Les membres de Lizzard ne tournent pas à droite à gauche en France pour obtenir un statut d’intermittent du spectacle. Lizzard ne met pas un simple imprimé de sa pochette d’album sur un t-shirt bas de gamme pour encourager facilement un achat de soutien. Lizzard ne sort pas un album tous les deux ans. Lizzard ne se préoccupe pas des critiques de presse ou sur internet, mais que de la réaction des gens en live. Lizzard pense ses albums dans leur ensemble, alors que l’heure est à la musique dématérialisée et aux supports qui poussent à zapper.
Alors évidemment, la musique, les textes ou encore les opinions et ressentis du groupe et de ses membres évoluent. Après tout, son dernier disque s’appelle Shift et parle de changement ! Mais son état d’esprit originel, celui d’être un groupe indépendant, soudé, voire fusionnel, qui a sa propre approche de la musique, reste intact. On en parle ci-après avec Matthieu Ricou.
« Il y a beaucoup de gens, en France, qui ont du mal à comprendre comment nous faisons. Parce que nous, dans notre tête, nous ne sommes pas français. »
Radio Metal : Votre rythme de sorties d’albums avec LizZard est plutôt espacé. Dirais-tu que c’est quelque chose qui est voulu, pour créer l’attente, mais aussi pour prendre un peu plus le temps de vous renouveler et travailler votre son ?
Matthieu Ricou (chant & guitare) : Nous ne faisons rien pour créer de l’attente, pour semer un doute quelconque. Nous faisons les choses quand nous en avons la disponibilité. Comme nous tournons beaucoup depuis ces cinq ou six dernières années… A savoir que lorsque nous sortons un album, nous consacrons les deux années qui suivent à tourner. Quand nous tournons, nous n’avons pas vraiment le temps et l’énergie. Notre rythme est différent. Quand nous tournons, nous ne pensons qu’à tourner, et basta. Nous nous focalisons beaucoup là-dessus, et c’est beaucoup de travail, car nous sommes indépendants, à tous les niveaux. Nous tournons beaucoup, et après deux ans de tournées, nous avons envie de mettre un stop et recommencer à composer. Quand c’est comme ça, dans ces deux ans-là, j’empile les idées de mon côté, et arrivés à ces deux ans-là, nous nous donnons souvent entre huit et neuf mois pour composer. Donc si tu comptes, ça fait déjà presque trois ans déjà, et après, la sortie officielle arrive à la quatrième année, forcément.
Vous trois, au sein du groupe, vous vous consacrez pleinement à la musique. Il y a donc LizZard, il y en a dans le groupe qui donnent des cours, William travaille en tant qu’ingé son… Mais au niveau des groupes, vous n’avez que celui-là…
Ouais, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, Katy [Elwell], William [Knox] et Mathieu, c’est LizZard. Point barre. Et nous nous consacrons dès que nous le pouvons, à trois cents pour cent, à ce groupe-là. À côté, en effet, nous avons plein de petits trucs, lorsque nous avons des moments, lorsque nous avons la possibilité de le faire. Ça nous arrive, des fois, de jouer à gauche, à droite, pour aider les copains. Mais il n’y a pas de grosse publicité autour de ça, car ce n’est pas le but, tout simplement. Mais oui, nous nous consacrons à LizZard. De toute façon, aujourd’hui, LizZard, au rythme de boulot que nous avons et que nous faisons, si nous voulons que ça existe encore, nous en sommes au stade où il faut que nous nous y consacrions à cent pour cent. Nous n’avons pas de temps à côté pour faire autre chose. Sinon, nous coupons les bras au groupe. Ce n’est pas trop notre but.
La plupart des professionnels de la musique, aujourd’hui, a plutôt tendance à cumuler les groupes, les projets pédagogiques, les cachets de technicien… Est-ce que pour vous ça n’est pas difficile de faire vivre un unique projet comme LizZard dans un contexte si peu favorable au développement d’un seul projet ?
C’est marrant que tu parles de ça. J’imagine que tu penses français dans ta tête. Là où il y a un bug avec nous, c’est qu’il y a beaucoup de gens, en France, qui ont du mal à comprendre comment nous faisons. Parce que nous, dans notre tête, nous ne sommes pas français. Moi, je suis bien sûr français, avec mes papiers, etc. Mais notre fonctionnement de groupe n’est pas du tout à la Française. Donc tu penses à l’intermittent du spectacle, à tout ça, mais nous, nous nous en foutons. Nous ne pouvons pas faire seulement intermittents du spectacle à la Française, parce que nous ne jouons pratiquement qu’à l’étranger. Donc c’est assez le bordel pour nous de devoir travailler à l’étranger, et arrivés en France, devoir transformer cela, dire que c’est du travail, etc. En France, on est bien pète-couilles là-dessus, et surtout ceux qui s’occupent de ces papiers-là, car ils n’y comprennent rien, la plupart du temps [rires]. Donc si on pense comme ça, oui, l’intermittence, il nous est arrivé de la toucher, de l’avoir, parce que c’est l’occasion qui fait le larron. Encore une fois, au rythme de tournées que nous avons, nous pourrions être intermittents si toutes nos tournées passaient sous ce régime-là. Nous serions intermittents pendant les quatre, cinq ans, nous sortirions l’album au moyen de l’intermittence, nous aurions tout nickel. Sauf que ce n’est pas ça. Des fois, ça arrive, nous pouvons passer nos tournées comme intermittents, mais la plupart du temps, nous ne le pouvons pas, donc nous bossons, nous bossons, nous bossons. Voilà.
Subissez-vous une quelconque pression de la part de votre public ou des personnes avec qui vous travaillez pour sortir des albums plus vite, au rythme d’autres groupes ? Ou au contraire, êtes-vous entourés de gens compréhensifs de votre démarche, de vouloir faire les choses bien, prendre le temps ?
