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Interview   

Little Caesar : une histoire d’honnêteté


Le 3 octobre prochain, Little Caesar se produira pour la première fois de sa carrière à Paris. Il aura fallu près de trente-cinq ans et huit disques (compilation et live compris) pour voir ce groupe culte fouler les planches de la capitale hexagonale, avec une petite halte deux jours plus tôt à Marseille. Après un an et demi de pandémie ayant fermé les salles de concert, l’importance de l’événement est d’autant plus marquée.

Lors de son passage à Paris en amont de la tournée pour rencontrer des journalistes, nous avons saisi l’occasion d’avoir le chanteur Ron Young sous la main afin de faire avec lui une rétrospective de la carrière de Little Caesar et de mieux comprendre le parcours d’un groupe qui aurait pu devenir énorme et s’est finalement fait détruire par le business, avant de renaître sous le signe de la pureté et de l’honnêteté. Un entretien à mettre en parallèle avec le précédent réalisé à la sortie du dernier album Eight (2018), dans lequel nous entrions plus en détail sur quelques moments et particularités de cette carrière (y compris l’apparition de Ron Young dans le film Terminator…).

« Nous avons monté le groupe parce que nous étions une bande de motards. Nous ne nous crêpions pas les cheveux, nous n’utilisions pas de laque, nous ne portions pas de maquillage, etc. Nous étions juste des gars grungy bluesy qui faisaient du rock. »

Radio Metal : Qu’est-ce que ça fait de venir en tournée en Europe après un an et demi de pandémie et de confinements ? N’est-ce pas irréel ?

Ron Young (chant) : C’est putain d’irréel ! Comme tout le monde au cours de ce truc, nous avons vécu énormément de déceptions. C’était en train de s’améliorer et maintenant ça se dégrade, puis ça s’améliore, on nous dit que ça ne va durer que six mois, puis que ça va circuler sous la forme d’un nouveau variant, des gens ne veulent pas se faire vacciner et ainsi de suite. Donc le fait que nous soyons assis ici à Paris, que nous ayons réussi à affronter le contexte pour venir, rien que ça c’est irréel. En plus de ça, après l’année et demie passée, nous avons fraîchement conscience de la fragilité de notre activité et de son importance. Nous sommes parmi les premiers à passer par-dessus le mur, pour ainsi dire. Plein de groupes sont à nouveau en train d’annuler leurs tournées. Nous avons dit : « Rien à foutre. Même si on perd un paquet de fric, on vient » [rires]. Nous essayons d’être responsables. Nous sommes tous vaccinés. Nous voulons que les fans soient en sécurité et protégés. Je déteste porter un masque, je déteste toutes ces conneries, mais on doit faire attention aux uns et aux autres, et on doit aussi s’assurer de protéger les salles de concert, essayer de sortir pour les faire vivre. Il y a plein de lieux qui ferment et qui ne rouvriront jamais. On doit donc tous se serrer les coudes et nous sommes très reconnaissants que dans peu de temps, nous allons recommencer à balancer la sauce avec nos amplis et jouer devant les gens. C’est super.

Le 3 octobre prochain sera la première fois que Little Caesar viendra faire un concert à Paris. Comment se fait-il que ça ne soit jamais arrivé en trente-quatre ans ?

Je sais ! Ecoute, on a fait peut-être onze tournées européennes depuis que nous nous sommes reformés. Durant la première période du groupe, nous avons beaucoup tourné aux Etats-Unis et nous n’avons fait que deux concerts rapides en Europe et ensuite tout s’est complètement arrêté. Puis quand nous avons ressuscité le groupe il y a onze ans, nous n’avons jamais réussi à venir à Paris. Nous n’avons cessé de dire aux gens qui nous programmaient : « Mecs, allez, on veut venir à Paris ! » Et ils nous ont enfin écoutés et programmés dans une petite salle sympa ici. Nous sommes excités à l’idée de faire le concert !

Faisons maintenant une rétrospective de Little Caesar et de ta carrière. Le groupe a commencé en 1987 et a sorti un premier EP, Name Your Poison, en 1989. Quels sont tes souvenirs de ces premiers pas ?

