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Interview   

Lost Society ne doit rien à personne


Avec No Absolution, Lost Society avait déjà démontré son audace et sa capacité de transformation en dépit des risques vis-à-vis de son public historique, mais quand en plus le ciel nous tombe sur la tête et qu’on est convaincu que l’œuvre sur laquelle on est en train de travailler sera la dernière, il est clair qu’on n’a plus d’état d’âme. Telles sont les circonstances dans lesquelles If The Sky Came Down a été conçu, suite à des événements « tragiques » – même si on n’en connaîtra pas vraiment la nature – ayant touché le chanteur-guitariste-compositeur Samy Elbanna. L’album poursuit la métamorphose de Lost Society, qui est passé d’un crossover thrash à un metal moderne, aussi catchy que musclé, aux influences multiples mais souvent très typées années 2000. A l’image d’un Bring Me The Horizon qu’il admire, Lost Society ne se refuse plus rien, que ce soit des éléments électroniques ou une dimension orchestrale. Comme Samy le dit lui-même : quitte à tenter quelque chose, autant y aller à fond.

Le pouvoir thérapeutique de la musique ayant désormais fait effet – couplé tout de même à une vraie thérapie –, Samy a retrouvé du poil de la bête. C’est confortablement assis dans son tour bus, le groupe venant tout juste de décoller pour sa nouvelle tournée européenne, que le frontman a répondu à nos questions et nous a raconté la genèse d’un album aussi personnel que voué à devenir fédérateur.

« Peu importe ce que nous composons, ça a toujours été très important pour nous tous que ça nous reflète en tant que personnes, que ça reflète ce que nous écoutons, nos influences et tout ce que nous observons dans la vie. »

Radio Metal : No Absolution est sorti le 21 février 2020, peu de temps avant que pratiquement tous les pays dans le monde entrent en confinement. Comment avez-vous vécu la sortie d’un album dans de telles conditions ?

Samy Elbanna (chant & guitare) : C’est dingue, nous en avons parlé avec tout le groupe. Même si du point de vue de la maison de disques, du management et du groupe c’était évidemment terrible que nous n’ayons pas pu jouer physiquement la moindre chanson de cet album à tous nos fans partout dans le monde, l’album est quand même sorti et ça nous a aidés à avancer. Nous avions l’impression d’offrir un peu d’apaisement à tous les gens qui, partout sur le globe, souffraient de la même chose que nous. Tout le monde disait : « Tu sais quoi ? Je suis tellement content d’avoir eu le temps d’écouter l’album. Je suis tellement content que ma vie soit un tout petit peu moins triste maintenant que j’ai de la nouvelle musique de la part de Lost Society. » J’ai l’impression que le fait de recevoir des commentaires de gens de partout dans le monde disant ça nous a nous-mêmes aidés à poursuivre notre vie. Honnêtement, si j’avais su qu’il allait se passer tout ça, j’aurais quand même dit : « Tu sais quoi ? On sort l’album », car ça aurait été très désagréable d’attendre en gardant pour nous ce qui, à l’époque, était de toute évidence les meilleures musiques que nous avions jamais écrites, et ça faisait tellement longtemps que nous attendions la sortie de cet album. Au bout du compte, j’ai le sentiment que ça s’est passé de la meilleure façon possible compte tenu des circonstances.

A l’époque, vous avez annoncé presque le jour de la sortie de l’album que le batteur Ossi Paananen avait quitté le groupe. Quelles ont été les circonstances de ce départ à un tel timing ? A-t-il enregistré l’album sachant qu’il quitterait le groupe juste après ?

Il était à nos côtés depuis le début et nous avons accompli des choses vraiment extraordinaires ensemble, nous avons pu tourner plein de fois en Europe, nous sommes allés en Amérique du Nord, nous avons fait des concerts au Japon… J’ai l’impression qu’il a vu ce que cette vie avait à offrir et ce n’était pas la vie qu’il voulait. Il n’y avait aucun drame ou aucune connerie entre nous, car ça faisait environ dix ans que nous étions amis quand c’est arrivé, donc nous avons pu traverser tout ça ensemble. Avec le recul, après avoir digéré ce qui s’est passé, je suis presque sûr qu’il savait déjà à l’époque, mais il ne voulait pas nous laisser en mauvaise posture, car ça faisait presque trois ans, dans l’ensemble, que nous écrivions cet album. Je pense que ça aurait été encore plus critique pour nous s’il était parti avant d’entrer en studio. Il y aurait eu une énorme pression pour trouver quelqu’un capable d’enregistrer l’album. Pour nous, c’était difficile quand c’est arrivé car nous avions le même line-up depuis 2010 quand j’ai fondé ce groupe. C’était évidemment un gros coup dur. Ceci étant dit, honnêtement, ça n’aurait pas pu mieux se passer après, car quand nous avons su que nous devions chercher quelqu’un d’autre, j’avais un seul nom en tête et cette personne partage ce bus avec nous en ce moment même.

No Absolution montrait un groupe allant dans une direction plus moderne, bien moins à la vieille école du thrash crossover. Certains fans ont clairement été déconcertés, mais au final, comment ce nouveau visage de Lost Society a-t-il été reçu ? Les fans l’ont-ils accepté et même adopté ?

J’ai l’impression qu’ils ont été très ouverts et il y a une raison très simple à ça. Peu importe ce que nous composons, ça a toujours été très important pour nous tous que ça nous reflète en tant que personnes, que ça reflète ce que nous écoutons, nos influences et tout ce que nous observons dans la vie. Après le second album, ce n’est pas comme si nous avions dit : « D’accord, il faut que nous fassions quelque chose qui soit un peu plus comme ça. » Ou pour No Absolution, à aucun moment nous avons dit : « Il faut qu’il y ait des trucs plus accrocheurs » ou « On doit faire plus de ci et moins de ça ». A chaque fois que nous prenons une guitare ou écrivons des paroles, c’est ce qui sort naturellement, c’est plus fort que nous. Ce à quoi nous avons toujours fait très attention et qui a été très important pour nous, c’est que tout ce qui sort doit être parfaitement naturel. Si un album est un peu plus mélodique, lent ou peu importe, c’est juste parce que ça correspond à ce que nous avons écouté, à ce que nous avons observé dans le monde et à ce que nous ressentons.

