Long Distance Calling n’a pas froid aux yeux. L’une des figures de proue du post-rock allemand, réputé pour sa méticulosité dans le développement de ses thématiques, veut répondre en musique à une question très simple : comment voulons-nous vivre ? C’est littéralement le titre de leur septième opus, How Do We Want To Live? Long Distance Calling s’interroge sur la cohabitation entre la technologie et l’humain et la possibilité d’une harmonie entre les deux. Le questionnement de Long Distance Calling est évidemment un parallèle à notre époque. Le groupe considère que l’humanité est à la croisée des chemins : son développement technologique peut s’orienter vers une utopie comme une dystopie. Dans quelle mesure les découvertes et nouvelles prouesses scientifiques et technologiques s’associent à la notion de progrès ? Où se situe la frontière entre dépendance et émancipation ? Autant de problématiques graves qu’How Do We Want To Live? aborde avec le soin caractéristique du quatuor.
« Curiosity is a real bastard » : Long Distance Calling donne le ton en interpellant dès les premières secondes l’auditeur sur l’ambivalence de la course effrénée aux découvertes. Le groupe conserve son fonctionnement quasi instrumental en introduisant seulement des samples de voix qui viennent ponctuer les compositions à l’instar de Nordic Giants. On sait dès lors que Long Distance Calling n’apportera pas de réponse explicite à sa réflexion. C’est à l’auditeur d’appréhender la musique comme il l’entend et de formuler ses réponses avec ce qu’il en retire. Long Distance Calling a bien entendu pris le soin d’incorporer des éléments électroniques tout au long du développement. Les premières secondes de « Curiosity Part.1 » empruntent quelques termes du vocabulaire de Vangelis, remémorant inévitablement le Blade Runner de Ridley Scott. La rythmique binaire et les effets d’arpégiateur qui introduisent « Curiosity Part. 2 » s’accordent parfaitement avec l’atmosphère sci-fi créée sur ce disque. Long Distance Calling rappelle ici parfois la fibre artistique du Alan Parsons Project (« Voices » a presque des allures de « Sirius part 2 »). D’ailleurs, tout comme le célèbre producteur-compositeur-musicien, Long Distance Calling a un côté maniaque : le travail du son est remarquable de précision et toute sa musique doit conserver la cohérence thématique. Il y a une fusion omniprésente entre les éléments purement électroniques, une sensibilité plus humaine (les soli) et une interprétation hybride : des sonorités froides au jeu suffisamment nuancé pour ne pas être perçu comme le fruit d’une machine. « Hazard » et son phrasé de guitare tout droit issu des canons du post-rock (Pg. Lost et Caspian ne sont pas loin) rappellent que Long Distance Calling est capable de véhiculer des émotions complexes en se passant du medium de la voix. Les notes hypnotiques de « Voices » et ses arrangements nébuleux ont une parenté avec la world music. Long Distance Calling s’amuse en permanence avec des gimmicks de jeu robotiques (la ligne de basse ronflante de « Voices ») et des évolutions mélodiques très fluides.
Long Distance Calling en vient donc logiquement à visiter certains territoires de l’électro et du trip-hop, à l’image des deux titres de conclusion, le tourmenté « True / Negative » et le plus apaisé « Ashes », et de « Fail / Opportunity ». Ce dernier illustre par son titre cette dichotomie homme/machine avec un violon qui évolue aux côtés de sons électro. C’est encore à l’auditeur de statuer sur la conjugaison des deux éléments : fusion ou incompatibilité. Au-delà du goût du détail obsessionnel de Long Distance Calling, c’est sa versatilité qui fait fonctionner les instrumentaux d’How Do We Want To Live?. « Sharing Thoughts » va se présenter par des élans pop tandis qu’« Immunity » ou « Voices » vont proposer un riffing plus acéré et prononcé, aboutissement de montées progressives en intensité. Seul « Beyond Your Limits » profite de quelques lignes de chant. Malgré une exécution raisonnable, la philosophie instrumentale de Long Distance Calling se montre bien supérieure en termes de vecteur émotionnel. « Beyond Your Limits » à la voix très produite (œuvre d’Eric A. Pulverich) n’a pas la même subtilité que ses prédécesseurs, il est une hybridation plus grossière et simpliste. Le titre se sauve par son efficacité mélodique qui n’hésite pas à parfois toucher du doigt Nickelback, ne serait-ce qu’un instant.
Sans aller jusqu’à être considéré comme une « version moderne de Pink Floyd » pour reprendre les dires du groupe (quoique cette influence et celle de celui qui fut l’ingénieur de Dark Side Of The Moon soient évidentes, dans les notes de guitares pleines de sustain et la manière d’utiliser les sonorités synthétiques), Long Distance Calling démontre son talent indéniable pour accorder sa musique avec la problématique choisie. Les instrumentaux jouent sur cette relation tendue entre l’humain et la machine de toutes les façons possibles, que ce soit par le biais d’arrangements ou les registres utilisés. How Do We Want To Live? réussit parfaitement à susciter la réflexion qu’il vient nourrir par un univers savamment ciselé et immersif.
Clip vidéo de la chanson « Voices » :
Chanson « Hazard » :
Album How Do We Want To Live?, sortie le 26 juin 2020 via InsideOut Music. Disponible à l’achat ici