C’est drôle parce que nous avons monté le groupe parce que nous étions une bande de motards. Nous ne nous crêpions pas les cheveux, nous n’utilisions pas de laque, nous ne portions pas de maquillage, etc. Nous étions juste des gars grungy bluesy qui faisaient du rock. Nous avons donc créé le groupe avec pour déclaration de mission d’être très soul et terre à terre. Nous avons très vite attiré l’attention à Los Angeles parce qu’il y avait plein d’entités d’affaires qui balançaient un tas de chèques dans tous les sens, car énormément de groupes sortaient de cette ville. Nous avions beaucoup de mal avec ces entités d’affaires pour qu’elles se concentrent sur ce qu’était vraiment le groupe. Cet EP, c’était juste des démos de chansons que nous n’avons pas mises sur le premier album. Ils ont essayé de faire semblant que ça sorte sur Metal Blade et que ce soit notre premier disque, mais nous étions déjà signés chez Geffen à ce moment-là. C’était une combine forcée du business, ce n’était pas sincère. La maison de disques a simplement fait un tour de passe-passe.

« Il m’a fallu longtemps pour apprendre que de nombreux groupes vendent beaucoup d’albums et que ce n’est pas nécessairement parce que c’est de la bonne musique, c’est juste de la musique qui vend beaucoup d’albums. »

Ce qui est drôle, c’est que cet EP a été présenté de façon à ressembler à un préservatif…

Oui, c’était mon idée [rires]. Je trouvais que ce serait marrant que ça ait l’air d’un préservatif géant. Tu le déchires pour l’ouvrir et ensuite tu t’éclates ! Lorsqu’on déballe un préservatif, les mecs savent que ça annonce un moment sympa où ils vont bien s’amuser ! Et puis, c’était pour le côté humoristique. Ce n’était pas un truc à prendre au sérieux. Ma sœur, qui est directrice artistique, m’a aidé à concrétiser cette petite idée. Geffen ne l’aurait pas fait, mais les gars chez Metal Blade étaient là : « Ouais, c’est amusant ! » Donc nous l’avons fait [rires].

Quel a été le facteur déterminant pour que Geffen signe Little Caesar ?

D’abord, notre manageur était Jimmy Iovine. Jimmy Iovine est un multimilliardaire très connu. Il a produit Tom Petty, Bruce Sprinsteen et Fleetwood Mac. C’est un mec très puissant derrière les enceintes, derrière la table de mixage et derrière la porte du bureau. C’était notre manageur et il avait beaucoup de poids. Donc quand tous les labels ont entendu que Jimmy Iovine avait trouvé ce groupe et qu’il le trouvait super, ils sont tous venus nous renifler. Nous avons trouvé ça intéressant parce que nous n’avions fait que quelques concerts et tout d’un coup, tous ces labels arrivaient. Je ne chantais pas comme tous les autres chanteurs à l’époque, les Axl Rose et les Tom Keifer, ces gars qui chantaient aigu un peu comme Brian Johnson. J’étais plus dans la veine soul et bluesy d’un Paul Rodgers. Donc nous nous détachions de la meute. Ils aimaient tous ça et pensaient qu’il y avait plein de fans de ce type de musique qui étaient passés sur les trucs des années 80, et qu’un groupe qui revenait à ça tout en restant pertinent marcherait probablement bien. C’était un peu ce qui a généré l’excitation initiale autour du groupe.

En 1990, vous avez sorti l’album sans titre. Est-ce que le fait d’enregistrer et sortir un album sur une major s’accompagnait d’une certaine pression ?