Avec No Absolution et If The Sky Came Down, la seule chose qui était intrinsèquement différente de ce que nous avons fait par le passé est que nous avons dit notre ultime « va te faire foutre » aux derniers questionnements, du genre : « A-t-on le droit de faire ça ? » ou « Est-ce que des gens seront furieux après nous ? » Au bout du compte, la musique est notre exutoire, ça l’a toujours été, donc pourquoi laisserions-nous quelqu’un d’autre dicter ce que nous faisons ? Tous les commentaires ne me posent absolument aucun problème, parce que je comprends que tout le monde n’aimera pas ce que nous faisons. Ceci étant dit, à tous ceux qui disent que nous sommes des vendus, tout ce que je peux dire est que, pour moi, nous serons des vendus à l’instant où nous ferons ce qu’un certain groupe de gens attend que nous fassions. Or ce n’est pas ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui, donc je ne vois pas le problème. J’ai le sentiment que les gens qui connaissent Lost Society et ceux qui reconnaissent la musique honnête verront toujours que nous faisons exactement ce que nous voulons faire, et non ce que les gens attendent que nous fassions.

« Quand on fait quelque chose, il faut le faire à fond, on ne peut pas le faire à moitié. Si tu t’y essayes mais sans y aller à fond, c’est là que tu te retrouves à merder. »

Il est clair que vous ne faites aucun retour arrière avec le nouvel album If The Sky Came Down. Dirais-tu que la nouvelle direction vous a ouvert des portes, autant sur le plan créatif qu’au niveau carrière ? Crois-tu même que ce changement était nécessaire pour Lost Society ?

Selon moi, le changement est nécessaire pour quiconque veut faire quelque chose de pertinent. Ne te méprends pas, il y aura toujours des groupes qui lancent de nouveaux genres musicaux. Il y aura toujours les AC/DC et les Slayer qui ont littéralement créé quelque chose de complètement nouveau, donc ça a du sens que chacun des albums de ce type de groupe suive un thème similaire. Mais en 2022, quand il y a littéralement des millions et millions de groupes, il faut trouver son inspiration dans des choses qui nous inspirent vraiment. Si tu fais quelque chose une année, au bout de deux ans, il se peut que ça ne soit plus du tout pertinent, alors pourquoi le refaire ? Pour notre part, à chaque fois que nous commençons à écrire de la musique et que nous savons qu’un album va sortir, nous nous mettons au défi d’amener tout ce que nous aimons personnellement, car ce sont quatre personnes qui adorent jouer de la musique et adorent la musique en général. Si nous ne pouvons pas mettre toutes ces influences dans notre musique, ça n’a aucun intérêt de faire ce groupe. Comme je le disais tout à l’heure, avec ce nouvel album, nous avons laissé tomber les tout derniers questionnements que nous pouvions avoir sur nous-mêmes. Pour moi, quand on fait quelque chose, il faut le faire à fond, on ne peut pas le faire à moitié. Par exemple, sur le nouvel album il y pas mal d’éléments électroniques, de lignes de chant complexes et de trucs mélodiques. Si tu t’y essayes mais sans y aller à fond, c’est là que tu te retrouves à merder. Nous nous sommes dit que quitte à aller sur ce terrain-là, autant y aller complètement, donc ça a clairement impacté notre écriture.

Tu as qualifié If The Sky Came Down de « grand bond en avant par rapport aux albums précédents ». Puisqu’il est plus proche de No Absolution que des autres albums, est-ce que ça veut dire que tu considères No Absolution comme un brouillon de ce que vous avez fait sur If The Sky Came Down ?

Pas du tout, parce que chaque album que nous faisons à un moment donné est la meilleure musique que nous ayons jamais écrite de notre vie, car selon moi, le groupe est seulement aussi bon que son album précédent. Dans notre histoire, qui est assez courte, il y a eu Fast Loud Death et Terror Hungry qui étaient dans un style très similaire. Puis il y a eu Braindead, qui présentait déjà des différences et d’autres éléments que nous aimions. Déjà à ce moment-là, j’avais l’impression que les gens disaient : « Ce groupe part dans la mauvaise direction », mais pour nous, c’était le premier album où nous commencions à trouver ce que nous voulions réellement faire. En ce sens, on pourrait dire que le précédent album d’un groupe est toujours un brouillon de ce qu’il fera après, mais je n’aime pas penser comme ça. Pour moi, If The Sky Came Down est similaire à ce que nous avons fait sur No Absolution, mais abordé sous un angle totalement différent.

Tu as déclaré avoir « trouvé le cœur et l’âme de Lost Society ». Encore une fois, est-ce que ça veut dire que tu ne t’identifies pas pleinement avec tes albums passés, surtout ceux comme Fast Loud Death et Terror Hungry qui sont très différents avec leur style thrash crossover de la vieille école ?

C’est la même chose que si tu demandais à quelqu’un : « Es-tu d’accord avec tout ce que tu as fait dans ta vie » et « As-tu le sentiment que tout ce que tu as fait représente exactement ce que tu es aujourd’hui ? » Je ne pourrais jamais dire que je ne suis pas d’accord avec ces premiers albums parce que chaque chose que nous avons jamais faite nous a amenés là où nous sommes aujourd’hui. Si nous avions commencé en sachant exactement ce que nous voulions faire, comme aujourd’hui, ça n’aurait pas été pareil, ce que vous entendriez en 2022 serait complètement différent. Fast Loud Death, Terror Hungry, Braindead et No Absolution nous emmenaient quelque part. Dans l’ordre des choses, même If The Sky Came Down continue à nous emmener vers quelque chose, car nous ne savons pas du tout où nous serons dans deux ans ou dans quatre ans. Cette phrase peut être trompeuse. Quand on dit avoir trouvé « son cœur et son âme », c’est un rappel, ça veut dire qu’on va dans la bonne direction, mais je ne considèrerai jamais que Lost Society est totalement prêt. Si un jour je ressens qu’un album est le meilleur que je pourrais jamais faire, autant arrêter ce que je fais [rires].

Tu as dit que « If The Sky Came Down ne serait pas devenu ce qu’il est sans les malheureux événements des deux dernières années » et que vous avez « mis un an et demi de turbulence mentale et une tragédie intimidante dans un seul et même album ». J’imagine que, comme la plupart des groupes, vous avez eu beaucoup de temps pour peaufiner les morceaux, mais dirais-tu aussi que le désespoir a été un carburant créatif pour vous ?