[Réfléchit] C’est dur à répondre. Notre public a l’air content du rythme qu’il faut. Après, une pression quelconque, nous nous la foutons tout seuls, mais pas sur ces choses-là, pas sur des côtés du genre : « Tous les deux ans, il faut sortir l’album ! » Si demain, nous rentrons là-dedans, je le dis de suite, LizZard fera de la grosse daube, et nous serons très vite oubliés, car nous ne sommes pas du tout comme ça. Nous aimons bien laisser mûrir les choses, prendre maturation, être prêts pour les choses, quitte à ce que ça prenne du temps, mais les faire bien. Encore une fois, quand je dis « bien », c’est notre notion de bien, pas forcément ce que les autres pensent. Nous nous en foutons un peu de ce que les autres pensent, d’ailleurs. Car si nous ne nous en foutions pas, encore une fois, je pense que nous ne serions plus là. Nous ne ressentons pas de pression, si ce n’est celle que nous nous mettons sagement, paisiblement, avec nos objectifs et nos envies. Après, si tu penses encore une fois aux labels, etc., bien sûr que nous nous mettons des objectifs, des deadlines, du genre : « Ça serait bien que l’album soit fini à telle période, qu’il puisse sortir à telle période… » Mais aujourd’hui, nous ne faisons pas ce que nous voulons, il y a des milliards de groupes… On ne fait jamais ce qu’on veut, et quand les labels sont prêts, ils nous disent : « OK, on est prêts. On sortira à ce moment-là l’album. » Par exemple, cet album-là, il était prévu qu’il sorte huit mois avant la date à laquelle il est sorti, sauf qu’après le moment où nous avons décidé de la date de sortie, il s’est passé d’autres choses, les tournées qui arrivent, etc., des changements qui nous ont menés à repousser la date, mais ce sont les aléas du métier. Donc je ne pense pas que nous ayons en plus besoin de nous mettre sous pression, à moins que tu veuilles qu’il y ait un album qui sorte tous les ans, et entendre du LizZard tous les ans, mais tu vas vite être saoulé, je pense [rires].
« [La pression] nous nous la foutons tout seuls, mais pas sur ces choses-là, pas sur des côtés du genre : ‘Tous les deux ans, il faut sortir l’album !’ Si demain, nous rentrons là-dedans, je le dis de suite, LizZard fera de la grosse daube, et nous serons très vite oubliés, car nous ne sommes pas du tout comme ça. »
Tu parles beaucoup d’écrire sereinement, de travailler paisiblement, cela a l’air important pour vous. Le stress de devoir faire les choses en urgence, le fait d’avoir des échéances, ne vous inspirent pas des choses, d’un point de vue créatif ?
Avec la démarche que nous avons au départ avec le groupe, ça n’est pas vraiment rendre service au groupe, artistiquement parlant. Nous avions sorti l’album Majestic en le faisant un peu dans cet esprit-là, genre : « On envoie, on voit ce qui se passe, on se prend pas le chou sur les arrangements. On envoie dans l’urgence, avec un côté live, etc. » Nous l’avons fait, c’est une expérience… Nous, nous pensons à la scène. C’est con, mais nous faisons beaucoup plus de scène qu’autre chose, nous tournons beaucoup plus que le reste. Nous pensons à la scène, et dès que nous commençons à nous faire chier à jouer, ça nous emmerde, nous n’avons pas envie de jouer. Quand nous commençons à nous emmerder, ça nous fait chier que les gens payent des places pour voir des gens qui se font chier. Et Dieu sait qu’on en voit dans ce métier, putain de merde ! Je ne veux pas dénigrer, mais nous nous disons qu’aujourd’hui, si nous avons envie de composer, nous avons envie de penser aux gens qui vont venir nous voir sur scène et nous voulons proposer un truc super sincère. Nous ne voulons pas vendre un produit qui a été emballé, pesé, en mode : « Voilà, c’est comme ça, voilà la recette. »
Vos visuels sont très travaillés. Cela se retrouve même dans votre merch, car même les T-shirts que vous avez sortis pour Shift sont assez travaillés et se démarquent du T-shirt metal traditionnel, avec une pochette d’album, etc. Vu ce que tu dis, il n’y a pas l’air d’y avoir de demi-mesure avec LizZard, et tout, jusqu’au moindre petit T-shirt, doit être fait avec perfectionnisme…
Avec passion ! Je pense que plus que du perfectionnisme, c’est de la passion. Si nous pensons à la perfection, Katy a son propre sens de la perfection, William a son propre sens de la perfection, moi, j’ai le mien, et forcément, ça va aller au clash. Nous avons tous nos sens des valeurs différents. Par contre, le seul truc sur lequel nous nous sommes retrouvés depuis longtemps, c’est l’aspect passionné du truc. Quand nous sortons un truc, il faut que les gens puissent au moins sentir que les types sont passionnés, qu’ils ne font pas ce truc-là sur un chiotte, le matin, en faisant leur bouse. Nous aimons être passionnés. Nous sommes le genre de groupe qui, quand nous nous mettons à créer, que ce soit un T-shirt ou de la musique, ou autre, nous n’hésitons pas à épurer, faire le tri, choisir. Nous communiquons beaucoup, tous les trois, sur beaucoup de choses. Ça me fait plaisir, ce que tu me dis, parce que si toi, tu vois sur des photos qu’il y a une différence entre un t-shirt du groupe metalleux du coin et le nôtre, c’est cool. C’est le but du jeu.
En plus, rien que dans le choix des couleurs des t-shirts, il y en a des moins traditionnelles. Il y a évidemment un noir, mais j’ai cru voir un gris, un rouge… On sent vraiment qu’il y a l’envie de faire un beau t-shirt, et pas simplement un T-shirt où est marqué le nom du groupe.
