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Interview   

Manigance : de l’ombre à la lumière


Il y a vingt ans sortait Ange Ou Démon, premier véritable album de Manigance passé à la postérité comme un classique du heavy français bourré de tubes, à la fois traditionnel et moderne, avec une sensibilité prog tout en restant concis et accrocheur. Un tremplin qui aura permis à Manigance de se construire d’emblée une identité forte et d’entretenir un élan – malgré une carrière ayant connu son lot de doutes et de tensions – jusqu’à aujourd’hui.

Et cette année de 2002 est d’ores et déjà un nouveau jalon, presque aussi important dans la carrière de Manigance, puisqu’elle voit la sortie d’un septième album, Le Bal Des Ombres, le premier sans la voix emblématique de Didier Delsaux. La tâche de sa successeuse Carine Pinto était forcément pharamineuse, mais elle a l’avantage d’être une fan avant tout. Ça et l’arrivée de Lionel Vizerie à la seconde guitare (Bruno Ramos étant parti vers de nouveaux cieux au sein de Sortilège) et l’absence désormais de clavier attitré suite au départ non remplacé de Jean Lahargue, c’était aussi l’occasion d’apporter un vent de fraîcheur, de réviser voire rénover la formule de Manigance, tout en conservant les fondamentaux. Nous en parlons en détail ci-après avec Carine Pinto et François Merle, chacun racontant l’expérience du changement et de la conception de l’album, mais aussi de l’histoire de Manigance, sous leurs angles de vue complémentaires.

« C’est incroyable de vivre ça. C’est un scénario de film, en fait ! Je ne sais pas si tu as vu Rockstar, mais la drogue en moins, c’est ça [rires]. »

Radio Metal : Carine, la dernière fois, François nous disait que tu étais le bon choix car tu es une vraie fan. Du coup, quel était ton rapport à Manigance et quelle était ton histoire avec ce groupe avant d’en devenir la chanteuse ? François nous disait que toi et ton mari aviez vu le groupe pour la première fois à Montauban en première partie d’Angra il y a plus de vingt ans…

Carine Pinto (chant) : J’ai commencé par être fan du groupe. C’était effectivement il y a plus de vingt ans. Nous avons commencé à aller les voir en concert. Ensuite, de fil en aiguille, nous sommes devenus amis. Notre envie était bien sûr de soutenir le groupe. Je les ai accompagnés sur les concerts, en tournée. Quand il s’est agi de changer de chanteur, ils ont d’abord pensé à une voix masculine, mais ayant eu un peu peur de la comparaison avec l’ancien chanteur qui avait quand même laissé une forte empreinte sur la musique, l’idée d’une voix féminine est vite apparue. C’est là que j’ai eu la surprise qu’on me demande de faire des essais, et ça a matché. En fait, ça fait très longtemps que je chante et que j’apprends à chanter dans des formations locales. Nous avions fait un bœuf avec François pour un de ses anniversaires. J’avais fait une reprise d’AC/DC avec la voix saturée et François m’a regardée un peu bizarrement. Je pense qu’il n’avait pas oublié ce moment-là. C’était deux ou trois ans avant le changement de chanteur et c’est pour ça qu’il m’a demandé de faire un essai pour voir ce que ça pouvait donner sur les morceaux de Manigance qui existaient. Voilà comment je me suis retrouvée, trois mois avant une tournée européenne, à entrer dans un groupe dont j’étais fan.

On ne te connaissait pas vraiment avant que tu intègres Manigance. Peux-tu nous parler de ton background en tant que chanteuse, ta formation, ton parcours, etc. ?

J’ai été dans la musique très jeune. J’ai fait comme beaucoup de gens : du solfège, un instrument de musique… Je me suis autorisé à chanter à partir de trente ans – je ne te dirais pas combien de temps ça fait, par élégance [rires]. C’est là que j’ai commencé à me former pour chanter, à travers des cours particuliers, des stages intensifs un peu partout, des master classes, etc. J’ai éprouvé un peu mes compétences et mes connaissances dans plusieurs formations de type plutôt bal-orchestre, mais aussi dans quelques groupes locaux très confidentiels qui n’ont pas l’aura de Manigance.

Tu es arrivée dans Manigance à la sortie de l’album Machine Nation en 2018 – tu apparaissais d’ailleurs sur le morceau « Face Contre Terre ». A quoi ont ressemblé tes premiers pas au sein de Manigance ?

Déjà, il a fallu passer l’étape de l’étonnement, de la surprise. L’idée d’intégrer ce groupe-là en particulier était très spéciale pour moi. Je savais que je portais une grosse pression pour l’avenir du groupe, donc je n’avais pas le droit à l’erreur. Nous avons beaucoup travaillé. François m’a beaucoup aidée à placer ma voix sur des choses plus metal. La pression est vraiment montée et après une date à Pau où nous nous sommes un peu passé le relais Didier [Delsaux] et moi, je me suis jetée dans le grand bain au Trabendo à Paris, première date de la tournée. Heureusement, j’avais plein de bouées avec tous mes potes qui étaient là pour me soutenir, mais je reconnais que je n’en menais pas large [rires].

François Merle (guitare) : Ça n’a pas été facile parce qu’effectivement, j’ai senti qu’elle avait beaucoup de pression et il fallait qu’elle trouve ses marques après Didier qui avait laissé son empreinte sur le groupe. Il fallait à la fois que le groupe reste cohérent et qu’elle prenne ses marques, ce n’était pas évident. Surtout que ce n’était pas ses chansons, à part un petit couplet, et qu’en plus il y avait beaucoup de déception des fans d’apprendre comme ça, à la sortie d’un album, le départ de Didier. Personnellement, je l’ai vécu plutôt sereinement parce que je lui ai fait confiance, je lui ai amené tout ce que je pouvais lui donner comme énergie pour qu’elle ait confiance en elle. Après, il s’agissait d’arriver à faire les premiers concerts et à passer le cap. Pour ça, ce n’est que l’expérience qui compte. Nous savions que ce n’était pas facile, mais elle a résisté au choc ! [Rires] A l’époque il y avait Bruno dans le groupe et nous avons essayé de l’accompagner au plus proche pour qu’elle oublie le stress et qu’elle profite des moments à vivre.

« Comme tu aimes le répertoire, tu es un peu garant de cet héritage et tu n’as pas le droit de l’abîmer. C’est vraiment une pression supplémentaire, c’est clair, mais dans la bonne humeur et la joie. »

Entre-temps, il y a eu un autre départ au sein du groupe, celui de Bruno Ramos. Qu’est-ce qui l’a fait choisir Sortilège plutôt que Manigance, dont il faisait partie depuis presque le tout début ?

Je ne sais pas trop si on peut le dire comme ça, mais je pense qu’assez simplement, les opportunités de Sortilège, par rapport à la scène et la carrière du groupe, étaient peut-être supérieures à ce que nous, nous avions à ce moment-là. Après, c’était aussi le fait que Bruno se consacrait beaucoup à la guitare et il a eu cette opportunité d’avoir une belle position dans un groupe, donc je pense que c’était vraiment une opportunité de musicien qui lui a plu. Il a fait beaucoup de choses avec le groupe pendant vingt ans, donc c’était un changement, un choix qui lui appartient. C’est aussi un choix de vie, car nous sommes dans le sud de la France et Sortilège est à Paris, donc c’est une autre façon d’aborder les semaines, le planning, etc. C’est aussi un projet qui a eu quelques difficultés à démarrer. Nous l’avons vécu de l’intérieur, c’était un peu compliqué, parce que nous ne savions pas trop ce qu’il faisait ou ne faisait pas, ou qu’il allait faire. Je n’ai pas plus d’histoires que ce que tout le monde a vu sur cette période, sauf côté Manigance où je voulais trouver une sortie à tout ça pour avancer. Nous lui en avons donc parlé pour savoir ce qu’il comptait faire. En fait, il ne comptait pas faire les deux groupes, c’était trop compliqué, donc il a pris sa décision, ça lui appartient. D’un autre côté, je lui ai très vite dit que, par rapport à tout ça, il nous fallait un remplaçant. De la même façon que pour Carine, nous avons cherché quelqu’un proche de nous. Nous nous sommes rapprochés de Lionel [Vizerie] par relation et ça a vite matché.