Avec cet album, c’est clairement comme tu l’as dit. L’année et demie passée, qui est dépeinte dans l’ensemble des textes de cet album, a été la plus grande influence. Honnêtement, les mots clés seraient non seulement le désespoir, mais aussi une forme de sérénité, car j’avais le sentiment que cet album serait réellement la dernière chose que j’allais jamais faire. Tu vois la vie sous un tout nouveau jour quand tu as décidé quelque chose comme ça, tu as l’impression de renaître, d’une certaine façon, car tu t’en fiches complètement. Tu transfères tout ça dans ton propre art. Quand tu as des gens autour de toi qui sont parfaitement en phase avec toi et qui t’inspirent, tu te retrouves à créer quelque chose de magnifique à partir de quelque chose de tragique – c’est évidemment l’histoire de tant d’albums extraordinaires, mais pour celui-ci et pour nous, c’est exactement ce qu’il s’est passé.

« Les mots clés seraient non seulement le désespoir, mais aussi une forme de sérénité, car j’avais le sentiment que cet album serait réellement la dernière chose que j’allais jamais faire. Tu vois la vie sous un tout nouveau jour quand tu as décidé quelque chose comme ça, tu as l’impression de renaître, d’une certaine façon, car tu t’en fiches complètement. »

Tu as dit que vous avez « remué ciel et terre en réalisant et affinant If The Sky Came Down » et que « ce n’est qu’après une intense période de composition et d’arrangements [que vous avez] commencé une préproduction méticuleuse ». Peux-tu nous en dire plus sur l’intensité de cette période et les défis que vous vous êtes imposés ?

Absolument. Par exemple, prenons « 112 », le morceau d’ouverture de l’album et le premier single. Il y a eu littéralement six chansons différentes avant que ça devienne celle que tout le monde peut entendre maintenant. Avec nous, ce qui se passe généralement quand nous composons une chanson, c’est que notre producteur et co-compositeur et moi, nous faisons une démo. Puis nous en faisons probablement trois versions différentes dans un laps de temps de trois mois. Nous aimons laisser une chanson de côté, nous donner environ deux mois sans l’écouter, et finalement la ressortir. A ce moment-là, si ça sonne bien après deux mois, nous savons que nous tenons quelque chose. Mais ensuite, le défi suivant, c’est que nous passons en revue le moindre petit riff de la chanson, la moindre phrase des paroles et chaque refrain pour nous assurer que c’est aussi bon que possible. Une fois que la chanson est passée par au moins deux ou trois versions différentes, nous passons à la préproduction, ce qui veut dire que tout le monde est impliqué. Nous passons en revue chaque instrument et ce que celui-ci joue à chaque seconde de la chanson. C’est seulement après ça, quand nous avons déterminé qu’il n’y a plus une seule seconde de chanson qui mérite d’être améliorée, que nous passons à l’étape suivante. On parle de quarante à cinquante chansons avant de choisir lesquelles sont suffisamment bonnes pour passer à la suite. Voilà ce que je veux dire quand je dis que c’est intense.

Nous avons passé des années à nous dire : « On va écrire dix chansons » et c’est ce qui allait devenir l’album, mais c’est différent quand on se donne un peu plus de temps. Entre Braindead et No Absolution, pour la première fois dans nos carrières, nous avions suffisamment de temps pour être exigeants avec nous-mêmes, car nous nous sommes accordé ce temps. Après No Absolution, évidemment, il y a eu la pandémie qui ne nous permettait pas de tourner dans le monde, donc nous avons passé beaucoup de temps à la maison et dans notre salle de répétition au studio. Même si nous n’avions physiquement pas autant d’années pour parfaire l’album, nous avions quand même cette mentalité et cette éthique de travail pour If The Sky Came Down. C’est probablement le premier album avec lequel on peut identifier plein de sections dans les chansons et dire : « C’est un bon arrangement. » Ce n’est pas courant que ce soit la première chose que dise un critique à l’écoute d’une chanson. Généralement, c’est plutôt : « C’est un super riff », « C’est un super refrain » ou « C’est une super accroche », mais quand on peut identifier qu’un arrangement est un élément clé d’une chanson, pour moi, c’est le signe qu’on a emmené sa musique à un autre niveau.

Vous avez poursuivi votre coopération avec le co-compositeur et producteur Joonas Parkkonen, qui avait débuté sur No Absolution : comment votre relation et votre collaboration ont évolué avec If The Sky Came Down ?

A ce stade, Joonas est grosso modo le cinquième membre du groupe. C’est très simple pour nous. La première session que nous avons faite seulement tous les deux était en 2017 et après ça, nous avons activement travaillé ensemble. Ça fait donc environ cinq ans que nous coopérons. Honnêtement, ça a fait une énorme différence en termes de manière de travailler pour le groupe. C’est comme quand on écrit et sort un album, puis six mois passent et on entend plein d’opinions différentes de la part d’autres gens qui sont là : « C’est cool, mais vous auriez pu faire ci » ou « Pourquoi n’avez-vous pas fait ça ? » et ce genre de choses. Là, on élimine ce délai car on a une paire d’oreilles neuves. C’est génial qu’il soit là. Nous avons quelqu’un qui entend la musique comme nous, mais à la fois de manière complètement différente, ce qui est super pour nous comme pour lui. J’ai l’impression que lui et nous avons vraiment envie de pousser ce groupe à devenir plus gros et meilleur qu’il ne l’est déjà. Sans l’aide et le point de vue neuf que Joonas a apportés, cet album serait très différent.

Dirais-tu qu’il a en partie agi comme un catalyseur pour obtenir « le cœur et l’âme de Lost Society » ?

A cent pour cent. Ce dont nous avons souvent discuté avec lui est le fait qu’un bon producteur et bon co-compositeur ne compose pas tout à ta place, mais qu’il pousse l’artiste à faire ressortir tout ce qu’il a en lui, et c’est exactement ce qui s’est passé.

D’après toi, le morceau d’ouverture et premier single « 112 » « était le début musical de tout pour cet album ». Comment cette chanson a-t-elle donné le ton pour le reste de l’album et votre attitude envers celui-ci ?

Les paroles de cette chanson sont un peu comme la préface d’un livre. C’est comme si tu ouvrais les thèmes que tu aborderas dans la suite de ta lecture ou que l’auditeur entendra. « 112 » vient aussi du fait que c’est le numéro national d’urgence en Finlande et dans plein de pays en Europe. Avec cette chanson, il s’agit en gros de mettre sur la table tout ce qu’on ressent sur le moment. La première étape d’un processus de guérison est toujours d’admettre le problème. Avec « 112 », c’est exactement ce qu’il se passe : voici l’histoire, voici le problème et maintenant on va essayer de corriger ça ou plonger dedans.