Exactement. Encore une fois, nous ne sommes pas fans du « je porte le T-shirt du groupe ». Déjà, dans nos vies, nous ne faisons pas ça. Nous sommes plutôt du genre à prendre les fringues dans lesquelles nous nous sentons le mieux et que nous trouvons beaux, qui nous correspondent. Mais du coup, nous nous sommes rendus compte que nous n’étions pas les seuls comme ça. Il y a plein de gens qui achètent les T-shirts pour soutenir le groupe, et c’est une super mentalité, mais nous avons remarqué que les gens, ce n’était pas pour ça qu’ils kiffaient particulièrement leur T-shirt, qu’ils allaient le porter en famille. C’est peut-être parce que nous sommes des artistes, et que nous avons le côté un peu crevard sur les bords, mais un T-shirt, ce n’est pas rien ! Si tu veux le porter, c’est aussi pour te fringuer correctement, te sentir à l’aise, et il faut que ça fasse partie de ton mood de la journée. Donc tant qu’à faire, autant sortir un T-shirt où tu te dis : « Tiens, je me sens rouge, je me sens peps, je prends celui-là ! », peu importe ce qui est marqué dessus ; le mot « shift », par exemple, il peut tout dire sans rien dire. Donc autant sortir un truc fun, un truc classe avec, plutôt que « LizZard président ».
Surtout que les T-shirts plus banals, que l’on peut acheter dans des concerts, sont immettables, ne tiennent pas la durée, ne sont pas bien coupés… Ce ne sont pas des fringues, c’est juste un achat de soutien, et c’est très bien ! Mais ce n’est pas un achat pour acheter un T-shirt.
Exactement. Nous le sentons comme ça. Et nous les premiers, nous allons voir des groupes en concert quand nous le pouvons, et même si nous kiffons, nous nous retrouvons parfois au stand de merch, tu regardes, et tu dis : « Ben… Non ! C’est con, ça me fait chier, mais je ne vais pas l’acheter ! » Et ce n’est pas parce que je ne veux pas soutenir le groupe. C’est parce que ça va prendre la poussière, c’est une fringue que je vais mettre trois fois, ça va me faire chier, et voilà. Et pour nous, ça, ce n’est pas rendre service aux gens.
L’album s’appelle Shift (en français : changement, déplacement, NDLR). Le changement a l’air d’être un terme majeur dans l’album. A quel(s) changement(s) faites-vous référence ?
En fait, nous sommes de gros fans de l’ancien président de la République… [Rires] Non, c’est une blague. La question n’est pas forcément de savoir à quel changement nous faisons référence. Nous nous rendons compte dans notre vie de tous les jours, en allant dans tous les pays, à aller zoner, foutre notre merde un peu partout, que nous sommes vraiment dans une période de changement à tous les niveaux. Je pense aux mentalités, aux modes de consommation, à la prise de conscience des gens, en général, sur beaucoup de choses, on peut penser par exemple à l’écologie… Mais on se rend compte que cette prise de conscience, ce changement en train de s’opérer, il est vachement intéressant, parce qu’il fout les chiasses, en fait. Je pense que c’est la première fois où nous sommes dans un changement où les gens ont bien pris conscience qu’il fallait changer les choses, sans vraiment savoir où ça allait aller, sans vraiment savoir les conséquences de tout ça. C’est donc un album qui a voulu mettre ça en avant, ces prises de conscience, et en même temps, ces questionnements, derrière, sur tous ces sujets-là, que l’on peut retrouver en tant qu’êtres humains. Mais nous ne faisons pas référence à un changement, nous faisons référence à cette période dans laquelle nous sommes, là, tous, comme des cons. C’est ce que nous avons remarqué. Encore une fois, avant cet album-là, nous avons tourné pendant deux ans non-stop, pratiquement, et de toutes ces tournées, toutes ces expériences, nous avons vraiment ressorti que tout le monde était vraiment dans une phase de : « OK, faut que ça change ! » Et les gens sont prêts à faire tout ce qu’il faut pour que ça change, mais sans vraiment savoir comment changer, où aller, vers quoi aller. Oui, il faut que ça change, tout le monde en a marre, tout le monde pense ça, c’est bien beau, mais le « y’a qu’à, faut qu’on » [petits rires], c’est un peu bizarre…
« On parle d’extinction des espèces, de la nôtre en plus aussi, on nous balance des grandes phrases du genre : ‘Les gars, faut qu’on fasse autrement, on est vraiment des crétins.’ Et quand tu vois qu’on consomme encore plus qu’hier, c’est un truc de dingue ! Le système de consommation est encore plus fou, personne ne s’en sort… On est dans un quiproquo énorme ! »
Il y a peut-être aussi qu’on n’arrive pas à savoir comment changer les choses dans la mesure où certaines personnes vont blâmer les décisionnaires comme les hommes politiques, et tu en as d’autres qui vont dire que chaque personne est responsable, et que le citoyen doit agir aussi. Il est donc difficile de se positionner par rapport à ça…
Complètement. Je trouve super intéressants ces questionnements-là, parce que ça ne renvoie les gens qu’à une chose : eux-mêmes. Ça nous renvoie à se regarder dans la glace, et à pouvoir se dire : « Qu’est-ce qu’on peut faire à notre échelle, aujourd’hui, nous, petits hommes, qui va changer la donne ? Quelle habitude peut-on prendre pour changer la donne ? » Je trouve ça vachement intéressant, parce qu’au final, nous en sommes tous là, avec Internet, tout le système de communication que l’on a, la façon dont les gens s’en servent, ça ne fait qu’une chose : ça les renvoie à eux-mêmes. Tout le temps. On a beau dire que c’est l’ère de la communication, on a beau communiquer facilement, on ne s’est jamais aussi mal compris qu’en ce moment, tous ensemble. Du coup, on se rend compte des bugs de chacun, que l’on peut communiquer mais qu’on n’est pas du tout sur la même longueur d’onde. On a chacun sa façon de voir les choses, de parler, je vais te dire quelque chose, tu vas le traduire à ta manière, je peux te dire quelque chose que tu vas prendre super personnellement, alors que ce n’était pas le but… Il y a tout cette prise de conscience du « soi », nous nous renvoyons tous à nous-mêmes. C’est mon avis perso, mais je trouve ça super intéressant, et je pense que ça serait bien que les gens le prennent en compte, et qu’ils n’aient pas peur de renvoyer ces informations à eux-mêmes. Parce qu’on a beau dire ce qu’on pense, on a beau avoir la possibilité de dire : « Vas-y, je me lâche, c’est ce que je pense maintenant ! » Oui, mais l’expérience là-dedans ? Ton expérience de vivant, pas ton expérience de ce qu’il se passe « là-haut », ou du bouquin que tu as lu hier et qui t’a fait réfléchir. Ton corps, ton vivant, comment se sent-il là-dedans ?
