Au fond, Mr. Lordi est resté un sale gosse à qui on a trop souvent dit oui et qui profite de cette liberté pour réaliser tous ses rêves, même les plus incongrus. Le dernier en date, et pas des moindres : réaliser et rassembler au sein d’un coffret intitulé Lordiversity toute une discographie comme si le groupe avait existé depuis 1975, bien avant sa formation réelle en 1992 et son premier album, Get Heavy, en 2002. Une idée née à la suite de l’album Killection (2020), qui se voulait être le best of de cette discographie, encore fictive quand il a vu le jour en 2020, et rendue possible par la pandémie et les confinements successifs. De dix albums initialement, Lordi a finalement accepté le compromis de sa maison de disques demandant à réduire à sept albums, chacun ancré dans une période de temps et un style donné, se conformant aux pratiques de composition, d’enregistrement et d’écriture de textes d’époque, jusqu’à rejoindre la production réelle des Finlandais en 1995.
Un projet monumental et laborieux ? Pas vraiment, à en croire un Mr. Lordi sûr de lui et à qui il n’a pas fallu plus de trois mois pour composer et neuf pour enregistrer les soixante-dix-huit morceaux. Il y avait même du rab… Le fantasque et sympathique frontman nous raconte sa nouvelle « folie » dans l’entretien qui suit et précise comment il a pensé et conçu Lordiversity, portant subitement sa discographie à un total de dix-sept albums.
« Il m’a fallu une heure et quinze minutes pour convaincre notre A&R. Puis il a dit que la seule raison pour laquelle il disait oui était qu’il savait que notre maison de disques et notre manageur allaient nous envoyer chier et que ça n’allait pas se faire [rires]. »
Radio Metal : L’idée de faire Lordiversity t’est venue en mars 2020, après l’annulation de votre tournée à cause du Covid-19. Tu t’es dit que tu devais utiliser ce temps qui t’était offert. Mais entre profiter du temps qu’on a pour faire un nouvel album, comme l’ont fait certains groupes, et faire quasiment l’équivalent d’une carrière en quantité de musiques, il y a une sacrée différence. Qu’est-ce qui t’a fait penser que c’était réaliste ?
Mr. Lordi (chant) : C’était juste une idée folle que j’ai eue. Pendant un instant, j’ai moi-même douté. Mais toutes les autres idées que j’avais pour le prochain album ne me faisaient pas sourire, alors que celle-ci me donnait carrément la banane voire me faisait éclater de rire. J’étais là : « Ça serait tellement dingue que le prochain truc que nous sortons soit la discographie fictionnelle complète. » Quand on y pense, aujourd’hui nous avons dix albums studio et avec ça, nous allons presque doubler notre putain de discographie ! Je voulais d’ailleurs faire dix albums, mais AFM Records a dit : « Non, c’est insensé, sept suffira. » C’était donc un compromis. C’est dingue de se dire que, par exemple, Kiss a vingt albums studio, et nous, nous avons maintenant dix-sept albums.
J’ai vu une opportunité et je l’ai saisie, parce que je savais déjà que cette situation avec le coronavirus n’allait pas s’améliorer en une semaine ou deux, voire même un mois ou deux. La plupart des gens me disaient que ça allait avoir disparu d’ici à la saison des festivals 2021 ou à l’automne, mais je savais que ça n’allait pas se passer comme ça. C’est mathématique, parce qu’il ne s’agit pas du virus mais des gens, et les gens sont complètement stupides. Il ne faut jamais sous-estimer la stupidité des gens. J’avais encore plus raison que je ne le pensais. Je savais que nous allions avoir beaucoup de temps à notre disposition, donc nous avons fait ça [rires]. Et j’ai donné tort à tout le monde parce que beaucoup de gens étaient très sceptiques, ils ne pensaient pas que ça allait être possible. Je suis fier de dire que nous l’avons fait. J’ai composé les albums en trois mois et nous avons enregistré les sept albums, mixage et mastering compris, en neuf mois. Donc nous aurions même facilement pu faire dix albums. Ce n’était même pas dur !
Tu as mentionné que le label trouvait que dix albums c’était trop. Dans quelle mesure as-tu été obligé de négocier avec eux pour trouver un compromis ?
Tout le monde dans le groupe était partant et il m’a fallu une heure et quinze minutes pour convaincre notre A&R. Puis il a dit que la seule raison pour laquelle il disait oui était qu’il savait que notre maison de disques et notre manageur allaient nous envoyer chier et que ça n’allait pas se faire [rires]. J’ai appelé notre manageur qui m’a dit : « C’est la meilleure idée que tu as jamais eue ! » Il a commencé à en parler au label et ça a été un peu difficile, parce qu’ils n’ont pas dit oui, mais ils n’ont pas non plus dit non. Ça les intéressait, mais évidemment, ils avaient peur parce que ça n’avait jamais été fait avant. Ce n’était pas simple. Il a fallu peut-être deux ou trois mois avant que la maison de disques donne son accord. Et l’une de leurs conditions était que dix étant trop, ils voulaient en faire sept, donc c’était un compromis.
Je les comprends, car quand on y réfléchit, ils doivent penser à tout le marketing, le merch, la logistique et le côté financier. Ce n’est pas pareil de sortir dix albums ou même sept albums que de n’en sortir qu’un seul. Je ne pense pas que ça représente forcément sept fois plus de boulot, mais c’est différent. Nous avons beaucoup discuté de la manière de les sortir, du planning de sortie et de la façon dont nous les commercialiserions et en ferions la promotion. J’étais convaincu qu’ils devaient sortir tous ensemble. Dans ma tête, ce n’est pas sept albums, c’est un seul album. C’est juste qu’il est putain d’énorme. Il y a des groupes qui ont fait des doubles albums ou même des triples albums, mais personne n’a encore fait ça. Je ne sais même pas quel terme il faut utiliser pour sept albums ! [Rires] C’est donc difficile parce qu’évidemment, quand tu as sept albums en un, ça veut dire que ça ne sera pas le même prix pour le consommateur qu’un album simple. Du coup, comment convaincre les fans de l’acheter ? Bien sûr, ça ne coûtera pas sept fois le prix, mais ça reste bien plus cher qu’un seul album. Il y a tout un tas de problématiques financières qui doivent être examinées. Mais nous voilà, ça sort ! [Rires]
« Je suis très imbu de moi-même et sûr de mes capacités. Je sais ce que je fais. J’ai toujours à cent vingt pour cent cru en moi. »
Annoncer sept albums, c’est clairement extravagant : est-ce que c’est ça ton idée du rock n’ roll ?
