Lucifer est un groupe encore très jeune, fondé à Berlin en 2014 par la frontwoman de The Oath, Johanna Sadonis. Elle s’est d’abord associée à Gaz Jennings de Cathedral pour créer une entité influencée par le rock old-school des années 1970 et les mastodontes habituels : Black Sabbath, Led Zeppelin, The Rolling Stones ou encore Blue Öyster Cult. L’arrivée de Nicke Anderson de The Hellacopters, reprenant le flambeau de Jennings à la composition, a solidifié le projet et permis à Lucifer de bénéficier d’une plus grande audience, résultant en une tournée internationale. Lucifer connaît donc une belle ascension depuis six ans maintenant et entend profiter de cette dynamique en livrant déjà son troisième opus, logiquement intitulé Lucifer III. La recette est toujours la même, Lucifer s’applique à peaufiner ce qui fait son succès en prenant soin d’éviter les grands bouleversements.
Le premier single de l’album, « Ghosts », balaye très vite les questions quant à l’orientation musicale de Lucifer III. Lucifer s’évertue à entretenir la nostalgie pour une époque révolue à l’instar de nombreux groupes, évoquée à travers les distorsions crunchy des guitares ou le son mat d’une batterie légèrement en arrière-plan. Le groupe ne pousse pas le vice jusqu’à appauvrir la qualité de sa production, paradoxalement cristalline (l’omniprésence de la basse est d’ailleurs l’un des points forts de l’opus dans un registre où les guitares ont tendance à occuper une grande partie du spectre). La voix langoureuse de Johanna est tout juste mise en avant et « Ghosts » laisse deviner une direction parfois plus sensuelle et moins portée sur le riffing, à l’inverse d’un « California Son », hit du précédent effort. « Midnight Phantom » privilégie d’ailleurs ce groove délicat : on peut imaginer sans peine Lucifer animer les soirées dans les bars malfamés d’Une Nuit En Enfer de Robert Rodriguez. L’introduction de la fausse ballade « Leather Demon », l’amorce de « Coffin Fever » ou la conclusion « Cemetery Eyes » se veulent les arguments principaux de la douceur de Lucifer. Arpèges de guitare, voix murmurée, leads léchés et voix parfois susurrée : tout y est. Lucifer III prend soin de jouer sur le timbre et la prestance de Johanna (« Pacific Blues » bénéficie grandement de ses trop rares variations d’intensité ; ses élancées vocales sur « Leather Demon » évoquent inévitablement Robert Plant) et privilégie une énergie plus nuancée que la fougue d’un Blues Pills.
Lucifer est pourtant loin d’avoir délaissé le goût du riffing incisif. Les guitares lourdes de « Coffin Fever » font honneur à ses influences doom, tout comme le rock enlevé de « Flanked By Snakes ». Il y a en outre de légers renvois au heavy de la fin des années 70 et du début des années 80, à travers le travail mélodique de « Cemetery Eyes » et son final presque homérique que n’aurait pas renié Blue Öyster Cult. En réalité, Lucifer III est peut-être l’album qui utilise le plus le contraste entre un goût prononcé pour le rock puissant des seventies et la délicatesse de sa chanteuse. Le seul bémol est peut-être l’absence d’écarts justement et le semblant de monotonie qui s’installe tout au long de l’écoute. La voix de Johanna n’emmène jamais réellement les compositions vers un degré supérieur d’intensité, comme si Lucifer restait ancré dans une dynamique intangible. Seule la conclusion « Cemetery Eyes » fait véritablement décoller le propos. Pour le reste, on se cantonne à appréhender et apprécier l’intégration de plages plus douces au sein de titres rock qui, bien que bénéficiant de mélodies entêtantes, manquent parfois d’énergie. Agréable et jamais exaltant.
Lucifer se repose sur ses forces, ceux qui se sont intéressés au groupe pour la voix de Johanna, ce cachet seventies et ce goût de la mélodie sensuelle, que Lucifer III accentue, seront ravis. Il manque toutefois une contrepartie plus relevée, un démonstration de force à défaut d’audace. Lucifer se plaît à respecter un rythme de croisière et finit malgré tout par s’essouffler sur la durée, en dépit de la qualité de tous ses éléments.
Vidéo du morceau « Midnight Phantom » :
Morceau « Ghosts » :
Album Lucifer III, sortie le 20 mars 2020 via Century Media. Disponible à l’achat ici