C’est vraiment un album qui renvoie à ça, et qui pose ces questions du vivant, de l’aspect vivant de ce que l’on est, et non l’aspect intellectuel, « je pense que », etc. C’est l’aspect expérience vivante de ce changement. Parce qu’on y va, nous sommes dans une phase où… A l’époque, on parlait de la fin du monde en 2012 dans les infos de 20 heures… Ça m’avait fait halluciner ! Ces conneries passaient au journal de 20 heures ! On parle d’extinction des espèces, de la nôtre en plus aussi, on nous balance des grandes phrases du genre : « Les gars, faut qu’on fasse autrement, on est vraiment des crétins. » Et quand tu vois qu’on consomme encore plus qu’hier, c’est un truc de dingue ! Le système de consommation est encore plus fou, personne ne s’en sort… On est dans un quiproquo énorme ! Et ce quiproquo, c’est le changement dans lequel on est. On est en train de muter vers un truc difficile à imaginer, dont le résultat est difficile à voir, le « pourquoi on est en train de muter là-dedans, pourquoi on est en train de faire ça » est assez flou, et je ne pense pas qu’il le soit que pour moi, il l’est un peu pour tout le monde. Le « pourquoi » est assez dingue. Je trouve ça intéressant, et cet album représente ça. Et en même temps, je trouve ça super beau aussi, parce qu’en tant qu’êtres vivants, on n’en est pas encore en train de stagner, on est en train de se prendre un gros coup de pied dans le cul qui est assez marrant. Je trouve ça beau.
Y a-t-il aussi une référence à la musique du groupe dans ce titre d’album-là ?
Nous avons espéré que grâce à ce thème et ces sujets, nous puissions nous renouveler, et ne pas nous répéter. Nous ne sommes pas les kings de la recette LizZard. Notre recette, s’il y en a une, c’est plus notre état d’esprit, et comment nous abordons les choses. Après, le résultat, nous espérons qu’il soit différent. Je pense qu’on reconnaît toujours le groupe derrière si on écoute un peu, mais nous avons espéré que ce thème-là apporte une nouvelle façon de nous exprimer musicalement. Nous avons essayé de faire quelque chose de plus concis, c’est-à-dire que si nous allions dans le beau, nous tapions dans le beau et nous restions dans le beau, plutôt que d’essayer encore une fois de prendre des virages à la con, même si dans nos morceaux, dans la façon dont nous entendons la musique et dont nous nous exprimons, nous aimons bien surprendre l’auditeur et raconter plus qu’un couplet et un refrain. Mais oui, nous espérons ! Après, ce sont les gens qui sont juges. Si le mot « shift » leur parle et qu’ils le retrouvent dans la musique, c’est tant mieux. Pour nous, c’est vraiment gagné. Mais ce sont les gens qui sont juges. Nous, nous avons du mal à être spectateurs de ce que nous faisons.
Musicalement, l’évolution du groupe a été assez constante, parce que Majestic annonçait déjà des choses que l’on retrouve dans cet album-là. Trouves-tu que, malgré le côté constant de l’évolution de LizZard, il y ait quand même un truc en plus, un tournant avec cet album ?
Oui. Je pense sincèrement que si j’essaie de voir ça par rapport au premier album qui était Out Of Reach, et le deuxième qui était Majestic, nous avons vachement moins peur aujourd’hui de jouer, de s’assumer, et de s’exprimer comme nous avons envie de le faire. Autant, avant, il y avait un côté où nous cherchions à gauche, à droite, « mais les gens vont peut-être être un peu choqués, il leur faut une référence parce que sinon c’est moyen »… Il y avait un peu ce côté-là. Je ne dis pas que c’était comme ça, mais il y avait un peu ce côté pas sûr de comment les gens allaient percevoir le truc. Aujourd’hui, nous n’en n’avons plus rien à branler [rires]. Nous nous exprimons comme nous avons envie de nous exprimer, et ce n’est pas par rapport aux chroniques ou parce que c’est ce qu’on nous a dit, c’est parce que dans le temps, ce groupe a maintenant a un peu plus de dix ans, ça fait dix ans que nous jouons ensemble, ça fait dix ans que nous faisons les choses à notre manière, et nous sommes contents de les faire comme ça, de pouvoir les faire comme ça. Et quand nous allons ailleurs, il y a des gens qui nous suivent, des gens qui réagissent, des salles qui se remplissent et nous nous disons : « C’est cool, on y va ! » Alors autant prendre notre pied jusqu’au bout et donner aux gens ce que nous avons vraiment envie de donner, comme nous avons envie de le donner. Donc cet album, j’ai envie de dire qu’il est vraiment plus affirmé sur la composition et la façon de donner les choses.
« J’ai piqué les vinyles de mon père, jusqu’à l’âge de mes quinze ans, j’avais des vinyles que j’écoutais au casque, je tripais. Ensuite, les CDs sont arrivés, et je me suis rendu compte que mon écoute changeait par rapport à ce que la machine voulait que je fasse avec. »
Il y a un instrumental dans l’album qui porte justement son nom. À quel point ce morceau-là représente-t-il l’état d’esprit de l’album ?