Quand nous avons fait le premier album, nous voulions faire presque le type d’album que les groupes de Seattles faisaient, très brute, honnête et terre à terre. Evidemment, nous n’étions pas un groupe de grunge, mais le son de ces albums était différent des Poison, Winger et Warrant. Mais Geffen ne nous a jamais laissés faire ce genre d’album. Nous avons eu de grosses disputes à ce sujet. Il y a aussi de grandes attentes quand on a le plus gros manageur du circuit avec le plus gros A&R et le plus gros producteur, ils s’attendent à ce qu’on devienne disque de platine en cinq minutes, et nous avons eu un joli succès les premières semaines où l’album est sorti, mais ce que les gens ne comprennent pas, c’est que quand tu as un gars comme Jimmy Iovine et qu’il est ton manageur, et que tu as un gars comme David Geffen qui est le propriétaire du label… Jimmy Iovine a décidé qu’il allait créer son propre label. David Geffen l’a appelé et lui a dit qu’il voulait distribuer ses albums. Jimmy a refusé. David Geffen a été furieux contre Jimmy et il s’est vengé sur le truc qui lui tenait le plus à cœur, c’est comme un enfant dans un divorce. Donc David a décidé de donner une leçon à Jimmy en nous baisant et en se désengageant de la promotion de l’album et du groupe. En plus de ça, le gars qui gérait spécifiquement nos affaires, le manageur côté label, s’est fait virer pour s’être masturbé sur sa secrétaire, juste au moment où notre album sortait ! [Rires] Il n’y avait donc personne pour mener la danse entre la promotion, les radios et tous les petits tentacules. Le dernier clou dans le cercueil a été qu’il a vendu tout le label à une société japonaise. Un tas de nouvelles personnes sont arrivées, notre album n’était même pas dans les bacs. Tout ceci s’est produit en l’espace de trois ou quatre semaines. A cette époque, dans l’industrie musicale, si tu dégringolais dans les classements des meilleures ventes pendant quatre, cinq ou six semaines, tu ne te remettais pas facilement en selle. Ensuite, tu as le patron du truc qui décide qu’il allait te réduire en poussière pour donner une leçon à un autre gars, nous étions les perdants de l’affaire.

« A ce moment-là, j’ai décidé d’appeler le dealer d’héroïne [rires]. C’est ce que j’ai fait pendant sept ans pour rester défoncé, car ma carrière était foutue et je ne pouvais pas me battre contre un gars comme David Geffen. »

Je sais que tu n’as jamais été très fan de la production léchée de cet album, mais le second album Influence – qui est quand même sorti chez Geffen Records – était plus brut. Dirais-tu qu’il était plus en phase avec le groupe que Little Caesar aspirait à devenir ?

Oui, mais même là… Je veux dire que le second album a été produit par Howard Benson qui a ensuite bossé avec d’énormes groupes, mais en toute honnêteté, nous voulions plutôt faire appel à Tom Dowd ou Ed Stasium, les gars qui ont travaillé sur les premiers albums de Bad Company, Led Zeppelin, Lynyrd Skynyrd, etc. Même si c’était un album honnête, je ne trouve pas forcément que les morceaux étaient aussi bons. Le groupe était vraiment énervé et ça s’est ressenti [rires]. Nous ne jouions pas avec beaucoup de subtilité, nous jouions plutôt avec de la colère. Ce que nous ne savions pas à l’époque, mais que nous sentions, c’était qu’ils faisaient cet album juste pour le prendre, le mettre sur une étagère et en finir avec notre contrat. Donc dès que cet album est sorti, il n’y a eu aucune promotion, aucune tournée, rien. Nous sommes venus ici, nous avons fait un concert à Londres, un autre à Hambourg, et les retours étaient super. Les directeurs de label ici ont voulu prendre l’album et essayer de ressusciter notre carrière – même si nous n’avions fait qu’un seul album avant, ils appelaient ça une carrière à l’époque. Le bureau US, David Geffen, a dit : « Non, ne mettez pas un centime là-dessus. Laissez-les tomber. » C’est là que nous sommes revenus à la maison et avons mis un terme au groupe. Nous savions que c’était fini. Nous savions qu’ils n’allaient pas nous laisser avoir du succès. C’était vraiment frénétique et insensé pendant deux ou trois ans et deux albums, et le groupe n’a jamais pu s’exprimer comme il le voulait, et on ne nous a jamais vraiment donné notre chance, d’où le fait que nous ne soyons jamais vraiment venus en Europe avec ces premiers disques, nous étions un peu des esclaves de la corporation.

