Johanna Sadonis ne s’est pas laissée abattre par la chute de The Oath. Alors que la formation sortait enfin un premier album plutôt attendu dans lequel la jeune femme plaçait beaucoup d’ambitions, des dissensions – que l’on imagine aussi profondes que leur relation fut passionnée – avec la guitariste suédoise Linnéa Olsson ont amené le split précoce de ce groupe que l’on avait notamment vu accompagner Ghost lors d’une partie de leur dernière tournée européenne. De cette volonté de rebondir rapidement est née Lucifer, dans lequel Johanna a emmené l’ancien batteur de The Oath, ainsi qu’un bassiste qui était sur le point de les rejoindre, une façon pour elle de ne pas repartir du néant. Un projet aux velléités non des moindres, puisque la Berlinoise est partie chercher les services de Gary Jennings, l’ex-Cathedral et toujours membre de Death Penalty, particulièrement réputé pour sa grande créativité en matière de riffs.
De riffs, il va en effet beaucoup en être question tout au long de ce Lucifer I. Jennings excelle dans l’art des phrasés rythmiques lourds, profonds et ambiants tout en gardant un côté accrocheur et énergique (« Abracadabra », « Purple Pyramid »). L’homme est taillé dans le même bois qu’un certain Tony Iommi en la matière, et c’est le contrepoids nécessaire et talentueux aux incantations occultes très typées 70’s de Johanna Sadonis. Alors que The Oath œuvrait dans un univers très influencé par la New Wave Of British Heavy Metal, Lucifer, à travers les différentes compositions de l’album, se rapproche à la fois du sombre monde ambiant et plutôt lent de Black Sabbath (comme en témoigne l’éloquent… « Sabbath » !), du psychédélisme à la The Devil’s Blood, ou d’un heavy metal tendance vieille école typé Blue Öyster Cult (« White Mountain », « Izrael »), pour un rendu général proche des Américains de Jex Thoth, comparaison facilitée par des similarités vocales et spirituelles certaines entre Johanna Sadonis et Jessica Thoth.
Si la voix de Johanna Sadonis se veut relativement linéaire dans la tonalité tout au long de l’album, il n’en va pas de même pour le rythme des huit titres de ce premier opus, qui peut aisément être découpé en trois temps d’écoute aux caractéristiques bien différentes. Plutôt percutant et dynamique au début avec quatre titres phares, porte-drapeaux tout désignés du groupe par leur potentiel accrocheur, Lucifer plonge dans une sorte de torpeur volontaire typiquement doom, plus lourde, lente et hypnotique, ponctuée de quelques accélérations heavy, pendant les trois morceaux « White Mountain », « Morning Star » et « Total Eclipse » où règne une ambiance à la Pentagram voire Electric Wizard, dans lesquels Gary Jennings reprend des habitudes tortueuses et enfumées, tout ex-Cathedral qu’il est. Enfin, une lumière s’élève, majestueuse, dans la pénombre, quand résonne dans une totale symbiose diabolique le couple Sadonis-Jennings sur un somptueux « A Grave For Each One Of Us », où l’Allemande excelle dans un registre plus modulé pour conter la destinée funeste et systématique de la vie humaine, tandis que Gary Jennings fait une dernière fois preuve de sa capacité à produire des riffs atmosphériques haut de gamme.
Comme elle nous l’expliquait très récemment, la spiritualité et la magie sont des thèmes très présents dans l’écriture de Johanna Sadonis, comme dans sa vie. On découvre ainsi, au gré des morceaux, une ode au Grand Sphinx de Gizeh (« Purple Pyramid »), un hymne vers Azraël (« Izrael »), l’archange de la mort dans diverses religions, ou encore l’évocation directe du monde magique avec le terme d’origine hébraïque « Abracadabra », contribuant, évidemment, à construire cette atmosphère un brin inquiétante, aux confins de ce qu’est la sorcellerie dans l’imaginaire collectif. Et dans son chant, elle semble à de nombreux passages totalement habitée, transcendée vocalement dans des laïus obscurs et intenses, le tout renforcé par quelques arrangements (des cloches d’églises qui résonnent au début de « Sabbath », des sons de corbeaux en toute fin d’album) qui participent au charme malsain de l’ensemble. Et quand bien même la Berlinoise peut prendre des allures de sorcière ; il y aura définitivement plus désagréable que se faire envoûter par ses sombres litanies.
Ecouter l’album en intégralité et voir le clip de la chanson « Izrael » :
Album Lucifer I, sorti le 16 juin 2015 via Rise Above Records.