Nous avions déjà fait des instrumentaux. Sur Majestic, il y en avait un, mais qui était plus sur l’aspect expérimental. C’était une sorte de plage, une mélodie qui arrivait. Sur ce morceau-là, c’est bizarre. Pour ma part, j’avais écouté beaucoup de classique ces deux dernières années, dont un compositeur en particulier qui s’appelle Steve Reich ; si les gens ne connaissent pas je les encourage à l’écouter. C’est du minimalisme à l’Américaine, mais que je trouve quand même de très haut niveau. Il avait composé cette pièce dans les années fin 1970, qui s’appelait « Musique Pour 18 Musiciens », et c’est complètement envoûtant, comme truc. C’est juste un thème rythmique qui tourne et il y a des choses qui arrivent, qui s’en vont, qui repartent avec toutes les modulations, mais ce thème est toujours là, tout le temps. Et avec mon jeu de guitare, moi qui suis passionné de loop et de trucs un peu casse-couilles à faire, il faut dire ce qui est, mais qui, à l’écoute, sortent du lot, je me suis dit que ça pourrait être classe d’essayer de faire un truc comme ça. Je me suis lancé là-dedans et les potes du groupe sont rentrés dedans aussi, et ont kiffé. Et voilà ! Le morceau commence, il y a tout un développement, et au milieu du morceau il y a le thème qui revient, et il est complètement pris à contre-pied. Nous trouvons ça intéressant. Encore une fois, le thème, si on rapporte ça à ce que je disais tout à l’heure, nous restons humains, mais il y a des choses qui évoluent autour et qui prennent une ampleur assez surprenante. Pour nous, c’est vraiment le thème de l’album. S’il y a quelque chose qui doit représenter ce changement, pour nous, c’était ce morceau-là. Mais peut-être pas pour les gens, encore une fois.
Tu en as parlé tout à l’heure, et Katy l’avait également dit, le fait que cet album véhicule votre message musical de manière plus concise. Est-ce que c’était un objectif à la base, où est-ce que c’est arrivé un peu naturellement ?
Non, ça s’est fait tout seul. Nous nous sommes retrouvés tous les trois à avoir la même envie au même moment, de faire ces choses-là. Par exemple, sur les arrangements j’entendais quelque chose de très coloré, les autres m’ont laissé faire et m’ont fait confiance là-dessus, c’était cool. Eux entendaient d’autres choses, mais nous avons vraiment voulu être sans concession sur la façon de faire les choses sur cet album-là. Tous les trois en même temps. Je pense que c’était inconscient, et c’était une des conditions pour que l’album se fasse. C’est ce que je te disais au départ, si nous n’avions pas eu cette entente, si nous ne nous étions pas retrouvés tous les trois, si nos trois cerveaux ne s’étaient pas connectés à un moment, pour pouvoir faire l’album, je ne pense pas que nous l’aurions fait. On va me dire : « Mais du coup ça aurait pris beaucoup plus de temps. » Ouais, et alors ? Ok, c’est comme ça.
Il y a quelque chose qui n’est pas anodine dans l’album, c’est sa structure. Il y a une rupture assez marquée entre la première partie de l’album et la seconde, qui est plus calme. Pourquoi le choix de cet ordre de morceaux ?
Déjà, nous pensions au format vinyle. Il y a deux faces sur un vinyle ; c’est quelque chose qu’on oublie souvent. Parce qu’encore une fois, quand on dit vinyle, les gens pensent au marketing, mais il y a bien des gens qui les écoutent. Et on oublie que quand on écoute du vinyle, il faut se lever pour écouter la deuxième face. Donc ce trip que tu as quand tu écoutes une face de vinyle, le fait de te lever, de retourner le vinyle, ça y est, tu es en train de passer à autre chose. Et nous, nous trouvons cela kiffant. J’avoue franchement, nous aurions bien voulu sortir l’album avec deux CDs plutôt que de faire un CD tout regroupé. Mais faute de moyens, nous avons fait un CD. Mais la base était pour ça. Et encore une fois, il y a cette phase de changement, c’est-à-dire que l’on peut avoir la facette, et avec le même thème, une autre facette du groupe avec le côté un peu plus touchant. Toi, tu dis calme, mais pour nous c’est le côté plus intimiste du groupe. Nous aimons Radiohead, toutes ces musiques super intimistes que l’on peut s’écouter tout seul en train de triper chez soi, nous aimons ce côté-là. Je pense que ça fait maintenant trois albums que nous essayons de le donner aux gens à la petite cuillère, en disant : « On aime bien ça, essayez de vous mettre là-dedans. » Et sur cet album-là, nous nous sommes dit : « Vas-y, on le donne, on en a rien à branler ! » Voilà le pourquoi de ces deux phases dans l’album, et du coup, que le shift se retrouve au milieu encore une fois.
