Lordi restera dans l’histoire comme l’un des groupes les plus facétieux de la scène. Mis en lumière par sa victoire au concours de l’Eurovision 2006 et ses costumes extravagants, le groupe officie en réalité depuis 1992 en suivant les directives de son homme à tout faire Mr. Lordi. Et Mr. Lordi n’a que faire de l’avis du public, des labels ou de tout autre intervenant extérieur à sa musique. Mr. Lordi crée du divertissement selon son bon plaisir, ce qui lui permet de développer toutes les idées les plus loufoques possible. Killection (2020), le dernier album en date, se présentait comme un faux best of du groupe comme s’il existait depuis les années 70 et rendait hommage à toutes les influences de la formation. Il y est fait mention d’un catalogue fictionnel… Un catalogue que Lordi a désormais créé de toutes pièces et fait paraître sous le nom de Lordiversity. Sept albums d’un coup, sept albums qui respectent les grandes époques de la musique, de 1975 à 1995. Soixante-dix-huit titres à déblayer. Un concept drôle et inédit, merci Lordi.
Sans l’interruption nécessaire des tournées liée à la pandémie, Lordiversity n’aurait pas pu voir le jour. Mr. Lordi voulait à l’origine en profiter pour doubler son catalogue réel et donc sortir une dizaine d’albums : le label a atteint un compromis pour « seulement » sept. Il a fallu trois mois au frontman pour tout écrire, neuf mois pour tout enregistrer et se permettre d’écarter une quarantaine de chansons qui ne figurent même pas sur les sept opus. Pour chaque œuvre, Lordi fait illusion en respectant les méthodes d’enregistrement d’époque, à l’instar de l’analogique 24 bandes pour Skelectric Dinosaur, prétendument tiré du milieu des seventies. Lordi reprend les codes du hard rock des origines avec ce goût pour le riffing à la Led Zeppelin (« Day Off The Devil »), AC/DC (« Spitfire ») ou Kiss des débuts (« Blow My Fuse » au groove appuyé comme l’affectionne Gene Simmons). Il annonce en outre l’arrivée des pointures des eighties, avec le rock exubérant de « Phantom Lady » et surtout « The Tragedy Of Annie Mae » aux chœurs glams et leads de guitare harmonisés à la Iron Maiden. Superflytrap est un animal bien différent, inspiré des Bee Gees, Earth, Wind & Fire ou encore Boney M. « SCG Minus6 Delightful Pop » donne le ton : Lordi va multiplier les allusions sexuelles et délivrer son savoir-faire disco en enchaînant avec « Macho Freak ». Tous les clichés du genre sont déployés, jusqu’à cet hybride rock-disco dansant façon « I Was Made For Loving You » qu’est « Zombimbo ». Lordi change de registre à l’occasion du dernier titre : « Cider Chost Choir » se démarque en présentant une ballade pop rock, langoureuse, épique et grandiloquente, avec son solo final de rigueur aux notes dégoulinantes. The Masterbeast From The Moon se nourrit quant à lui des cadors du rock progressif, usant des orchestrations multiples permises par les claviers, à l’image de « Moonbeast » et de ses faux instruments à vent ou encore des phrasés de piano de « Celestial Serpents ». Il respecte même la longueur des structures via les onze minutes de « Church Of Succubs » ou les expérimentations pseudo-futuristes avec les sonorités trafiquées de « Robots Alive ! ».
Abusement Park repose sur un parallèle avec Twisted Sister, W.A.S.P., Kiss – encore – et consorts et nous gratifie de la participation de Joonas Suotamo, le véritable Chewbacca, sur le drolatique « Grrr! ». Humanimals reprend les codes du glam et du rock spectaculaire de la fin des années 80 – à la Bon Jovi et Alice Cooper – à grands coups de mélodies réverbérées (« Borderline ») et de sonorités de clavier empruntées à Europe ou au « Jump » de Van Halen (« Heart Of A Lian »). Abracadaver présente quant à lui un Lordi plus incisif en parodiant l’introduction de concert de Metallica via « SCG Minus 2 Horricone » et en arrangeant à sa sauce les codes du thrash et du groove metal. « Raging At Tomorrow » est un faux « Enter Sandman » et « Rejected » simule le riffing de Pantera. Seul Spooky Sextravaganza Spectacular a un traitement différent : il est simplement une imitation du Lordi des débuts lorsqu’il commençait vraiment à faire de la musique au début des nineties. L’émergence d’un rock protéiforme, plus industriel, parfois volontairement de mauvais goût, à l’image des sonorités électro de « Shake The Baby Silent ».
Soixante-dix-huit titres en trois mois impliquent des redites. Lordiversity en est rempli et le groupe est surtout à l’aise lorsqu’il s’agit de produire des mélodies grandeur nature : Lordi version disco a bien davantage à raconter que Lordi version rock épuré. Dès qu’il évolue dans les sphères glam ou hard FM, Lordi parvient à livrer quelques titres mémorables. Sinon, il doit jouer la carte de la parodie à fond, à l’image du thrash de « Devilium », ou de l’album progressif – peu captivant dans l’ensemble, le genre étant particulièrement exigeant – qui incarne les limites de l’exercice. Si le premier parcours des sept albums fait sourire et que Lordi ne rate pas une occasion d’user de son humour grivois, il faut effectuer un tri pour ne conserver que l’essentiel, s’il est présent. Lordi démontre qu’il est une bête de somme au talent musical incontestable pour s’approprier tous ces registres musicaux. On ne double pas sa discographie instantanément sans transiger, quoi que Mr. Lordi prétende. Lordiversity est une monstruosité attachante qui nécessite d’adorer l’excès. Reste que la compilation a ses vertus, et les blagues les plus courtes restent les meilleures.
Clip vidéo de la chanson « Borderline » :
Clip vidéo de la chanson « Abracadaver » :
Chanson « Believe Me » :
Album Lordiversity, sortie le 26 novembre 2021 via AFM Records. Disponible à l’achat ici
Ce sont des fous dans ce groupe, fous dans le bon sens du terme, et surtout assez sous-estimés.
Rien que l’idée de ce coffret est dingue (mais peut-être moins que de le chroniquer en une seule fois ? ).
Ce qui est dingue aussi, comme on aurait pu s’en douter, c’est le prix : affiché à 106€ à la Fnac, ça fait mal, et ça risque de plomber les ventes. A voir, peut-être pour Noël (du coup, le sortir maintenant était la meilleure chose à faire).
Je partage totalement ton avis sur ce groupe 😉
Par contre, j’ai directement préco le coffret sur le site d’AFM Records et il est à 60€ seulement !
Ajoute à ça les frais de ports et le tout me revient à 78€. Pas cher payé pour 7 albums.