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Interview   

Lynch Mob : la fin de 30 ans de sensations


Une page se tourne. Trente ans après la sortie de Wicked Sensation, un modèle d’album de hard rock inspiré, bluesy, catchy, riffus, George Lynch et Oni Logan sortent une version ré-imaginée de l’album et en profitent pour mettre un point final à la carrière du groupe. L’occasion de clore l’histoire là où elle avait commencé, et surtout de ranger une bonne fois pour toutes au placard un nom devenu de plus en plus lourd à porter, car pouvant renvoyer – même si ça n’en était pas l’intention initiale – à l’histoire de la ségrégation raciale américaine.

Wicked Sensation Reimagined n’en est pas moins un exercice intéressant – n’en déplaise à ceux qui pensent que l’album de 1990 est intouchable. On y trouve des morceaux rejoués très simplement, avec authenticité, sans grosse production, et parfois totalement réinterprétés. De quoi être surpris ou redécouvrir certaines de ces chansons sous des angles nouveaux, et raviver la flamme d’un album entré dans l’histoire. Nous avons joint George Lynch pour qu’il nous parle de tout ceci et nous éclaire sur les premiers pas de Lynch Mob, créé à l’aube des années 90, dans les cendres encore fumantes de Dokken.

« Nous aurions dû rester ensemble, avec les membres du premier groupe, et continué sur la voie que nous avions établie. Ça paraît logique maintenant ; trente ans plus tard, je l’ai enfin compris. Si j’avais l’occasion de tout recommencer, je ne ferais pas cette même erreur, je ferais une autre erreur [rires]. »

Dokken s’est séparé en 1989 et tu as tout de suite lancé Lynch Mob et fait l’album Wicked Sensation. Comment tout ça s’est enchaîné ?

Le groupe Dokken venait de terminer la tournée des Monsters Of Rock, et nous avions compris qu’à l’issue de celle-ci Don allait quitter le groupe, d’une façon ou d’une autre. Nous ne savions pas comment tout ça allait se dérouler, mais comme tu le sais, nous avons fini par nous séparer. Nous avons pris un peu de temps pour nous et ensuite, il a fallu que nous nous regroupions. Je me souviens que j’avais prévu de monter quelque chose mais je n’étais pas sûr de la forme que ça allait prendre. Initialement, Jeff Pilson, Mick Brown et moi allions conserver le groupe et simplement remplacer Don. Crois-le ou non, nous avions en fait le droit d’utiliser le nom Dokken. Nous étions en procès avec Don et nous avons gagné le droit d’utiliser le nom, mais ça aurait été absurde de l’utiliser à moins de trouver un autre chanteur qui s’appelait Dokken. Un peu de temps est passé, et j’ai pensé que j’utiliserais le nom que j’avais utilisé pour mon petit club de fans de guitare dans Dokken, que nous avions baptisé Lynch Mob. Nous fabriquions des médiators et des T-shirts que je jetais sur scène… C’était un truc organique et naturel qui s’est mis en place dans les dernières années de Dokken. Je me suis dit que j’allais utiliser ça comme base de ce nouveau groupe et le nom est resté. Ensuite, Jeff a décidé qu’il voulait partir faire d’autres choses de son côté, ce qui m’a beaucoup déçu. Nous avons organisé des auditions mondiales et nous avons été très sélectifs. J’ai trouvé Oni – mon membre clé – dans un groupe qui s’appelait Ferrari. La dernière personne que nous avons choisie était Anthony [Esposito] ; nous avons auditionné un tas de bassistes et nous avons opté pour lui. Nous avions aussi Mick, et ensuite c’était parti.

Wicked Sensation est devenu l’un de tes albums les plus emblématiques, tous groupes et projets confondus. Comment expliques-tu la magie qui s’est produite à ce moment-là ?

