Alan Parsons. Un nom qui devrait inspirer tout mélomane qui se respecte. Pour les plus jeunes, Alan Parsons est un peu le Steven Wilson – dont il a d’ailleurs co-produit l’album The Raven That Refused To Sing (2013) – des années 70 et 80, à la fois musicien, compositeur et producteur de génie. Il faut dire qu’il a été élevé à bonne école : à peine à dix-huit ans, il se retrouve apprenti ingénieur du son au célèbre studio Abbey Road de Londres et travaille, notamment, aux côtés de George Martin et des Beatles pour leurs deux derniers albums – Abbey Road (1969) et Let It Be (1970) –, puis avec Pink Floyd sur l’un des albums les plus vendus au monde, Dark Side Of The Moon (1973).
Ce ne sera donc pas une surprise si les composantes principales qui ont fait par la suite la renommée de The Alan Parsons Project étaient les mélodies pop, le goût pour l’expérimentation et le sens de l’orchestration. Une recette détonante qui nous a offert quelques-uns des albums les plus créatifs du milieu rock : citons I Robot (1977), The Turn Of A Friendly Card (1980) ou l’incontournable Eye In The Sky (1982).
Quinze ans après son dernier opus solo, A Valid Path, et alors que The Alan Parsons Project s’est définitivement éteint en 2009 avec son comparse de toujours Eric Woolfson, Alan Parson nous revient avec The Secret. Un album inspiré par la magie mais aussi la science, qui se veut être un retour à son style de prédilection. Nous en parlons avec lui.
« C’est terrifiant aujourd’hui de voir des gens écouter de la musique sur des enceintes d’ordinateur portable ou des MP3 sur leur téléphone et appeler ça du divertissement. C’est terriblement triste et ça fait que le boulot du producteur semble bien moins important. Le son, c’est tout pour moi. »
The Secret est ton premier album en quinze ans. Pourquoi avoir mis autant de temps, alors qu’à la grande époque de The Alan Parsons Project tu sortais jusqu’à un album par an ?
[Petits rires] Les choses étaient différentes à l’époque avec les albums. On pouvait littéralement vendre jusqu’à deux millions d’exemplaires d’un album dans le temps. Le marché est différent maintenant. C’est devenu un marché qui n’écoute que trois minutes de musique à la fois. C’est très frustrant que les gens ne semblent pas avoir le temps de se poser pour écouter quarante, cinquante minutes de musique. Ça me frustre. C’est terrifiant aujourd’hui de voir des gens écouter de la musique sur des enceintes d’ordinateur portable ou des MP3 sur leur téléphone et appeler ça du divertissement. C’est terriblement triste et ça fait que le boulot du producteur semble bien moins important. Le son, c’est tout pour moi. Le fait que les gens ne semblent pas vraiment s’intéresser au son haute fidélité et ne profitent pas d’un bon son quand ils le peuvent me décourage. D’un autre côté, je suis encouragé par le fait que le vinyle se porte très bien depuis quelque temps. Je trouve ça intéressant que le vinyle connaisse une renaissance. Ça signifie que certaines personnes sont prêtes à écouter de longues périodes de musique sur un bon système audio, avec de bonnes enceintes, au lieu de sections de trois minutes sur leur téléphone. J’ai aussi espoir que le son surround finisse par se démocratiser. Je viens tout juste de remporter un Grammy pour la version surround, 35e anniversaire, d’Eye In The Sky qui est sorti assez récemment. L’ingénierie du son reste ma passion. Mais les autres raisons qui expliquent la longue attente, c’est juste qu’il fallait que je me motive à faire un autre album. J’étais occupé sur d’autres choses. J’ai fait un DVD éducatif, ça s’appelle Art And Science Of Sound Recording, qui est également un livre, donc ceci a pris du temps. J’ai produit un album de Steven Wilson, j’ai produit un album avec Jake Shimabukuro, le joueur d’ukulélé virtuose… Et, plus généralement, j’étais occupé avec les concerts. Je ne me suis pas du tout relâché. Je suis très content d’avoir finalement pu trouver l’élan nécessaire pour faire un autre album. J’en suis très content, très fier.