Je ne sais pas si c’est rock n’ roll et je ne sais pas non plus si c’est extravagant. Si j’ai une idée, peu importe à quel point c’est fou, je ferai tout mon possible pour qu’elle se concrétise. C’est plutôt ça. C’est très dur de me faire changer d’avis quand j’ai une idée que je pense être bonne, comme pour Lordiversity par exemple. Donc je ne sais pas à quel point c’est rock n’ roll ou extravagant, c’est juste quelque chose que, selon moi, nous devions faire. Evidemment, au final, c’est la faute de la maison de disques parce qu’ils ont dit : « D’accord, on le fait. » Tant que j’ai une ouverture quelque part me permettant de réaliser mes idées folles – dans le cas présent, c’est le label –, je pense que la responsabilité du côté rock n’ roll ou extravagant revient à ceux qui me l’offrent ! [Rires] Je peux lever les mains en l’air et dire que ce n’est pas de ma faute, qu’ils ont dit que je pouvais le faire, que j’avais la permission !
Vous aviez donc, en gros, une année pour écrire et enregistrer ces albums à la manière de leurs époques respectives. Ça a quand même dû être la course. Comment as-tu organisé ton temps, la logistique et cette année pour aller au bout de ce projet ?
Connaissant pas mal de collègues au sein d’autres groupes, je sais que ça n’aurait pas été possible pour nombre d’entre eux ou d’autres groupes et artistes. Pour notre part, nous avons toujours eu un problème de riche, mais qui reste un problème : je suis très créatif. Quand je commence à composer, je ne m’arrête pas et j’écris plein de choses. Pour un album de Lordi moyen, s’il contient dix chansons, ça veut dire que j’ai fait des démos de vingt à soixante chansons en tout. Nous n’avons jamais manqué de matière parce qu’il y en a tout le temps trop.
Une fois que j’ai eu l’idée de faire Lordiversity, j’ai juste attendu le feu vert du label, car j’ai besoin d’une motivation. C’est quelque chose qu’il me faut parce qu’autrement, je ne bougerai pas mes fesses et ne me mettrai pas au travail avant de savoir que je ne vais pas le faire pour rien. Je ne vais pas le faire pour mon simple plaisir. Il me faut une motivation. Donc dès que j’ai eu le feu vert de la maison de disques, j’ai commencé à travailler sur les chansons et je travaille vite. J’ai écrit ces sept albums durant l’été 2020 – juin, juillet et août – et je les ai écrits par ordre chronologique, le premier étant Skelectric Dinosaur. J’ai d’abord composé ce premier album, puis j’ai fait une pause pendant quelques jours et j’ai composé Superflytrap, l’album disco de 1979. C’est ma manière de fonctionner. A l’arrivée, fin août, les chansons étaient déjà toutes prêtes pour chacun des albums. Et il me reste environ quarante-cinq chansons qui ne sont pas présentes dans le coffret Lordiversity.
Après ça, nous sommes allés en studio et nous avons d’abord enregistré le premier album. Nous avons pris notre temps et nous avons enregistré ça. Puis nous avons fait une petite pause et nous avons enregistré le suivant. En gros, ça a pris un peu plus d’un mois, peut-être cinq ou six semaines pour que chaque album soit enregistré. C’était facile, ce n’était même pas dur. La raison pour laquelle ce n’était même pas dur, c’est qu’il n’y avait rien à faire pendant le confinement, on devait rester à la maison. De toute façon, j’adore ça. J’adore être seul chez moi, j’adore faire mes trucs en paix et en privé. Je fais de grosses journées. Généralement, je me lève à onze heures du matin voire à midi et je me couche vers quatre ou cinq heures du matin. Là où je travaille le mieux, c’est quelque part entre dix et onze heures du soir jusqu’à trois ou quatre heures du matin. Je travaille beaucoup la nuit. C’était en fait très libérateur pour moi. C’était tellement amusant. J’en ai aimé chaque minute. Enfin, peut-être pas chaque minute, mais disons la plupart des minutes [rires].
Je dois te dire que je suis probablement l’une des rares personnes sur la planète à être triste que le confinement commence à s’effriter et que le monde revienne à la normale. J’ai adoré tout ce truc avec le coronavirus. Enfin, pas le virus lui-même, mais j’adore le fait qu’on était obligés de ralentir. C’était parfait pour moi, même si j’étais probablement plus occupé que jamais auparavant avec ce truc, mais j’étais occupé à faire quelque chose que j’adore faire. Soyons honnêtes, sans le coronavirus et le confinement, ceci n’aurait pas été possible.
« Avec tout mon amour et tout le respect que je dois à tous les fans de Lordi, je n’en ai rien à foutre de ce qu’ils pensent. »
Tu as dit que tu en avais aimé presque chaque minute. Qu’est-ce que tu n’as pas aimé ?
Il y avait des dates butoirs que je devais respecter. Pas durant le processus de composition, mais vers la fin, des dates avaient déjà été décidées et elles s’empilaient les unes sur les autres. Depuis le tout début de Lordi, j’ai toujours tout fait. Je fais les masques, je fais les costumes… Nous n’en avons pas fait de nouveaux cette fois pour des raisons évidentes. Nous avons pu utiliser les derniers pendant seulement un mois avant que le coronavirus arrête tout. Ça aurait été du gâchis de masques et de costumes parfaitement viables. Je fais toutes les illustrations d’albums, toute la partie graphique, les peintures et la mise en page pour les CD et les vinyles. Je fais tout le merch aussi. Tout ce qu’on voit chez Lordi est fait avec mes deux mains parce que je veux que ce soit ainsi. Je n’y ai pas vraiment pensé au début mais quand tu sors un coffret de sept albums, ça implique qu’il faut faire sept fois le boulot. Toutes les dates butoirs s’écrasent sur toi.
Le boulot de musicien, ça allait. Pour composer et enregistrer la musique, il n’y avait pas de problème. J’ai produit tous les albums et ça aussi c’était plus que bon. Mais après ça, c’était là les moments que je n’ai pas aimés. Tout d’un coup, tu te retrouves avec plein de trucs que tu veux faire toi-même et que tu fais avec grand plaisir, mais qui s’empilent avec des deadlines à respecter ou sinon la sortie est compromise et ça ne sortira pas quand tu veux que ça sorte. Des fois, quelqu’un organisait une fête et m’invitait à venir chez lui pour prendre un whiskey ou je ne sais quoi, mais j’étais là : « Non, désolé, je ne peux pas. Il faut que je fasse cette illustration d’album pour demain matin, autrement ça ne partira pas à l’impression. » D’un autre côté, c’est un choix que j’ai fait. La seule personne que je peux tenir pour responsable est là devant moi quand je me vois dans la glace.