Bruno était quelqu’un avec qui tu composais. Comment as-tu abordé cette nouvelle phase d’écriture avec Lionel ?

Basiquement, dans Manigance, je composais beaucoup les structures. Avec Bruno, je composais plutôt des arrangements, mais les structures, je les composais avec Didier. Donc le gros du travail a été de changer pour Carine et d’adapter mes idées à un nouveau timbre de voix. Ensuite, par rapport à Lionel, il a pris sa place facilement parce que c’était un autre style. Vu que le style du groupe avait aussi changé par rapport à la voix, ça a été plus facile pour lui de trouver ses marques, et c’est quelqu’un qui s’est beaucoup impliqué sur les arrangements de guitare dans le cadre de l’amélioration des morceaux. Il avait déjà une belle expérience de studio avec Muren, donc il a été très pro dans sa façon d’aborder les morceaux et pour moi, ça a été assez facile de travailler avec lui sur les morceaux. Il y avait quelques recettes de cuisine à lui donner pour qu’il ne se trompe pas par rapport au style du groupe, mais une fois qu’il a compris, ça a été assez efficace avec ses parties de guitare.

Quelles sont les « recettes de cuisine » à connaître pour faire du Manigance ?

La première chose, d’un point de vue réalisation, c’est de ne jamais s’entêter à faire un morceau complétement, c’est de toujours limiter et de pouvoir changer le morceau quand on a trouvé un bon équilibre entre la mélodie et les riffs de guitare ou les claviers. Globalement, il s’agit de faire toujours une intro, parce que c’est ce qui va permettre de donner le sens au morceau, et après d’aller pratiquement jusqu’au premier refrain. Ensuite, laisser reposer le truc et attaquer un autre morceau, car il faut que tous les morceaux avancent à peu près en même temps. La seconde chose qui, pour moi, est très importante, c’est que la mélodie de chant doit pouvoir être reprise facilement sans la double grosse caisse ou la batterie trop brutale. Il faut que, déjà, la structure harmonique du morceau tienne la route – c’est quelque chose que nous avons toujours fait dans Manigance depuis le départ – pour que nous arrivions à un refrain qui donne la direction du morceau. C’est un peu cette structure qu’on va retrouver dans tous les morceaux. Sur le nouvel album, par rapport à ce que nous faisions avec Manigance précédemment, j’ai essayé de raccourcir et d’aller plus à l’essentiel. Il y a des morceaux – par exemple, « Le Bal Des Ombres » – où il n’y a pas de transition, on passe directement du couplet au refrain, alors que ce n’était pas du tout ce que nous faisions jusqu’à présent. L’important dans la recette de cuisine, c’est de trouver la bonne tonalité pour le chant ; souvent on peut passer sur plusieurs versions et se dire que telle tonalité n’est pas la meilleure, donc on peut changer. Mais je n’apprends rien aux gens qui composent au piano-chant. On va dire qu’on est plutôt sur des compos plutôt standards où on essaye de trouver le bon équilibre entre la mélodie de chant et la musique. Le côté metal est plutôt dans le riff au départ et il revient ensuite une fois que nous avons trouvé la bonne mélodie de chant.

Il y a aussi eu le départ du claviériste Jean Lahargue…

Disons que Jean est parti après la tournée – début 2019, je crois. Il avait fait quelques riffs de clavier dont certains que j’ai gardés. Le reste des parties de clavier, en majorité, c’est moi qui l’ai fait. J’ai fait un peu Rémy Bricka sur l’album [rires]. Après, sur le premier morceau, c’est un très bon musicien qui nous a composé l’intro et les parties : Stéphane Soulier, qui est de Lyon. Nous avons fait appel à lui par relation avec notre ingé son Olivier. Je pense que c’est quelqu’un avec qui nous allons rester en relation, parce qu’il fait de beaux arrangements.

« Un bon groupe de rock ou de metal français se révèle aussi parce qu’il a quelque chose à dire, au bon moment, en fonction des circonstances. »

J’imagine que vous fonctionnerez avec des bandes pour les concerts ?

Oui.

Carine : C’est ce que nous faisions déjà, parce que c’était difficile pour Jean de se libérer pour les tournées. Donc il y avait du clavier quand il était présent, mais quand ce n’était pas le cas, c’était quelque chose dont nous avions l’habitude.

François : C’est au choix. Nous aurions pu reprendre un clavier, mais nous nous apercevons que par rapport aux tournées et au nombre de personnes, c’est compliqué d’être nombreux, donc nous avons pris cette décision de privilégier les guitares.

Justement, est-ce que le fait de ne plus avoir de claviériste attitré vous a poussés à mettre un peu plus l’accent sur les guitares, ne serait-ce qu’en termes d’arrangement ?

Oui, tout à fait. C’est toujours difficile à mettre les claviers et la guitare pour tout entendre dans la musique. Manigance, c’est assez dense en termes d’instruments dans les compos. Le fait d’en retirer un peu nous permet de remettre plus d’arrangements de guitare. Nous avons donc effectivement changé un peu la recette du début où il y avait beaucoup de clavier. Nous en gardons quand même – j’aime bien le côté plutôt boucle et un peu indus que nous pouvons rajouter dans nos compos aujourd’hui, mais nous mettons moins de violons et de chœurs qui étaient plus de l’époque d’avant. Du coup, ça laisse plus de place pour les guitares. Après, nous gardons cette culture de mettre des arrangements, mais plutôt que de mettre du clavier, nous faisons des grattes !

Comment le fait d’avoir la voix de Carine, en soi, a impacté la composition ? Pensez-vous que le côté féminin, en tant que tel, apporte quelque chose de différent au groupe ?

Oui, c’est sûr. J’ai fait presque une centaine de chansons avec Didier, donc nous avions quand même pas mal fait le tour par rapport à son timbre de voix. Le fait d’avoir un autre timbre de voix, ça m’a permis d’avoir un autre panel artistique, d’exploiter de nouvelles mélodies, d’être avec une autre artiste et de faire un peu autre chose en gardant le même style. Ce côté-là était plutôt intéressant. J’en ai profité pour changer un peu les tonalités des morceaux par rapport à ce que nous avions vécu dans le cadre de la tournée, à la façon dont Carine abordait nos morceaux qu’elle connaissait. Ça m’a pas mal servi dans le choix des tonalités par rapport à ce que nous pouvions lui proposer. Après, ça a été aussi du travail de mélodie, de recherche d’efficacité dans nos structures pour que nous puissions proposer quelque chose de différent. Nous avons aussi tiré un peu crédit de tout ce que nous avons fait en tournée avec Myrath. Ça nous a aussi indirectement servi par rapport à ce que nous voulions faire.

Carine : Il a vraiment fallu que nous trouvions nos marques. Après, je dirais surtout qu’il y a vraiment eu une complicité. Il a fallu que nous trouvions nos propres repères dans la façon de créer, puisque c’était quelque chose que nous n’avions jamais fait, même en étant amis. Il a fallu aussi définir les périmètres de chacun. Lui s’occupait de la musique et nous coconstruisions les mélodies de chant. Je repartais, je revenais, je faisais un petit yaourt en anglais sur un couplet, un pont, un refrain, en essayant de mettre en valeur les accents toniques, car ce n’est pas évident de faire sonner le français de manière rock. L’idée était vraiment d’avoir des mots percutants sur les accents toniques, et c’est ce sur quoi nous avons travaillé. Donc très rapidement, François a su quels seraient les thèmes des chansons que j’allais développer. Nous avons rebondi à chaque fois comme ça : lui arrangeait son côté musical, du coup ça m’inspirait d’autres choses, et ça s’est construit comme ça. Cette phase créative a été thérapeutique pour moi. Ça m’a complètement changée tellement c’est épanouissant en termes de développement personnel. C’est vraiment quelque chose que je souhaite à tout le monde. Bon, après tout le monde n’a pas les musiciens de Manigance, bien sûr [rires].