Ce que tu disais par rapport au support vinyle était intéressant, et par rapport au fait qu’il y a vraiment un changement qui s’opère dans la psychologie de la personne quand elle se lève pour changer la face. Finalement, le support pour lequel tu écris, il peut être très inspirant. Pour le coup, selon si tu écris pour un disque ou un vinyle, tu ne vas pas écrire de la même manière…
Complètement. C’est même vachement intéressant. Je prends un coup de vieux quand je dis ça, mais en même temps je ne suis pas si vieux que ça, mais j’ai grandi en n’écoutant que des vinyles. J’ai piqué les vinyles de mon père, jusqu’à l’âge de mes quinze ans, j’avais des vinyles que j’écoutais au casque, je tripais. Ensuite, les CDs sont arrivés, et je me suis rendu compte que mon écoute changeait par rapport à ce que la machine voulait que je fasse avec. Ça joue vachement sur l’écoute. Donc encore une fois, nous avons cette « contrainte » du support pour pouvoir écouter un disque, mais plutôt que ce soit une contrainte et que tout le monde fasse pareil, pourquoi ne pas y penser, sans que les gens ne s’en rendent compte forcément. Le fait d’avoir le support et que ce soit composé autour du support, ainsi, ils ne réagissent pas du tout pareil avec la musique, quand c’est comme ça. Tu le sais comme moi, mais à écouter par exemple de la musique sur YouTube, avoir la petite souris qui zappe et tout, est-ce que tu prends vraiment le temps, à moins que tu aies un truc qui t’accroche de suite… Mais moi, par exemple, j’ai du mal à écouter, même un groupe qui sonne bien, je ne me mets pas dedans. J’écoute, et pendant que j’écoute, je regarde les autres groupes qu’il y à côté etc., « ah, ça je ne connais pas « et tu zappes, zappes, et ton cerveau est toujours en train d’emmagasiner de la connerie, tu n’as pas le temps de te mettre dedans. Le support fait vachement au fait d’être perméable à la musique ou pas.
« YouTube est le support qui va le plus nous desservir, parce que notre musique ne demande pas de zapping du tout [rires]. »
Je pense que YouTube est un support qui sert plus à la découverte qu’à vraiment l’écoute approfondie. Le fait de zapper, c’est quand tu cherches un truc. C’est quand tu veux découvrir des choses, que tu te dis que tu vas essayer vite fait, etc.
Exact. Pour le coup, c’est là où je peux comprendre certaines questions ou certains quiproquos, mais pour LizZard, YouTube est le support qui va le plus nous desservir, parce que notre musique ne demande pas de zapping du tout [rires]. Nous sommes l’antithèse de cela. Notre musique, je pense, avec les échos que j’ai des gens qui nous suivent, il faut se mettre dedans, il faut se couper un peu du monde et se dire : « Allez, vas-y, je vais me plonger dans ce truc et voir ce que ça donne. » Il faut se laisser embarquer, parce que tu n’auras pas le truc avec compression à fond, etc., tu n’auras pas ça [rires]. Ce n’est pas possible, ce n’est pas nous. Tu n’auras pas le côté catchy de suite, qui va bien, le côté sucré. Nous sommes plus acide citron plutôt que sucré bonbon rose.
Le fait qu’aujourd’hui la musique soit beaucoup dématérialisée, si on va par-là, finalement, ça peut expliquer pourquoi il y a peut-être un peu moins de vraie démarche d’album chez certains artistes, et de chose dans laquelle tu te plonges. Il y a plutôt un objectif de sortir des tubes, qui n’est d’ailleurs pas un mauvais objectif en soi…
Oui, et ce n’est pas parce que je pense quelque chose que je trouve le reste nul. Il se trouve que nous, tous les trois, nous ne sommes pas là-dedans. Par contre, nous avons écouté de la musique étant gamins, et pour nous, la musique, c’est super important, nous ne pouvons pas vivre sans. Du coup, nous décidons d’être sincère avec ça. Et si nous sommes sincères, nous allons mettre toute notre passion dedans, et notre passion se retrouve dans la façon dont nous la faisons. Le côté dématérialisé, c’est pratique ; c’est le côté pratique d’écouter de la musique. Mais est-ce que c’est vraiment si pratique que ça ? Parce que l’info sonore n’est pas rendue correctement; nous le pensons en tout cas et nous le voyons de plus en plus, et ça nous frustre à mort. Le côté dématérialisé est pratique pour avoir de l’info, choper de l’info au vol. Après, le côté « on fait du tube », ça passe sur YouTube, c’est catchy, ça dure trois minutes, tu en prends plein la face, il y a des gens qui font ça très bien et tant mieux pour eux. Nous, ce n’est pas notre truc pas. Je pense que même si nous voulions le faire, nous le ferions super mal.
L’album est assez marquant par sa richesse sonore. Ce qui est forcément assez impressionnant pour un trio. Avez-vous éprouvé des difficultés à développer cette richesse-là ?
Par rapport aux autres albums, il faut être clair, nous avons toujours sonné comme ça, depuis le départ, depuis le premier jour où nous avons joué ensemble. J’ai toujours eu ce trip des loops, William qui fout ses quinze mille distorsions à la fois… Nous avons toujours eu ce son-là, en tout cas cette démarche-là. Par contre, sur cet album-là, en termes de composition, je ne me sers pas des loops comme je m’en servais à une époque. Autant, à l’époque, je pouvais balancer un loop, et du coup, le morceau était basé sur le loop pour pouvoir progresser. Là, je me sers du loop comme des choses qui arrivent en plus. Si les gens ont vraiment envie d’écouter ça et de voir la différence, c’est que guitaristiquement parlant, c’est beaucoup plus de challenge, parce qu’encore une fois, je chante et je joue en même temps, je fais les loops en même temps, il y a tous les effets… Je fais un peu des claquettes sur scène tout le temps. C’est ce qui fait que souvent, on nous dit qu’on a l’impression d’entendre six ou sept personnes en train de jouer. C’est cool, tant mieux que les gens puissent se rendre compte qu’on peut faire plein de choses avec rien, si on entend et qu’on prend les informations différemment.
En termes de répète, ça doit quand même beaucoup changer la manière de répéter d’avoir une démarche comme ça, dans la mesure où il doit y avoir un énorme temps qui est passé à travailler sur le son en lui-même, sur la création purement sonore ?