J’ai lu qu’il y avait aussi une problématique de budget, car tes albums coûtent cher à réaliser…
[Petits rires] Oui. Il y a des considérations budgétaires, surtout pour les orchestrations qui coûtent beaucoup d’argent. Mais, en fait, j’ai construit un tout nouveau studio. Avoir mon propre studio, dans ma propriété, chez moi à Santa Barbara, était parfait pour me motiver à faire un album. J’espère vraiment pouvoir retrouver l’argent que j’ai dépensé dans la conception de cet album grâce aux ventes.
Quelle était ton idée quand tu as construit ce studio ? Quels étaient les critères auxquels celui-ci devait répondre ?
Mon précédent studio était en fait dans ma maison, c’était littéralement juste un studio pour projets personnels, avec une simple table de mixage digitale. Je voulais construire un studio qui représenterait le meilleur de la technologie actuelle. C’est du dernier cri. Il y a une toute nouvelle console Rupert Neve avec le dernier Pro Tools. Et puis l’espace est bien plus grand que ce que j’avais avant. En fait, c’est un autre bâtiment extérieur dans ma propriété, ce n’est pas dans ma maison. Je vis dans une ferme pour cultiver l’avocat, donc nous avons plein d’espace ici.
Musicalement, The Secret se démarque de ce que tu as fait dans ton dernier album, A Valid Path, en revenant à un son plus pop rock varié avec des teintes orchestrales et progressives. As-tu eu une volonté de revenir à tes racines ?
Je pense avoir effectivement fait un effort délibéré pour revenir au style du passé. Le dernier album studio, qui s’appelait donc A Valid Path, était une expérimentation avec la musique électronique. Je suis content de l’avoir fait mais c’était juste une expérimentation. Donc je reviens au style traditionnel qui a fait le succès de The Alan Parsons Project. Je pense avoir réussi à faire un album que les fans d’APP apprécieront. Enfin, je ne me suis pas consciemment dit que je voulais faire cet album dans le style de The Alan Parsons Project, j’ai juste suivi mon instinct avec tous les collaborateurs avec qui j’ai travaillé sur les chansons, et ça a très bien marché. Ceci dit, le fait que le style soit similaire à la musique que je faisais à la fin des années 70 et dans les années 80 ne signifie pas que ça sonne vieillot, je ne pense pas que ça sonne comme nous enregistrions les disques à l’époque. Je crois que mon style de musique est tel qu’il n’est pas particulièrement associé à une date, c’est juste un style. Mon style ne donne pas l’impression de venir d’une époque particulière et ça vaut pour ce nouvel album. Ça me semble frais, et non vieillot.
Tu as toujours eu deux facettes qui cohabitaient dans ta musique : expérimentale et pop. Souvent les gens voient ça comme antinomique. Ta carrière est-elle la preuve du contraire ?
[Petits rires] Je suppose. Si je juge mon public via les gens qui viennent à mes concerts, la moyenne d’âge est bien au-delà de cinquante ans, il n’y a pas d’adolescent ou de trentenaires, à moins qu’ils viennent avec leurs parents [rires]. Je pense que mon public est resté fidèle au style de musique que j’avais pour habitude de faire et, à mon avis, le nouvel album ne les décevra pas ! J’ai toujours essayé d’être raisonnablement expérimental mais dans un style qui, je sais, plaira aux fans de mes précédentes musiques. Je ne vais pas chercher des merveilles technologiques comme certaines personnes le font. Tous les jours il y a un nouveau plugin pour les systèmes d’enregistrement informatisés qui sort… Généralement, je préfère juste me poser avec une bonne chanson, une bonne composition, et de bons musiciens qui comprennent très bien leur instrument, et qui peuvent contribuer avec leur propre son au mien. C’est ça qui est important. Je ne me repose pas sur la technologie, c’est ce que j’essaye de dire. J’utilise la technologie mais je ne me repose pas dessus.