François : Je pense que le fait de chanter en français est aussi quelque chose qui a permis à Carine de plus facilement pouvoir exprimer des idées claires sur la musique. C’est un truc auquel je tenais beaucoup : que cet album soit en français, car c’est la marque et l’âme du groupe. Nous avons eu quelques discussions là-dessus, notamment avec Bruno, où nous n’étions pas tous d’accord sur ce sujet-là. Moi, j’y tenais vraiment. Je pense que ça a aussi contribué à ce que Carine puisse trouver plus facilement ses marques sur notre style de musique et une identité différente de ce qui était avant, tout en restant une identité Manigance.

Carine : Après, ce qu’il faut que je dise quand même, c’est que la musique qu’il a construite, c’est de la haute couture ! Il a construit cette musique pour moi, pour ma voix, pour me mettre en valeur, et c’est précieux pour que le rendu final soit vraiment beau et harmonieux. C’est cette association qui a permis la création de cet album.

« J’ai toujours voulu qu’il y ait une issue positive, ou en tout cas une porte de sortie. Pour ‘Le Bal Des Ombres’, ce n’est pas la plus sympa que j’ai trouvée, puisque c’est plutôt la mort qui serait une libération et l’idée qu’on pourrait créer le monde dont on rêve mais ailleurs car ici ce n’est pas possible. »

D’un autre côté, Didier avait une voix assez haut perchée : est-ce ce qui permet que l’écart ne soit pas si énorme que ça, que ce ne soit pas trop déstabilisant, notamment pour les fans ?

François : Effectivement, ça faisait aussi partie des critères de choix, parce que des chanteurs avec ce grain de voix, ça ne court par les rues en France. Donc quand nous avons choisi d’aller vers une fille, ce timbre de voix permettait de faire la jointure avec ce que faisait Didier. Néanmoins, Carine a une voix plus grave que Didier. Quand nous avons commencé à maquetter et à regarder le grain de voix et dans quelle gamme elle serait à l’aise, nous avons vite vu que nous n’allions pas jouer tout à fait dans le même registre sur les nouvelles compos. Même si Carine arrive à reprendre les compos de Didier, nous nous retrouvons aujourd’hui à changer un peu les tonalités.

Carine, tu as donc écrit les textes : c’était une première pour toi ou tu l’avais déjà fait ?

Carine : Je l’avais fait, mais de manière très amateure, parce que ce n’est pas évident de trouver des groupes qui ont leurs propres compos. En tant que chanteur, on trouve plus facilement des groupes de reprises que des groupes de compos. Mais les mots, c’est quelque chose de très familier pour moi, j’adore ça, je lis beaucoup… Du coup, ça ne m’a pas vraiment posé de problème. J’ai vraiment beaucoup de choses à exprimer. Comme je disais à François, on peut repartir pour trente albums ! [Rires] C’est très épanouissant et intéressant de créer dans ce contexte-là.

Est-ce que tu as essayé d’avoir un lien avec les albums précédents de Manigance dans les thèmes que tu abordais ou dans la façon de t’exprimer, ou c’était complètement libre ?

Ils m’ont laissé toute la liberté. J’étais prête à entendre que ça ne leur convenait pas, mais ils n’ont pas exprimé de difficultés par rapport au message que je voulais porter. Evidemment que je suis très imprégnée de la culture du groupe, parce que je les ai suivis depuis toujours, mais il n’empêche que nous avons vraiment travaillé en liberté, sans rien s’interdire, parce que justement il y avait ce changement de line-up. Du coup, nous avons commencé par réfléchir aux chansons qui nous plaisaient, sans vraiment trop penser – en première intention – à ce que ça allait donner, pour ne pas s’entraver. Je crois que « liberté » est vraiment un mot qui nous a guidés dans la phase créative.

François : Oui. Du coup, les textes qu’abordait Carine durant tout le processus nous ont plu. Elle avait quand même chanté pas mal de Manigance avant et elle connaissait bien le groupe, donc je me doutais qu’elle arriverait à trouver des thèmes et des choses à dire en continuité par rapport au groupe, et surtout exprimer des idées fortes, car je pense qu’il faut avoir des choses à dire pour que ça ressorte en français. Quand tu as des choses à dire et que tu le dis avec beaucoup de sincérité, les chansons prennent une autre dimension que ce qu’elles pourraient être en anglais, en tout cas pour Manigance. Un bon groupe de rock ou de metal français se révèle aussi parce qu’il a quelque chose à dire, au bon moment, en fonction des circonstances. Je lui ai dit que c’était important qu’elle choisisse ses sujets, de manière à ce qu’elle puisse s’exprimer sur ce qu’elle a envie d’exprimer. A ce niveau-là, elle a vraiment pris le relais de ce qui avait été fait par Didier, avec ses idées à elle, des sujets qui la touchaient et sa façon d’écrire, sa plume. Je trouve que ça a changé les sujets que nous abordions avec Didier jusqu’à présent et c’était bien pour ça d’avoir une femme qui choisisse de nouveaux thèmes. C’est important aussi de bien choisir ses mots parce que c’est dur de chanter en français, mais l’avantage, si tu sais bien exprimer tes idées, c’est que le public adhère tout de suite et reprend facilement des phrases que tu as conçues. C’est beaucoup plus fort quand tu le dis dans ta langue maternelle et pour un chanteur – comme je lui avait dit –, le ressentir en face de toi, c’est une sacrée dose d’adrénaline. Après, par rapport au groupe, des fois nous intervenons juste quand c’est un mot ou une phrase, nous amenons un tout petit peu notre assaisonnement sur le texte. Mais c’est vrai que c’était quelque chose d’essentiel pour le groupe que nous ayons une chanteuse et que celle-ci sache écrire ses propres textes en français – car ça fait partie de Manigance –, et j’avais confiance en Carine pour ça.

« J’avais en tête depuis un petit moment par rapport à Carine de faire une espèce de mélange et d’aller vers quelque chose à la Mylène Farmer en metal. J’avais ça dans un coin de ma tête depuis longtemps et quand j’ai entendu cette chanson, je me suis dit que c’était vraiment l’occasion de tirer bobine. »

On sent à la lecture des textes que la pandémie et le confinement sont passés par là. Emotionnellement, on sent qu’il y avait des choses à libérer, comme de la colère…

Carine : Oui. C’est un peu comme tout le monde, nous avons vécu de grandes périodes d’angoisse et d’enfermement, et c’est vrai que ça a inspiré beaucoup de choses. On retrouve un peu dans tous les textes le fil rouge de l’enfermement et de la liberté qui nous manquait, que j’ai essayé de traduire avec mes propres émotions, mes propres mots, au travers de sujets assez différents. Il fallait effectivement libérer ces colères et frustrations ressenties. C’était des émotions très fortes. Je pense vraiment que pour écrire un texte qui peut éveiller des idées pour les autres, il faut que tu sois au plus près de tes émotions pour les exprimer. Ça revient un peu à la sincérité dont parlait François : il faut avoir des choses à dire mais aussi être près de ses émotions. Et effectivement, le confinement, tout ce qui s’est passé et ce qu’on a tous vécu a été une source d’inspiration. C’est très inspirant et très libérateur, et fédérateur aussi puisqu’on a tous vécu la même chose. Avec les nouveaux événements qui se passent, on peut encore trouver d’autres liens, mais ça veut dire que je ne me suis pas tout à fait trompée dans l’intention et dans l’émotion parce que, du coup, on peut l’appliquer à d’autres choses et d’autres sujets. Pour que les chansons puissent vivre un peu dans le temps… Quand on regarde Manigance, c’est ce qu’il s’est passé : les textes les plus forts sont ceux qui restent modernes et contemporains, et qui s’adaptent à la période qu’on est en train de vivre. Ça, pour moi, c’est un indicateur.

