Depuis 2008, Mariusz Duda a entrepris d’explorer d’autres territoires, fort de sa réputation avec le groupe progressif Riverside. Lunatic Soul, son projet solo, s’aventure dans de nombreuses directions, de l’électro à la folk en passant toujours par une case progressive. Under The Fragmented Skies (2018) mettait à l’honneur des atmosphères éthérées, une électro minimaliste élaborée pour communiquer une forme de mélancolie inhérente à la musique de Lunatic Soul. Through Shaded Woods en prend le contrepied, avec une orientation musicale plus organique, mais aussi à l’éclairage plus optimiste. Mariusz Duda s’inspire de la musique folk scandinave et slave avec Heilung et Wardruna en guise de muses. Through Shaded Woods occulte complètement les éléments électroniques de sa musique et Mariusz a mis un point d’honneur à jouer tous les instruments. Through Shaded Woods perd peut-être légèrement en sophistication mais gagne énormément en émotion.
Ces « Shaded Woods » – à traduire par « bois ombragés » – représentent nos pires cauchemars ou traumatismes. Mariusz Duda envisage son album comme un voyage censé les affronter, une véritable épreuve de courage puisant dans le folklore nordique. Cette absence d’arrangements électroniques (même si on retrouve quelques effets de post-production, comme sur la voix dans le morceau titre) correspond à ce désir de rendre hommage à la nature et aux rites humains la célébrant, telles les danses primales et chamaniques. La pulsation et les rythmiques de guitare qui gouvernent « Navvie » illustrent parfaitement le dessein de son auteur, Lunatic Soul en devient effectivement dansant, au sens tribal du terme, et même hypnotique. Mariusz se plaît à répéter le même phrasé aux airs d’incantation. « The Passage » embrasse une approche moins directe en évoquant davantage cette idée de voyage en plusieurs étapes. Les accords optimistes et les sonorités acoustiques laissent place à mi-parcours à un univers hostile symbolisé par les effets de distorsion. L’auditeur semble s’enfoncer dans un territoire dont il ne parvient pas à percevoir les contours. À nouveau Mariusz maintient sans cesse cette pulsation tribale, ponctuée de cris saccadés aux allures guerrières. « Through Shaded Woods » s’ouvre sous de meilleurs auspices, avec cette voix bourdonnante et cette ligne mélodique que la série Vikings n’aurait pas reniées pour illustrer ses épisodes. Mariusz parvient à évoquer ces grands paysages vierges qui forcent l’homme à s’adapter sans jamais complètement les maîtriser. On progresse à travers une nature imposante propice au mysticisme. Des bruits de pas se font entendre lors de la conclusion de « Through Shaded Woods », écrasant le feuillage, tout juste voilés par des bruits d’oiseaux. Mariusz Duda va ainsi jusqu’à expliciter le concept de parcours. « Oblivion » reprend les codes de « Navvie » sous une forme plus mélancolique, avec ces percussions omniprésentes et ces articulations mélodiques acoustiques.
Through Shaded Woods brille justement par la clarté des sentiments qu’il veut faire émerger. La nature est une histoire de contemplation, de confrontation et d’admiration. Un trio qui nous renvoie à notre condition fragile d’être humain, petite partie d’un grand tout. Through Shaded Woods a tendance à voir sa force s’amoindrir lorsque le discours de Mariusz Duda se dilue. Les dix minutes de « Summoning Dance » multiplient les articulations et les transitions parfois abruptes. Encore une fois, le lien des diverses sections tient à cette pulsation ininterrompue. D’une certaine manière, toutes les musiques de Through Shaded Woods sont des rituels en puissance. Seule la conclusion délicate « The Fountain » abandonne ces atours cérémoniels et privilégie des accords de guitare acoustiques déliés, des notes de piano et le timbre aigu de Mariusz. La conclusion en douceur d’un trajet qui se termine sur une note d’optimisme inhabituelle pour le musicien : une victoire sur nos peurs.
Through Shaded Woods réussit parfaitement à illustrer son concept et propose l’une des performances les plus abouties du chanteur, à l’aise sur les phrasés les plus mélodiques et ses interprétations chamaniques. Il est aisé de se laisser emporter et d’imaginer ces immenses forêts, montagnes et lacs qui ont inspiré Mariusz Duda. Il n’y a jamais cette idée d’une tristesse et d’une affliction irrémédiables qui transparaît, seulement la mélancolie que les influences folks utilisées rendent avec justesse. Il s’agit des difficultés à faire face et à vaincre avec sérénité. L’illustration aboutie du voyage spirituel.
Chanson « Navvie » :
Chanson « The Passage » :
Album Through Shaded Woods, sortie le 13 novembre 2020 via Kscope. Disponible à l’achat ici