« Mon son correspond à celui d’une musique symphonique assez lourdement orchestrée mais avec une bonne base rock. Peut-être que le travail de George Martin avec les Beatles a eu une influence là-dessus. Je veux dire que tout le monde n’a pas l’occasion de travailler avec les Beatles et George Martin [petits rires]. »
Tu as participé à l’album The Raven That Refused To Sing de Steven Wilson : te reconnais-tu dans l’approche pop sophistiquée qu’il a entreprise sur son dernier album To The Bone ? On peut dire, plus généralement, que vous avez beaucoup de points en commun, étant musiciens et producteurs…
Je suis désolé, je ne suis pas familier avec son dernier album [petits rires], je ne me le suis pas encore procuré ! Il faut que je le fasse. Mais Steven est un talent remarquable. C’est un musicien extraordinaire, un super ingénieur et producteur également, et il s’entoure des meilleurs musiciens dans le business. C’était génial de travailler avec lui ; son talent est extraordinaire. Je me suis senti vraiment honoré qu’il me demande de travailler avec lui car il a lui-même un grand talent d’ingénieur et de producteur. Il voulait faire un album, The Raven That Refused To Sing, qui représente l’époque d’où je viens, je pense, et il a réussi, il a capturé un très bon style de rock progressif dans cet album. J’espère que nous pourrons retravailler ensemble bientôt. Il est aussi remarquable dans le sens où son style plaît à des jeunes gens, autant qu’il plaît aux mêmes fans de prog que moi. Il a donc beaucoup de chance d’avoir un jeune public ainsi qu’un public plus âgé qui viennent à ses concerts. J’aurais vraiment aimé pouvoir attirer un jeune public.
De nombreux chanteurs et musiciens participent à The Secret : Jason Mraz, Lou Gramm, Steve Hackett, etc. Et il se trouve que, même si c’était un projet à deux têtes, la collaboration était au cœur de The Alan Parsons Project. Est-ce dans la collaboration que tu as construit ta carrière et que tu t’y es épanoui ?
Je dirais que c’est une de mes marques de fabrique. J’essaye toujours de chercher des talents, qu’ils soient connus ou pas très connus, pour qu’ils jouent sur mes albums. J’ai eu beaucoup de chance que Steve Hackett ait fait ce qu’il a fait. Nous nous sommes rencontrés deux ou trois fois auparavant en tournée. C’est un gars adorable. Lou Gramm, il faut encore que je le rencontre de visu, car nous avons enregistré sa voix à distance. Il était à New York et moi à Santa Barbara. Pareil pour Jason Mraz, il a enregistré son chant à Dallas alors que j’étais ici à Santa Barbara. J’aurais préféré être là en personne avec eux, mais c’est une époque intéressante que nous vivons, dans laquelle la technologie permet de travailler à distance ; ça fait des économies sur les factures d’hôtels et les billets d’avion. Mais, comme je l’ai dit, c’est ma marque de fabrique d’inclure les talents de différentes personnes. Les collaborations sont toujours utiles pour grandir en tant qu’artistes.
The Secret s’ouvre sur une version orchestrale de « L’Apprenti Sorcier » du compositeur classique Paul Dukas. Quelle était l’idée derrière ça ?
Vu que l’album est conceptuellement basé sur la magie, ça semblait être une bonne idée d’inclure « L’Apprenti Sorcier », qui est la pièce classique ultime en matière de thème lié à la magie. Elle a été immortalisée dans le film de Walt Disney Fantasia au début des années 40. Quand j’ai vu ce film, ça a eu un profond effet sur moi. Toute la musique de ce film m’a influencé. Ça me semblait simplement être une bonne idée de faire une version rock de ce morceau. Nous avons mis à contribution de super musiciens sur la version rock : Vinnie Colaiuta à la batterie, Nathan East à la basse, ainsi qu’un bel arrangement orchestral par le claviériste et arrangeur avec qui je travaille depuis des années maintenant, Tom Brooks, et bien sûr, nous avons Steve Hackett qui joue de la guitare et a fait un magnifique boulot. Nous avons fait ceci dans le cadre d’une master class comprenant une session orchestrale. Donc des étudiants assistaient, probablement cinquante gars, tous regardant la session se dérouler. C’était un gros défi de faire ceci avec la pression de finir le boulot en trois heures, car c’est ce qui était prévu. Mais ils étaient très bien, très encourageants, et d’ailleurs ils nous ont aidés. C’était amusant à faire. Je fais pas mal de master class comme ça. Ça va avec ma série de DVD – ou série de vidéos, les DVD sont un peu en train de disparaître maintenant. Ça marche très bien et c’est beaucoup visionné dans les universités et les écoles de musique, j’en suis extrêmement fier.
