Parfois, les travers de l’industrie musicale ont tué les carrières de groupes prometteurs dans l’œuf. Paradoxalement, Little Caesar est toujours là pour en témoigner. Autrefois promis à un grand avenir avec deux albums supportés par David Geffen et un succès dans les charts, le groupe du chanteur Ron Young s’est heurté aux effets de mode dont le glam et au monde retors du business musical d’alors. Si on ajoute à cela une réputation galvaudée de bikers violents (en majeure partie fondée sur l’apparence des membres du groupe et leurs nombreux tatouages), Little Caesar est passé du statut de promesse « bankable » à groupe sans soutien, devenu désuet et qui se sépare en 1992 (cf. notre interview pour en apprendre plus sur l’histoire du groupe). Il a fallu attendre 2001 pour voir le groupe se reformer et effectuer une série de concerts, avant de réaliser un nouvel album en 2009. Ce qui a permis à Little Caesar de traverser les années malgré les péripéties et d’accoucher d’Eight (leur huitième disque et premier avec le guitariste Mark Tremalgia), c’est avant tout une philosophie inébranlable et une orientation musicale qui a su rester honnête.
Little Caesar fait partie de ces groupes qui ont toujours souhaité faire ressortir l’esprit live lors de leurs efforts studio, allergique à la surproduction qu’on lui a parfois imposé afin de suivre les tendances du moment. Le groupe s’inspire des musiciens des années 70, à savoir AC/DC, Billy Idol, Motown ou encore ZZ Top. Moins rugueux que le hard rock d’AC/DC justement, Little Caesar laisse transparaître des influences blues et soul plus marquées. Le chant de Ron Young y est pour beaucoup, surtout lorsqu’il laisse s’exprimer son timbre le plus aigu, notamment sur « Morning » et son aspect « feel-good song » à la Pearl Jam. Little Caesar parvient de manière assez surprenante à une grande variété malgré le côté minimaliste et sans artifices. C’est justement cette maîtrise parfaite des influences qui le permet. Ainsi, l’album s’ouvre sur l’énergique et symbolique « 21 Again », sorte de petite pique aux groupes qui prétendent toujours être jeunes malgré l’évidence du constat inverse. Ron Young emprunte d’ailleurs quelques lignes vocales qui se rapprocheraient de Lemmy. « 21 Again » a le mérite de ne pas leurrer sur le contenu de l’album. Eight est avant tout un album de rock « traditionnel » authentique comme on en fait presque plus aujourd’hui, par un groupe qui ne cherche pas à effectuer un quelconque « revival ». L’inspiration southern rock est quant à elle partie prenante de « Vegas » et de son riff que ZZ Top n’aurait pas renié, et surtout des bluesy « Slow Ride » (titre bonus sur l’édition digitale, déjà présent sur l’album Influence de 1992 et ici réinterprété) et « Crushed Velvet » qui nous transporte littéralement dans les bars de bikers du sud des Etats-Unis, ou du moins le fantasme que l’on peut en avoir. L’occasion de noter que l’une des forces de Little Caesar reste une science de l’accroche lors des refrains. Le groupe n’hésite pas à délaisser le côté rythmique de sa musique pour arpenter des terres plus mélodiques, procédé que l’on retrouve lors du refrain de l’entraînant et entêtant « Good Times » ou encore de « Straight Shooter » porté par des guitares légèrement influencées par la pop punk américaine.
En réalité, au fur et à mesure des écoutes, Eight donne l’impression d’une véritable anthologie des divers pans du rock. « Another Fine Mess » et ses arrangements de piano de saloon ainsi que ses chœurs soul féminins est un renvoi direct à Lynnyrd Skynyrd sans pour autant le copier ni le parodier. La reprise de « Mama Tried » de Merle Haggard en version rock survoltée réussit la prouesse de se situer dans un registre différent sans dénaturer le propos de la chanson, à savoir l’inquiétude d’une mère face à l’esprit rebelle et désinvolte de son enfant. En outre, Little Caesar parvient à surprendre à certains détours : la pseudo-ballade « Time Enough For That » lorgne du côté de la pop/variété américaine avec ses arpèges de guitare et son rythme de batterie binaire taillé pour les slows et se voit à nouveau sublimé par la voix de Ron Young qui se mue presque en crooner des temps modernes.
Little Caesar est aujourd’hui ridé et a traversé des périodes extrêmement troubles. Pourtant il n’est pas réellement diminué et surtout pas obsolète. Avoir la chance d’écouter Eight en ayant en tête la carrière tumultueuse du groupe à qui l’industrie musicale promettait la lune a presque quelque chose d’émouvant. La seule chose qui a permis au groupe de réaliser ce nouveau disque est un amour inconditionnel de sa musique. Eight est sans doute l’un des albums les plus sincères qui soient, preuve tangible qu’on peut toujours livrer en 2018 une musique rock très attachée à ses racines blues agrémentée de soul sans pâlir. Comme si c’était, quelque part, intemporel.
Clip vidéo de la chanson « Time Enough For That » :
Album Eight, sorti le 16 mars 2018 via Golden Robot Records. Disponible à l’achat ici