pu faire cet album tout seul. Il a nécessité toutes les personnes impliquées, mais chaque chanson commence avec une graine de chanson. Ce n’est qu’une idée très grossière, que ce soit un enregistrement très grossier fait à la maison – ça peut même n’être qu’une ligne de chant par-dessus de la guitare acoustique –, une structure, des paroles ou une mélodie sur un riff. Une fois que nous nous réunissons, nous développons cette idée et la modifions jusqu’à ce qu’elle devienne ce qu’on entend sur le produit fini. Donc tout le monde a mis la main à la pâte et jamais je ne m’attribuerais tous les mérites.
« Plein de gens, rien que par le nom du groupe, Life Of Agony, et le nom de l’album River Runs Red, pensent qu’on parle de suicide, mais ça a engendré énormément de positivité dans le monde et ça a eu un effet extrêmement positif sur la vie des gens. […] Ça leur a donné de l’espoir parce que ça leur disait qu’ils n’étaient pas seuls dans ce monde à se sentir comme ils se sentaient. »
The Sound Of Scars est donc un concept poursuivant l’histoire de River Runs Red. Saviez-vous à l’époque qu’un jour vous feriez une suite ?
Je n’en ai même jamais rêvé, en fait. Cet album s’est fait de manière très organique, très naturelle. C’est très similaire à River Runs Red parce que River Runs Red n’était pas un album conceptuel au départ. Une grande partie des musiques étaient écrites avant que nous signions chez Roadrunner Records, et une fois que nous avions signé, ce n’est que là que nous avons décidé que nous ajouterions des interludes audio entre les chansons afin de créer ce thème et cette approche conceptuelle, et c’est très semblable à la façon dont ça s’est fait pour le nouvel album. Nous avions environ quatre ou cinq chansons écrites, et un beau jour, l’idée de poursuivre l’histoire m’a traversé l’esprit, après avoir été particulièrement ému par certains fans. Tu sais, des messages disant qu’ils avaient été énormément affectés par le groupe. Enormément de fans sont venus nous voir au fil des années en disant que ce groupe les avait aidés à sauver leur vie, que notre musique avait été là durant des moments très sombres et qu’elle leur avait permis d’y survivre. C’était vraiment l’inspiration pour poursuivre l’histoire de River Runs Red comme nous l’avons fait, car nous nous sommes dit : et si l’adolescent perturbé à la fin de River Runs Red survivait à sa tentative de suicide ? Tout comme tant de nos fans et même nous dans le groupe avons survécu en ayant combattu chaque jour la dépression. Nous avons commencé à réfléchir à ce que pourrait être ce scénario et c’était vraiment en cet instant que nous avons décidé que ça allait être un album conceptuel.
Le concept et sa chronologie sont matérialisés par les interludes, mais comment ceux-ci se relient aux chansons elles-mêmes ?
C’est intéressant. Il y a trois interludes, si on omet le « Prelude », tout comme River Runs Red. River Run Red avait « Monday », « Thursday », « Friday ». Celui-ci a « Then », « Now » et « When ». L’idée est que l’interlude audio de « Then » se passe directement après la fin de River Runs Red. Il y a donc un thème commun dans les paroles lié aux cicatrices et au fait de faire face à notre passé, et au passé qui nous hante à mesure que l’on avance dans la vie. Une fois que j’ai regardé ça avec du recul, j’ai commencé à vraiment me dire que ces chansons étaient liées, car ces thèmes communs ne cessaient de revenir dans les paroles. C’est vraiment ce que nous avons essayé d’accomplir en répartissant les interludes dans le temps. Donc « Then » représente vingt-six ans en arrière quand les événements de River Runs Red se produisaient, « Now » représente le présent, et « When » est le futur proche. C’est l’idée derrière ces interludes.
River Runs Red est considéré comme un des plus grands albums de hard/metal de tous les temps. Est-ce que ça vous a mis la pression ?