« Je me reconnais plus en Bring Me The Horizon qu’en n’importe qui d’autre, purement à cause de l’évolution du groupe. J’adore le fait qu’aujourd’hui, avec ce groupe, on peut s’attendre à l’inattendu. »

Musicalement, je ressens la même chose parce que le refrain de « 112 » était en fait le premier que j’ai écrit pour cet album. C’est super parce que j’ai cet enregistrement sur mon iPhone, je crois qu’il date de février 2020, quand nous étions en train de faire les prises témoins au studio pour le précédent album et nous avons commencé à jammer autour de ce refrain, qui allait devenir « 112 » deux ans plus tard. C’était clairement le point de départ de cet album. Il était très clair pour moi, dès le début, que ceci allait être la première chanson de l’album. J’espère vraiment que tout le monde le verra ainsi et que ce sera la première chanson de cet album qu’ils entendront. C’est très difficile d’essayer de choisir une chanson dans un album qui serait la meilleure alternative pour un premier single, car il faut quelque chose qui raconte presque tout à l’auditeur, mais pas complètement tout. Ça offre un petit aperçu du genre d’éléments musicaux qu’ils entendront, mais sans tout révéler. Sur « 112 », on a les trucs plus rapides, les trucs plus lents, les mélodies, les solos et tout, donc je trouve que c’était un choix très naturel en ce sens.

On entend des éléments industriels dans « Hurt Me », « Stitches » ou dans l’intro de « (We Are The) Braindead ». C’est très nouveau dans l’univers de Lost Society. Comment vous êtes-vous retrouvés à ajouter cette dimension à votre son ?

Ça fait encore partie de ces choses que nous avons toujours adorées. Si tu regardes une playlist de ce que nous écoutons au quotidien, tu trouveras the Prodigy, Pendulum et évidemment Nine Inch Nails qui a joué un grand rôle dans tout ça. Nous avons toujours aimé ce style de musique, mais ça n’avait jamais eu de sens de l’intégrer dans le contexte de ce que nous faisions avec le groupe. On en revient à ce que je disais tout à l’heure : tu as tous ces éléments et toutes ces influences que tu aimes écouter, mais ça ne colle pas avec ce que tu fais pour le moment. Si tu prends une chanson très rapide datant de 2013 quand nous avions entre quinze et dix-huit ans, ça n’aurait pas eu de sens d’essayer d’y intégrer des éléments électroniques – sans parler du fait que nous n’aurions même pas su comment faire. Mais en 2021 ou 2022, quand cet album était en grande partie composé et enregistré, nous avions enfin l’espace dans ces chansons pour y mettre ce genre de chose.

Encore une fois, quand tu commences à faire quelque chose, il faut y aller à fond. C’était l’une des discussions que nous avons eues avec Joonas en studio. Quitte à le faire, autant ne pas le faire à moitié. Nous avons passé énormément de temps à peaufiner tous ces éléments électroniques. Il se peut que certains auditeurs ne l’entendent pas et pensent que ce n’est qu’un assemblage de quelques samples, mais par exemple, l’intro de « (We Are The) Braindead » a pris deux jours de travail pour trouver la combinaison parfaite d’éléments. Il y a plusieurs démos de ça. C’est beaucoup de boulot. Je pense que tout le monde ne s’en rendra pas compte, mais c’est probablement mieux ainsi car il faut que ça sonne parfaitement intégré. Il n’y a pas un million d’éléments, mais juste deux ou trois qui sont très bons.

Il y a aussi un côté symphonique dans « Awake ». Dirais-tu que votre collaboration avec Apocalyptica sur « Into Eternity » a ouvert vos horizons sur ce plan ?

Il est clair que ça a beaucoup joué, car pour nous, c’était un tout nouveau monde quand nous avons eu l’occasion de collaborer avec Apocalyptica. Nous avons aussi remarqué que les sons se percutaient joliment. Je me souviens des sessions que nous avons faites pour « Awake ». Nous étions en train d’écrire la chanson ensemble et nous sommes arrivés au pont central de la chanson. Je m’en souviens très clairement, j’ai dit à Joonas : « Il faut un énorme violon et un énorme violoncelle là-dedans. » Il était là : « T’es sérieux ? » J’ai dit : « Oui, il le faut ! » Puis il y a eu le traditionnel : « Ok, donne-moi une minute » et il a écrit et arrangé toute la partie. Quand nous sommes allés au studio, il fallait évidemment quelqu’un pour jouer ça, car nous ne voulions pas utiliser un plug-in pour l’album. Nous avons eu la chance que tout se goupille parfaitement. Nous avons pu avoir le Budapest Art Orchestra pour leur faire jouer ces parties, ainsi qu’une super personne venue de Finlande pour diriger le tout. Elle a produit ça et a arrangé quelques trucs, même si nous avions fait le gros des arrangements avant avec les gars et Joonas.

C’était vraiment un autre monde pour nous et c’est venu simplement parce que nous aimions l’atmosphère que ça allait créer. Nous trouvions qu’il y avait énormément d’espace dans cette chanson, donc nous nous sommes dit que nous pourrions y faire quelque chose. Nous ne voulions pas qu’il y ait juste un violon par-ci par-là, encore une fois, nous voulions y aller à fond et avoir une grosse partie orchestrale. Musicalement, il y a un côté à la Apocalyptica, mais j’ai le sentiment que cette fois, ça va encore plus loin avec des éléments rappelant Bring Me The Horizon et ce genre de chose. C’est plein de choses différentes que nous avons combinées en une seule. Quand on écoute les arrangements de cette chanson, on peut aussi entendre pas mal d’éléments hip-hop, mais à la fois on a aussi un côté death metal ou black metal. Je trouve ça vraiment cool, car encore une fois, ça nous montre à quel point notre univers est vaste.

« Je trouve qu’il y a un gros paradoxe au sein du metal. Toute l’idée quand on commence à jouer du metal, c’est qu’on a le droit de faire ce qu’on veut, mais ensuite, tout d’un coup, on se retrouve enfermé dans une putain de case et on n’a pas le droit de faire ci si on fait ça, ou on n’a pas le droit d’écouter ci si on fait ça. Mais putain, pourquoi pas ?! »

Tu as mentionné Bring Me The Horizon. C’est un autre groupe qui a beaucoup évolué depuis ses débuts. Vous reconnaissez-vous en eux et dans leur évolution ?