C’était une combinaison de timing et de ressources. Je sortais tout juste de Dokken qui était une entité en pleine ascension. Chaque album que nous sortions se vendait mieux que le précédent et nous étions sur le point de passer à la vitesse supérieure en devenant une grosse tête d’affiche. Nous étions tous portés par un gros élan. J’ai pu canaliser cet élan et me concentrer sur mon nouveau groupe. J’avais une grosse société de management, des gens qui géraient le business, des avocats, une grosse maison de disques, un chargé de promotion, nous avions toute une machine derrière nous. Je ne pouvais vraiment pas me rater, ça aurait été très dur de faire foirer ça ! [Rires] En plus, nous avions beaucoup d’argent. L’argent achète du temps. Nous avons pu prendre notre temps sur cet album. Il a été fait dans un laboratoire. Nous avions le luxe d’y mettre de l’argent et du temps jusqu’à ce que nous trouvions ça parfait – ce qui veut dire que si nous avons payé trente-cinq mille dollars pour des mix que nous n’aimions pas, nous les jetions et en faisions faire de nouveaux, ce que nous avons fait. Si nous n’aimions pas le studio, nous en choisissions plusieurs pour différents usages. Nous avons fini par utiliser cinq studios différents dans trois Etats. Nous avons fait appel à différents producteurs et ingénieurs également. Une quantité astronomique d’argent a été dépensée pour faire cet album et ça se voit. La morale de l’histoire : on obtient ce pour quoi on paye.

Ressentais-tu un besoin de faire tes preuves, et notamment de prouver que tu pouvais briller en dehors de Dokken ?

Nous ressentions tous le besoin de prouver quelque chose, c’est sûr, et Don y compris. Il a lui aussi sorti un très bon album. Il avait de super musiciens. Je pense qu’il y avait une saine atmosphère de compétition. Nous savions que les gens allaient nous comparer, donc c’était tout naturel. Ça nous a assurément inspirés et poussés à nous plier en quatre et à y mettre toutes les ressources que nous avions, afin d’être sûrs de gagner la bataille [petits rires], ou de remporter la comparaison.

Wicked Sensation est sorti en 1990 à un moment où le monde du rock était en pleine transition : comment as-tu vécu ce moment transitoire dans l’histoire du rock ?

Je n’avais pas reçu le mémo à l’époque. Je ne l’ai pas vu venir et en fait, il m’a probablement fallu deux ou trois ans avant que je ne me réveille et réalise ce qui était en train de se passer, car j’étais profondément enfoncé dans le statu quo à l’époque. Si bien que lorsque nous avons commencé à travailler sur le second album de Lynch Mob – celui sans titre avec Robert Mason – nous avons fait un effort concerté pour faire machine arrière et faire un album encore plus lustré et melodic-rock que Wicked Sensation [petits rires]. Au lieu de faire un album plus bluesy, plus sale et plus brut, nous avons pris la direction opposée. Nous nous sommes dit : « Nous n’avons vendu que tant d’albums de Lynch Mob comparés aux albums de Dokken, essayons de sonner plus comme Dokken et alors on verra plus d’albums ! » – sans réaliser que tout le paysage avait changé et qu’un changement de paradigme générationnel venait de se produire [rires]. Avec le recul, ce n’était probablement pas une super décision.

« C’est une œuvre complémentaire, elle n’est pas censée occulter l’original […]. Ce n’est pas la parole de Dieu, c’est juste des gars qui se sont réunis dans un garage et qui ont joué des notes de musique ! [Rires] Je ne comprends pas en quoi ce serait un drame. »

Malgré tout, Wicked Senstion symbolise assez bien cette transition, musicalement, ayant clairement un pied dans les années 80 et un autre dans les années 90. Puis on a vu plus tard – peut-être pas avec l’album sans titre de Lynch Mob, ceci dit – que tu t’es constamment modernisé : est-ce que ça a été important pour toi de vivre avec ton temps ?