Après, je confirme que le français est beaucoup plus compliqué, parce que ta façon de dire les choses peut être très vite ridicule et en plus, on est attendu, parce qu’en France, tout le monde comprend ! [Rires] Je sais qu’il y a pas mal de gens qui écoutent la musique sans vraiment comprendre les textes en anglais, juste parce que la sonorité et la mélodie leur plaisent, mais en français, ça ne passerait absolument pas. Autant François a fait de la musique en dentelle sur mesure, autant il ne fallait pas que je me plante. Ça m’a demandé quand même beaucoup de temps, mais ce n’était pas vraiment un travail, c’était vraiment intéressant de chercher, de soigner chaque mot, et cette période nous a aussi permis d’avoir du temps et de l’espace pour mieux nous connaître dans la création, et proposer des choses abouties. C’est quelque chose qui est important. Quand on écoute le produit final, nous n’avons pas l’impression que nous aurions pu faire des choses autrement. Je suis contente de ce que nous avons fait et on verra ce que les gens en pensent !

Qu’est-ce que représente pour vous le thème du Bal Des Ombres ?

Pour l’inspiration, j’ai vraiment eu des moments de désespoir pendant cette période de confinement, des questions existentielles, du genre : « Quel monde va-t-on laisser à nos enfants si on ne peut pas sortir de chez nous autrement que masqués ? » Ce n’est pas une des chansons les plus gaies de l’album, mais j’ai toujours voulu qu’il y ait une issue positive, ou en tout cas une porte de sortie. Pour « Le Bal Des Ombres », ce n’est pas la plus sympa que j’ai trouvée, puisque c’est plutôt la mort qui serait une libération et l’idée qu’on pourrait créer le monde dont on rêve mais ailleurs car ici ce n’est pas possible. C’est le seul morceau dont l’issue est aussi sinistre, car tous les autres en ont une qui est plutôt encourageante. Ça c’est l’inspirations au niveau du texte. Après, pour la musique et tous les aspects visuels – le clip, la pochette, etc. – le groupe s’est approprié toute cette ambiance et ça a développé l’imaginaire.

François : Comme on expliquait tout à l’heure, on part toujours sur la composition en faisant un peu de phonétique, et quand elle a mis des paroles dessus, j’ai vite senti cette chanson comme un renouveau par rapport à ce que nous pouvions faire jusqu’à présent, notamment un refrain qui vient rapidement, des mélodies assez simples et une composition avec une structure assez basique. Je trouvais que c’était bien pour le groupe. Ensuite, c’est plus une orientation artistique, mais j’avais en tête depuis un petit moment par rapport à Carine – je lui avais dit – de faire une espèce de mélange – attention, ça ne va peut-être pas plaire à tout le monde – et d’aller vers quelque chose à la Mylène Farmer en metal. J’avais ça dans un coin de ma tête depuis longtemps et quand j’ai entendu cette chanson, je me suis dit que c’était vraiment l’occasion de tirer bobine. Après, avec les paroles et tout, le clip en a découlé. On y retrouve cette ambiance, il y a le fait que des gens sont venus danser, le côté un peu gothique, etc. Une idée en amène une autre. Nous ne nous sommes pas focalisés sur les mots du thème abordé par Carine mais plutôt sur l’ambiance et la façon de le chanter. Dès le départ de l’album, j’ai suggéré qu’il fallait que nous trouvions rapidement un titre à l’album, parce que ça aidait à amener tout un contexte autour. Très rapidement, nous avons dit que ce serait Le Bal Des Ombres, mais nous nous sommes laissé un long temps pour dire si nous n’allions pas mettre autre chose. C’est toujours Le Bal Des Ombres qui est revenu, donc à un moment, nous avons dit que nous allions arrêter de batailler, que c’était ça et pas autre chose.

Carine : C’est vrai, mais ça a fait l’objet de longues discussions, et nous nous sommes laissé le temps de mûrir et de voir les autres compos, mais en prenant l’avis de chacun, c’est Le Bal Des Ombres qui revenait systématiquement, donc il ne faut pas insister.

« Ce que nous avons découvert avec Myrath et que je ne connaissais pas du tout avant, c’est ce côté visuel avec la musique. Nous sommes restés pendant des années avec Manigance à penser que c’était toujours la musique et rien que la musique. »

Le morceau éponyme, « Le Bal Des Ombres », débute avec la mélodie du Lac Des Cygnes à la boîte à musique. Qu’est-ce que cet emprunt symbolise pour vous ?

L’idée est venue de moi. Au départ, quand j’ai imaginé ce Bal Des Ombres, c’est vraiment parti de cette idée de boîte à musique. Une fois que nous avions composé le morceau, en l’écoutant, j’ai dit à François que ce serait bien que nous mettions la boîte à musique que j’avais quand j’étais petite. C’est une boîte à musique que j’ai transmise à ma fille et que je lui ai empruntée pour l’enregistrer. François a capté le son et elle figure en introduction du morceau « Le Bal Des Ombres ». Pourquoi le choix de cette mélodie ? Parce que c’est celle qui m’a bercée toute mon enfance, donc elle a vraiment du sens pour moi.

François : J’ai trouvé que c’était très intéressant – pour reprendre un peu des concepts à la Gojira – d’arriver à faire la jointure entre ce qu’elle voulait exprimer, qui était entre la vie et la mort, et son enfance. Et du fait que c’était sa propre boîte à musique, je tenais à ce que nous enregistrions ça, parce que ça faisait partie de son enfance et je trouvais intéressant de le reprendre pour capter une émotion. C’est tombé sur cette mélodie et c’est plutôt bien tombé, parce que c’était raccord avec la compo et la tonalité. D’un point de vue créatif, je trouvais que c’était bien. Et nous aimons bien aller chercher des choses un peu nouvelles et personnelles.

Le morceau « Eternité » a été inspiré par l’incendie de Notre-Dame. Comment est-ce que cet événement t’a affectée personnellement ? Qu’est-ce que cette cathédrale représente pour toi ?

Carine : Au-delà du symbole religieux, ce monument était éternel. Pour moi, il ne pouvait rien arriver à ce monument. Or je me suis retrouvée face à ces images à la télé, et ça m’a bouleversée, alors que nous ne sommes pas parisiens. Au-delà d’être parisien, c’est un symbole français. Le fait de voir ce bâtiment historique qui pouvait disparaitre d’un claquement de doigts – car à un moment, on ne savait pas trop si tout n’allait pas s’effondrer – ça a créé des émotions vraiment intenses et ça m’a parlé. C’est ce qui m’a permis de choisir mon vocabulaire sur cette chanson, et j’ai fait un rapprochement entre un couple qui va mal et quelque chose qu’on pense éternel mais qui peut s’effondrer, donc un parallèle avec cette fameuse cathédrale.