La dimension orchestrale est de retour sur The Secret. C’est une dimension qui a toujours été liée à ta carrière, que ce soit avec The Alan Parsons Symphonic Project mais aussi très tôt avec des morceaux tels que « Don’t Let It Show » ou « Silence And I »…
J’ai fait le choix de lourdement orchestrer ce nouvel album, mais lors des phases initiales de composition et au début des sessions d’enregistrement avec la section rythmique et les instruments électriques – basse, batterie, claviers, guitares et ainsi de suite –, j’explique ce que la chanson sera quand elle sera orchestrée. Mais le fait que j’utilise plus d’orchestre, ou au moins autant, sur cet album que sur les précédents albums de The Alan Parsons Project était une décision consciente. Je crois que ça fait partie de mon son. Mon son correspond à celui d’une musique symphonique assez lourdement orchestrée mais avec une bonne base rock. Peut-être que le travail de George Martin avec les Beatles a eu une influence là-dessus. Je veux dire que tout le monde n’a pas l’occasion de travailler avec les Beatles et George Martin [petits rires], donc j’ai été très chanceux à cet égard. Aussi, lors des premières années à travailler en tant qu’apprenti ingénieur à Abbey Road, j’ai pu faire plein de sessions orchestrales en musique classique avec les meilleurs musiciens et orchestres du monde. Ceci a été une influence sur ce que The Alan Parsons Project est devenu.
On peut aussi remarquer que tu ne t’imposes aucune limite. Le meilleur exemple serait un album comme I Robot : il y a de la pop, de la musique orchestrale, du funk, de la musique folk… Ta vision musicale n’a-t-elle jamais eu de barrière ?
Je pense que la diversité est ma force et ceci inclut la diversité dans le fait d’utiliser différents chanteurs, différents solistes… C’est une de mes marques de fabrique, c’est-à-dire que je ne fais pas forcément deux chansons sur un album qui sonnent similaires. C’est important qu’on croise les frontières entre les styles. Je pense être parvenu sur le nouvel album à couvrir pas mal de styles. Malgré tout, ça reste un retour à mon feeling de base et, stylistiquement, je suis revenu à l’approche que j’avais avec The Alan Parsons Project.
« La magie est une de mes passions depuis que j’ai six ans et que j’ai eu mon premier kit de magie à Noël. Depuis ce jour, j’apprécie faire des tours de magie avec des cartes ou des pièces pour mes amis. Il est possible que si je n’avais pas fait carrière dans l’industrie musicale, j’aurais été dans l’industrie de la magie à la place. »
Comme tu l’as mentionné, la magie est au cœur de The Secret. En fait, on dirait que la magie a toujours été plus ou moins présente dans ta carrière depuis le premier album de The Alan Parsons Project, Tales Of Mystery And Imagination. Tu as même déclaré que The Secret est « un album avec des influences magiques. » Qu’est-ce que la magie pour toi ? Et qu’entends-tu par « influences magiques » ?
