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Interview   

Loïc Rossetti (The Ocean) : l’exigence et la dévotion.


En tant que véritable « collectif », The Ocean a pris l’habitude de voir sa formation se métamorphoser au fur et à mesure des disques et des tournées. Dans cette effervescence humaine, Robin Staps demeure le maître d’œuvre du groupe en matière de composition et a démontré qu’il savait s’entourer de musiciens talentueux. Pour preuve, Loïc Rossetti s’est imposé comme pièce vocale maîtresse du groupe berlinois depuis 2009 avec le double album « Heliocentric/Anthropocentric ». Neuf ans plus tard, entre « Pelagial » et « Phanerozoic I : Palaeozoic », force est de constater que The Ocean doit beaucoup à son chanteur, tant en studio qu’en live.

C’est d’ailleurs quelques heures avant sa montée sur la scène du Hellfest de cette année que nous avons pu nous entretenir avec lui concernant son approche du chant, et plus spécifiquement sa pratique du chant saturé. Comment a t-il sculpté sa voix ? Quels sont/ont été les impacts sur sa santé ? Quel a été son parcours ? Si ses débuts vocaux ont surtout été marqués par un tâtonnement méthodologique autodidacte douloureux, Loïc s’appuie aujourd’hui sur des repères forts et des expériences significatives pour atteindre l’exigence qu’il se fixe sans cesse. A l’instar du cheminement de Reuno de Lofofora, le chanteur de The Ocean fonctionne avant tout à l’instinct et au ressenti au sein de chaque morceau pour délivrer la puissance et la sensibilité vocale qu’on lui connaît.

A noter que cet entretien a été réalisé dans le cadre d’une série d’interviews en vue d’un dossier plus général sur le chant saturé.

« Moi, c’est plutôt à l’instinct. Puis en général, je n’ai pas besoin de chercher la note. Si je la cherche, ça veut dire que je suis faux. »

Radio Metal : Quand tu as commencé à apprendre le chant, as-tu d’abord appris le chant clair, puis le saturé ? Est-ce que c’était les deux en même temps ?

Loïc Rossetti (chant) : Non. Moi, c’était plutôt clean au départ. Quand j’avais quatorze ans, je faisais des reprises des Red Hot Chili Peppers, Nirvana, des choses comme ça. C’était plutôt chant clean, au départ. En même temps, à l’époque, il n’y avait pas toute cette scène… Aujourd’hui, ça s’est vraiment diversifié. Moi, j’ai un peu perdu le coche, avec tout ça ! Le big scream, tous ces machins…

Quel a été ton élément déclencheur, ta porte d’entrée pour le chant saturé ? C’est une rencontre ? Un concert ?

Franchement, je ne sais pas trop. C’est plutôt un truc qui va dans le cours des choses. Avant de rejoindre The Ocean, je ne criais pas vraiment, donc ça m’a forcé à bosser là-dessus. Je ne sais pas si j’ai toujours les bonnes techniques – apparemment pas ! – mais ce qui est compliqué, enfin, de ce que je remarque, c’est que j’aime beaucoup plus chanter que crier. C’est plus émotionnel d’une certaine manière pour moi. J’arrive plus à m’exprimer dans le chant. Le cri, ça reste assez platonique. Le chant, tu peux quand même plus bouger avec. J’ai dû plutôt apprendre à crier, mais ça s’est fait naturellement. Au début, tu finis ta répète, tu es complètement aphone, tu ne parles plus. Après, ça vient. C’est une histoire de pratique, c’est comme tous les instruments.

Entre ta voix claire et ta voix saturée, à l’échelle d’un concert, arrives-tu à switcher de l’une à l’autre sans problème, ou est-ce que tu sens au fur et à mesure du concert que ta voix saturée influence ta voix claire, ou inversement ?