C’est drôle, car j’ai toujours trouvé les chansons d’Influence encore plus accrocheuses que celles du premier album…

C’est dur pour moi de juger. Je pense qu’il y a un bon éventail de chansons dessus, mais il n’y a jamais eu de plan. C’est du genre : « Sortons cette chanson et après on enchaînera avec cette chanson. » Nous savions dès le début qu’ils n’avaient rien prévu pour cet album, et il y avait tellement de ressentiment suite au premier album que pour nous, c’était un gros flou. Notre boulot n’a jamais été… C’était censé être des gens intelligents qui savent comment vendre un album. Mon boulot est juste d’écrire un album, de l’enregistrer et de le faire honnêtement et passionnément, et si ça doit se vendre, ça se vend. Malheureusement, il m’a fallu longtemps pour apprendre que de nombreux groupes vendent beaucoup d’albums et que ce n’est pas nécessairement parce que c’est de la bonne musique, c’est juste de la musique qui vend beaucoup d’albums ; c’est l’histoire d’être au bon endroit, au bon moment. Il y a plein de super groupes que je pourrais citer qui ne sont jamais devenus gros mais qui font de la super musique. Ce sont donc deux choses différentes. Il y a les ventes d’albums et il y a la qualité de la musique. Les deux ne sont pas forcément corrélés. J’ai appris seulement des années plus tard qu’on peut faire de la musique incroyable et que le simple fait qu’elle n’ait pas été classée pour je ne sais quelle raison, pour des conneries ou pas, ça ne veut pas dire que ce n’est pas un morceau de musique extraordinaire. Je ne citerais aucun groupe parmi mes homologues en 1986, 87 et 88, mais selon moi, il n’y avait pas beaucoup de musique là-dedans qui traversera le temps, si ce n’est pour avoir été populaire en 1986.

« Si tu n’étais pas habillé en flanelle et ne jouais pas de la musique à la Soundgarden, les maisons de disques ne voulaient pas sortir ta musique. Donc voilà des gars [dans Manic Eden] qui, à eux trois, ont probablement vendu quarante millions d’albums, et les labels ne voulaient même pas écouter leur nouvel album. »

Le label vous a lâchés juste après Influence, menant à la séparation du groupe. Qu’est-ce qui vous a empêchés de continuer sans Geffen ?

C’est une bonne question et j’ai une réponse très simple et directe. Après avoir fini le second album et être revenu de nos petits concerts rapides ici, je me suis posé dans une pièce avec David Geffen et Jimmy Iovine. Nous avions contractuellement l’obligation de faire deux albums – nous les avions faits. David Geffen a dit : « Notre entreprise a fait de nombreuses erreurs avec ce groupe. Je me suis beaucoup servi de ce groupe pour de la vengeance personnelle à cause de ma relation avec Jimmy ici présent. Je ne peux me risquer à vous laisser partir parce que le contrat a maintenant expiré. Je ne vais pas dépenser d’argent, parce que je ne possède même plus le label. Si je vous laisse partir chez Atlantic, Elektra, Epic ou n’importe quel autre label qui voudra vous signer demain, parce qu’ils pensent toujours que vous êtes un super groupe, et que vous vendez un million d’albums avec eux, ça donnera une mauvaise image à mon business. Ça donnera l’impression que j’avais quelque chose de super et que je n’ai pas su quoi en faire. Donc je ne vais pas vous laisser partir. » Il m’a montré du doigt et a dit : « Je vais vous garder sous contrat et vous ne pourrez pas faire de musique pendant environ cinq ans. J’ai fait la même chose avec Don Henley. J’ai fait la même chose avec Neil Young. Nous avons eu de grosses batailles légales. Mais je ne peux pas vous laisser vous reformer. A moins que vous soyez d’accord pour ne pas vous reformer sur un autre label, je vais vous garder sous contrat. » Nous n’avions même pas le droit de continuer notre carrière en tant que Little Caesar pendant au moins cinq ans. A ce moment-là, j’ai décidé d’appeler le dealer d’héroïne [rires]. C’est ce que j’ai fait pendant sept ans pour rester défoncé, car ma carrière était foutue et je ne pouvais pas me battre contre un gars comme David Geffen. Je suis un petit musicien et lui est milliardaire, il a vendu son label pour deux milliards en 1990. Qu’allais-je faire ? L’insulter sur internet ? Il n’y avait même pas internet !