La magie est une de mes passions depuis que j’ai six ans et que j’ai eu mon premier kit de magie à Noël. Depuis ce jour, j’apprécie faire des tours de magie avec des cartes ou des pièces pour mes amis. Il est possible que si je n’avais pas fait carrière dans l’industrie musicale, j’aurais été dans l’industrie de la magie à la place, donc un autre domaine du divertissement. J’ai plein d’amis magiciens, je vais dans un célèbre club de magie ici en Californie qui s’appelle The Magic Castle. J’ai une grande collection d’objets et de livres de magie chez moi. La réalisation de cet album répond donc à une passion. C’était amusant d’écrire des chansons basées sur la magie ! L’album intègre littéralement certains éléments de magie, on entend des paroles raconter des tours de passe-passe, ça parle de détournement d’attention, on entend les mots « apparaître », « disparaître », « magie »… Le titre lui-même évoque un certain mystère. Ça fait référence au fait que tout tour de magie a un secret. Les magiciens ne révèlent jamais le secret de leurs tours de magie. Si le public connaît le secret, alors la magie s’arrête. La magie est dans le secret qui se cache derrière. C’était simplement un thème sympa sur lequel baser les chansons. Il est effectivement intéressant de noter que plusieurs chansons de mon passé ont fait référence à la magie, comme « Don’t Answer Me », la première phrase dit : « Si tu crois au pouvoir de la magie… » L’un de mes succès en tant que producteur était une chanson qui s’intitule « Magic » de Pilots. C’était un tube en 75. C’est marrant parce qu’elle est actuellement utilisée dans la publicité pour une voiture en Amérique. Donc la magie est une passion et j’ai toujours aimé tout ce qui avait trait à la magie.
Est-ce que tu vois la musique comme une forme de magie ?
Oui ! C’est une merveilleuse forme de communication et elle a assurément prouvé avoir une part de magie, ne serait-ce que pour ses qualités thérapeutiques. J’aime penser que la musique peut être magique. J’ai bon espoir de pouvoir dire que j’ai créé une forme de magie sur cet album.
Tu as dédié une chanson sur cet album au cinquantième anniversaire du lancement d’Apollo 11, intitulée « One Note Symphony », et tu as d’ailleurs prévu de célébrer cet anniversaire avec un concert gratuit le 13 juillet prochain. Qu’est-ce que cet anniversaire représente pour toi ?
C’était un grand moment pour tous ceux qui étaient vivants à l’époque. C’était un énorme événement, le fait que l’homme soit sur la Lune. J’étais dans l’ouest de l’Angleterre et j’écoutais la radio quand c’est arrivé, je ne l’ai pas vu à la télévision, mais j’ai ressenti un grand sentiment d’accomplissent pour le programme spatial américain. La chanson n’est pas directement liée à la mission Apollo mais elle fonctionne bien, conceptuellement parlant, avec l’anniversaire d’Apollo 11. Elle parle de ce que l’on appelle la fréquence de guérison qui est 7.83Hz. Des scientifiques, des astronomes et des astrophysiciens soutiennent que cette fréquence est présente partout dans l’univers et maintient son unité. La chanson a donc un pied dans la science et, évidemment, c’était un incroyable exploit de la science d’envoyer l’homme sur la Lune, donc nous sommes contents de participer à cet événement. Ça va sûrement être amusant. J’ai toujours été un peu astronome ; je m’intéresse à l’astronomie en amateur. On a eu le grand privilège de voir l’éclipse totale du Soleil l’année dernière à Nashville, car c’était l’endroit parfait pour ça. Je ne sais pas si tu as déjà vécu ça mais l’expérience d’une éclipse totale est incroyable, c’est magique ! On en revient à la magie… C’est un phénomène extraordinaire, une éclipse totale. Je suis un peu un mordu de science, j’aime lire au sujet de la technologie, de la robotique, de l’intelligence artificielle et ainsi de suite. Nous vivons dans un monde remarquable aujourd’hui, d’un point de vue scientifique. C’est une époque extraordinaire pour la science.
Dans ta jeunesse tu as eu la chance d’être impliqué dans la création d’albums qui ont littéralement changé le monde de la musique : Abbey Road des Beatles et Dark Side Of The Moon de Pink Floyd, qui se trouvent représenter, respectivement, les facettes pop et expérimentales dont je parlais tout à l’heure. A quel point ces deux expériences ont façonné l’artiste que tu es devenu par la suite ?