Ça devient moins important avec l’âge mais quand tu as plus de succès, il y a plus en jeu. Les premières années, quand nous vendions des millions d’albums, nous nous soucions beaucoup plus d’être considérés comme étant dans le coup, comme ayant une certaine importance ou comme allant dans la bonne direction, car nous voulions que les chiffres continuent de grimper. Nous voulions atteindre le public le plus large possible et ne pas être perçus comme une bande d’has been ou étant hors sujet. Avec le recul, ce n’était pas très malin parce qu’on n’a pas envie d’être des suiveurs ou même des meneurs, on n’a pas envie d’anticiper quoi que ce soit, idéalement on a juste envie d’être nous-mêmes et que les gens nous découvrent et nous apprécient pour ce qu’on est, c’est-à-dire uniques. Je pense mieux comprendre ça aujourd’hui qu’à l’époque. En l’occurrence, Wicked Sensation était un album très honnête, qui a été créé et composé avec les tripes, il correspondait à ce que nous voulions faire, nous n’y avons pas énormément réfléchi. Ensuite, nous sommes passés au second album et c’était une réaction à tout, nous essayions de vraiment réfléchir à ce que nous faisions et de donner une réponse coordonnée à ce que nous pensions être notre place sur le marché. Nous avons eu une mauvaise lecture et nous en avons souffert, nous avons perdu notre maison de disques. Avec le recul, et c’est évidemment toujours plus facile, nous aurions dû rester ensemble, avec les membres du premier groupe, et continué sur la voie que nous avions établie. Ça paraît logique maintenant ; trente ans plus tard, je l’ai enfin compris. Si j’avais l’occasion de tout recommencer, je ne ferais pas cette même erreur, je ferais une autre erreur [rires].

Vous sortez désormais Wicked Sensation Reimagined avec de nouvelles interprétations de ces chansons. Comment en avez-vous eu l’idée et comment avez-vous abordé ces ré-imaginations trente ans plus tard ?

Nous ne voulions pas simplement sortir une version remasterisée et remixée d’un album, je trouve que c’est juste pour le fric et sans intérêt. Je ne comprends pas pourquoi les gens font ça. Il y a ces magnifiques enregistrements analogiques, avec un mastering et mixage analogique – un vrai mixage – avec des gens qui ont vraiment manipulé des faders, en sortant des sentiers battus. Pourquoi aurait-on besoin de toucher à ça ? Je trouve que c’est un sacrilège. Je ne me vois pas faire ça. Nous voulions faire quelque chose qui serait complémentaire, plutôt que de remplacer le premier album. Le premier album est magnifique, nous l’adorons. Historiquement, c’est une très belle œuvre, il est à l’épreuve du temps, laissons-le tranquille. Je trouvais que c’était une occasion intéressante de prendre les compositions originales et d’y réagir trente ans plus tard, maintenant que nous sommes des personnes complètement différentes, stylistiquement, avec notre son et notre manière d’interagir en tant que groupe. Nous voulions le faire de manière beaucoup plus simple et honnête – sans tous les traitements et fioritures de studio –, l’épurer et faire en sorte que le groupe sonne comme il sonne naturellement dans une pièce, en comptant sur notre imagination et nos capacités musicales pour faire un album intéressant qui retiendra l’attention des gens, en montrant une évolution ou au moins comment nous avons changé en trente ans. Je crois que c’est une œuvre complémentaire, elle n’est pas censée occulter l’original, pas du tout.

Toucher à un album considéré comme étant sacré par les fans est toujours dangereux : as-tu hésité un instant ? Quelles ont été les réactions ?