On entend une autre voix dans « Haute Trahison »…

C’est la chanson où nous avons invité deux grands talents français. C’est un peu le fil rouge de cet album. Nous avons vraiment voulu mettre à l’honneur plein de talents français, que ce soit au niveau des instrumentistes, mais aussi de nos ingénieurs du son, de la production, de la pochette de Stan-W Decker, tout est français. Sur « Haute Trahison », nous avons invité Julian Izard d’Existence qui fait un duo avec moi. Nous nous sommes réparti le texte. Et il y a aussi Florian Lagoutte qui se partage le solo avec François. Je trouve que ça apporte vraiment une fraîcheur et une vraie valeur ajoutée. L’idée, c’est vraiment le partage. Il y a les plus jeunes, il y a les plus anciens. Il faut faire un lien entre les anciens et les nouveaux, pour les outiller et partager. La chanson ne serait pas ce qu’elle est sans l’intervention de Julian.

Revenons sur la période désagréable qu’on a vécue : est-ce que ça a eu des répercussions sur la composition de l’album et la manière de l’enregistrer ? Sachant que vous avez votre propre studio, j’imagine que ça a quand même limité l’impact…

François : Oui, c’est sûr que ça aide d’avoir le studio. C’est vrai qu’en ayant tout à la maison, on peut venir faire les choses et ça permet d’avoir un planning plus adapté à chacun. Néanmoins, le planning était dur à gérer parce qu’il fallait quand même être présent. Il fallait venir au studio.

Carine : Il a fallu s’adapter. Nous avions déjà commencé l’album pendant le confinement, mais nous avons dû nous organiser autrement en faisant les choses souvent à distance, car je suis à deux cents kilomètres de la base du groupe. J’ai été empêchée de les voir pendant longtemps. Il a donc fallu que nous trouvions une solution à distance, et ça s’est fait aussi beaucoup par échanges, nous avons coconstruit par navette, par téléphone, par visio, etc. Nous avons utilisé tous les moyens. Nous avons développé d’autres choses et c’était finalement une opportunité, parce que même si aujourd’hui nous sommes libres de nous voir, nous pouvons aussi bénéficier des moyens technologiques et de toute cette organisation que nous avons mise en place pour composer ou travailler sans que la distance soit réellement un problème.

« Les tournées telles que nous les avons connues, c’est compliqué à monter, parce qu’être itinérant aujourd’hui, avec tous les risques financiers qu’on a… Sans être méchant, le banquier, ça devient le groupe de première partie ! [Rires]. »

François : Même si elle habite un peu loin, nous avons quand même réussi à nous voir quelques fois pour avancer. De mon côté, en termes de production, ça m’a permis d’avoir un peu plus de temps pour changer la recette habituelle du groupe, chercher des arrangements un peu différents, chercher d’autres sons et travailler un peu plus en profondeur le son de l’album. Notamment sur les guitares, nous avons passé plus de temps à chercher à changer le son que nous avions jusqu’à présent. Comme nous n’avions plus de clavier, j’ai assuré un maximum de parties de claviers, donc il a fallu que je consacre un peu de temps à ça aussi. Pour ça, c’était positif, la pandémie nous a aidés de ce côté-là.

Vous pensez que vous auriez été plus contraints sans cette période un peu creuse ?

Oui. Ça aurait été plus compliqué d’aboutir au produit que nous avons aujourd’hui avec moins de temps. Après, des fois, quand tu es pressé, tu as aussi un côté positif : quand tu es poussé dans tes retranchements, tu es obligé d’aller plus vite à l’essentiel. Là, nous avons eu plus de temps, et avec deux nouveaux dans l’équipe, ça m’a aussi permis de prendre du temps pour qu’ils prennent leurs marques, de ne pas presser Lionel, notamment, pour ses solos. Il a fait de gros efforts sur les solos pour amener de nouvelles couleurs. Il a pu travailler plus sereinement avec des structures abouties. Je pense que pendant cette période, beaucoup de groupes ont fait ça et en ont profité pour faire des albums, c’était aussi une bonne façon de passer le temps. Aujourd’hui, les technologies de studio permettent de travailler par échanges de fichiers et tu arrives vite fait à simuler des choses. La majorité des groupes que j’ai vus profiter de ce temps arrivent aujourd’hui avec de beaux albums parce que, comme nous, ils ont travaillé dans leur coin.

Lors de l’interview précédente, tu disais que vous pourriez faire du chant en anglais, et j’ai cru voir récemment qu’il y aurait une version en anglais qui serait envisagée…

Oui. Il y a eu des discussions suite à la tournée en Europe, et l’idée c’est que Manigance, c’est bien en français mais que ce n’est pas facile à l’étranger. C’est vrai, parce que le français à l’étranger, ce n’est pas évident, surtout quand tu tournes avec un groupe qui chante en anglais comme Myrath, qui avait pourtant aussi son propre contexte artistique, puisqu’ils sont tunisiens. Nous sommes donc revenus avec ça dans un coin de la tête et nous avons eu des discussions autour de ça. Ce que j’ai voulu vraiment défendre, c’est que Manigance, c’est du français, c’est la priorité, c’est ce qui a fait le groupe et aujourd’hui c’est là-dessus qu’il faut se baser. Par contre, il faut quand même avancer sur le sujet de l’anglais. Nous n’avons jamais réussi à avancer dessus avec Didier à l’époque parce qu’il ne voulait pas aller sur des versions anglaises des albums. Aujourd’hui, avec Carine, nous avons décidé que nous allions avancer là-dessus. Nous avons une opportunité de faire une version anglaise de cet album, mais nous ne voulions pas inverser les rôles. Nous voulions vraiment proposer un album abouti et travaillé en français, en gardant dans un coin de la tête que nous ferions de l’anglais. C’est donc ce que nous allons faire, nous allons y travailler. Nous allons essayer de conjurer le sort et de sortir de la défaite de tous les groupes français qui se sont plantés en versions anglaises [rires]. Je pense que ce n’est pas écrit, donc je ne vois pas pourquoi nous n’y arriverions pas. Cette version anglaise ne sera pas distribuée en France ; elle sera distribuée à l’étranger, parce qu’en France, avec Verycords, notre priorité, c’est la version française. Pareil au Japon puisque nous y sommes distribués, il n’y aura que la version française. Pour les gens qui sont en France, ils pourront nous acheter l’album directement sur notre site, mais la proposition en France, ce sera la version française.

Carine : Après, les langues étrangères ne font plus peur à Manigance : sur le bonus japonais, nous avons fait une version japonaise de la chanson « Le Bal Des Ombres ». Je pense que si je peux chanter une version japonaise, je peux tout faire ! [Rires] Après, on n’a pas forcément l’accent parfait, mais je pense que ça peut être un moyen aussi d’intéresser le public étranger et peut-être de l’amener après sur nos versions françaises. Pour eux, c’est très compliqué de se contenter du français. La mélodie de la langue n’est pas facile d’accès, ça sonne rugueux, dissonant, contrairement à ce qu’on peut penser en tant que Français. Il leur faut vraiment du temps, or en live, tu n’as pas de temps. Le temps qu’ils s’habituent, tu es parti ! Donc c’est un peu dommage. Donc même si ce n’est pas parfait, il faut relever les défis, il faut y aller, et puis il faut se faire plaisir aussi. Nous avons envie de parcourir le monde, de jouer partout, donc nous sommes prêts.

« Quand je réécoute les bandes [d’Ange Ou Démon], je me dis que quand même, il n’y avait pas beaucoup de micros pour faire tout ça par rapport à ce que nous faisons aujourd’hui [rires]. Il n’y avait même pas vingt-quatre pistes et le rendu était bien. Aujourd’hui, quand tu fais un album, tu arrives à cent cinquante pistes. Finalement, nous avions capté l’essentiel à l’époque. »

J’imagine que vous ferez des sets mixés, puisque vous n’allez pas retravailler les anciens morceaux, donc il y aura sûrement les nouveaux en anglais et les anciens en français.