Je me reconnais plus en eux qu’en n’importe qui d’autre, purement à cause de l’évolution du groupe. J’adore le fait qu’aujourd’hui, avec ce groupe, on peut s’attendre à l’inattendu. On ne sait jamais exactement ce qu’il va se passer à l’avenir. Je ne peux pas dire que ce soit à cent pour cent pareil pour nous, car nous évoluons au sein d’un certain univers metal – en tout cas jusqu’à présent –, donc évidemment, on sait qu’on va avoir des guitares saturées, de la double pédale et ce genre de choses. Mais ce que j’adore chez Bring Me The Horizon est le fait qu’ils peuvent littéralement faire tout ce qu’ils veulent. Je trouve qu’on peut entendre une influence authentique et pure dans cette musique. Ils ne sont pas là à se dire : « On va faire quelque chose parce que c’est cool aujourd’hui et on passera à autre chose après car il y aura un autre truc cool demain. » C’est un groupe qui comprend que la liberté créative et musicale veut littéralement dire liberté et créativité musicale.

De même pour nous, je trouve qu’il y a un gros paradoxe au sein du metal. Toute l’idée quand on commence à jouer du metal, c’est qu’on a le droit de faire ce qu’on veut, mais ensuite, tout d’un coup, on se retrouve enfermé dans une putain de case et on n’a pas le droit de faire ci si on fait ça, ou on n’a pas le droit d’écouter ci si on fait ça. Mais putain, pourquoi pas ?! C’est littéralement l’œuvre de notre vie. Dans vingt ans, quand j’y repenserai, j’ai envie de me dire : « C’est super qu’on ait pris ces risques » car même s’ils ne marchent pas, au moins nous avons pu faire exactement ce que nous voulions.

Ce que vous avez aussi en commun, c’est un grand sens de l’accroche…

C’est très difficile de mettre le doigt sur ce qui est accrocheur et ce qui ne l’est pas. Même dans le temps, je pouvais écouter une chanson de Slipknot, genre sur leur premier album, et me dire : « C’est un riff accrocheur ! » Ou j’écoutais une chanson de Dimmu Borgir et je me disais : « Cette ligne de basse est accrocheuse ! » J’ai l’impression que plein de gens perçoivent différemment ce que veut dire « accrocheur ». Je comprends parfaitement ce que tu veux dire en parlant d’accroche, c’est-à-dire que la mélodie te reste en tête. En ce sens, je dirais clairement oui. Mais quand on trouve un riff qui est lui-même accrocheur et qu’on va plus loin dans cette direction, ou quand on comprend et apprécie que même un solo peut faire partie intégrante d’une chanson parce qu’il est accrocheur, pour moi, c’est là qu’un groupe comprend complètement ce que « accrocheur » veut dire. Donc en ce sens, je suis d’accord avec toi.

La chanson « (We Are The) Braindead » est une référence évidente à l’album Braindead et tu l’as qualifiée de « profonde révérence » au passé du groupe. Penses-tu que ce soit important, que ce soit pour vous ou pour vos fans, en particulier maintenant que vous explorez de nouveaux horizons, de garder un œil sur le passé et un lien avec celui-ci ?

En un sens, oui, car personne ne peut jamais échapper à son passé. Avec ce que nous sommes en train de faire en ce moment, il n’y a pas non plus besoin d’y échapper. Mais ce n’était pas quelque chose que nous avions l’impression de devoir à qui que ce soit, car nous n’avons pas l’impression de devoir quoi que ce soit à qui que ce soit, c’est l’essence même de ce que nous faisons. Dans ce monde, pour moi, la règle la plus importante est qu’il ne faut attendre rien de personne car personne ne te doit rien. Nous ne pensons pas devoir maintenir le lien avec ce que nous avons fait avant, il s’agit plus de dire aux gens et leur montrer qu’on peut avoir une chanson comme « Suffocating » sur cet album, mais aussi une chanson comme « (We Are The) Braindead ». C’est simplement quelque chose qui est sorti de nous et on n’est pas obligé d’y voir un sens plus profond en rapport au passé ou autre. Le message derrière « (We Are The) Braindead » est simplement que nous sommes une grande famille et que ça ne va jamais changer. Comme plein d’autres groupes de metal et de punk rock, ce que nous faisons, c’est offrir une place pour tout le monde, pour les marginaux, pour les rejetés, pour les gens qui ont l’impression d’être les dernières personnes sur terre. C’est là que nous intervenons, car nous sommes exactement ces personnes. C’est comme dire : « S’il vous plaît, rejoignez-nous, parce que nous sommes là pour vous et vous êtes là pour nous. »

Après, beaucoup de gens seront furieux contre nous parce que nous faisons ci et ça, mais au final, nous sommes exactement les mêmes personnes qu’avant. Nous fonçons tête baissée dans tout ce que nous faisons. Ça vient directement du cœur. Nous ne réfléchissons à rien. C’est un peu ce que le mot « braindead » signifiait, y compris en 2012 et 2013. Nous ne pensons à rien, nous plongeons la tête la première. Et si ça fonctionne, c’est génial ; si ça ne fonctionne pas, nous réessayons.

« Nous n’avons pas l’impression de devoir quoi que ce soit à qui que ce soit, c’est l’essence même de ce que nous faisons. Dans ce monde, pour moi, la règle la plus importante est qu’il ne faut attendre rien de personne car personne ne te doit rien. »

Tu as dit qu’avec la chanson « Creature » tu avais pris une sinistre trajectoire qui t’a amené à « écrire durant une période trouble quand tout commençait à s’effondrer dans [ta] vie ». Peux-tu nous parler du contexte à ce moment-là, et de l’état émotionnel et psychologique dans lequel ça t’a plongé ?