Nous avons eu ce genre de réaction négative dont tu parles. Je ne l’avais pas prévu et honnêtement, je ne les comprends pas. Je ne comprends pas la rationalité derrière. J’ai lu quelques réactions de gens qui nous accusaient de vouloir « faire du fric », ce qui ne m’a pas vraiment dérangé parce que, honnêtement, il n’y a eu quasiment aucun argent dans cet album. Ce n’était clairement pas pour se faire du fric, je peux le réfuter de tout mon cœur. Ça m’offense même un petit peu parce que les gens ne connaissent pas notre business. Cet album a eu le plus petit budget de tous les albums que nous avons faits, aussi loin que je me souvienne. Il n’y a pas eu beaucoup d’argent à distribuer à qui que ce soit, donc on ne peut pas nous accuser d’essayer de nous faire du fric avec ça. Nous l’avons fait parce que ça nous semblait amusant, et il n’y a pas de mal à ça. Nous ne retirons rien à l’album original ; il sera toujours là, vous pouvez écouter celui-ci ou pas, on s’en fiche ! Ce n’est pas comme si nous étions en train de remplacer la Bible avec un nouveau livre ou de réécrire la Bible pour avoir la Bible du roi Jacques, en donnant une interprétation différente de la parole de Dieu. Ce n’est pas la parole de Dieu, c’est juste des gars qui se sont réunis dans un garage et qui ont joué des notes de musique ! [Rires] Je ne comprends pas en quoi ce serait un drame. De mon point de vue et du point de vue d’un fan, c’est très intéressant, on peut entendre comment nous jouons et réinterprétons cette musique trente ans plus tard de manière très sincère, sans gosse production et sans énormément d’argent. Nous y sommes juste allés, nous nous sommes branchés et nous avons capturé l’instant. C’est quelque chose de beau. Je ne comprends vraiment pas pourquoi ça poserait un problème à qui que ce soit.

« Je n’ai jamais voulu être le patron d’un groupe, je n’ai pas envie d’être un Yngwie [Malmsteen], trônant seul sur la montagne [rires]. J’aime l’idée de jouer avec mes amis, de partager le travail, les défis, les bénéfices et les récompenses avec tout le monde. Et puis, quand les choses se désagrègent, je le prends très mal et personnellement. »

Ce que l’on peut remarquer, c’est que la moitié des chansons sont très différentes et l’autre moitié est plutôt proche des originaux. N’avez-vous pas été, malgré tout, un peu timides parfois pour expérimenter avec certaines chansons ?

Absolument. Comme tu l’as dit, nous avons trouvé un juste milieu, en prenant des libertés plus extrêmes avec à peu près la moitié des chansons et en laissant l’autre moitié tranquille, en rejouant ces chansons avec notre manière de sonner aujourd’hui, avec une seule piste de guitare, peut-être deux, en restant très basiques et honnêtes. Je pense que c’est la différence principale sur la seconde moitié où nous avons généralement conservé les mêmes arrangements ; nous avons joué ces morceaux un petit peu différemment mais pas énormément. Il y a deux raisons qui expliquent ça. Consciemment ou inconsciemment, nous n’avons pas voulu aller trop loin, nous avons voulu laisser quelques chansons qui ne bougeraient pas dans cet album, comme des points d’ancrage, rejouées par un groupe de rock. Nous ne voulions pas nous sentir obligés de complètement réécrire toutes les chansons. En partie parce que nous n’avions pas le temps. Nous ne voulions pas passer du temps à réinventer la roue à chaque fois. Certaines chansons étaient beaucoup plus malléables. C’était beaucoup plus facile de changer des chansons comme « River Of Love » ou « All I Want » au point de ne presque plus les reconnaitre que de le faire avec « Sweet Sister Mercy » par exemple. C’en est arrivé à un point où nous nous sommes demandé si nous voulions y mettre plus d’efforts. Pour la moitié de ces chansons, il n’y avait rien d’évident qui ressortait par rapport à ce que nous pouvions faire pour les réinterpréter complètement différemment, donc nous les avons laissées tranquilles. J’ai fait un solo de guitare différent, j’ai utilisé un son de guitare différent, j’ai joué le riff un petit peu différemment, peut-être que le rythme a été un petit peu modifié par rapport à l’original, la production était différente, ça a été enregistré plus simplement et honnêtement. Nous trouvions que ça suffisait, nous ne sommes pas partis sur un truc complètement dingue pour nous assurer que chaque chanson était transformée à cent quatre-vingts degrés.

Quelles sont tes chansons préférées sur l’album original et ensuite sur cette ré-imagination ?