Un an plus tard, tu as formé le groupe Manic Eden avec Adrian Vandenberg, Rudy Sarzo, etc. Ce groupe n’a pas vécu longtemps et n’a sorti qu’un album. Quels sont tes souvenirs et ton sentiment sur cette expérience ?

On m’a demandé de rejoindre un super groupe ! C’était génial. Quand j’ai reçu l’appel d’Adrian pour me réunir avec ces gars… Ils voulaient faire un groupe de blues progressif. Ils ne voulaient pas faire un album de Whitesnake, même s’ils étaient Whitesnake sans David [Coverdale]. C’était tout simplement génial de travailler avec ces gars. Ils sont super sympas, super talentueux. Les chansons sont très bonnes. Je les adore. Ce qui est drôle, c’est qu’ils ont essayé de présenter l’album à des labels, et à l’époque, si tu n’étais pas habillé en flanelle et ne jouais pas de la musique à la Soundgarden, les maisons de disques ne voulaient pas sortir ta musique. Donc voilà des gars qui, à eux trois, ont probablement vendu quarante millions d’albums, et les labels ne voulaient même pas écouter leur nouvel album. Moi, j’étais juste ce petit gars qui chantait face à ces célèbres mecs. Donc j’étais très excité de jouer avec des personnes pour qui j’avais énormément de respect, pour toute la musique qu’ils ont faite. Ils ont essayé de tenir huit ou neuf mois, nous avons travaillé avec Olivier [Garnier], mais ça n’a pas décollé comme ils l’auraient espéré et ils ont tous dû retourner dans Whitesnake et d’autres projets pour pouvoir payer leurs factures. C’étaient des mecs ayant eu beaucoup de succès qui avaient des contraintes et qui ne pouvaient pas se tourner les pouces en attendant de recevoir l’appel d’une major disant qu’elle allait soutenir ce truc. Ça s’est donc arrêté, pas de rancœur. Ça n’a pas marché comme ils l’auraient espéré.

« C’était plus comme à nos débuts quand nous faisions des démos, car nous avons fait l’album vite et honnêtement, et nous n’avons pas laissé trop de doigts gâcher le ragoût, et nous avons sorti un album. »

Quelques années plus tard, tu as aussi remplacé Frank C. Starr dans The Four Horsemen quand il était dans le coma dû à une blessure grave à la tête. Chanter dans le groupe dans ces circonstances a dû être assez inconfortable…

Oui, c’était très inconfortable. J’ai reçu l’appel d’un ami. On m’a branché avec ces gars et j’ai parlé avec Dave Lizmi, le guitariste, et il m’a raconté toute la situation : « Ecoute, mec, c’est vraiment la merde. On ne sait pas ce qui va se passer avec Frank. Cela se présente mal. Il a chanté tout le second album, il est terminé. La maison de disques veut le sortir. Elle ne veut plus attendre. Donc est-ce que tu serais partant pour, en tant qu’hommage à Frank, chanter les chansons du premier album et du nouveau second album. Au moins pour jouer cette musique et on verra ce qu’il se passera ensuite. » J’ai accepté. Je n’ai pas essayé de copier Frank. Tous les soirs nous parlions de ce qui était en train de se passer, en essayant de faire en sorte que ce ne soit pas déprimant. Nous étions positifs. Nous espérions que nous étions en train de faire quelque chose d’exaltant, et ensuite Frank a fini par ne pas s’en remettre et est décédé. Ces concerts ont tout de même eu de très bons retours. C’était tout très naturel, c’était de la musique que j’adorais faire, j’ai pu rencontrer Pharaoh [Barrett] qui joue maintenant avec moi depuis six ans – c’est là que je l’ai connu, avec les Four Horsemen. Nous espérions nous mettre sur un troisième album de The Four Horsemen avec un nouveau line-up, me comprenant au chant, mais ça ne s’est pas fait parce que Dave vivait dans le Maryland, le batteur vivait au Canada, etc. Nous n’y arrivions pas. Ça ne s’est donc jamais fait et ça s’est progressivement arrêté. Nous avons même parlé de faire une tournée il y a deux ou trois ans, pour retourner sur les planches, chanter ces chansons et faire un peu ce que nous avions fait en 1995 ou 1996 – je ne sais plus l’année exacte. Mais encore une fois, ça n’a jamais pu se faire – malheureusement, car nous aimons beaucoup ces chansons. Parfois nous faisons un morceau de The Four Horseman ou deux dans le set de Little Caesar pour rendre hommage à Frank.