Tu sais, tous ce que nous avons fait, nous l’avons fait pour nous-mêmes, et si d’autres gens apprécient, alors super, mais nous ne regardons pas vraiment les choses en ayant de la pression, parce qu’alors on définit des attentes sur la base d’idées d’autres gens. Donc ce que nous avons accompli, c’est ce que nous avons cherché à faire, et nous avons mis toute notre énergie et notre passion là-dedans afin d’atteindre ce but. Dans ma tête, c’est déjà un succès parce que nous avons fait exactement ce que nous avons voulu faire.
Est-ce que tu as puisé dans tes souvenirs de l’époque où vous avez fait River Runs Red pour faire The Sound Of Scars ?
Oui, beaucoup, à bien des égards. La composition, pour moi, est très cathartique et c’est ma propre forme de thérapie. J’ai combattu la dépression et je continue encore aujourd’hui à la combattre, y compris quand de bonnes choses se produisent dans ma vie. Ça gronde sous la surface. A travers la musique, j’ai l’opportunité de soulager une part de cette tristesse. Et il est clair que ça m’a également rappelé l’époque où j’étais en train d’écrire les chansons de River Runs Red.
Comment comparerais-tu le groupe qui a fait River Runs Red et celui qui a fait The Sound Of Scars ?
Nous sommes les mêmes personnes. Je veux dire que nous venons du même endroit. Oui, des décennies sont passées, mais au final, au fond de nous, nous sommes les mêmes, nous avons les mêmes croyances et les mêmes liens. A ce stade, nous avons passé plus de temps de notre vie dans le groupe qu’en dehors du groupe, si tu peux le croire [petits rires]. Nous nous sommes formés en 1989, nous n’étions que des gamins. Nous avons parcouru énormément de chemin ensemble en tant que famille. Ça a été une sacrée aventure, c’est certain.
River Runs Red était un album très sombre, sans le moindre espoir, vu qu’il se termine avec le suicide du protagoniste. Dans The Sound Of Scars, on apprend finalement que le protagoniste n’est pas mort, et la piste « When » envoie un message très positif, même si la dernière chanson, « I Surrender », qui est très émotionnelle, renvoie un sentiment doux-amer, avec Mina qui répète « il n’y a pas de foi et il n’y a pas de vérité ». Au final, quel est le message là-derrière et derrière l’histoire dans son ensemble ?
Toutes les chansons peuvent être interprétées comme on veut, mais pour moi, « I Surrender » est une chanson qui parle de maltraitance et d’essayer d’accepter comment sortir de l’emprise de quelqu’un qui nous oppresse. C’est ce à quoi le personnage de River Runs Red a dû faire face à l’époque et continue à faire face aujourd’hui. Mais je ne pense pas qu’il y a un message précis dans cette histoire. C’est intéressant, car plein de gens, rien que par le nom du groupe, Life Of Agony, et le nom de l’album River Runs Red, pensent qu’on parle de suicide, mais ça a engendré énormément de positivité dans le monde et ça a eu un effet extrêmement positif sur la vie des gens. Cet album étant très sombre, comme tu l’as décrit, ce que ça a fait est que ça a permis aux gens qui affrontaient leur propre dépression et leurs propres tourments dans leur vie de s’identifier à la musique et aux messages que nous exprimions, et ils se sentaient moins seuls. Ils se liaient à cette musique et en particulier à cet album. Ça leur a donné de l’espoir parce que ça leur disait qu’ils n’étaient pas seuls dans ce monde à se sentir comme ils se sentaient. C’est la positivité qui en est ressortie. C’est le lien qui a perduré pendant trente ans entre nos fans et ce groupe. Ça crée un grand contraste par rapport à ce qu’on pourrait croire du groupe. Je pense donc que c’est l’une des grandes idées fausses à propos de cet album quand il est sorti, si on considère l’impact qu’il a eu des années et des années plus tard sur les gens. Nous avons été témoins de cet impact et nous avons vu comment les gens y réagissaient, et comment ils s’y identifiaient à un niveau émotionnel et spirituel. On peut le voir dans leurs yeux quand nous jouons en concert. Ils sont en pleurs, en train de chanter les paroles, mais avec des sourires sur le visage. C’est une situation unique. Ça a clairement influencé le groupe et la création de The Sound Of Scars.