Il n’y a pas que les Beatles et Pink Floyd qui ont eu une influence sur moi. Grâce à toutes les diverses expériences que j’ai connues en grandissant en tant qu’apprenti ingénieur à Abbey Road, j’ai été exposé à un énorme panel de styles de musique différents. Evidemment, j’étais fan des Beatles et je pense que les Beatles… Les Beatles ont eu une énorme influence sur tout le monde, pas seulement moi, mais [j’étais au studio à leurs côtés] lors de leurs deux derniers albums, donc je pense avoir une excuse pour avoir reçu une petite influence à travers ça [petits rires]. Pink Floyd était le challenge ultime de l’ingénieur. Je pense que ça a en partie déteint sur moi parce qu’ils utilisaient le studio comme faisant partie du processus de composition. Qu’est-ce que « Us And Them » serait sans la technologie du tape delay qui permet de faire les « us, us, us… » ? C’est une preuve que la technologie de studio peut faire vraiment partie du processus de composition. Je pense que les Beatles, Pink Floyd, toute la musique orchestrale sur laquelle j’ai travaillé, tous les différents groupes de rock et de pop avec qui j’ai travaillé, tout le monde de Cliff Richard & The Shadows, The Hollies, jusqu’à Deep Purple – j’ai travaillé avec tous ! –, chaque expérience dans ma carrière a été d’une façon ou d’une autre influente. Mais je n’ai jamais été du genre à oublier que j’étais là avec les Beatles et Pink Floyd, ça m’accompagne chaque jour de ma vie. Je ne changerais rien. Je reconnais que c’est une part importante de ce qui m’a mené jusqu’ici, là où je suis aujourd’hui.
« Pink Floyd était le challenge ultime de l’ingénieur. Je pense que ça a en partie déteint sur moi parce qu’ils utilisaient le studio comme faisant partie du processus de composition. […] Je n’ai jamais été du genre à oublier que j’étais là avec les Beatles et Pink Floyd, ça m’accompagne chaque jour de ma vie. »
Est-ce que tu avais conscience que l’histoire était en train de se créer sous tes yeux ?
C’était les Beatles ! Les Beatles avaient déjà changé le monde, donc ça n’était pas inattendu qu’Abbey Road et Let It Be aient été des succès ; ce n’était pas une surprise. En revanche, à ce stade, il était clair qu’il y avait des tensions dans le groupe. On peut remarquer dans le film Let It Be qu’ils faisaient la gueule. Quand Abbey Road est arrivé, ils ne travaillaient plus très souvent ensemble. Abbey Road était une série de musiques solo. Paul arrivait et travaillait sur ses chansons, George arrivait et travaillait sur ses chansons, John arrivait et travaillait sur ses chansons, et Ringo, on ne le voyait nulle part [petits rires]. Abbey Road est vraiment un recueil de chansons solo. Mais dans le cas de Dark Side Of The Moon, je pense que nous ressentons que cet album était leur meilleure œuvre à ce jour, mais personne ne croyait qu’on en parlerait encore quarante ans plus tard ; je crois vraiment que personne ne se serait attendu à ça.
Quelles ont été tes contributions sur ces albums ?
Je ne peux revendiquer aucune contribution avec les Beatles parce que j’étais un apprenti ingénieur, j’étais un opérateur de bandes, donc il n’y avait strictement aucun apport créatif. Mais sur Dark Side Of The Moon, ouais, j’ai fait quelques contributions. Je leur ai recommandé Clare Torry pour qu’elle chante sur « Great Gig In The Sky ». J’ai eu l’idée des sons d’horloge sur l’intro de « Time ». J’ai influé sur le son pour la boucle sur « Money ». Enfin, oui, j’ai apporté quelques trucs sur Dark Side Of The Moon, bien plus qu’avec les Beatles.
D’ailleurs, comment t’es-tu retrouvé tout jeune à travailler à Abbey Road ?
J’ai quitté l’école tôt, à seize ans. J’ai passé deux ans et demi ou trois ans au sein d’une entreprise associée avec Abbey Road, EMI Records. J’ai travaillé à la section développement d’albums et au département de duplication de bandes. Donc quand j’ai candidaté pour le boulot à Abbey Road, c’était un transfert et non pas un nouveau boulot. Ça faisait déjà trois ans que je travaillais pour la boîte quand j’ai eu le poste à Abbey Road. Mais évidemment, c’était un jour très spécial, mon premier jour à Abbey Road. J’ai commencé à la bibliothèque des bandes et j’ai progressivement évolué pour devenir l’opérateur de bandes, qui était d’ailleurs un boulot à grande responsabilité à l’époque, car si on enregistrait au mauvais moment, ça effaçait le contenu de la bande, et il n’était pas possible de faire machine arrière !