Avez-vous des enregistrements de cette époque ?

Il y a un concert, que nous avions donné dans un endroit qui s’appelle Thunderdome à Toronto, qui traînait sur internet mais je n’ai jamais eu l’occasion de l’enregistrer sur mon ordinateur. Je crois qu’il y a deux ou trois chansons que nous avions faites en démo que Dave a fini par sortir sur internet. Elles traînent quelque part et elles sont très bonnes ! Je les ai écoutées des années plus tard et j’étais là : « Ce sont de putains de bonnes chansons ! » Ça sonnait vraiment bien. Elles sont toujours sur YouTube, vous pouvez les retrouver via la page de Dave Lizmi. L’une s’appelle « Sunflower Girl » et l’autre « Not Alone » – ce sont des démos maison, la dernière fois elles n’avaient que mille cinq cents vues. Nous en avons aussi fait une troisième, elle est quelque part sur un disque dur, mais il ne l’a jamais mise en ligne. Mais The Four Horseman était un groupe génial, ça collait de façon très naturelle et c’était très authentique, spontané et super. Dave est un guitariste génial, vraiment. Il a très bon goût. Il faudrait juste le convaincre de quitter la côte Est pour venir à l’Ouest et ce serait bon [rires].

« Par le passé, nous nous sommes soumis à la volonté de beaucoup de gens et nous n’avons pas défendu ce en quoi nous croyions. Donc quand nous avons remonté le groupe dix ans après notre séparation, nous nous sommes fait la promesse que nous allions le faire purement pour la musique et l’esprit, et pas pour l’argent. »

En 1998, Little Caesar ne s’était pas encore reformé mais vous avez sorti l’album This Time It’s Different. Quelle était l’idée derrière ça ?

C’était toutes nos démos, nos chutes, etc. Nous l’avons sorti sur le label d’Earl Slick. Il avait un label à l’époque, donc nous avons balancé un paquet de chansons pour faire une compilation de bric-à-brac. Je ne pense pas que nous avions encore en tête de nous reformer, c’était juste pour aider Earl Slick à faire tourner sa maison de disques. Il cherchait de la nouvelle musique. J’avais chanté sur son album solo, et il l’a sorti sur son label, et ensuite il s’est dit : « Je ne peux pas avoir un seul album et appeler ça un label. » Il nous a dit : « Il y a certains trucs sur lesquels j’ai joué et que Geffen n’a pas sortis et un tas démos que nous avons faites. Est-ce que ça vous dérange si je les sors sur un album ? » Nous étions là : « Oui, attends, je vais déterrer quelques trucs que, j’en suis sûr, on a quelque part et on sortira un album, et on le sortira sur ton label. » C’est donc ce que nous avons fait.

Little Caesar s’est reformé en 2001 et a sorti l’album Redemption en 2008. Comment avez-vous trouvé la motivation de remonter le groupe ? Aviez-vous même le droit, légalement, de le faire ?

Oui. A ce moment-là, les conditions que Geffen m’avait imposées pour me retenir n’étaient plus valables. J’avais réglé mes problèmes de drogue et tous les autres bazars de ma vie. Nous étions une famille déjà avant d’être un groupe, donc nous sommes toujours restés amis et en contact. Tout le monde pensait avoir suffisamment guéri et ça leur manquait tellement que nous pouvions sans problème nous réunir et recommencer à faire de la musique et à nous amuser. Nous nous y sommes mis et ensuite, nous avons fait quelques concerts locaux, à Los Angeles, qui se sont très bien passés. Ça nous a rappelé pourquoi nous nous étions mis à faire de la musique et avions monté ce groupe au départ. Nous n’étions pas pressés. C’est comme un gars qui a vécu un mauvais mariage et qui ensuite se dit : « D’accord, je vais recommencer à avoir des liaisons amoureuses » et dès que quelqu’un commence à mentionner l’idée du mariage, il se dit : « Oh… » C’est arrivé comme c’est arrivé et ça s’est fait de façon très organique, naturelle et honnête. Tout ce que nous faisions était de mieux en mieux reçu et il y avait de plus en plus de demandes, nous avons commencé à tourner… Dès que tu commences à tourner, les gens veulent des albums. Nous avons essayé quelques chansons. C’était plus comme à nos débuts quand nous faisions des démos, car nous avons fait l’album vite et honnêtement, et nous n’avons pas laissé trop de doigts gâcher le ragoût, et nous avons sorti un album.