Je dirais que ma chanson préférée sur l’album original était « For A Million Years », c’était la dernière chanson que nous avons écrite. Oni avait du mal à trouver les lignes de chant sur cette chanson. Il galérait, donc nous nous sommes réunis tous les deux au studio, nous avons réfléchi et travaillé ensemble pour trouver les paroles et les mélodies de cette chanson. Je ne suis pas en train de dire que c’est ma chanson préférée parce que j’ai travaillé dessus ; pour moi, c’est juste qu’elle encapsule et représente vraiment ce qu’est ce groupe : une base blues, avec un soupçon de parfum oriental, un groove sexy et le jam au milieu qui nous emmène en voyage. Ca renvoie à mes racines, comme The Time Has Come des Chambers Brothers ou Goodbye de Cream : on avait une chanson qui prenait toute une face d’un album, comme une grosse session de jam [petits rires]. Je pense que nous avions un petit peu de ça dans cette chanson. J’ai toujours trouvé cette chanson très puissante. C’était la meilleure représentation de ce que nous essayions de faire. Sur le nouvel album, ma chanson préférée est « Hellchild » parce qu’elle est dramatiquement différente, mais de manière positive. Ce qui était très surprenant et à quoi je ne m’attendais pas est qu’elle a vraiment un côté punk maintenant quand je l’écoute, elle est énervée, furieuse, distordue, bruyante et rapide. Elle est déchaînée, j’adore ça ! C’est de loin ma préférée sur cet album !

Comment comparerais-tu le George Lynch qui a fait Wicked Sensation et celui qui a ré-imaginé l’album en 2020 ?

Avec la version que j’ai faite avec les gars qui ont fait le premier album, comme tu l’as fait remarquer plus tôt, nous avions quelque chose à prouver au monde, c’est-à-dire que nous voulions valider notre existence et avoir un sentiment d’importance, en concurrence avec nos rivaux et ainsi de suite. Nous étions de jeunes hommes ayant quelque chose à prouver. Alors qu’avec cette nouvelle version, pas tellement. Il y a toujours un peu de ça, on essaye toujours de monter le niveau, de faire mieux que l’album précédent et d’impressionner les gens, mais le processus de création de cet album consistait beaucoup plus à nous faire plaisir, à être détendus, à laisser la musique se faire naturellement et ne pas être trop à cran. Je pense que ça s’entend vraiment quand on écoute l’album. Nous n’avons jamais pensé : « Chaque chanson doit être le meilleur truc depuis l’invention du fil à couper le beurre ! » [Rires]. Nous avons laissé faire. Tous les albums que nous adorons et avec lesquels nous avons grandi dans les années 60 et 70 ont des aspects très humains, avec plein de passages où ils étaient peut-être un peu à côté, mais c’est ce qui est beau, les défauts et les imperfections. On ne devrait pas avoir peur de ça. Sur notre premier album, tout devait être parfait, nous étions tendus, c’était très stressant. Cet album, c’était l’opposé, et ça s’entend à quel point nous sommes détendus et avons gagné en assurance en tant que groupe, êtres humains et musiciens. Nous avons davantage confiance en notre capacité à composer et jouer, et nous nous sentons mieux dans notre peau.

« Je sais que les implications plus larges de ce nom sont plus sombres et abominables, et que ce n’est pas quelque chose que j’aurais dû utiliser. Tout ce que je peux faire c’est vivre avec le fait que je l’ai utilisé. […] Je m’en sépare désormais, j’ai hâte de passer à autre chose et de créer quelque chose de nouveau. »

Oni Logan est probablement le chanteur le plus emblématique qu’a connu Lynch Mob. D’un autre côté, sa place dans le groupe a été un peu inconstante au fil des années : il est parti puis est revenu de nombreuses fois. Il a bien participé aux quatre derniers albums, mais il n’était plus considéré comme faisant partie du groupe depuis 2018, jusqu’à ce que vous fassiez ensemble cette ré-imagination… Comment décrirais-tu ta relation avec Oni durant toutes ces années ?