Je vois ce que tu veux dire. Après, c’est comme ça que nous entendons les choses, donc cette démarche-là est assez naturelle pour nous. Il y a des parties dans les morceaux où nous savons ce qui se passe, et nous nous disons: « Là c’est tripé, là c’est dans le son, aller il faut qu’on bosse… » Je ne sais pas, c’est instinctif. Je vois exactement ce que tu veux dire, mais quand je pense à LizZard… nous n’avons jamais fait autrement ! C’est comme ça que nous faisons de la musique, en fait, pour nous. Pour un groupe de metal lambda pour qui c’est « trois, quatre et on envoie la sauce », s’ils viennent nous voir bosser en répète, les mecs vont prendre peur ! Parce qu’ils vont se rendre compte que des fois, nous sommes tous les trois en train de bosser, et nous ne jouons pas pendant une heure et demie. Nous ne jouons pas. Ça part en délire, c’est complètement expérimental. Mais ce qui est fou, c’est que nous, de notre côté, nous entendons les choses comme ça. Un pote nous disait l’autre jour : « Mais en fait, vous êtes une secte ! » [Rires]. Et j’ai compris ce qu’il a voulu dire. C’est vrai que notre façon de travailler, de faire, il y a un côté qui fait que nous ne sommes pas à la mode. Par exemple, c’est une connerie, mais si un jour William se ramène et qu’il fait son truc pendant une heure, et qu’il est persuadé par ce qu’il fait, je vais entendre ce qu’il entend. Plutôt que de me fier juste à cette putain de note qu’il tient pendant trois heures, en fait, je sais ce qu’il entend derrière. C’est comme si nous composions les uns pour les autres. Et pas : « J’ai un plan de guitare que je veux caler ! » Dans beaucoup de choses que j’entends aujourd’hui, tu sens qu’il fallait caler ce truc; le mec, ça doit faire deux ans et demi qu’il l’avait, mais il fallait qu’il le cale là, parce que sinon, il n’en pouvait plus ! [Rires]. Mais bon, le ressenti, c’est chacun son truc. Moi, pour ma part, on m’insulte assez souvent pour me dire que je suis extra sensible à ce niveau-là, que j’ai les oreilles qui fonctionnent trop et que mes émotions sont trop branchées là-dessus. Mais bon, on ne se refait pas.
N’y a-t-il jamais de moment où vous êtes en décalage les uns par rapport aux autres, où il y en a un qui a peut-être un peu plus envie de jouer, de jammer, et un peu moins envie de créer du son ?
Pour te répondre, j’ai envie de te dire que nous avons de la chance, car non. Nous ne sommes jamais décalés les uns avec les autres. Ça arrive qu’il y en ait un qui se ramène et qui dise : « On n’a jamais fait ça, j’aimerais bien qu’on fasse ça. » Et il n’y en a jamais un qui va dire « Ah bon ? » C’est toujours : « Ouais, ça pourrait être cool. » Et pour nous, c’est ce qui fait un groupe, artistiquement. Là, ça devient super intéressant, parce qu’on parle vraiment de notion de groupe. Ce groupe existe pour ça. Un groupe, c’est un ensemble de personnes réunies pour faire de la musique, pour faire de l’art, parce que c’est encore considéré comme artistique, la musique – des fois j’en doute, je me pose la question – , comme la sculpture, c’est un art d’expression. Mais il faut que les gens qui jouent ensemble puissent s’exprimer et se comprendre, c’est vachement important. Du coup, s’il y en a un qui a une idée qui arrive, que les gens ne soient pas choqués, en mode : « Ah mais non, mec, le groupe c’est pas ça. » Au contraire, il n’y a jamais d’incompréhension. On comprend pourquoi la personne en face nous dit ça : « Ah ok je vois, ça pourrait être cool. » Il n’y a jamais de décalage entre nous. Par contre, qu’il y ait du décalage entre le groupe et ce qui se fait en ce moment, c’est très possible, mais on s’en fout, c’est de l’art [rires]. C’est aussi fait pour ça.
« Pour un groupe de metal lambda pour qui c’est ‘trois, quatre et on envoie la sauce’, s’ils viennent nous voir bosser en répète, les mecs vont prendre peur ! Parce qu’ils vont se rendre compte que des fois, nous sommes tous les trois en train de bosser, et nous ne jouons pas pendant une heure et demie. »
L’album est sorti il y a plusieurs semaines. Penses-tu que tu as déjà un peu plus de recul pour en parler ? Le fait de le sortir, de le mettre dans les bacs, psychologiquement c’est une petite étape qui aide à le percevoir un peu différemment ?
Ça dépend des albums, ça dépend de comment tu l’as fait. Je me rappelle que pour Out Of Reach, le premier, il s’était passé la même chose. Il était sorti dans les bacs, et c’était notre premier album dans les bacs, correct. De suite nous avons fait les interviews, et c’était complètement perturbant, parce que nous avions tellement bossé. Nous sommes indépendants, donc quand nous bossons avec un label, c’est parce que nous avons cherché les mecs que nous voulions, avec qui nous voulions bosser. Donc c’est beaucoup de boulot pour nous, nous prenons les choses vachement à cœur. Pour Out Of Reach, c’était super perturbant, parce que je me retrouvais à répondre à des questions auxquelles je ne voulais même pas répondre. Je ne voulais même pas penser à tout ça, en fait. Je voulais juste lâcher le truc, et genre : « Vas-y, on prend la route, maintenant ! » Je voulais lâcher le côté « cerveau » de l’histoire. Pour Majestic, comme l’album n’avait pas du tout été fait dans la même optique, il a été super spontané, plus punk dans la façon de faire, c’était fun d’en parler, parce que nous étions surpris de la réaction des gens, et du coup c’était fun. Pour cet album-là, j’ai presque envie de dire que nous commençons à être rodés à l’exercice. Donc je ne sais pas, c’est intéressant. Avant que l’album ne sorte, nous avions déjà fait une tournée, en fait. Nous avions tourné au mois de janvier pour qu’il sorte au mois de février. En plus, nous avons fait une tournée qu’avec les nouveaux morceaux. Donc pour nous, il est déjà sorti depuis longtemps. Donc aujourd’hui, d’en parler, c’est genre : « Ah ouais on en est encore là ? » [Petits rires] Nous sommes déjà ailleurs dans notre tête. Je pense que l’interview est intéressante mais tout dépend de l’esprit de l’album, où tu en es, est-ce que c’est vraiment tout frais, est-ce que c’est vraiment joyeux, cet album… Nous avons rencontré des groupes, pour qui la sortie d’album, c’est l’accouchement douloureux. Les mecs, tu leur en parles, c’est : « Oh putain, ne m’en parle pas ! » Je pense que pour les groupes, c’est chacun son truc, là-dedans. Moi je dis que s’il y a une interview qui arrive et que nous acceptons, c’est que c’est ok, nous pouvons en parler.