Vu que ça fait pas moins de soixante-dix-huit morceaux, comment es-tu parvenu à maintenir la qualité avec une telle quantité ? Ne craignais-tu pas de devoir rogner sur la qualité des chansons ou de te retrouver avec trop de similarités d’une chanson à l’autre ?
Comme je l’ai dit, il y avait même des chansons que j’ai laissées de côté parce qu’il n’y avait pas de place pour les inclure. C’est comme un film, tu peux avoir les meilleurs effets spéciaux et le plus gros budget, si le scénario est nul, il est nul. On a un dicton en Finlande : « C’est la quantité d’entraînement qui fait le champion. » Quand je suis concentré à composer, plus je compose, meilleures sont les chansons que je compose. Je ne craignais même pas ça. Je sais qu’il y avait quelques sceptiques autour du groupe mais je leur ai prouvé qu’ils avaient tort de douter, parce que je pense que sur ces sept albums, il n’y a pas un seul putain de morceau de remplissage. Je n’en vois aucun dans tous les albums de Lordi, y compris dans ceux-là. Je n’ai pas l’impression que la moindre chanson est là juste parce qu’il fallait une chanson supplémentaire ou quelque chose comme ça. Je compose avec l’intuition. Je ne planifie ou n’analyse pas ce que je compose parce que quand j’écris une musique, des chansons, des riffs, des mélodies et des harmonies, je suis mon instinct et ce qui me paraît bien sur le moment. Ça n’a jamais été un problème. Tant que les chansons sont bonnes et que je ne fais que composer pour moi-même, tant que je trouve que telle chanson est super, je continue à avancer. Et si quelqu’un d’autre aime, c’est du bonus.
Quand tu vas en studio, tu as un plan très strict. Comme je l’ai dit, j’étais le producteur, donc j’avais une vision claire de chaque morceau de l’album et de la façon dont ils devaient sonner. Nous avons établi un plan sur la manière de les enregistrer et je suis super fier du résultat final. Je sais que, d’après les retours que j’ai eus jusqu’à présent – de la part d’amis et de journalistes –, c’est assez époustouflant. Le son est très différent sur chaque album. Ça sonne comme si ça venait de différentes époques voire de différents groupes. Je suis très imbu de moi-même et sûr de mes capacités. Je sais ce que je fais. J’ai toujours à cent vingt pour cent cru en moi. Si tu me demandes de courir ou de faire n’importe quel sport, je serai nul, mais si tu me demandes de composer de la musique dans un style que j’aime ou me parles de monstres et de maquillage, je maîtrise. Pour répondre à ta question, pas une seule seconde j’ai douté. Je savais que je pouvais assurer.
« A l’époque, on disait que c’était stupide, ridicule et pathétique que Kiss change de style tous les deux ans pour essayer de suivre la mode, mais il se trouve que ça éduquait plein de gosses comme moi. Je pense aimer une plus grande variété de styles qu’un fan de metal moyen, et c’est seulement parce que je suis un fan de Kiss. »
Tu as mentionné une grande variété de références pour chacun de ces albums : Earth, Wind & Fire, Boney M et Bee Gees pour Superflytrap, Rush et Pink Floyd pour The Masterbeast From The Moon. W.A.S.P., Twisted Sister, Kiss et Scorpions pour Abusement Park, Bon Jovi, Desmond Child et Alice Cooper pour Humanimals. Anthrax, Metallica et Pantera pour Abracadaver. Est-ce que celles-ci ont servi de boussole musicale vers laquelle tu te tournais dès que tu avais des doutes sur la direction que prenait une chanson ou est-ce que c’était juste de vagues limites dans ton esprit pour rester focalisé ?
Ces sept albums représentent les styles de musique qui constituent les morceaux normaux de Lordi. J’ai utilisé cette métaphore : pensez à Lordi comme si c’était une pizzeria. C’est une pizzeria qui n’est ouverte environ que tous les deux ans, quand elle sort un nouvel album, c’est-à-dire une nouvelle pizza. Donc vous y allez et vous prenez toujours la même pizza, vous savez ce que vous allez manger : une pizza avec du pepperoni, du piment jalapeño, de la tomate et du fromage. Vous commandez ça tous les deux ans, dès que la pizzeria ouvre et vous savez à quoi vous attendre, même si parfois il y a un peu plus de pepperoni ou de piment et ainsi de suite. Cette fois, il y a sept pizzas différentes avec des goûts distincts. Une pizza est au fromage, une au pepperoni et ainsi de suite. Pour moi, tous ces styles font partie de la musique de Lordi parce que ce sont mes influences. Maintenant, ils ont juste été extraits et séparés les uns des autres, mais si vous les réunissez dans ma tête et mélangez la soupe, vous obteniez du Lordi standard. Car il faut un petit peu de disco, un petit peu d’AOR et un petit peu de thrash pour faire un album de Lordi normal.
C’était ma façon de composer et de me mettre dans l’ambiance de chaque album. Prenons par exemple l’album disco ; j’ai fait ça quasiment pour chaque album. Pendant deux ou trois jours, je n’écoutais que du Boney M, du Bee Gees, du Earth, Wind And Fire, du Donna Summer, du Village People et ce genre de chose. J’écoutais toutes sortes de compilations, d’albums de disco, etc. Après avoir écouté ces chansons pendant deux jours et rien d’autre, j’ai pris la guitare ou le clavier et j’ai commencé à composer. C’était comme un lavage de cerveau, mon esprit était totalement imprégné de cet univers et je savais d’emblée le genre de chose qu’il fallait que j’écrive, je connaissais les règles. S’il y avait autre chose à la radio, je l’éteignais. S’il y avait autre chose à la télé, je changeais de chaine. Je voulais m’immerger dans cet univers. Donc ça n’a même pas été difficile à faire. J’ai fait ça pour me mettre dans l’état d’esprit d’un style donné pour chacun des albums, sauf le dernier. C’était vraiment amusant à faire !
Pourquoi était-ce différent pour le dernier ?