Nous ne sommes pas amis, malheureusement. Ça m’a toujours embêté. C’est mieux d’être ami avec les gens avec qui tu travailles que le contraire, surtout quand on fait de la musique. Je ne l’ai jamais vraiment compris. Je ne suis pas en train de dire que j’ai raison et que lui a tort, nous avons tous les deux nos défauts, mais en dehors de ce que nous faisons ensemble sur album, nous n’avons pas grand-chose en commun. Nous n’avons pas la même vision du monde ou la même éthique de travail, nous ne trainons pas vraiment ensemble. J’ai connu des tensions avec des gens avec qui je joue, nous avons eu des problèmes et ça m’a blessé. Il y a eu des tensions avec un batteur avec qui j’ai travaillé pendant de nombreuses années. Nous avions un grand passé commun et une amitié profonde et respectueuse, mais nous nous sommes sérieusement disputés, ça a duré plusieurs années. Ça m’a énormément ennuyé. L’amitié, c’est important. On peut se sentir très seul dans ce business si on ne joue pas avec ses amis. Je n’ai jamais voulu être le patron d’un groupe, je n’ai pas envie d’être un Yngwie [Malmsteen], trônant seul sur la montagne [rires]. J’aime l’idée de jouer avec mes amis, de partager le travail, les défis, les bénéfices et les récompenses avec tout le monde. Et puis, quand les choses se désagrègent, je le prends très mal et personnellement. Dans ce cas, nous n’avons jamais vécu ça. Je me suis ouvert à lui au fil des années, et ça n’a jamais été réciproque. C’est une relation professionnelle et, pas de problème, c’est comme ça. Il ne me manque pas sur le plan personnel et je pense que nous avons fait tout ce que nous pouvions faire sur le plan professionnel. Nous avons fait plein d’albums ensemble, nous avons écrit plein de chansons. Nous avons dit ce que nous avions à dire, et ça me convient.

Tu as justement déclaré que Wicked Sensation Reimagined serait le dernier album de Lynch Mob et que tu n’allais plus tourner et sortir d’album sous ce nom. Comment as-tu fini par prendre cette décision plutôt radicale ?

C’était un tourbillon parfait d’événements : le fait qu’en ayant enregistré cet album, nous nous soyons rendus à l’évidence que ce serait une bonne opportunité pour clore l’histoire, la pandémie, la fin des possibilités de tournées pour nous au moins jusqu’à la fin de cette année, si ce n’est de l’année prochaine… Lynch Mob était principalement un groupe de tournée – c’est mon seul groupe de tournée –, donc sans tournée, il a peu de raisons d’être. Ayant fait cet album, je trouvais que c’était un bon chant du cygne. La boucle est parfaitement bouclée, nous avons fini là où nous avons commencé. J’aimais l’idée et puis, il y avait le fait que j’ai galéré avec le nom Lynch Mob depuis que nous avons commencé à l’utiliser il y a trente ans. C’en est arrivé à un point où c’est plus que gênant, je ne peux plus continuer à l’utiliser en conscience. Si tu considères ces trois facteurs, c’est à peu près inéluctable. J’ai décidé de faire ce qui paraissait être naturel et juste, c’est-à-dire arrêter le groupe et faire de cet album notre chant du cygne.

Avais-tu déjà songé à abandonner ce nom auparavant ?