François : Oui. Après, quand tu commences à ouvrir une porte comme ça, tu mets la main mais tu ne sais pas jusqu’où tu mettras le bras. Dans un premier temps, il s’agit d’avoir une ouverture du groupe sur l’anglais pour l’étranger. On va voir ce que ça peut amener. Après, nous n’allons pas plus user le soleil si on voit que c’est compliqué. Au moins, nous voulons essayer. Si effectivement nous faisons un festival à l’étranger où les gens nous disent : « Ouais, c’est bien, mais on aimerait bien que vous chantiez en anglais », nous serons certainement obligés d’adapter des chansons françaises avec Didier en anglais, ça fait partie des choses qu’il faut peut-être envisager.

Vous avez évoqué tout à l’heure la tournée avec Myrath qui était un peu plus grosse que ce que vous aviez pu faire avant. Qu’est-ce que ça a changé pour le groupe ?

Par rapport aux autres tournées, nous avions fait une tournée au tout début avec Freedom Call et ensuite avec Adagio, et c’était plutôt en France. Là, il n’y avait pas beaucoup de France et beaucoup d’étranger, et c’était plus long. C’était vraiment un cap vers l’étranger pour le groupe. Ça a été une découverte de voir les réactions dans les pays comme l’Allemagne, la Hollande, etc. C’était vraiment une nouveauté dans la carrière du groupe. Ensuite, nous nous sommes aussi retrouvés avec un groupe plus jeune que nous, alors que nous avions toujours tourné avec des groupes plus vieux que nous [rires]. Je connaissais Myrath de réputation, mais je ne les connaissais pas vraiment et ce sont quand même d’excellents musiciens, avec d’excellentes compos. Je connaissais bien Kevin [Codfert] du temps d’Adagio, mais nous avons découvert les musiciens en tournée, et ça a bien marché. C’était très agréable d’être avec eux, ça s’est super bien passé. Ils ne fonctionnent pas du tout comme nous. Ce sont des gens qui sont complètement éloignés les uns des autres toute l’année et qui se voient quand ils sont ensemble, alors que nous, nous nous voyons tout le temps. Ils nous disaient : « Vous avez de la chance de vous voir aussi souvent ! Nous ne nous voyons pas aussi souvent. » Ça a vraiment été un plaisir de jouer avec eux et même de les regarder jouer, de voir comment ils amenaient leur set tous les soirs.

Et comment était la réaction du public, notamment par rapport au chant français, comme on en parlait ?

Je pense que notre musique était plus heavy que la leur, donc le ressenti du public n’était pas le même, mais encore une fois, le fait de se retrouver en Slovaquie en train de chanter en français, c’est moins évident qu’à Montauban, c’est sûr [rires].

Carine : Par contre, il y a un petit avantage : ils ne connaissaient pas Manigance, donc pour eux, Manigance c’est avec une chanteuse et une voix féminine. Il n’y avait pas d’a priori. J’ai un peu interrogé le public qui était présent pour savoir ce qu’ils en ont pensé, notamment du chant français. Ils étaient un peu déçus de ne pas comprendre l’idée, même si tu es obligée de développer encore plus l’interprétation pour faire passer des choses puisque les mots ne signifient rien pour eux. Ce n’est pas facile de les capter, il y avait quand même ce barrage de la langue, mais il y en a encore qui nous écrivent et qui sont restés sur les réseaux sociaux à nous suivre, parce qu’ils ont senti quelque chose.

François : Il y avait quand même des gens qui nous connaissaient. Nous avons rencontré, notamment en Allemagne, des gens qui connaissaient le groupe et qui chantaient en français. Le gros problème que nous avons aujourd’hui par rapport au français, c’est d’avoir une distribution à l’étranger. Les distributions que nous avons sont françaises ou japonaises, donc si nous allons au Japon, ça ne posera pas de problème d’arriver et de chanter en français. En Allemagne, Italie, Espagne, nous n’avions pas de distribution, donc nous n’avions pas été appuyés dans les bacs et les gens nous découvraient.

Au-delà de ça, vous avez apparemment aussi pas mal appris de cette tournée avec Myrath sur l’approche artistique…

Oui. Ce que nous avons découvert avec Myrath et que je ne connaissais pas du tout avant, c’est ce côté visuel avec la musique. Nous sommes restés pendant des années avec Manigance à penser que c’était toujours la musique et rien que la musique. Quand nous avons côtoyé tous ces gens et qu’il y avait un côté un peu plus « image et musique », nous nous sommes aussi demandé pourquoi nous ne nous étions pas posé ces questions. Le lien entre l’image et la musique est très important aujourd’hui, au travers des médias qu’on a sur internet. A ce niveau-là, Myrath est très avance sur plein de sujets – en tout cas, par rapport à nous –, avec notamment tous les clips qu’ils ont faits. La vision qu’a Kevin sur ces choses-là est très intéressante, ça nous a beaucoup appris. Y compris sur scène, car nous étions un groupe un peu à l’ancienne, avec beaucoup de matériel de scène et peu de visuels, alors qu’eux c’était l’inverse : ils ont un matériel minimum qui suffit largement à leurs besoins, mais un visuel développé – qui a d’ailleurs depuis été encore amélioré, ils ont des magiciens et des choses comme ça. C’est vrai que c’était une belle expérience, et ce n’est pas du tout que nous voulons les copier, mais ça nous a permis de nous ouvrir un peu les yeux sur ce qu’attend le public, comment il réagit, et comment nous pouvons nous éclater là-dedans. Nous avons donc un peu évolué de ce côté-là qui était un peu en sommeil jusqu’à présent.

« Certains disaient qu’il fallait mettre un côté un peu plus bourrin dans Manigance. Nous avons essayé, mais finalement, nous perdions notre identité. Ça créait des tensions car ce n’était pas l’âme du groupe. »

Vous avez des axes de développement en termes de spectacle sur scène pour le futur ?

Oui. Un des axes que j’ai amenés, sur lequel nous avons eu des discussions, même si ça peut toujours faire rigoler, c’était d’avoir une vision un peu danse et metal, sans en faire trop non plus. Ça rejoint ce que je disais sur le clip : j’ai vu des spectacles de Mylène Farmer que j’ai trouvés super bien et, même si je ne veux pas faire du Mylène Farmer, j’ai aimé cette idée d’un bal metal, un peu burlesque. Ce qui s’est passé, c’est que j’ai branché des copains de mon boulot qui ne faisaient pas du tout ce genre de chose mais qui sont de très bons danseurs et nous nous sommes rencontrés avec des amis, ma femme, des gens qui gravitent autour de nous, et nous avons développé cette idée de chant et de danse autour du metal. Ça a plutôt bien marché dans le concert que nous avons fait et nous sommes en train de réfléchir à ce que nous pourrions amener sur scène sur ces sujets-là qui sont un peu nouveaux pour des groupes de metal français, où ça reste d’habitude assez traditionnel.

Carine : Ce n’était pas gagné, parce qu’aujourd’hui, nous en parlons facilement parce que nous avons eu de très bons retours à la fois sur le clip et la pochette, mais au départ, c’était quand même risqué.

François : Et ça l’est toujours !

Carine : Soit il y a un côté trop kitch et les metalleux vont dire « non, trop féminin, trop… » ou alors ça matche parce que c’est par petites touches et que ça apporte d’autres choses. Mais je t’assure qu’au départ il a vraiment fallu que nous en discutions entre nous.

François : Donc ça fait partie des idées un peu nouvelles. Après, nous avons aussi envie d’améliorer un peu le côté scénique, de mettre un peu plus en situation. Nous essayons d’arranger notre scène pour que ce soit plus attractif. Ce n’est pas toujours facile, ça demande de l’organisation et du temps, mais nous y tenons. Nous essayons de trouver des choses simples qui peuvent amener un plus au spectacle.

Je sais qu’il y a une tournée avec Rhapsody Of Fire qui est reportée, mais est-ce qu’il y a d’autres choses en préparation ?