« Rien que le fait que nous soyons tous encore là et même que je sois là à te parler aujourd’hui, c’est la lumière. A l’époque où j’ai écrit ces textes pour River Runs Red, je ne me voyais pas vivre bien plus longtemps sur cette Terre. »
Est-ce que le contraste entre le côté très noir de River Runs Red et les lueurs d’espoir offertes par The Sound Of Scar démontre qu’avec le temps, vous avez finalement trouvé une part de lumière en vous ?
Rien que le fait que nous soyons tous encore là et même que je sois là à te parler aujourd’hui, c’est la lumière. A l’époque où j’ai écrit ces textes pour River Runs Red, je ne me voyais pas vivre bien plus longtemps sur cette Terre. Nous étions tous des survivants et, d’une certaine façon, nous nous en sommes sortis. Même si c’est dur, on essaye de puiser jusqu’à notre dernière goutte d’énergie pour continuer à avancer. Et à mesure qu’on avance, on voit parfois de plus en plus de lumière. On peut se refaire aspirer par l’obscurité, mais tant qu’on s’accroche à cette petite lueur d’espoir, alors on peut s’en sortir. Je pense que c’est le cœur de ce que représente ce groupe. Il s’agit de ne pas se laisser faire et d’essayer de voir la lumière durant les moments sombres. C’est comme la chanson « Lay Down », c’est un hymne pour toutes les personnes qu’on donne perdantes. Je pense que nombre d’entre nous ont ressenti ça dans leur vie. Je veux dire que ce sont des épreuves que tout le monde traverse. C’est très courant. Surtout de nos jours, on voit certains de nos héros dans le rock s’ôter la vie, de Kurt Cobain à Chris Cornell, et il y a les overdoses, Scott Weiland de Stone Temple Pilots, Layne Staley… La liste est interminable. Je pense que la maladie mentale, la dépression et ce type de sujets sont dans tous les esprits aujourd’hui, et si nous pouvons aider qui que ce soit via notre musique, ça nous apporte beaucoup de bonheur.
Je sais que tu considères River Runs Red comme un journal intime audio. Dirais-tu que The Sounds Of Scars est autant un journal intime que l’était River Runs Red ?
Presque autant, oui. Je veux dire qu’il capture des expériences que je traverse aujourd’hui, affrontant mon passé et essayant de surmonter mes propres cicatrices, dans mon propre cœur. Je pense que tous les albums que nous avons faits reflètent le moment où ils ont été enregistrés et qui nous étions en tant que personnes. Nous écrivons toujours avec notre cœur et en étant parfaitement honnêtes. Nous avons toujours chanté à propos de problématiques très personnelles que nous partageons avec les gens, comme tu l’as dit, comme un journal intime. Les chansons sont un journal intime de nos vies à tous. Certains textes ont été écrits à propos de ce que d’autres membres ont vécu, même si c’est moi qui ai écrit les paroles. Une chanson comme « This Time » sur River Runs Red a été écrite à propos de ce que Joey, le guitariste, a vécu avec son propre père. Comme nous sommes très proches, comme des frères, il m’a confié ce qu’il ressentait à l’époque et j’ai pu l’exprimer de façon poétique à travers ce texte. Ça devient une expérience cathartique pour nous tous. Même une chanson comme « The Day He Died » sur Broken Valley, qui parle du père de Mina : j’étais tellement ému par ce qu’elle a vécu, en devant identifier le corps de son père mort dans un hôtel à la suite d’une overdose, que j’étais obligé d’écrire à ce sujet, et c’est très détaillé.
Mina a été assez ouverte au sujet des cicatrices qu’elle a eues durant sa vie, mais qu’en est-il de toi ? Quelles sont tes cicatrices ?