De nombreuses fois ! Tu pourrais demander aux labels avec lesquels j’ai travaillé au fil des trente dernières années, c’en est arrivé à un point où je ne pouvais plus continuer à utiliser ce nom, ça n’était pas bien. Par exemple, en 1999, j’ai fait un album qui s’appelait Smoke This. Ce groupe n’était pas Lynch Mob, c’était un style complètement différent, presque rap-metal, avec des musiciens d’Arizona qui n’avaient rien à voir avec l’histoire de Lynch Mob, je n’avais jamais joué avec eux avant, tous des gars plus jeunes… Nous avons fait l’album, Smoke This, et nous étions en discussion avec le label sur la manière de le sortir. En gros, le label m’a donné un ultimatum et a dit que la seule option pour qu’ils puissent vendre cet album était d’utiliser mon nom de marque. S’ils ne pouvaient pas utiliser Lynch Mob, ils n’allaient pas sortir l’album et me donner l’argent. A ce stade, ils me tenaient par les couilles, je n’avais aucune marge de négociation parce que j’avais déjà enregistré l’album et dépensé l’argent, j’avais besoin de sortir l’album. J’ai capitulé. Donc ils l’ont appelé Lynch Mob, ce qui était ridicule, ça n’avait rien à voir avec Lynch Mob. J’ai construit une marque – pas une énorme marque, mais c’était quand même une marque – et quand les tourneurs calent un concert ou qu’un label sort un album, s’ils n’ont pas ce nom de marque, ça a bien moins de valeur et ils ont beaucoup moins confiance en leur capacité à vendre des places ou des albums. J’ai vraiment galéré avec ça. Il y a eu une période au milieu des années 2000 où j’ai abandonné le nom et j’ai simplement appelé ça Lynch, ce qui allait bien, je ne pense pas que ça avait trop d’importance pour les gens mais c’était légèrement déroutant. J’ai fait des va-et-vient en jouant avec ce nom, et puis à la lumière d’événements récents, combinés avec tout ce qui se passe, l’absence de tournée et l’achèvement de ce dernier album, j’ai voulu jeter l’éponge. Je suis content de l’avoir fait, c’est un fardeau en moins, d’une certaine façon.

Quand tu as opté pour le nom Lynch Mob, n’as-tu pas songé à l’époque qu’il pourrait potentiellement poser problème ?

J’avais quelques inquiétudes mais pas suffisamment pour me dissuader de l’utiliser. Il y a toujours des moyens pour rationaliser les choses et je me suis rendu compte au fil des années que ma manière de rationaliser le nom n’était pas si différente de ce que font les apologistes sudistes quand ils utilisent le mot « héritage » au lieu de « haine », en défendant les statues de gens qui se sont battus pour l’esclavage. Ce qu’il faut retenir, me concernant, c’est que c’était un nom pratique et cool. Nous nous disions que nous venions tous du désert d’Arizona, il y avait plus un côté cowboy-indien. J’ai aussi une histoire avec les gens de mon équipe datant de l’époque Dokken qui étaient étiquetés Lynch Mob. J’ai juste repris ça pour le groupe. C’est plus un truc de western. Evidemment, je sais que les implications plus larges de ce nom sont plus sombres et abominables, et que ce n’est pas quelque chose que j’aurais dû utiliser. Tout ce que je peux faire c’est vivre avec le fait que je l’ai utilisé. Au fil des années, je suis tombé sur des noirs en me promenant en ville, en tournée ou à l’hôtel où je résidais. Souvent, les gens me demandaient : « Eh ! Est-ce que tu es dans un groupe ? » Et je me disais : « Oh oh, nous y voilà ! » [Rires] Ce que j’ai pris l’habitude de faire était de dire : « Je vais te le dire, mais d’abord il faut que je te montre mon permis de conduire. » Je commençais avec ça et ensuite, ils en riaient et comprenaient. Il m’arrivait d’inviter des noirs à venir à mes concerts et ils n’étaient pas à l’aise. C’était absurde de ma part de ne serait-ce qu’inviter des gens, je me sentais mal d’inviter des noirs à nos concerts, même si j’ai été dans des groupes et des situations où j’ai essayé de contourner le racisme dont les gens pourraient m’accuser, mais c’était juste vraiment inconfortable. Maintenant, avec ces récents événements, c’est beaucoup plus à vif, c’est comme un nerf à l’air libre, je ne veux plus faire comme si ce n’était pas ne serait-ce qu’à moitié un problème. Ça a été problématique pendant des décennies. J’ai fait des interviews avec des gens, en particulier The Village Voice à un moment donné, et ils ne voulaient me parler de rien d’autre que du nom. Je me sens un peu coupable d’avoir utilisé ce nom aussi longtemps, mais c’est comme ça. Je m’en sépare désormais, j’ai hâte de passer à autre chose et de créer quelque chose de nouveau.

Interview réalisée par téléphone le 2 septembre 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Alex Ruffini.

Site officiel de George Lynch : georgelynch.com

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