La majorité des concerts que nous allons faire cette année seront de taille limitée, parce que c’est compliqué en 2022 d’avoir des concerts avec la sortie de Covid-19. Nous cherchons à avoir des dates quoi qu’il arrive, mais nous ne sommes pas sur des grosses tournées. Le problème est que la majorité des grosses tournées sont reportées à 2023, et en plus maintenant avec le conflit à l’est, ça ne va pas être facile. Du coup, ce que nous avons prévu, ce sont des dates chez nous. Nous jouons à Bordeau le 9 avril, à Paris le 15 avril avec Sortilège à l’Elysée Montmartre, à Lyon en septembre, nous avons encore une date chez nous qui est tombée pour mai – nous attendons la confirmation. Ce que nous souhaitons faire après, ce sont des dates en France pendant l’automne et organiser ça avec un groupe français, en essayant de trouver des dates d’échanges dans le Nord. Nous sommes aussi en pourparlers avec DGM, un groupe italien, pour essayer d’échanger avec eux des dates chez nous et chez eux – c’est vraiment en cours de discussion. En 2023, nous avons une dizaine de dates avec Rhapsody Of Fire, Nightmare et Phantom Elite qui ont été reportées plusieurs fois. Nous réfléchissons aussi pour avoir d’autres opportunités, mais ce n’est pas évident aujourd’hui. Les tournées telles que nous les avons connues, c’est compliqué à monter, parce qu’être itinérant aujourd’hui, avec tous les risques financiers qu’on a… Sans être méchant, le banquier, ça devient le groupe de première partie ! [Rires]. Il y a des limites à tout. Nous nous sommes fixé un seuil de rentabilité, il faut que ça reste normal.

Pour organiser des petites dates à droite à gauche de manière discontinue, il faut quand même avoir la foi…

Nous sommes un peu organisés en termes d’ingé son, de moyens de transport, etc. Nous essayons d’avoir une structure qui nous permet d’être autonomes. J’ai le studio pour enregistrer, le batteur a le camion pour tourner et nous nous sommes équipés pour tout ce qui est vidéo. Après, l’idée est de trouver des weekends de deux ou trois jours et d’une région à l’autre. En faisant comme ça, on peut y arriver, mais il ne faut pas faire des allers-retours de tous les côtés, c’est certain.

On voit que les groupes outre-Atlantique ne viennent plus beaucoup, est-ce qu’il n’y a pas un créneau pour les groupes français vis-à-vis du public français ? Car si on est fan de concert, ce sont les groupes français qu’on va voir en ce moment.

Oui et ça rejoint ce que je dis sur le fait d’avoir une structure, d’être autonome, de pouvoir se balader en France et d’avoir toute l’organisation qui va bien. C’est sûr que nous avons une carte à jouer avec notre dimension plus réduite mais en ayant la capacité d’aller un peu partout. Un groupe qui vient de l’étranger va être bloqué par plein de sujets, un tour bus qui doit aller dans plusieurs pays va être bloqué par plein de contraintes financières et des frontières. Il y a donc des places qui se créent et des opportunités à saisir.

« Je trouve que c’est super que des jeunes prennent le relais avec autant d’efficacité et d’envie. Je connais Existence, puisque je les ai produits, et je trouve que la relève est vraiment là, qu’il va se passer quelque chose. Ils ont compris beaucoup de choses des anciens groupes. »

On remarque le logo du groupe qui a été légèrement remanié : était-ce une façon pour vous de marquer le fait qu’un nouveau chapitre s’ouvrait ?

Carine : C’est toujours notre batteur Patrick Soria qui est très féru de tout ce qui est image et qui est un peu le garant de cette vision. L’idée était effectivement, avec tous ces changements de direction artistique, de line-up, etc., de moderniser un peu le logo – pas de le changer complètement, parce que ça reste du Manigance.

François : En termes marketing, notre logo était trop plat [rires]. Il était à chaque fois un peu écrasé par rapport aux autres. Nous avons aussi travaillé là-dessus. Le batteur a dit qu’il fallait que nous ayons un logo qui s’impose plus – comme le dit Carine, en restant sur tout ce que nous avions véhiculé avec les lettres et tout. Nous voulions quelque chose qui s’imposait un peu plus en termes de hauteur.

Votre premier album Ange Ou Démon a vingt ans cette année. Vous aviez frappé un grand coup d’entrée de jeu avec cet album. Quel regard portez-vous sur celui-ci ?

Carine : Pour moi, cet album est fondateur. C’est vraiment l’album du développement de Manigance et qui a fait connaître le groupe partout en France. Comme tu le dis ce sont les vingt ans de cet album et ça n’a pas du tout échappé à François [rires]. Nous en sommes très conscients. Personnellement, je suis très fan de cet album.

François : Je garde un très bon souvenir de cet album parce que c’était le tout début du groupe. Nous voulions convaincre Olivier Garnier à l’époque de notre style, c’était l’époque NTS – une très belle époque avec Stratovarius, Angra, etc. C’était l’album qui nous a permis de faire plein de choses. C’était aussi pour moi le tout début de la vraie autoproduction avec système D à fond pour arriver à faire le son que nous avions sur cet album. C’était les premières productions numériques. Quand je réécoute les bandes – je les ai rouvertes il n’y a pas longtemps – je me dis que quand même, il n’y avait pas beaucoup de micros pour faire tout ça par rapport à ce que nous faisons aujourd’hui [rires]. Il n’y avait même pas vingt-quatre pistes et le rendu était bien. Aujourd’hui, quand tu fais un album, tu arrives à cent cinquante pistes. Finalement, nous avions capté l’essentiel à l’époque. C’était une belle réussite, je trouve.

C’est un album rempli de classiques de Manigance. Comment expliques-tu la magie qui a opéré du point de vue compo aussi tôt dans la carrière du groupe ?

Je pense que c’est comme beaucoup de groupes : ce sont les bonnes compositions au bon moment. C’est comme ça, c’est la chance, tu fais quelque chose, ça arrive au bon moment. Nous avons pas mal écouté à l’époque des groupes de NTS, puisque c’était ce label qui nous avait signés. J’étais très Stratovarius, Vanden Plas, etc. et je pense que ce qui a joué, c’est que nous avons amené ça en français. C’était tout nouveau, tout neuf, nous avions déjà fait un premier disque, Signe De Vie… C’était vraiment nous, c’était Manigance à l’état brut. Bien travaillé, quand même, parce qu’il est sorti en 2002 mais nous avions commencé cet album bien plus tôt. Je pense que par rapport à tous les musiciens, c’était une photo de ce qu’ils savaient faire le mieux à ce moment-là et ça tombait bien. C’est ce qui a marqué l’identité du groupe qui a continué derrière, qui a eu plus ou moins de succès en fonction de celui de ce genre de musique en France. C’est aussi ça qui a fait la différence, car quand nous sommes arrivés, les groupes comme Stratovarius et Angra, c’était au max de ce qui était aimé en France et après, c’est parti plus dans de la musique brutale et du coup, nous étions un peu en retrait.

Tu parles des groupes NTS et je me souviens à l’époque, quand l’album est sorti, j’avais beaucoup fait le rapprochement avec Vanden Plas – et peut-être pas tant avec Stratovarius et Angra – pour le côté à la fois prog et très mélodique et accrocheur.

Je t’avoue que nous écoutions beaucoup Vanden Pas ! Je les avais vus en tournée avec Angra, quand ils étaient venus en France, c’était Olivier qui avait organisé ça, j’avais préféré Vanden Plas qu’Angra. Après, j’aime beaucoup le premier album de Vanden Plas, presque plus que tous les autres. D’ailleurs ils n’en jouent pas beaucoup. Une fois je l’avais dit à Andy Kuntz, le chanteur, mais je pense qu’il préfère les albums plus prog, plus réfléchis. Mais oui, je pense que c’était dans nos goûts. Nous avons fait ce que nous voulions, nous n’avons pas fait de plagiat, mais ça a certainement dû nous influencer.