Le dernier c’est Spooky Sextravaganza Spectacular. Il est censé dater de 1995. Lordi existait déjà depuis trois ans à l’époque. Je n’avais pas du tout besoin d’écouter du Clawfinger, du Rob Zombie, du Ministry, du Depeche Mode ou du Nine Inch Nails pour cet album. Tout ce que je devais faire – et ce que j’ai fait – c’était écouter les vieilles démos de Lordi. C’est exactement comme ça que Lordi sonnait en 1995, c’est exactement le genre de musique qu’on retrouvait sur les démos de Lordi de l’époque. C’était en fait comme un retour aux sources. Par coïncidence, en 1995 dans la vraie vie, c’était l’année où la première chanson de Lordi est officiellement sortie sur une compilation CD dans ma ville d’origine, sur laquelle on retrouvait de jeunes groupes locaux. Tout le monde avait une chanson dessus, donc Lordi y est présent avec une chanson qui s’appelle « Inferno ». Pendant un instant, j’ai songé à réenregistrer cette chanson pour rattacher la réalité à la chronologie fictionnelle et à l’univers alternatif, si tu veux, pour les mélanger et boucler la boucle en 1995. Mais la raison pour laquelle je n’ai pas mis « Inferno » là-dedans, c’est parce que c’est une chanson merdique [rires]. Je trouve cette chanson vraiment nulle.
La dernière fois qu’on s’est parlé pour Killection, tu nous as dit qu’en studio, la grande différence était avec les chansons des années 70. C’est une chose d’enregistrer une chanson ou deux sur bande vingt-quatre pistes, c’en est une autre de faire tout un album comme ça. Penses-tu que Killection vous a préparés pour ça, un peu comme un tour de chauffe, ou avez-vous été encore plus loin dans ces vieilles techniques d’enregistrement ?
Nous n’avons pas été encore plus loin parce que nous avons fait pareil. Nous l’avons fait avec le même ingénieur, le même gars au mixage, le même matériel, le même tout. Nous savions déjà ce que nous allions faire en y allant. Nous ne faisions que compléter l’album. Il y avait déjà « Blow My Fuse » sur Killection et « Carnivore » était un titre bonus sur la version vinyle. En gros, nous sommes allés en studio pour enregistrer le reste de l’album, avec les mêmes paramètres et le même son. C’était comme aller à la maison. Evidemment, la plupart d’entre nous, au moins Amen et moi, nous nous souvenons des années 90 quand nous allions en studio, c’était comme ça qu’on travaillait. Par exemple « Inferno », cette chanson que j’ai mentionnée juste avant, elle été enregistrée dans un studio analogique, sur un vingt-quatre pistes. Ce n’est pas un monde totalement inconnu pour moi, par exemple, mais je peux dire que ça l’était clairement pour Hella parce qu’elle est un peu plus jeune. Je suis prêt à parier que la toute première fois qu’elle est allée en studio avec un groupe quand elle était plus jeune, ils avaient déjà tous ProTools et que tout était fait par ordinateur.
« Je refuse d’être censuré par qui que ce soit. Si je pense avoir une bonne petite idée marrante au sujet de quelque chose et que quelqu’un trouve que ça va trop loin, que c’est trop banal ou trop polémique, ça a plus tendance à m’encourager. »
Il y a une évolution très claire d’un album à l’autre dans cette discographie fictive de sept albums, en termes de son et de style. D’un autre côté, de nombreux fans ont tendance à vouloir toujours la même chose de la part de leurs groupes préférés. Est-ce que ça veut dire que tu ne te reconnais pas dans ce type de fan ?
Avec tout mon amour et tout le respect que je dois à tous les fans de Lordi, je n’en ai rien à foutre de ce qu’ils pensent. Car je ne compose pas pour les fans ; je n’écris pas une seule putain de chanson pour les fans. Je compose tout pour moi. Je suis moi-même un fan de Lordi et Lordi est mon groupe préféré. Ce groupe joue mon type de musique préféré. J’adore l’image qu’il dégage. C’est mon groupe fétiche. Peut-être que Kiss est tout proche. Mais la différence entre moi et les autres fans de Lordi est que je décide de temps à autre de la direction que prend le groupe. Je décide de ce que fait mon groupe préféré. Je suis désolé, mais ce n’est pas le cas des autres fans. J’ai le pouvoir de décider. Evidemment, je sais par expérience que certains fans de Lordi aiment certains types d’albums et que d’autres aiment d’autres styles. Mais encore une fois, je ne peux pas penser à ça. Je ne suis pas là pour plaire à qui que ce soit d’autre, pas même aux fans. Je compose et fais des choses uniquement pour me faire plaisir, peu importe ce que c’est à un instant donné. Si les fans ou d’autres aiment, c’est du bonus. C’est ma manière de penser. Si vous n’aimez pas, personne ne vous met un flingue sur la tempe pour vous obliger à écouter, vous n’avez qu’à aller manger ailleurs. Ne mangez pas la pizza de Lordi si ça ne vous branche pas.
Des groupes comme AC/DC ou Iron Maiden, pour lesquels évidemment tout le monde a le plus grand respect, sont probablement les seuls à être parvenus à conserver leur style d’origine et qui ne changeront jamais. C’est leur force. Je suis fan de Kiss et c’est toujours drôle quand on parle à un fan de Kiss. Peu importe l’âge du fan de Kiss ou sa nationalité, il y a des chances qu’il ait des goûts musicaux plus vastes et une meilleure compréhension des différents styles de rock ou de musique en général qu’un fan d’Iron Maiden ou d’AC/DC, parce que Kiss a très souvent changé de style. J’avais déjà été éduqué par Kiss quand j’étais gamin à comprendre qu’ils avaient plein de styles différents, tout en restant le même groupe. On n’aimait pas autant certains albums que d’autres, mais d’un autre côté, on les respectait tous au fil du temps parce que c’était notre groupe préféré. A l’époque, on disait que c’était stupide, ridicule et pathétique que Kiss change de style tous les deux ans pour essayer de suivre la mode, mais il se trouve que ça éduquait plein de gosses comme moi. Je pense aimer une plus grande variété de styles qu’un fan de metal moyen, et c’est seulement parce que je suis un fan de Kiss.
C’est drôle que tu aies mentionné Kiss parce qu’on peut facilement faire un parallèle entre certains albums de Lordiversity et des albums de Kiss : Skelectric Dinosaur serait ton Hotter Than Hell, Superflytrap ton Dynasty, The Masterbeast From The Moon ton Music From The Elder, Abusement Park ton Creatures Of The Night, Humanimals ton Animalize…
Je dirais que Humanimals est Crazy Nights et Abusement Park est en fait Animalize ou Asylum. Mais tu as raison, c’est ainsi que ça a commencé. L’album précédent, Killection, qui était la compilation fictionnelle et qui est à l’origine de la chronologie derrière cette idée de Lordiversity, était basé sur la discographie de Kiss. Bien sûr, au final, il y avait de petites différences : Kiss n’a jamais fait du thrash ou du speed metal, ni de metal industriel dans les années 90. J’ai réalisé que Skelectric Dinosaur était clairement ma manière de composer dans le style des premiers albums de Kiss : Kiss, Hotter Than Hell et Dressed To Kill. Mais la formule de Kiss était déjà brisée avec l’album disco, parce que j’ai réalisé que Dynasty et Unmasked n’étaient pas aussi disco que ça. Je voulais y aller à fond et c’est pourquoi l’album disco de Lordi est plus disco que Dynasty. Pareil pour Music From The Elder, il n’allait pas aussi loin dans la direction progressive conceptuelle que ce que j’ai voulu faire avec Lordi. Les influences principales sont Pink Floyd et Rush, plus que Music From The Elder. Je n’ai jamais eu honte d’admettre mes influences et on peut facilement les entendre.