Je ne veux pas trop rentrer dans les détails de ce qui est arrivé à ce moment-là, mais ce que je peux dire, c’est que cette session que j’ai faite avec Joonas était le lendemain d’un des plus grands événements qui ont amené à ce que tout ceci se produise. J’avais besoin de m’échapper de tout ce que j’étais en train de faire à ce moment-là, car littéralement, je ne savais pas ce qui allait encore me maintenir en vie. J’ai pris la voiture et j’ai foncé tête baissée vers Helsinki. Nous avons fait une session et ce qui en dit long, c’est le fait que je ne me souviens de rien concernant tout ce weekend, mais ce qui en est ressorti était cette chanson que nous avons eu de cesse d’emmener plus loin. Encore aujourd’hui, j’ai des frissons quand j’écoute cette chanson, car je ne sais pas ce que s’y passe, c’est super profond en ce sens, comme tout l’album. Quand tu fais quelque chose qui se déroule en grande partie durant une période aussi traumatisante de ta vie, ce que tu laisses derrière toi est magnifique. Au final, ce que nous voulons transmettre avec cet album, et ce que nous voulons toujours transmettre quand nous abordons des sujets sombres et profonds, ce n’est pas : « J’emmerde le monde, le monde est nul, tout est foutu. » Nous voulons donner de l’espoir aux gens qui ressentent la même chose, car nous avons longtemps été ces personnes. Avec cet album, il y a quelque chose de vraiment beau dans le fait qu’un tel traumatisme puisse, au bout du compte, sauver une vie. Nous avons sorti trois chansons pour l’instant et nous avons reçu énormément de commentaires de partout dans le monde, de gens qui disent : « Cette chanson et ce texte me parlent beaucoup. On dirait que tu chantes pour moi ou à propos de moi. Ça m’aide vraiment à me sortir d’un moment très difficile. » C’est ce qui donne du sens à nos vies.

Tu parles d’une tragédie. Est-ce la même que celle dont tu parlais dans la citation que j’ai mentionnée tout à l’heure ?

C’est l’une d’entre elles. Toute l’idée et le sens profond du titre de l’album, If The Sky Came Down, c’est le fait que le ciel est évidemment très grand. Le ciel représente les choses que tu as toujours reconnues dans toute ta vie et qui te sont très chères, et tu as l’impression que si elles disparaissaient un jour ou si quoi que ce soit les mettait en péril, tu t’effondrerais, parce que tu ne sais jamais ce qui va se passer le jour où le ciel te tombera sur la tête. Mon histoire, c’est plusieurs choses qui se sont passées en même temps. Et on n’est pas préparé à ça et à être foutu. Cette question est en suspens dans cet album pour que les gens puissent y réfléchir activement : quand ça arrivera, si ça arrive – généralement, ça arrive à un moment donné – qu’est-ce que je vais faire ?

J’imagine que la pandémie a un lien avec ça ?

Honnêtement, au final, ce qui est drôle, c’est que la pandémie n’a joué aucun rôle dans ces événements. Je suis sûr que ça a préparé le terrain, car on parle de problèmes remontant à il y a vingt ans qui sont toujours d’actualité et que j’ai repoussés dans un coin sombre et profond. Donc évidemment, la pandémie a probablement ajouté un peu de pression, et quand ça a fini par exploser, ça m’a éclaboussé de partout, donc en ce sens, ça a un peu participé.

L’album se termine sur une chanson très poignante ne contenant que du chant et du piano intitulée « Suffocating ». Tu y chantes : « L’air est pur mais j’étouffe ». Qu’est-ce que cette chanson particulière – autant dans la forme musicale que dans les paroles – signifie pour toi ?

C’est assurément la chanson la plus personnelle dans l’album et parmi toutes celles que j’ai jamais écrites, dans le sens où c’était la dernière que j’ai écrite pour l’album et ça devait être la dernière que j’allais écrire de toute ma vie. Je pense que rien que ça, en soi, ça lui donne un sens très personnel pour moi. Cette phrase, par exemple, « l’air est pur mais j’étouffe », tout comme le passage dans « Stitches » où je dis qu’être « asymptomatique ne veut pas dire qu’on n’est pas malade », c’est pour montrer aux gens qu’on va littéralement croiser des milliers de personnes chaque jour en se promenant dans la rue et qu’on va se faire une opinion sur elles sans savoir ce qui se passe dans leur vie. On verra une personne avec un bras cassé et on se dira qu’elle va probablement aller à l’hôpital. Quand on a une jambe cassée, on sait tout de suite où aller, mais quand ce truc là-haut est cassé, on n’a aucune idée où aller. Et on ne saura jamais si quelqu’un ressent quelque chose de similaire.

Cette chanson était aussi évidente à mes yeux que l’était « 112 » en ouverture d’album. C’était facile de décider que ça allait être le dernier morceau, car après un album fait de morceaux super agressifs, rapides et plus lents, avec des guitares saturées, des cris, de la double pédale et tout, à la fin, tu te retrouves avec cette chanson dépouillée où il n’y a littéralement qu’une personne qui raconte son histoire et explique à l’auditeur ce qu’il vient d’écouter. On ne peut pas se cacher derrière des trucs sophistiqués, il n’y a que cette seule voix. A mes yeux, c’est l’un des plus beaux instruments, mais aussi l’un des plus dépouillés. On ressent tout ce qu’on chante, il faut y mettre des sentiments, autrement ça sonne comme un ordinateur. Pour moi, c’est le sens de cette chanson.

« J’avais besoin de m’échapper de tout ce que j’étais en train de faire à ce moment-là, car littéralement, je ne savais pas ce qui allait encore me maintenir en vie. […] Si ceci ne montre pas que la musique peut littéralement sauver une vie, je ne sais pas ce qui pourra le faire. »

C’est drôle comme on pourrait la prendre comme une chanson de confinement…

Je pense qu’un élément clé dans un album ou une chanson pour que ça puisse parler aux gens – pas juste à nous, mais à tout le monde – c’est le fait qu’il faille toujours donner son histoire. Evidemment, on raconte son histoire sur ce qu’on est en train de vivre, autrement ça n’a pas de sens, mais il faut aussi laisser suffisamment d’ouvertures pour que les gens puissent créer leurs propres histoires et leurs propres souvenirs avec ces chansons. Je peux chanter sur la mort, mais quelqu’un d’autre percevra ça comme une chanson sur une relation qui a échoué ou sur la vente d’une voiture [rires]. Il faut toujours laisser planer un certain mystère pour que les gens puissent se l’approprier, car c’est ce qui nous lie tous et, au bout du compte, c’est pourquoi la musique nous unit.

As-tu encore aujourd’hui l’impression que cet album est une « lettre d’adieu » et que « Suffocating » est la dernière chanson que tu écriras jamais ?

Non, c’est ce qui est beau avec tout ça. Nous voilà aujourd’hui, plus qu’un mois environ avant que l’album sorte, après six mois de thérapie et tout, et je suis toujours là, j’ai toujours le sourire, je me sens mieux que jamais. Si ceci ne montre pas que la musique peut littéralement sauver une vie, je ne sais pas ce qui pourra le faire.