Vu que l’album est sorti, les gens ont pu l’entendre. Comment l’évolution du groupe a été perçue d’après les retours que tu as eus ? Et comment comparerais-tu ces retours-là à ta propre vision de l’évolution du groupe ?
Je vais être sincère, je ne m’occupe pas de ce que les gens disent. Que ce soit en bien ou en mal, je m’en fiche. Ça m’arrive des fois, je lis des trucs qu’on nous envoie, genre je lis le premier paragraphe. Mais dès que je commence à entrer dans la critique, j’arrête. Parce que je sais que ce n’est pas ça qui m’intéresse. C’est aux gens de se faire leur propre idée. S’il y a des gens qui ont le temps, l’envie d’écrire là-dessus pour que les gens puissent s’y intéresser, cool, c’est génial, mais ce n’est pas pour moi qu’ils le font. Les gens qui jugent les albums, ils font ça pour la découverte, ils font ça pour en parler, pour dire qu’ils l’ont perçu comme ci, comme ça, ce n’est pas pour nous qu’ils le font. J’espère, d’ailleurs. Sinon il n’y a aucun intérêt à la chronique. D’où le fait que je me détache très vite et plus facilement de ce que les gens pensent ou disent. Du coup, leur réaction, je ne la connais pas vraiment. La seule réaction à laquelle je suis vraiment attaché, c’est : on est sur scène, on fait un concert, les gens qui sont là, sortis du concert, qu’est-ce qui se passe ? C’est le seul truc qui m’intéresse. Parce que tout le monde nous le dit, sans aucune marge là-dedans : « On écoute votre musique sur disque, il se passe ça. On va vous voir sur scène, c’est complètement différent. C’est autre chose. » Il y a une dimension en plus dans les morceaux que nous ne pourrons pas avoir sur disque, et que nous ne pourrons jamais avoir sur disque. C’est clair et net. Donc la vraie musique est celle qu’on joue en vrai. Encore une fois, nous sommes dans un business où il faut un support, il faut faire écouter. C’est cool, pas de problème. Mais notre façon de faire en enregistrement, et notre façon de faire sur scène, c’est complètement différent. Moi, ce qui m’intéresse, c’est la partie vivante. Je la prends à cœur, cette partie-là. Après, pour le reste, c’est dur de pouvoir en dire : « Ah ouais je suis d’accord avec ce qu’en disent les gens. » Je ne sais pas, ce n’est pas possible.
Sur votre page Facebook, dans le petit onglet « Intérêts », c’est marqué : « Toute la musique qui contient de l’émotion. » Cette phrase est intéressante : est-ce que ça veut dire que toutes les musiques n’ont pas vocation à véhiculer de l’émotion ?
Tu bosses à Radio Metal, tu connais la réponse ! Tu ne me la fais pas ! Je ne pense pas que tu t’amuses tous les matins à écouter « Whisper Big Gros Nichons » ! J’espère sincèrement que les gens ne sont pas si crédules que ça, et ne pensent pas vraiment que les gens sont tous sincères dans ce business, il faut arrêter les conneries. Toutes les musiques qui véhiculent de l’émotion, c’est le but du jeu. Après, bien sûr qu’il y a des gens qui sont touchés par de la guimauve. Tant mieux pour eux. Moi, le côté guimauve, je n’y arrive pas. Je trouve que ça pue le cramé. Mais il y a des gens que ça contente, tant mieux pour eux. Quand nous disons ça, c’est que nous n’avons pas de barrière musicale, pas de barrière stylistique, à partir du moment où nous sentons qu’il y a de l’expression derrière. Et qui dit vraie expression, dit forcément une émotion. Tu te sens touché par la personne, ou en tout cas par le musicien, l’artiste… C’est une phrase qui veut dire grand-chose, et en même temps pas grand-chose, et qui pour nous, paraît toute bête. Je ne sais pas, une nana à poil sur une grosse boule en argent, ça me fait chier [rires].
Il y a un petit jeu de majuscules dans vos titrages. Le deuxième Z de LizZard est en majuscule, et dans l’album, il y a aussi un morceau « Min(E)d » où il y a le E qui est en majuscule. Quel est le sens de ce petit truc-là ?
Je pense que tu vas bosser un petit peu et que tu vas aller te rencarder [rires]. Le coup du deuxième Z plus grand, c’est le Z de Zorro, nous jouons pour les pauvres [rires]. Non, le coup du deuxième Z, c’est que nous avions tripé sur ce nom, cette écriture a circulé, et du coup c’est resté. Et pour ce qui est des morceaux, c’est pour les gens que nous le faisons, pour qu’ils lisent les textes, qu’ils essayent de trouver le truc, mais sincèrement, c’est assez flagrant. Pour les gens qui parlent anglais un petit peu, le mot « mind », c’est l’esprit, et si on met le -ed à la fin, ça devient le mot « miné ». C’est aussi l’appartenance des choses. Voilà, lisez le texte, tout est dit !
Interview réalisée par téléphone le 5 avril 2018 par Philippe Sliwa.
Transcription : Robin Collas.
Site officiel de Lizzard : lizzard.fr.
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