Clairement, à la fin du concert, la voix clean ramasse dans la gueule ! [Petits rires] Pour moi, c’est ça la difficulté. C’est d’arriver à garder un pitch parfait. En tournée, c’est encore pire ! Tu joues vingt-six concerts en vingt-six jours… Il y a vraiment plein de facteurs. Moi, j’ai énormément de problèmes pour dormir, par exemple, et quand tu prends des cours de chant, on te dit que le premier truc pour récupérer, c’est de bien dormir. C’est super important. Des fois, j’ai dû annuler quelques shows parce que le corps humain ne réagit pas toujours comme tu aurais envie qu’il réagisse. Et si tu grilles ta voix clean, je pense que tu pourras toujours crier, certainement pas aussi bien, mais avoir cette voix clean propre, c’est très compliqué.

Quand tu chantes en voix saturée, vises-tu une note à l’intérieur de ton scream ? Ou est-ce que tu cherches un son global du style grave, medium ou aigu ?

Je vais plutôt essayer de choper la note. C’est plutôt comme ça, je pense. C’est plutôt l’instinct, je dirais. De toute façon, je ne peux pas faire tous ces cris… Il y a des mecs, comme ils crient, je me demande toujours comment ils font, comment c’est possible. Je ne dirais pas les high pitch screams et tous ces trucs, mais les growls, vraiment low, je ne sais absolument pas comment ils font ça. Moi, c’est plutôt à l’instinct. Puis en général, je n’ai pas besoin de chercher la note. Si je la cherche, ça veut dire que je suis faux.

Indépendamment des concerts et des répétitions, as-tu développé des exercices que tu fais de manière régulière ? Entretiens-tu ton scream et ta voix claire ?

Du warm-up, des exercices vocaux, j’en fais, oui. Au début, je n’en faisais pas, mais maintenant oui, parce que je me suis rendu compte que ça t’aidait à tenir sur la longueur, que ça soit en tournée, ou même quand il s’agit de jouer une heure et demie… Ça aide, un warm-up. Pas besoin d’en faire une heure, c’est trop, mais déjà dix minutes, c’est déjà un grand gain.

Est-ce que tu fais des vocalises ?

Il m’est arrivé d’en faire. Je dois dire que j’ai des périodes. Des fois, je bosse énormément ma voix et après, je ne la bosse plus pendant deux mois. C’est peut-être parce que je switche vers quelque chose d’autre. Mais ça m’arrive d’être en période de chant, j’ai fait plein de gammes, du solfège, j’ai chanté à l’église quand j’étais tout gamin, dans des chorales, etc.

Aujourd’hui, as-tu des rituels, avant ou après un concert ? Ou alors, si tu sais que dans quelques semaines tu dois entamer une tournée, as-tu développé une hygiène particulière pour que ça se passe bien ? As-tu des interdits ?

Je pense que je suis vraiment un mauvais exemple. Je n’ai pas vraiment de rituel. J’ai fait des erreurs, et je les ai refaites… [rires] Et je pense que je vais les refaire dans ma vie !

Quel genre d’erreurs ?

Boire, trop ! Boire un petit peu, ça va, mais boire trop… C’est le genre de truc qui se passe en tournée parfois. S’il y a un soir où ça s’est mal passé, qu’il y a une bouteille qui traîne là, et que tu as commencé trop tôt à boire, tu en payes le prix… Ça m’est déjà arrivé. Mais maintenant, je suis quand même bien plus focus. Quand tu sais qu’il y a du monde, tu dois quand même assurer un minimum. Mais j’ai lu plein de trucs, par contre, comme des gens qui après des concerts font des petits trucs de voix de tête, il paraît que c’est vraiment bien pour récupérer. Par contre, spécialement avant les concerts, j’essaye de me faire dix à trente minutes de warm-up. Ça aide vraiment. Pendant cinq ans, je ne l’ai pas fait, et maintenant que je le fais, je vois quand même la différence.

En termes de construction de ton scream et de ta voix en général, est-ce que tu l’as fait en autodidacte ? As-tu pris des cours ? Est-ce qu’il y a un autre chanteur qui t’a donné des clés pour avancer ?