Tu as mentionné une thérapie. La musique en faisait partie, selon toi ?

Absolument. Ça faisait partie du processus de guérison, car comme je l’ai dit, avec la chanson « 112 », après vingt-six ans, plus tous les événements traumatisants, j’admets enfin que je ne vais pas bien. C’est là que tout a commencé. Tout le processus consistant à faire, enregistrer et maintenant sortir cet album a eu un énorme effet thérapeutique sur moi, à un point que les mots ne sont pas suffisants pour l’expliquer. Mais en plus de ça, il a fallu beaucoup travailler et ça a nécessité six mois de thérapie, qui se poursuit encore aujourd’hui. C’est un peu comme lorsque quelqu’un va à la salle de sport ou commence un régime : tu t’attends à des résultats immédiats, mais ça ne se passe pas comme ça. Il faut rester assidu et y travailler chaque putain de jour. Autrement, il n’y a aucune chance qu’un jour tu puisses aller mieux.

Tu étais de toute évidence dans un sale état quand tu as fait cet album. Nous avons pu échanger par le passé avec des musiciens qui, même s’ils sont connus pour leur musique sombre, n’arrivent pas à être créatifs quand ils se sentent mal. Du coup, comment es-tu parvenu à être créatif dans ces circonstances ?

Je suis un énorme fan de musique depuis que j’ai sept ans, et c’était il y a vingt ans. J’ai fait partie de tant d’albums extraordinaires, de tant de projets géniaux, et j’ai écrit tant de textes et de chansons que j’ai l’impression que tout ceci a été un exercice pour arriver à cet album. Comme je l’ai dit, la musique est notre exutoire, c’est l’endroit où on peut exprimer toute l’énergie positive et négative que l’on a en nous, donc à ce stade, quand quelque chose d’aussi énorme se produit, si tu n’es pas capable de le transformer en musique, ça veut dire que tu as encore besoin de t’exercer. Mais si tu en es capable, c’est un peu la forme ou le moyen artistique ultime à ta disposition, tu donnes enfin tout ce que tu as et tu ne fais pas que peindre en noir. Tu donnes tout, tu déverses tout, pour le montrer au monde. J’ai le sentiment qu’à ce stade, c’était la seule chose logique à faire. C’était la seule chose qui me paraissait normale et naturelle, car quand tout part en couille, tu peux toujours avoir confiance que la musique sera là.

Penses-tu que les tragédies et moments difficiles engendrent les belles œuvres d’art ?

Ça engendre quelque chose que rien d’autre ne peut créer, c’est certain. Je ne peux pas dire que les meilleurs trucs viennent quand on est déprimé ou que les pires trucs viennent quand on est heureux, car c’est très différent suivant les personnes. Ceci étant dit, si on est quelqu’un de joyeux et qu’on le reste, on aura l’impression que ce qu’on fait a une certaine cohérence, mais si on est confronté à une épreuve difficile, ce qu’on obtiendra, on ne l’aurait jamais obtenu si on était resté dans son état normal. Il y a quelque chose de très intéressant et mystérieux là-dedans. Une chose que je me suis dit et dont j’ai parlé avec mon thérapeute est que lorsqu’on a créé quelque chose de si beau en étant dans un état d’esprit aussi horrible, c’est presque comme si notre cerveau nous poussait à rester dans cet état d’esprit. On se bat activement contre l’idée d’aller mieux car on a l’impression qu’on est au meilleur de notre forme artistique quand on se sent très mal. C’est vraiment effrayant et il faut essayer de lutter contre ça. Quand quelqu’un écrit quelque chose d’incroyable quand il se sent super déprimé, c’est très difficile pour cette personne de laisser tomber ce sentiment. La prochaine fois qu’elle commencera à écrire quelque chose, elle se dira : « Je n’arrive à plus rien écrire parce que je ne me sens pas aussi mal qu’avant. » Mais tout est question de trouver intérieurement le moyen de se souvenir de ce qu’on a vécu ou d’un moment où on a été heureux et qui n’est plus d’actualité.

« Lorsqu’on a créé quelque chose de si beau en étant dans un état d’esprit aussi horrible, c’est presque comme si notre cerveau nous poussait à rester dans cet état d’esprit. On se bat activement contre l’idée d’aller mieux car on a l’impression qu’on est au meilleur de notre forme artistique quand on se sent très mal. C’est vraiment effrayant. »

As-tu peur de ça pour le prochain album ?

Non, je ne me suis presque jamais senti aussi libre sur le plan créatif. Quand tu obtiens quelque chose comme ça et que tu as pressé pour extraire autant de toi, tu as presque l’impression d’avoir atteint la fin d’une très longue période de ta vie et que maintenant, tu acceptes enfin l’avenir. Je n’ai aucune idée de ce qui va se passer après, mais je sais aussi que quelque chose de super arrivera.

Les paroles de cet album sont de loin les plus personnelles que tu aies écrites jusqu’à présent. Comment le fait de t’ouvrir ainsi a impacté ta performance vocale ? Comment était-ce dans la cabine de chant ?

Ça aussi c’est incroyable parce qu’il y a des lignes de chants plus complexes que jamais pour ce groupe, mais d’une certaine façon, c’était plus facile que jamais de les faire. Quand on chante à propos de sujets qui nous tiennent à cœur, on peut littéralement s’ouvrir dans la cabine de chant. J’applaudis Joonas et je ne pourrai jamais suffisamment le saluer parce qu’il m’a tenu la main durant tout ce processus en étant là : « Tu sais quoi ? Ça va, tu peux y aller. Dis au monde ce que tu as à dire. » Ça a joué un rôle primordial dans tout ça. C’est comme si tu avais un équilibre entre la chose la plus difficile au monde et la plus facile au monde, car tu fais exactement ce que tu penses devoir faire à ce moment-là de ta vie.

Ce n’était pas difficile de te retrouver aussi à nu que tu l’es dans « Suffocating » ?

Je pense que quand on abandonne tout espoir et que plus rien ne compte, on se dit : « Pourquoi devrais-je avoir honte de quoi que ce soit ? » On peut donc donner tout ce qu’on a et se sentir tellement libre qu’on peut littéralement se mettre à sonner comme n’importe quoi.

Ne redoutes-tu pas de chanter certaines de ces chansons en concert et de revivre ça ?