Pas moins de cinq ans s’étaient écoulés entre l’EP Signe De Vie et ce premier album. Vous aviez mis le temps…

C’est plutôt un problème de vie, c’est-à-dire qu’à l’époque, quand nous nous sommes rencontrés avec Manigance, nous étions un groupe de reprises. Je venais de Killer, il y en a qui venaient d’autres groupes, donc nous nous étions plutôt retrouvés entre copains pour faire un groupe de reprises. Ça a duré un petit moment. A un moment, nous nous sommes dit que nous allions faire un mini-LP, pour lequel le label Brennus nous a aidés. Suite à ça, j’ai déménagé et c’est là que j’ai créé le studio dans lequel nous avons fait Ange Ou Démon. J’étais avec ma femme, mon enfant, nous avons acheté une maison, donc ça a pris du temps d’organiser tout ce système d’autoproduction à la maison, surtout que nous voulions vraiment enregistrer notre propre batterie. Nous ne voulions pas partir sur une machine – à l’époque c’était des machines sur Atari, je m’en souviens. C’est donc l’album qui a pris du temps et moi aussi à me former à devenir ingé son. A l’époque tu n’avais pas tout ce tu as aujourd’hui sur internet, c’était vraiment le système D. Pour te donner une idée, j’ai dû trigger des grosses caisses de Stratovarius à droite à gauche, des caisses claires comme je pouvais, c’était vraiment artisanal ! Au final, nous tenions la comparaison avec les autres prods !

« J’ai encore des petits sursauts. Je les écoute jouer et je me dis : ‘Quand même, ça joue bien’ et j’oublie de chanter. Je vois François qui me fait des gros yeux noirs, du genre : ‘Mais t’as pas démarré ?!' »

Tu disais quelque chose d’intéressant tout à l’heure, comme quoi Stratovarius, Angra, Vanden Plas représentaient un pic de ce qui était aimé en France et qu’après, c’était plutôt les musiques brutales. C’est vrai que la scène française a beaucoup évolué. Comment avez-vous vécu le « déferlement » de cette scène extrême en France, par rapport à vous qui étiez peut-être un peu en décalage ?

Oui, nous étions en décalage. Je t’avoue que ça a aussi causé quelques tensions dans le groupe à l’époque, parce que nous sentions bien que nous avions moins d’opportunités. Certains disaient qu’il fallait mettre un côté un peu plus bourrin dans Manigance. Nous avons essayé, mais finalement, nous perdions notre identité. Je sais que l’ancien bassiste ou l’ancien batteur commençaient à dire que ce serait bien que nous fassions des choses comme ça. Ça créait des tensions par rapport à ce que nous pouvions faire comme mélodies de chant, car ce n’était pas l’âme du groupe. Pour les concerts aussi : nous nous sommes retrouvés dans une période où nous avons fait beaucoup de concerts et de tournées au tout début, nous étions avec Adagio, Freedom Call, etc. Puis ces groupes qui étaient au-dessus de nous se sont aussi retrouvés en retrait et les opportunités étaient plus compliquées pour nous. Nous ne pouvions plus tourner en tour bus, il fallait partir plutôt le weekend. Pour des gens qui étaient habitués à être coucounés, album, tournée, album, tournée, nous nous demandions pourquoi nous vivions ça maintenant. C’était simplement que le marché changeait. L’industrie du disque changeait également, il y avait moins d’argent, il fallait être plus autonomes, changer un peu plus nos méthodes de travail. Je pense que nous l’aurions mieux vécu si à cette époque ça avait été les débuts d’Angra et de Vanden Plas plutôt que la fin.

Penses-tu que des albums de Manigance en ont pâti de ces tensions ?

Je ne sais pas, mais il y en a qui ont été plus compliqués à faire que d’autres. Quand nous avons fait l’album Récidive, ça a été un peu plus compliqué. Nous avions déjà vécu des tensions dans le groupe et nous avions essayé de nous mettre un peu en standby pendant un certain temps. Ça a d’ailleurs été le dernier album du bassiste et du batteur à l’époque, car nous avions insisté pour essayer de retrouver une motivation. Quand tu vis des choses et qu’au fur et à mesure, tu t’habitues, qu’il y a une certaine routine, ce n’est pas donné à tout le monde de se remettre en question et de rebondir tout le temps. Donc je pense que ça a joué.

En revanche, il semble maintenant y avoir de nouveau une belle dynamique sur la scène heavy française, entre les nouveaux groupes comme Existence ou Tentation, ceux qui opèrent un retour (Sortilège) et les anciens qui sont toujours là (ADX). Comment voyez-vous aujourd’hui cette scène sur ce style musical ?

Je vais commencer par les jeunes, car je trouve que ce sont eux qui sont d’abord à l’honneur. Je trouve que c’est super que des jeunes prennent le relais avec autant d’efficacité et d’envie. Je ne connais pas trop Tentation mais je connais Existence, puisque je les ai produits, et je trouve que la relève est vraiment là, qu’il va se passer quelque chose. Ils ont compris beaucoup de choses des anciens groupes. J’ai été très étonné avec Existence de leur maturité, de tout ce qu’ils connaissent sur les années 80 et 90, ils connaissent plein de groupes, donc ils ont une vraie culture metal de cette époque-là. Concernant les reformations, ce qu’on voit, c’est que finalement, les fans sont toujours là et ils sont très fidèles. Que ce soit Sortilège ou, plus proche de moi, Titan – je les connais car ils sont de Bayonne –, je suis agréablement surpris, d’abord, de leurs nouvelles chansons qui sont super bien – ça veut dire qu’ils n’ont rien perdu – et des fans qui les attendent depuis des années. Ça veut dire qu’il y a vraiment une French Touch ou en tout cas un truc qui tient pendant des années, et ça va être super pour eux de retrouver tous ces gens qui les ont attendus. Donc c’est bien aussi !

D’ailleurs, Carine, ça fait quoi de passer de fan à tête de gondole, comment as-tu vécu ce passage de l’un à l’autre, d’être en bas de la scène puis d’être devant ?

Carine : Il est clair que ça ne s’est pas passé en un jour. J’ai encore des petits sursauts. Je les écoute jouer et je me dis : « Quand même, ça joue bien » et j’oublie de chanter. Je vois François qui me fait des gros yeux noirs, du genre : « Mais t’as pas démarré ?! » Déjà, il fallait que je trouve ma place au milieu de tous – ils m’ont laissé la place, ce n’est pas ce que je veux dire, je ne m’en plains pas. Il fallait trouver la manière d’apporter mon empreinte après celle de Didier et il y a cette idée de légitimité. Aujourd’hui, je la trouve facilement parce que nous avons un joli album [rires]. Nous ne nous appuyons pas que sur des anciennes chansons qui étaient chantées par Didier. Aujourd’hui, nous avons autre chose à proposer avec moi et ça me rassure beaucoup quant à mes capacités. Mais c’est incroyable de vivre ça. C’est un scénario de film, en fait ! Je ne sais pas si tu as vu Rockstar, mais la drogue en moins, c’est ça [rires]. Quand tu es fan, tu ne veux pas que le groupe déçoive les autres fans. Il y a beaucoup d’enjeux qui sont une responsabilité. En plus, comme tu aimes le répertoire, tu es un peu garant de cet héritage et tu n’as pas le droit de l’abîmer. C’est vraiment une pression supplémentaire, c’est clair, mais dans la bonne humeur et la joie, comme tu le vois.

Interview réalisée par téléphone le 4 mars & le 1er avril 2022 par Sébastien Dupuis & Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Manigance : www.manigance.org

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