Tu as mentionné l’impact de la technologie sur Dark Side Of The Moon : crois-tu qu’un tel album aurait été plus facile à réaliser aujourd’hui, avec la façon dont la technologie a évolué ?
Nous avons passé énormément de temps à nous battre avec la technologie sur Dark Side Of The Moon. Je veux dire que nous avions à notre disposition toutes les machines d’enregistrement à bande de tout Abbey Road, avec des câbles qui couraient jusque dans les couloirs, car il n’y avait pas d’effets digitaux à l’époque, tout devait être réalisé sur des machines analogiques. C’était très difficile ! C’était une sacré prouesse, je trouve. Donc ouais, ça aurait été bien plus facile et simple de faire cet album aujourd’hui, et je pense qu’il aurait probablement coûté moins cher, et évidemment, nous aurions eu la possibilité de faire une infinité d’essais, etc.
Ça fait trente ans que The Alan Parsons Project s’est arrêté, même si tu as continué à jouer cette musique au fil des années. Un retour serait-il impossible désormais sans Eric Woolfson, ou bien considères-tu The Secret comme une continuation directe de cet héritage ?
Je vois vraiment ça comme une continuation. Enfin, évidemment, depuis la mort d’Eric, j’ai respecté le nom. The Alan Parsons Project, c’était Eric et moi. Je pense qu’il est peu probable qu’un autre album sorte avec le nom de The Alan Parsons Project apposé dessus, car Eric n’est plus là. Je suis actuellement en grand conflit avec un groupe qui veut s’appeler The Original Alan Parsons Project Band. Ce sont les musiciens de session qui essayent d’utiliser mon nom pour leur profit personnel, donc c’est très déplaisant en ce moment. C’est entre les mains d’avocats et tout. Mais je pense que The Secret représente vraiment ce que mon… Mon nom est Alan Parsons [petits rires], le simple fait que je n’utilise pas le mot « project » ne veut pas dire que c’est différent. Bien sûr, Eric était une grande influence, c’était un super compositeur. Je ne peux pas prétendre être aussi bon compositeur qu’il l’était, mais j’ai travaillé avec de très bons collaborateurs sur ce nouvel album. Je pense que nous avons réalisé une œuvre dont les fans de The Alan Parsons Project reconnaîtront la place dans cet héritage.
Qu’est-ce qui avait mis un terme à The Alan Parsons Project après l’album Gaudi (1987) ?
En fait, nous avions fait un autre album, ça s’appelait Freudiana. Eric avait contacté un producteur de musique théâtrale et il avait été décidé que ça ne sortirait pas en tant que The Alan Parsons Project, que ça sortirait simplement en tant que Freudiana. Malheureusement, tout le truc a tourné au vinaigre et a fini dans un terrible conflit au tribunal qu’Eric a méchamment perdu. Durant cette période, il a fallu que j’avance dans ma vie et ma carrière, donc j’ai fait le premier album d’Alan Parsons, qui s’appelait Try Anything Once. C’était comme si le Project était arrivé en bout de course. The Alan Parsons Project a réellement fini avec Gaudi. Je pense que The Alan Parsons Project a connu une période pleine de réussites mais ce sont des circonstances qui ont fait qu’il s’est arrêté en tant que groupe, c’est-à-dire cette terrible bataille légale entre le producteur de Freudiana et Eric Woolfson, dont je ne faisais pas partie. Pendant quatre ans, je ne pouvais rien faire avec Eric pendant qu’il était mêlé à cette procédure judiciaire, donc j’ai simplement décidé de faire un album sans lui, et ça a continué ainsi jusqu’à sa mort.
Interview réalisée par téléphone le 18 avril 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel d’Alan Parsons : alanparsons.com
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