Ce sera mitigé, c’est sûr. Mais à la fois, ce sera tellement libérateur, car quand on vit quelque chose, tout d’abord, on ressent quelque chose, puis on le traduit en art, puis on sort l’œuvre et la dernière étape consiste à le célébrer plutôt qu’à le revivre. Tu cries ces choses, tu les revis avec plein de gens, mais d’une autre manière. Tu ne revis pas le côté négatif, tu célèbres le fait que tu es encore là.

Même si l’album sonne clairement moderne, il y a aussi un côté très brut et organique. Comme c’est un album très personnel, penses-tu qu’il avait besoin d’une production aussi crue que les paroles ?

Il y a peut-être un lien, mais tout le côté production est en fait venu du fait – je m’en souviens parfaitement – que notre producteur, qui a aussi mixé l’album, avait une idée très claire du son que cet album devait avoir, c’est-à-dire celui d’un groupe qui joue ensemble. Evidemment, c’était lié au contenu des textes ou de la musique, mais c’était aussi pour aller à l’encontre de ce qui se passe depuis cinq ou dix ans, avec tous ces groupes de metal moderne qui sonnent exactement pareil. Les chansons peuvent être tout ce qu’on veut, mais sur le plan sonore, on s’attend un peu à entendre les mêmes samples de grosse caisse, le même son de caisse claire, un millier de guitares empilées les unes sur les autres et de l’Auto-Tune à fond.

Joonas voulait faire quelque chose de totalement différent. Honnêtement, au départ, je voulais m’aligner avec les standards du metal moderne actuel, c’est-à-dire exactement comme toutes ces merdes qui sonnent pareil – enfin, je ne devrais pas dire « merdes », car ça sonne bien, mais l’idée est que si tu fais quelque chose de différent, il faut que tu t’en donnes les moyens. Au départ, j’étais là : « Non, faisons comme ça. » Mais lui était là : « Non, faisons comme ci. » C’était fou parce que nous avons réalisé seulement après l’avoir fait que c’était une approche très risquée, car quand tu as une playlist Spotify ou Tidal, si ton morceau passe entre deux chansons puissantes et samplées et que ça sonne mal, tu es complètement baisé. Mais il savait parfaitement ce qu’il voulait entendre et ce que nous voulions entendre, c’est pourquoi le résultat est si extraordinaire. Et puis nous faisons aussi pas mal référence aux début des années 2000, donc c’était beau et cool que nous expérimentions pour que ça sonne plus comme si ça venait de cette époque que des années 2020.

« La mort d’Alexi Laiho était vraiment difficile à encaisser. En tant que musicien faisant partie de ces personnalités hors du commun, c’était le numéro un. Il nous a tous montré dans ce groupe qu’on pouvait littéralement être l’une des plus grandes rock stars sur la planète et malgré tout rester une personne normale. »

Vous aviez quitté Nuclear Blast pour sortir No Absolution sur un label plus confidentiel, mais vous êtes désormais de retour chez Nuclear Blast pour If The Sky Came Down. A l’époque de No Absolution, tu nous avais dit que « pour le quatrième album, [v]ous vouli[ez] faire quelque chose d’un peu différent, c’est pourquoi la collaboration n’a pas continué », sans entrer dans les détails. Comment expliquer cette volte-face maintenant ? L’expérience avec No Absolution n’a pas été concluante ?

Elle l’a été. Comme je l’ai dit, nous avons eu la plus longue période d’écriture entre Braindead et No Absolution, nous avons eu quatre ans. Evidemment, nous avons beaucoup tourné après Braindead, mais toute l’idée était que nous ressentions le besoin d’avoir plus de temps. Nous étions en phase avec Nuclear Blast à ce moment-là, car nous avions accompli plein de choses sympas ensemble, mais nous ressentions aussi, eux et nous, que le groupe devait évoluer en totale liberté créative – et quand je dis liberté créative, je veux dire avoir beaucoup de temps et aucune contrainte quant à la date de sortie de l’album –, donc nous trouvions que c’était une décision toute naturelle. Ça a changé notre monde car durant ces quatre années, nous avons pu tourner, nous avons pu composer, nous nous sommes donné des défis, nous avons gagné un nouveau co-compositeur et un nouveau producteur. Ça a vraiment changé notre regard sur tout ce que nous faisions. Après la sortie de No Absolution, nous avons repris contact avec Nuclear Blast en disant : « Maintenant, on sait pourquoi on est partis. On sait pourquoi tout ce truc avait du sens. » Et ils étaient là : « Oui, exactement » [rires]. Nous avons rallumé cette flamme qui était très présente sur le premier album. C’est pourquoi ça nous semble encore plus spécial de sortir cet album aujourd’hui chez Nuclear Blast, c’est presque un nouveau départ entre nous.

Par le passé, tu nous avais dit qu’Alexi Laiho était l’une de tes plus grandes influences pour le chant et la guitare. A quel point sa mort a-t-elle été un coup dur pour toi ?

C’était dévastateur. Encore aujourd’hui, je n’arrive toujours pas à réaliser que c’est arrivé. A bien des égards, c’était le premier coup dur qui a lancé toute cette descente aux enfers, début 2021. Personne ne l’a vu venir. C’était vraiment difficile à encaisser. En tant que musicien faisant partie de ces personnalités hors du commun, c’était le numéro un. Il nous a tous montré dans ce groupe qu’on pouvait littéralement être l’une des plus grandes rock stars sur la planète et malgré tout rester une personne normale. On n’a pas besoin de conneries entre soi et les autres ou autour de soi. On fait ce qu’on aime, on continue à s’entraîner et on essaye quand même d’être meilleur qu’il y a dix ans. C’est la plus grande leçon qu’il nous a tous apprise. Donc quand tu as autant aimé l’art de quelqu’un pendant toute ton enfance et plus tard dans la vie, que tu as eu l’occasion de connaître cette personne et d’être proche d’elle, sa mort est vraiment dure à vivre. Je ne l’ai toujours pas digérée, mais à ce stade, tout ce qu’on peut faire c’est essayer de penser uniquement aux bonnes choses qui se sont passées quand il était encore de ce monde. Je pense que personne n’intègrera jamais complètement que c’est arrivé, mais on peut être heureux de tout ce qui s’est passé de son vivant.

Interview réalisée par téléphone le 30 août 2022 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Sam Jamsen.

Site officiel de Lost Society : lostsociety.fi

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