Totalement en autodidacte, à l’oreille. J’avais pris des cours de solfège quand j’avais treize, quatorze ans, pendant deux ou trois ans. C’était une prof qui faisait de l’opéra, donc c’était avant que je commence à crier, mais c’est important pour le coffre. Après, je fais en autodidacte. Je vais pas mal sur Internet, sur YouTube, où tu chopes des vidéos de mecs qui te montrent des exercices, ou Melissa Cross… Il y a plein de gens sur Internet, si tu fouilles un peu, tu trouves plein d’exercices sur tout. Même sur comment crier ! Maintenant, il y a un nouveau style de cri, le false chord, j’ai regardé, mais je n’y arrive pas encore !

« Il y a des fois des lignes de chant que je prends une octave plus bas, si je sens que ça ne sert à rien de forcer. […] Mais je n’aime pas trop faire ça. J’irai plus la forcer à l’octave normale que la prendre plus bas. J’essaye de rester fidèle à l’œuvre, quitte à souffrir un peu. »

Justement, connais-tu, d’un point de vue technique la catégorie de scream que tu utilises ?

Non, je ne sais pas. C’est un truc qui ne m’intéresse pas, en fait. Tout ce buzz est arrivé dans les années 2000, où tout ça a commencé à un peu changer. Je ne m’y suis pas trop intéressé, surtout que ce sont souvent les journalistes qui disent qu’untel est typé comme ci, ou qu’un autre fait ça. Je ne pense pas que je vais changer ma manière de crier, vu que ça me convient à moi, comment c’est. Et je pense que chaque personne doit trouver sa voix, d’une certaine manière, si je peux me permettre !

Est-ce qu’aujourd’hui, si quelqu’un avait envie de reproduire ton scream, et qu’il venait te voir en te demandant des conseils, des clés, tu te sentirais de le guider ?

Totalement. J’ai déjà pas mal de personnes qui m’ont envoyé des messages. Mais je me sens un peu bête dans ces situations. Déjà, rien que toi, quand tu me dis ça, j’ai l’impression que j’ai un cri vraiment typé. Moi, je ne le remarque pas. Ta voix est vraiment personnelle, en général. C’est quelque chose qui m’est venu naturellement, à force de travailler. Mais avec plaisir, je pourrais donner des cours, ça ne me dérangerait pas. Si je peux apporter quelque chose !

Est-ce qu’il y a des chanteurs, des chanteuses, des musiciens qui t’ont influencé, et qui sont la pierre angulaire de ta construction vocale ?

Clairement ! Je suis un énorme fan de Tool. Maynard James Keenan restera mon mentor. Je pense que mes exercices, ça a été un peu lui. En même temps, ça ne correspond pas vraiment au cri, parce que Maynard ne crie pas tellement. Il criait, à l’époque, à la limite… Mais c’est plus sa manière de poser la voix, j’analyse pas mal, je suis vraiment hypnotisé par cette voix. C’est mon influence principale, clairement.

As-tu un morceau de Tool qui est ta référence au niveau vocal ?

Il y en a plusieurs, mais un morceau difficile, c’est « The Pot ». C’est vraiment un morceau difficile à chanter.

Quand tu expérimentes le scream, que tu commences à le bosser, et même après, souvent, tu peux ressentir des douleurs à la gorge, des brûlures, ou encore des extinctions de voix. Il y a pas mal de profs qui disent que quand tu commences à te faire mal, c’est que tu ne le fais pas de la bonne manière. Qu’en penses-tu ? Quelle a été ta relation avec la douleur quand tu as commencé dans ta carrière ?