L’album s’appelait Redemption, donc pour quoi essayiez-vous de vous racheter à ce moment-là ?

Nous nous rachetions en nous assurant que tout ce que nous faisions était pour la musique, en nous amusant et en faisant en sorte que tout soit très pur, sans avoir un tas d’hommes d’affaires, d’avocats et de manageurs impliqués. Par le passé, nous nous sommes soumis à la volonté de beaucoup de gens et nous n’avons pas défendu ce en quoi nous croyions. Donc quand nous avons remonté le groupe dix ans après notre séparation, faisant une grande pause parce que ça nous avait laissé un très mauvais goût en bouche, nous nous sommes fait la promesse que nous allions le faire purement pour la musique et l’esprit, et pas pour l’argent. Il s’agissait de s’assurer de faire les choses à notre façon et de ne se soumettre à aucune pression d’entités extérieures comme nous l’avions fait sur les deux albums d’avant, de se racheter en sachant que nous avons campé sur nos positions. Aucun de nous n’avait envie de revivre ces conneries. Nous n’avons donc pas cherché de contrat avec une maison de disques – nous sommes passés par un ami et avons sorti l’album –, nous voulions tout faire nous-mêmes, rester à petite échelle et honnêtes. C’était tout le concept derrière ça, et nous nous sommes tenus à ce concept depuis cet album, depuis que nous avons remis le groupe sur pied. La raison pour laquelle nous faisons ceci doit être pure. Si ce n’est pas amusant, nous ne le faisons pas. Nous avons eu la chance de pouvoir faire ça. Ça rapporte moins d’argent et c’est plus de boulot à porter notre propre matériel, nous n’avons pas de grande équipe qui travaille pour nous et nous accompagne, mais écoute, aujourd’hui, les groupes qui ont de plus grandes équipes ont plus de personnes qui peuvent tomber malades et rendre les gars du groupe malades. Voyager léger nous permet d’être agiles et rapides. Peut-être que c’est délirant, mais c’est la vérité. Nous sommes à Paris et pas eux [rires].

« Aujourd’hui, les groupes qui ont de plus grandes équipes ont plus de personnes qui peuvent tomber malades et rendre les gars du groupe malades. Voyager léger nous permet d’être agiles et rapides. Peut-être que c’est délirant, mais c’est la vérité. Nous sommes à Paris et pas eux [rires]. »

Trois ans après Redemption, vous sortez American Dream…

Nous essayions un peu plus de faire une déclaration, d’être un peu plus matures. Nous avons commencé à faire des observations sur la vie autour de nous, comme sur l’Amérique et ce que nous avions découvert sur la crise financière et tout ça, juste pour proposer des textes plus matures et affirmés, faire prendre un peu plus conscience de certaines choses dans la vie, sur la politique et les problématiques sociales. C’était un album amusant à faire. C’est là que nous avons commencé à travailler avec Bruce Witkin, le producteur avec qui nous travaillons depuis. C’est à ce moment-là que Joey Brasier était à la guitare dans le groupe. Et ces chansons ont été faites très rapidement : nous avons écrit toutes nos chansons en deux mois et nous avons enregistré tout l’album, du réglage du son de batterie au mixage, en un total de vingt et un jours. Ce n’était même pas des journées complètes ; c’était des demi-journées. C’était donc un album vraiment amusant, naturel, spontané, rapide et honnête.

Qu’est-ce que le rêve américain pour toi ?