Une grande partie de ce que j’ai vécu s’est retrouvée dans les textes. Certains sont plus spécifiques que d’autres. Je ne peux pas expliquer pourquoi je souffre de dépression mais il est clair que ça coule dans mes veines et c’est quelque chose que j’affronte encore aujourd’hui, après toutes ces années. Je ne peux pas te dire pourquoi les gens dépriment [petits rires]. Est-ce que c’est un déséquilibre chimique ? Est-ce que c’est lié à notre enfance ? Est-ce lié à comment les choses se sont passées dans ta vie ? Je ne suis pas médecin mais… Tu sais, plein de gens ressentent ça et répriment ces sentiments, ils les cachent et n’en parlent pas, et un jour ils s’ôtent la vie et les gens autour se demandent : « Pourquoi c’est arrivé ? Il semblait tellement heureux ! » On peut penser à quelqu’un comme Chester Bennington ou Robin Williams qui affichaient toujours un sourire en public, alors qu’ils ne supportaient plus une minute de leur vie et se la sont ôtée. Des choses ne peuvent pas être expliquées, on ne peut pas comprendre ce qui se passe dans la tête des gens, mais nous sommes tous là à essayer de nous en sortir.
Le clip de la chanson « Scars » a été filmé au milieu de la fosse d’un concert de Life Of Agony. C’est très symbolique, vu la proximité et la connexion que vous avez toujours avec vos fans en concert. A quel point les fans vous ont aidés à panser vos blessures ?
Je pense que c’est entièrement grâce à eux que nous sommes toujours là, pas juste en tant que groupe, mais en tant que personnes. Ils ont insufflé énormément de vie en nous via leur profond enthousiasme et leurs sourires. Les fans nous ont sauvés, en fait [petits rires]. C’est puissant et nous voulions le mettre en valeur dans le clip de « Scars ». Nous avons publié un post une semaine auparavant en demandant aux fans d’envoyer leurs photos de leurs tatouages Life Of Agony, et nous en avons reçu deux cents en à peine une semaine. C’est tout simplement incroyable le niveau de passion qu’ont les fans de Life Of Agony. Je suis content que nous ayons pu inclure une grande partie de ces images.
Vous avez travaillé avec la productrice Sylvia Massy. Elle a travaillé avec de très grands noms ayant beaucoup de personnalité, comme Tool et System Of A Down, sur leurs premiers albums, mais aussi avec des artistes comme Prince. Est-ce ce qui vous a attiré chez elle, le fait qu’elle soit parvenue à faire ressortir la personnalité unique de ces artistes ?
En fait, ça fait de nombreuses années que nous essayons de travailler avec Sylvia. D’ailleurs, ça remonte à Broken Valley… En fait, même avant ça : nous avons essayé de l’avoir pour Soul Searching Sun mais nos emplois du temps ne coïncidaient pas. Ensuite, nous l’avons fait venir en avion à New York pour nous rencontrer dans l’optique de faire Broken Valley, mais là encore nos emplois du temps ne fonctionnaient pas, donc nous avons fini par faire appel à Greg Fidelman, qui a travaillé avec Metallica et Slipknot, sur cet album. Nous l’avons donc toujours eue à l’esprit, comme étant quelqu’un qui pourrait vraiment comprendre ce groupe. Elle a un studio à Ashland, dans l’Oregon, qui s’appelle Studio Divine. Nous avons pris l’avion pour nous y rendre en février. Elle a converti une vieille église en studio. En fait, il n’y a pas de vitre entre la régie et la salle d’enregistrement, donc tout monde doit porter un casque quand on enregistre, car autrement les instruments re-pissent à travers les microphones. C’était très intéressant. Nous venons d’ailleurs, il y a quelques minutes, de poster une vidéo des enregistrements, comme un petit regard dans les coulisses de ces derniers, et on peut mieux comprendre ce que je suis en train de te dire. Mais c’était une situation vraiment unique pour enregistrer et c’était super. Elle a du super matériel vintage là-bas et rien que le fait de l’avoir à nos côtés, comme un cinquième membre, ça nous a poussés à un autre niveau, je trouve. Elle a une personnalité très ouverte. Elle s’assoit et écoute nos idées, puis offre des suggestions sur la façon de les aborder. Elle est très portée sur un truc qu’elle appelle « l’enregistrement aventureux ». Il s’agit vraiment d’essayer de nouvelles choses. Par exemple, à un moment donné, Veronica avait comme idée pour la chanson « Scars » d’avoir un son de cuve en métal sur la batterie. Sylvia est alors sortie en courant, elle est partie pendant environ vingt minutes et est revenue avec une sorte de bonbonne à oxygène pour l’installer sur la batterie et y mettre un micro [petits rires]. On peut l’entendre, il y a ce son vraiment unique à certains moments dans cette chanson, et c’est un réservoir en métal. C’est très ingénieux.