D’un autre côté, je sais que tu adores l’album grungy Carnival Of Souls, et pourtant tu as fait l’impasse sur le grunge dans Lordiversity, alors que c’était un mouvement important dans l’histoire du rock. Comment ça se fait ?
Parce que je n’aime pas le grunge ! [Rires] Je n’aime vraiment pas. Je n’aimais pas à l’époque et je n’aime toujours pas aujourd’hui, mais j’aime bien Carnival Of Souls. J’aime la version de Kiss du grunge. Pour moi, à l’époque, Carnival Of Souls était le résultat de ce qu’ils avaient commencé sur Revenge. J’adorais Revenge et il reste parmi mes trois albums préférés de Kiss. Pour moi, Revenge et Carnival Of Souls ne suivaient pas la mode du grunge, je voyais plutôt ça comme un plus heavy, dans la même veine qu’un Pantera et peut-être Judas Priest à l’époque. Evidemment, aujourd’hui j’entends les influences grunge dans cet album. J’entends beaucoup de Soundgarden et ce genre de chose. Mais dans le temps, je ne l’entendais pas, je ne les mettais pas dans le même panier.
« Je suis surpris que, jusqu’à présent, de façon générale, Lordi ou moi n’ayons pas encore subi de véritable attaque à propos du sexisme dans nos chansons, car je n’ai pas peur ou honte de dire que certains textes de Lordi sont sexistes. Ils sont pensés pour l’être. »
Le grunge n’a jamais été une influence pour moi et c’est la raison pour laquelle il n’a pas sa place dans Lordiversity. Ce style musical ne m’a jamais impressionné. Quand c’est arrivé, j’ai acheté Nevermind de Nirvana, mais c’était seulement parce que j’avais vu le clip de « Smells Like Teen Spirit » et j’ai beaucoup aimé le riff. Le riff était tellement génial que j’ai voulu acheter le satané album. Je l’ai donc acheté mais le problème était que j’ai trouvé le reste des chansons vraiment ennuyeux. Je n’ai pas beaucoup écouté cet album à l’époque. Par exemple, tout ce « come as you are » [chante], je n’ai pas aimé. Il y a des groupes de grunge, comme Mother Love Bone, que j’ai beaucoup aimés, c’étaient des bons groupes, mais je ne les considérais pas comme du grunge. Ce n’est qu’après que j’ai appris que c’en était. Pour moi, ça n’en était pas, parce que pour moi, le grunge, c’étaient des groupes comme Nirvana, Blind Melon et Pearl Jam, et ça ne me branchait pas. Dès qu’ils éteignaient la pédale de distorsion des guitares, c’est là qu’ils me perdaient.
D’ailleurs, dans le groupe dans lequel je chantais à l’époque, tous mes collègues étaient à fond dans le grunge. Les guitaristes qui composaient toutes les chansons ont commencé à écrire dans le style grunge et je n’aimais pas ça. D’un autre côté, on n’a pas beaucoup de choix quand on vit dans la petite ville de Rovaniemi. C’est drôle, car c’est grâce à ça que Lordi existe et que je te parle aujourd’hui, car ces guitaristes – qui étaient les compositeurs principaux et avec qui je suis toujours ami – refusaient de jouer mes riffs et mes chansons parce qu’ils n’aimaient plus ce style. Quelques années plus tôt, nous étions tous fans de hair metal et de heavy metal. Ils adoraient Scorpions, Iron Maiden, W.A.S.P., Kiss, Twisted Sister et tout ça, mais ensuite, tout d’un coup, ils ont commencé à aimer des groupes de thrash et de speed metal, et ensuite ils sont passés au grunge. Moi, j’étais toujours fan de Kiss, Twisted Sister et Alice Cooper à l’époque. Ils refusaient de jouer mes chansons, ils me disaient qu’elles ne leur correspondaient plus. C’est là que j’ai commencé à faire Lordi, car j’avais ces chansons que je devais sortir de ma tête. Aujourd’hui, environ trente ans plus tard, je suis là à répondre à des interviews et à sortir des albums, tandis que mes amis qui sont passés du côté obscur et se sont mis au grunge sont ingénieurs, directeurs de télévision et ce genre de chose, ils ne jouent plus [rires].
Les groupes en général ne chantaient pas à propos des mêmes choses dans les années 70, 80 et 90. En plus, il y a des thématiques qui peuvent paraître triviales aujourd’hui et qui étaient très subversives voire inimaginables il y a quarante ans. Inversement, il y a des choses qui ne sont plus tellement acceptées – je pense, en l’occurrence, à la façon dont les femmes étaient dépeintes dans les années 80. Du coup, comment as-tu abordé cet aspect ?
Avec Tracy Lipp, mon bras droit et co-parolier, nous avons décidé que nous allions essayer d’écrire les chansons et les paroles dans le style des époques respectives. Nous avons fait tout notre possible pour utiliser des types et des structures de phrases qu’ils auraient utilisés, disons, en 1975 ou en 1979 dans le disco. Mais concernant le contenu, je me fiche des putains de polémiques. Je m’en fiche parce que je refuse d’être censuré par qui que ce soit. Si je pense avoir une bonne petite idée marrante au sujet de quelque chose et que quelqu’un trouve que ça va trop loin, que c’est trop banal ou trop polémique, ça a plus tendance à m’encourager. Il y a un gars qui nous suit depuis 2006, Janne Halmkrona, qui est notre A&R. Dès qu’il pense que nous allons trop loin, qu’il dit : « Eh les gars, allez, c’est trop là », c’est un signe pour Tracy et moi que oui, c’est exactement ce que nous devrions faire, parce que ça dérange déjà Janne.