Je pense qu’ils ont clairement raison. Mais imagine que tu sois sur scène, que tu commences à ressentir des douleurs, et qu’il te reste trente-cinq minutes de concert. Tu sais que tu vas de toute façon devoir le faire, et même forcer un peu. Tu n’as pas vraiment le choix, tu ne vas pas arrêter le concert pour ça. Il y a clairement des manières de crier qui sont vraiment différentes, et il y a certainement des trucs que je fais mal ! J’en avais d’ailleurs parlé avec Johannes [Persson], le mec de Cult Of Luna… Après, c’est difficile de changer, après tant de temps. C’est beaucoup de boulot. C’est peut-être plus facile quand tu es jeune. Je pense que c’est le souffle qui y fait énormément, la confiance en soi aussi. Je pense que ce sont les deux facteurs principaux. Je sais que des fois, je suis sur scène, et je le fais mal, je le sens, et je force ! Il y a plein de facteurs qui entrent en jeu sur scène, si tu bouges beaucoup, le souffle, les lumières, la chaleur, ce n’est pas vraiment quelque chose que tu expérimentes quand tu es en répète, où tu es généralement posé, dans un endroit assez confortable… En live, il y a encore l’énergie du public qui te booste d’une certaine manière.

À l’époque qui précédait la composition de l’album Pelagial, dans les vidéos qui avaient été mises en ligne par The Ocean, il avait été expliqué que tu avais eu une période très compliquée, qui risquait de compromettre l’enregistrement du chant pour l’album. Est-ce qu’avec du recul, tu saurais identifier le pourquoi du comment ?

Oui, j’avais eu des nodules sur les cordes vocales. Et c’est dû à trop de concerts en une année. C’était une année où nous tournions vraiment beaucoup, et puis avec tous les trajets en avion, avec l’air conditionné… Ce sont tous des trucs qui te démontent la voix, et puis j’étais vraiment usé, vraiment mal en point vocalement. Il m’a fallu plusieurs mois où je ne faisais pas du tout de chant pour récupérer. Je n’ai pas eu d’opération ou quoi que ce soit. J’aurais pu, mais se faire de nouveau opérer, c’est toujours compliqué… Je ne l’ai pas fait et puis par chance, c’est revenu. Mais je trime toujours parfois, je te rassure ! [Rires]

Dirais-tu que ça t’a permis de mettre des limites dans tes capacités, et de te dire : « Ça, je sais que ça ne va pas être possible, c’est un rythme trop effréné. » Est-ce que ça t’a donné un cadre dans lequel tu sais placer ta limite ?

Pas trop [petits rires]. Je devrais, mais pas trop ! Il y a des fois des lignes de chant que je prends une octave plus bas, si je sens que ça ne sert à rien de forcer. Ce sont aussi des trucs instinctifs. Dix secondes avant la partie, tu sens que tu vas peut-être trop souffrir, donc tu prends plus bas… Mais je n’aime pas trop faire ça. J’irai plus la forcer à l’octave normale que la prendre plus bas. J’essaye de rester fidèle à l’œuvre, quitte à souffrir un peu. Plein de profs de chant diraient que non, ce n’est pas très bien… Je pense que dans les concerts, il y a vraiment l’énergie du public qui te porte. Je me souviens que des fois, avant le concert, je n’étais vraiment pas bien vocalement, et tout d’un coup, tu as comme une vague de positive attitude qui vient du public, qui t’emporte et qui te fait oublier tout ça, et ça te fait sortir des trucs incroyables !

Ça fait du coup écho à ce que tu disais en termes de confiance en soi ?

Exactement. L’inverse peut arriver aussi. Des fois, tu es tout à fait au top, et d’un coup, il se passe quelque chose dans ton in-ear ou n’importe quoi, ça te fout dedans, et ça te fait faire tout l’inverse. Ça, c’est la magie du live, pour moi. Ça va tellement vite… Ce qui est dur, maintenant, c’est que tu revois tout sur les vidéos YouTube, c’est impitoyable ! Je pense que l’énergie du live, c’est un truc incroyable qui est difficile à réaliser tant que tu ne vas pas vraiment sur une scène.

Interview réalisée par en face à face le 22 juin 2019 par Julien Gachet.
Retranscription : Robin Collas.

Site officiel de The Ocean : www.theoceancollective.com

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