« C’est entièrement grâce [aux fans] que nous sommes toujours là, pas juste en tant que groupe, mais en tant que personnes. Ils ont insufflé énormément de vie en nous via leur profond enthousiasme et leurs sourires. Les fans nous ont sauvés, en fait [petits rires]. »
Josh Silver, en tant que producteur, avait joué un grand rôle dans le son de River Runs Red. N’avez-vous pas envisagé de refaire appel à lui pour produire The Sound Of Scars ?
J’adore Josh mais il a quitté l’industrie il y a des années. Il travaille aujourd’hui l’industrie électronique.
Comme tu l’as mentionné au tout début, The Sound Of Scars est le premier album réalisé avec la nouvelle batteuse Veronica Bellino. Comment a-t-elle eu le job ?
En fait, crois-le ou non, c’est la seule personne que nous avons auditionnée. Un paquet de gens issus d’autres groupes – dont certains bien connus – se sont proposés pour être auditionnés, mais Joey connaissait Veronica depuis quelques années et avait jammé avec elle. Il avait adoré son jeu et la personne qu’elle était. Nous l’avons fait venir en avion de Los Angeles – c’est là où elle vit aujourd’hui mais elle a grandi à New York. Elle nous a tout de suite épatés, dès le premier jam. Elle connaissait sur le bout des doigts cinq ou six chansons. Ça a tout de suite collé. Nous lui avons dit le soir même qu’elle était dans le groupe. Elle est amoureuse de son instrument et ça se voit. Elle adore jouer ! C’est comme ça que nous sommes tous avec nos propres instruments. Elle complète le groupe de façon unique et elle apporte énormément, non seulement avec son jeu, mais aussi avec ses idées et sa personnalité. C’est super, elle colle parfaitement et je pense que ça s’entend dans les morceaux.
Penses-tu que Veronica apporte une forme d’harmonie et d’équilibre dans le groupe, en ayant une moitié masculine et une moitié féminine désormais ?
Oui, absolument. Je pense que toutes ces choses se complètent. C’est un line-up et une situation vraiment uniques. Il n’y a que de l’amour. Mina, Joey et moi sommes des amis d’enfance – Mina et Joey sont même de la même famille, ils sont cousins – et c’est un groupe de gens vraiment unis. Donc, en fin de compte, je ne suis pas sûr que le sexe des personnes en soi ait autant d’importance que les personnalités impliquées.
La dernière fois, tu nous as dit à propos des albums et de tes œuvres d’art que « dès que cette chose tangible est terminée ou relâchée dans la nature, [tu te] mets dans un état d’esprit sombre, presque comme une dépression post-partum ». Du coup, ressens-tu cette dépression, maintenant que l’album s’apprête à sortir ?
[Petits rires] Je l’ai ressentie quand nous venions de finir les enregistrements, mais c’était il y a quelques mois maintenant. Donc je commence à en sortir, mais oui ! Je l’ai effectivement ressentie. Je ne sais pas trop pourquoi ça fait ça mais parfois il faut que quelque chose d’autre arrive pour générer de l’excitation en moi et pour que je puisse conserver mon enthousiasme. Ouais, ça fait partie du processus. Malheureusement pour moi [rires].