Je suis d’ailleurs surpris que, jusqu’à présent, de façon générale, Lordi ou moi n’ayons pas encore subi de véritable attaque à propos du sexisme dans nos chansons et tout, car je n’ai pas peur ou honte de dire que certains textes de Lordi sont sexistes. Ils sont pensés pour l’être. D’un autre côté, c’est du divertissement. C’est aussi sérieux que les films d’horreur, les bandes dessinées ou le porno, c’est fait pour vous divertir, et si vous n’aimez pas, personne ne vous met un flingue sur la tempe, vous n’êtes pas obligé d’aimer. Mais ne venez pas me dire ce que je devrais faire parce que personne dans le monde ne me dit quoi faire, allez vous faire foutre ! C’est immédiatement ma réaction quand quelqu’un essaye de m’imposer ce genre d’autorité. Si vous me dites de ne pas le faire, alors absolument, je vais le faire. Si quelqu’un est offensé, c’est son problème.
« Je comprends que j’ai déjà perdu depuis des années la bataille que je mène comme une putain de mule stupide et obstinée, mais je continue de me battre parce que je ne veux pas d’un monde où tout est sur un écran de téléphone portable. »
Le monde a beaucoup changé depuis les années 70 : quel est ton sentiment à propos du monde dans lequel Lordiversity sort par rapport aux époques qu’il représente ?
Ce qui est drôle ici, c’est probablement que les jeunes fans de Lordi ne comprennent pas ou ne pourront pas apprécier les styles et sons qui sont en fait des copier-coller de ceux d’il y a quarante ou quarante-cinq ans. Si j’étais un gamin de quinze ans et que quelqu’un me donnait un album qui sonne exactement comme quelque chose qui a été fait il y a quarante ans, j’aurais dit : « Va te faire foutre. » Ça m’aurait rendu dingue, j’aurais trouvé ça vraiment nul. D’un autre côté, je n’y pense pas trop. Je le vois comme une manière d’éduquer les fans. Ils entendent une chanson de Lordi qu’ils aiment, donc peut-être que ces albums pourraient faire avec eux, ne serait-ce qu’un tout petit peu, ce que les albums de Kiss ont fait avec moi quand j’étais gosse.
Pour revenir à la question, je ne vis pas vraiment dans ce monde et je me fiche de savoir dans quel monde on vit [rires]. La seule chose qui m’attriste est que je ne suis jamais rentré dans le monde des réseaux sociaux et je déteste ça. Je ne suis jamais rentré dans le monde d’internet, je déteste tout ce qui est numérique. Je me bats contre un changement contre lequel je ne peux pas me battre parce que le monde entier change pour aller dans cette direction que je n’aime pas. Je ne suis jamais allé sur les réseaux sociaux – pas un seul jour, pas une seule minute –, je ne suis jamais allé sur Facebook, Twitter, ou ces putains d’Instagram, de TikTok ou de Snapchat. Je sais que notre groupe y est présent, mais pas moi. J’ai peut-être vu une page Facebook ou Instagram deux fois dans toute ma vie. Je m’en fiche et je n’ai pas envie d’y aller. Ceci étant dit, je comprends que le monde est là et je trouve ça fou. C’est dingue parce que j’utilise internet seulement pour le porno et pour payer mes factures – d’ailleurs, je préfère encore aller directement à la banque et payer physiquement. Je continue de demander que toutes mes factures me soient envoyées par courrier physique, car si elles me parviennent par e-mail, je ne les paye pas car je me fiche de ça, ce n’est pas réel pour moi, c’est juste un truc sur l’ordinateur. Voilà à quel point je suis têtu. Je comprends que j’ai déjà perdu depuis des années la bataille que je mène comme une putain de mule stupide et obstinée, mais je continue de me battre parce que je ne veux pas d’un monde où tout est sur un écran de téléphone portable, de laptop ou d’ordinateur. Tout est immatériel, rien n’est vrai, rien n’est concret, on ne peut rien toucher. Je suis un grand fana de films et un passionné de séries télé. J’achète des DVD et des Blu-ray, mais je n’ai jamais regardé une seule série ou un seul film en streaming de ma vie. Je refuse ça.
Le monde entier est là et nous recevons beaucoup de retours négatifs des fans, du genre : « Mr. Lordi, tu devrais être sur les réseaux sociaux », mais je ne suis pas obligé d’y être. Je n’ai pas envie d’y être, parce que je vis dans un monde où je m’informe dans le dernier magazine de musique publié en Finlande, qui s’appelle Soundi. C’est le seul magazine papier qui existe encore en Finlande et c’est là que je lis les news musicales. Je ne sais pas ce qui se passe dans le monde de la musique en général à moins qu’ils n’en parlent dans le magazine Soundi. Si c’est sur internet, je n’en ai pas connaissance et je m’en fiche totalement. D’un autre côté, je me tire une balle dans le pied, je le sais. Je devrais vivre avec mon temps, mais je ne peux pas, je suis beaucoup trop têtu. Je n’aime pas ça, je veux des choses physiques dans mon monde. Je suis un matérialiste. Je veux posséder les choses. Je n’ai jamais écouté une musique sur internet à moins que je la possède en physique. Je n’ai pas Spotify. Spotify est mon ennemie. Je suis comme ça, c’est tout. J’ai juré il y a des années que je ne serais jamais comme mon père que je trouvais tellement vieux et têtu dans sa manière d’être, qui refusait de vivre avec son temps et tout. Et maintenant, je me rends compte que je suis mon père, je suis exactement comme lui. Je déteste le changement. Tout était mieux avant ! [Rires]
Ces albums s’arrêtent en 1995. Ensuite, on sait ce que Lordi a fait. Comment vois-tu le rock et le metal du futur maintenant ? Quelle est la tendance, selon toi ?
Je ne sais pas parce que je ne connais même pas le rock et le metal qu’il y avait à l’époque. Donc comment je pourrais prédire le futur ? Je n’en ai aucune idée. Je pense que ça fonctionne par vagues. Personne n’invente plus rien de véritablement original parce que ce n’est plus possible. Peut-être que tous les cinq ou dix ans arrive un groupe ou un album qui invente quelque chose de complètement nouveau. D’un autre côté, je ne le remarque pas du tout parce que je ne suis pas au courant de ce qui se passe. Il y a environ dix ans, je me sentais un peu honteux de ne pas connaître certaines choses. Quelqu’un me disait : « Qu’est-ce que tu penses de tel groupe et de leur nouvel album ? » alors que je n’en avais jamais entendu parler. Mais aujourd’hui, je n’ai plus honte. J’accepte le fait d’être une vieille mule entêtée.