Ce que le rêve américain voulait dire avant, c’est que tout le monde dans notre pays pouvait saisir l’opportunité d’avoir du succès et de bien vivre. C’était un peu basé sur la pensée que nous étions très supérieurs et il y a beaucoup de laideur derrière ce qui encourage ce rêve. Je voulais donc le souligner dans les paroles et le clip. Aujourd’hui, ce n’est plus ce que c’était. Notre pays est dans un état sérieux et plutôt que de jeter un bon coup d’œil sur nous-mêmes, on continue avec les mêmes mauvais comportements qui nous ont éloignés de ça, surtout maintenant avec la crise du Covid-19.

En 2015, vous avez sorti votre premier album live Brutally Honest Live From Holland. Comment vois-tu Little Caesar live maintenant comparé à la première période du groupe ?

Le live c’est là où le groupe excelle vraiment. Nous avons toujours été un très bon groupe live. Le truc, au fil des années, ça a été d’essayer de capturer en studio un peu de cette énergie que nous avons quand nous jouons en concert. Cet album était intéressant parce que nous avions fait un concert sur une tournée et l’ingénieur du son nous a dit qu’il avait tout enregistré sur un disque dur et qu’il pouvait nous le donner si nous le voulions. Nous l’avons donc récupéré et nous avons oublié que nous l’avions. Puis à peu près un mois après être rentrés chez nous, nous étions là : « Tu sais, ce gars nous a donné ce disque dur. On devrait aller au studio de Bruce pour y jeter une oreille. » Il y avait les pistes individuelles, tout avait été enregistré sur des micros séparés. Nous étions là : « Ouah, c’est super ! » Nous avons fait un mix rapide, nous n’avons rien changé ou corrigé – c’est pourquoi nous l’avons appelé Brutally Honest –, nous voulions juste sortir un album live vraiment honnête.

« Nous ne corrigeons que les erreurs flagrantes, le reste nous essayons de le laisser tel quel, de façon authentique, comme un instantané. »

Votre dernier album Eight est sorti il y a trois ans. On en a parlé en détail à ce moment-là, mais comment le résumerais-tu et résumerais-tu où en est le groupe aujourd’hui ?

Le groupe aime toujours autant rendre hommage à toute la musique que nous aimons, et réunir différents petits styles et genres musicaux que nous adorons pour faire un autre album de Little Caesar. Tout ce que nous avons jamais fait a été le produit de toutes nos influences. Il y a tellement de super musique qui nous passionne, tellement de grands artistes qui nous inspirent : « Faisons une chanson comme les Stones. Faisons une chanson comme les Stones feraient du rhythm n’ blues, comme Bad Company ferait du rhythm n’ blues, comme AC/DC ferait du rhythm n’ blues. » Donc nous commençons à composer une chanson qui nous procure le même sentiment que certaines chansons que nous adorons. Ça nous motive et nous inspire toujours à faire de nouvelles chansons. Je sais que nous allons continuer à faire ça sur le prochain album. Nous continuons à faire les albums de la même manière : nous composons les chansons et quand nous avons le sentiment d’avoir un répertoire musical suffisamment fort pour constituer un album complet, nous nous assurons de les pré-produire de façon à ce qu’il n’y ait aucune supposition en studio, de façon à savoir exactement comment nous jouons tout et ce que sont les arrangements. Ensuite, nous allons au studio de notre pote Bruce Witkin, nous posons des micros pour enregistrer et nous écoutons. Nous ne corrigeons que les erreurs flagrantes, le reste nous essayons de le laisser tel quel, de façon authentique, comme un instantané. Ensuite, nous commençons à rajouter de petits chœurs et quelques percussions, nous mixons et c’est terminé, et le résultat est ce qu’il est.

Avez-vous commencé à travailler sur le successeur d’Eight ?

Pas encore. Tout le monde dit qu’il a des idées de chansons, mais à cause de la pandémie, nous ne nous sommes pas encore posés ensemble pour commencer à travailler sur des chansons. A chaque fois que nous nous réunissons, nous relançons l’alchimie et jouons live. Nous avons besoin de retourner à nos racines, à ce qui nous excite et à la sensation de jouer en tant qu’unité. C’est très important de faire ça avant de poursuivre et de composer et enregistrer de nouvelles chansons.

Interview réalisée par téléphone le 9 septembre 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.

Facebook officiel de Little Caesar : www.facebook.com/LittleCaesarOfficial



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