Joey a déclaré que cet album allait « définir Life Of Agony pour la prochaine décennie – ce que ça signifie d’être Life Of Agony ». Du coup, qu’est-ce que ça signifie d’être Life Of Agony en 2019, d’après toi ?
Je pense que nous n’avons jamais été aussi ouverts que nous le sommes aujourd’hui. Mina a été une énorme inspiration par son courage et sa bravoure avec tout ce qu’elle a traversé dans sa vie, avec son coming out et… Tu sais, ça a été quelque chose de très difficile à traverser pour elle, et pourtant, le monde l’a embrassée et a apporté tellement de lumière et de positivité dans son monde. Ça a été très inspirant pour nous tous. Plus les gens découvrent l’histoire de ce groupe et le sens des chansons, plus puissant ça devient – il y a derrière tout ceci un lien très touchant et émotionnel. Ce n’est pas juste un groupe qui écrit des chansons de rock à passer à la radio. Tu vois ce que je veux dire ? Il n’y a rien de mal à ça, il y a plein de groupes qui le font, mais ça n’a jamais été notre intention. Nous écrivons des chansons parce que, comme je l’ai expliqué, nous traversons des choses dans nos vies et le fait de mettre ces sentiments en musique de façon très honnête, c’est une façon pour nous de nous guérir. C’est émouvant. C’est puissant. Et c’est un peu plus profond qu’un simple groupe qui fait de la musique. Comme je l’ai dit, on peut le voir sur le visage des gens qui pleurent tout en souriant et en chantant dans le public. Ces chansons signifient énormément pour eux à cause de leurs propres expériences et leur façon de mettre en parallèle leur vie et cette musique. Ça a touché beaucoup d’âmes au fil de cette année.
Mina nous a dit qu’elle avait beaucoup appris de toi. Elle te considère comme son « mentor pour ce qui est de directement et indirectement [lui] apprendre à jouer avec les mots et [l’]encourager à lire ». Y a-t-il eu un côté enseignant-étudiant dans ta relation avec Mina ?
Peut-être plutôt un côté grand frère-petite sœur [petits rires]. Je n’ai peut-être que deux ans de plus que Mina, mais je suppose que j’ai toujours joué un rôle de grand frère, d’une certaine façon. Si on remonte aux tout débuts du groupe, Mina n’écrivait pas tellement de musique ou de textes, et souvent, je m’asseyais avec elle et je lui expliquais mes idées, comment je concevais la chanson ou dans quelle tessiture j’espérais qu’elle la chante. Donc nous étions assis ensemble, à passer en revue les chansons les unes après les autres. J’imagine qu’il y a là aussi quelque chose d’unique. Dans le temps, surtout sur River Runs Red, elle ne s’intéressait pas encore à la partie composition. C’est quelque chose qui est venu plus tard pour elle. Donc j’écrivais une grande partie des textes et des mélodies, et je lui montrais comment j’imaginais que ça devait être interprété. Donc peut-être qu’en ce sens il y avait un côté enseignant-étudiant, mais je le l’ai jamais vu ainsi. Nous étions dans un groupe ensemble et ceci était ma contribution, et nous travaillions ensemble pour obtenir le meilleur résultat possible.
Avez-vous prévu de jouer les deux albums, River Runs Red et The Sound Of Scars, d’affilée en live ?
Tu sais, c’est vraiment marrant, car je viens de faire une autre interview juste avant cet appel, et on m’a demandé exactement la même chose [petits rires]. Nous n’y avons pas du tout pensé mais c’est intéressant ! Donc pour l’instant ce n’est pas prévu, mais ça a été suggéré deux fois déjà aujourd’hui, donc peut-être… [Rires]
Interview réalisée par téléphone le 19 septembre 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Gino Depinto.
Site officiel de Life Of Agony : www.lifeofagony.com.
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