« Je suis ce gosse à qui on a donné un peu trop d’opportunités de jouer et pas assez de limites. Ma mère et mon père ne m’ont jamais dit de ne pas jouer à tel ou tel jeu. Maintenant, ma mère et mon père, c’est le management et la maison de disques. S’ils me laissent jouer et ont un enfant à problème, c’est de leur faute. »
Donc quelle direction prend le metal ou le rock ? Aucune idée. Mais je parie qu’il n’y a plus beaucoup de groupes ou d’artiste qui font quoi que ce soit de véritablement original. Je pense que tout a plus ou moins été fait. D’un autre côté, l’évolution en musique est très lente, ça ne change pas du jour au lendemain. Il faut toujours un groupe ou un album pour qu’un déclic se fasse et que toute la culture change subitement. Comme avec Nirvana, par exemple, ils ont lancé tout le mouvement, d’une certaine façon. Pareil avec les Beatles. Il faut toujours du temps pour que ça bouge et que ça bouillonne dans l’underground. De temps en temps, un groupe ou un album devient grand public ou alors perce pour atteindre un plus grand succès, et tout d’un coup un nouveau style est né. Mais je ne pourrais pas le prédire. Je ne pourrais pas te dire où va le rock ou le metal, je ne sais pas du tout.
Mais je dois dire que je ne suis pas d’accord avec ma grande idole Gene Simmons quand il a dit il y a de ça de nombreuses années que le rock est mort. Je ne pense pas que le rock soit mort. C’est impossible de tuer le rock en tant que genre musical. Mais il a aussi un peu raison. Gene est beaucoup plus vieux que moi mais il a raison sur ce point : qu’est-ce qui restera après AC/DC, Deep Purple, Kiss, Iron Maiden et Metallica ? Quels sont les groupes de demain ? Qui seront les légendes dans vingt ans quand tous ces groupes seront partis ? Qui sera le prochain Rolling Stones ? On sait que ces groupes existent aujourd’hui, ils sont parmi nous, mais qui sont-ils ? D’une certaine façon, je suis en partie d’accord avec ce qu’a dit Gene Simmons, ces groupes ne seront probablement pas aussi gros que ces quelques noms que j’ai cités. Il y a peut-être dix ou quinze véritables gros groupes légendaires dans le monde. Quand ceux-ci seront partis, quels seront les prochains ? Je suis d’accord pour dire qu’il n’y en aura pas autant car il y a trop de groupes. Je pense qu’il est de plus en plus dur pour n’importe quel artiste de gagner ce genre de statut.
Ce que vous avez fait avec Killection et Lordiversity est plutôt unique : plus qu’un groupe de rock n’ roll, est-ce que Lordi est devenu un genre de laboratoire d’expériences musicales ? Est-ce que ça t’a donné confiance pour faire des choses encore plus folles ?
Ça a toujours été comme ça [rires]. Je ne vais pas aussi loin dans la réflexion et je ne l’analyse pas tellement. Pour moi, c’est très simple. Je fais seulement ce que j’ai envie de faire. Ça ne va pas chercher plus loin. Il n’y a pas d’histoire cachée derrière ça, dans ma tête, ou un grand plan directeur. J’essaye juste de faire ma propre version de choses que j’aime parmi ce que d’autres gens ont déjà fait [rires]. En gros, on peut retracer l’origine de tout ce qui est fait au sein de Lordi à l’époque où j’étais gamin. Je voulais être Gene Simmons, je voulais être dans Twisted Sister et je voulais être un monstre, comme Freddy Krueger. Ces moments du passé restent ancrés dans ma personnalité. Je fais toujours la même chose à quarante-sept, presque quarante-huit ans. J’ai toujours envie d’être Gene Simmons à ma manière. J’ai toujours envie d’être dans mon propre Twisted Sister. J’ai toujours envie de faire des concerts comme Alice Cooper. Ce n’est qu’un jeu pour moi. J’y joue toujours. J’ai envie de me déguiser en Chewbacca ou en Freddy Krueger, j’ai envie d’être un monstre. Je suis toujours ce gamin. Est-ce qu’en même temps que je fais ça, je crée quelque chose de nouveau ? Oui, clairement. Ou en tout cas, je crée quelque chose auquel personne n’a pensé avant. Mais pour moi, je ne fais que jouer. Je suis ce gosse à qui on a donné un peu trop d’opportunités de jouer et pas assez de limites. Ma mère et mon père ne m’ont jamais dit de ne pas jouer à tel ou tel jeu. Maintenant, ma mère et mon père, c’est le management et la maison de disques. S’ils me laissent jouer et ont un enfant à problème, c’est de leur faute. Moi, je fais juste ce que je fais ! [Rires]
En parlant de Chewbacca, peux-tu nous parler de l’apparition du Wookiee dans « Grrr! » ?
Ah, ah ! Je pense que c’est une première, nous avons Chewbacca dans l’album. C’est Joonas Suotamo, je gars qui incarne Chewbacca aujourd’hui, dans les sept derniers films ou quelque chose comme ça. C’est un Finlandais. Je vais te raconter l’histoire derrière ça, mais nous devons être prudents. Nous n’en faisons pas la publicité, nous ne faisons aucun marketing en utilisant les mots Star Wars, Chewbacca, Chewie, Wookiee ou quoi que ce soit de ce genre, car sinon, pour des raisons évidentes, Disney va nous trucider dans notre sommeil [rires]. Je n’en ai jamais rien eu à foutre que la Finlande gagne au hockey sur glace ou en Formule 1, alors que tout le reste du pays devient fou quand elle gagne quelque chose. Par exemple, quand nous avons gagné à l’Eurovision, j’étais sûrement le seul à dire : « Pourquoi êtes-vous si contents ? Vous n’avez rien fait. C’est quoi ce bordel ? Pourquoi dites-vous que la Finlande a gagné ? Nous avons gagné. Lordi a gagné. » Mon cerveau est déglingué en ce sens. Mais la seule fois où je me suis plus ou moins senti fier d’être finlandais, c’était quand j’ai appris que Chewbacca, mon personnage de Star Wars favori de tous les temps, était finlandais. C’est quelque chose d’important pour moi. Star Wars est très important pour moi, alors que je me fiche royalement du hockey sur glace et de n’importe quel sport.
« La seule fois où je me suis plus ou moins senti fier d’être finlandais, c’était quand j’ai appris que Chewbacca, mon personnage de Star Wars favori de tous les temps, était finlandais. »
J’avais un ami chez moi, j’avais organisé une fête à la maison, et il était en train de regarder ma collection sur Star Wars. J’étais en train de lui raconter à quel point j’adorais Chewbacca et que j’aimerais un jour rencontrer le gars car il est finlandais. Il m’a dit : « Oh, appelons-le. Je le connais très bien, mon petit frère jouait au basketball avec son petit frère. » J’étais là : « Tu te fous de moi ?! » Nous l’avons appelé et je lui ai dit : « Je suis désolé mais voilà ce qui va se passer. Je vais être ton ami, que tu le veuilles ou non, parce que je suis un grand fan. » C’est ce qui s’est passé. Je l’ai forcé à devenir mon ami. Je ne sais pas s’il m’apprécie, mais il est mon ami [rires]. Mais je pense que nous sommes amis ! Après un certain temps, j’ai eu le courage de lui demander s’il pouvait faire la voix de Chewie sur un album de Lordi. Il a consulté son agent qui lui a dit que tant que nous ne parlons pas de Chewbacca ou de Chewie, c’est un acteur, donc il peut le faire. Nous pourrions faire appel à n’importe qui pour faire une imitation, alors pourquoi pas ? Il se trouve juste que c’est le vrai gars qui fait Chewbacca ! C’est une nouvelle case cochée sur ma liste. J’ai Chewbacca dans notre album en tant qu’invité de marque. Ce n’est pas génial ? J’ai un putain de Wookiee sur un album de Lordi !
Ayant toute une nouvelle discographie en poche, et sachant que l’an prochain marquera les trente ans du groupe ainsi que les vingt ans de votre premier album Get Heavy et de votre première tournée, comment envisages-tu l’année qui arrive ?
Il y a eu une époque avant le coronavirus et puis il y a maintenant, après ou pendant le coronavirus. Avant le coronavirus, il y avait des plans pour 2022 pour de faire quelque chose avec Get Heavy, genre des concerts spéciaux. Ensuite, il y avait l’idée de sortir un coffret avec toutes les démos de Lordi – il en existe sept cents aujourd’hui – toutes les chansons depuis le début des années 90 jusqu’à aujourd’hui. Puis le coronavirus est arrivé et nous avons fait Lordiversity, donc ce plan est repoussé. Je sais pertinemment que l’an prochain sera étrange. Ce sera très bizarre car maintenant, nous sortons Lordiversity, c’est notre dernier album, même si ce sont en fait sept albums, alors que nous n’avons pas terminé la tournée de Killection, nous n’avons fait qu’un mois. Donc l’année prochaine sera particulière. Nous allons d’abord partir en tournée avec Sabaton et The Hu, nous serons le groupe d’ouverture. Ce n’est pas le moment ni l’endroit pour jouer quoi que ce soit de spécial tiré de Lordiversity et de représenter la diversité des styles abordés dedans. Nous allons jouer « Hard Rock Hallelujah », « Would You Love A Monsterman? », « Devil Is A Loser » et toutes ces chansons. Peut-être, si nous avons le temps, nous jouerons un morceau ou deux de Lordiversity. Puis arrivent les festivals d’été. Là encore, ce n’est ni le moment ni le lieu pour jouer « Church Of Succubus », une chanson de douze minutes tirée de The Masterbeast From The Moon. Tu es là dans un festival, on t’a embauché pour jouer la bande-son des gens qui veulent boire de la bière et faire la fête. Ils n’ont pas envie de se coltiner un putain de morceau progressif et orchestré de douze minutes qui se la joue artiste. Ils veulent entendre « Hard Rock Hallelujah », ils veulent entendre des chansons sur lesquelles ils peuvent secouer la tête et saisir le cul de leur petite copine.
Ce n’est qu’à l’automne que nous partirons en tournée avec Lordiversity. Nous pourrons faire quelque chose avec Lordiversity dans plus ou moins un an. Mais nous voyons ça comme une opportunité, car ce sera la première fois que nous partirons en tournée avec un nouvel album en poche – dans le cas présent, c’est même sept albums – que les fans auront eu le temps d’écouter. Nous allons avoir le temps d’écouter les retours pour savoir quelles chansons ils veulent entendre en concert. Généralement, quand un nouvel album sort et que nous partons en tournée, les fans viennent à peine de l’entendre. Au moment où nous tournons, nous avons déjà décidé la setlist que nous avons répétée un mois plus tôt. Il faut toujours deviner quelles chansons les fans voudront entendre, mais nous n’essayons même pas, donc nous choisissons les chansons que nous, nous voulons jouer. Généralement, le groupe n’a pas les mêmes préférences que les fans sur un nouvel album. Sur Killection, pour lequel nous avons tourné pendant seulement un mois, la chanson préférée du groupe était « Blow My Fuse », donc nous allions absolument jouer ça, en nous disant que ça allait déchirer en live. Nous l’avons fait et nous avons remarqué que la moitié du public allait aux toilettes ou se chercher une bière quand nous entamions cette chanson. Les seuls qui s’éclataient vraiment avec ce morceau étaient les cinq gars sur scène. Nous avons une fois de plus réalisé que nous avions fait un mauvais choix. Les gens venaient aux meet and greets et disaient : « Pourquoi vous ne jouez pas ‘Cutterfly’ ? », « Nous voulions que vous jouiez ‘Evil’ ! » Mais nous n’y avions pas pensé. Maintenant, les fans ont un an pour nous dire ce qu’ils veulent nous entendre jouer.
Le coronavirus a tellement chamboulé les choses que tout est sens dessus dessous, tous les plans qu’on pouvait avoir sont tombés à l’eau. Mais concernant l’anniversaire de Get Heavy, il est très probable que nous fassions au moins un set spécial quelque part l’été prochain. Ce serait approprié. Je ne sais pas encore où, peut-être lors de chaque festival, je ne sais pas. Je n’ai pas encore vraiment décidé, et nous n’en avons même pas encore parlé au sein du groupe.
Interview réalisée par téléphone le 20 octobre 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Lordi : www.lordi.fi
Acheter l’album Lordiversity.
Je termine à l’instant l’écoute du coffret et, mon seul regret, c’est qu’on n’ait pas eu droit à 10 albums finalement 😛
J’ai jamais vraiment écouté Lordi… et cette interview (et ce projet complètement dingue) m’a donné envie d’essayer vraiment.
Le mec est bien plus intelligent que ce qu’un coup d’oeil à son groupe peut laisser penser (bon, c’est pas super dur, c’est vrai), et ça surprend agréablement.
Allez hop, on va essayer les premiers albums de la série, pour voir 🙂
Excellente interview, merci beaucoup !
J’aime beaucoup ce gars, sans langue de bois, mégalo mais conscient de l’être, un peu égocentrique mais à l’écoute des fans malgré tout (cf. la dernière question).
(D’ailleurs merci de m’avoir fait penser à aller acheter mon billet pour Sabaton.)