Hanno Klänhardt est un enfant des années 90. Il parle avec une telle passion de cette décennie, qu’il a vécue en tant qu’adolescent et qui a inauguré de nombreuses premières pour lui, qu’on imagine sans mal ses yeux pétiller à l’autre bout du fil. Rien qu’en matière de musique, c’est la décennie où il a découvert le metal, puis le punk, le grunge, le noise rock, etc. C’est celle où il a fait ses premiers concerts. C’est celle de son tout premier groupe. C’est celle de sa rencontre avec son ami et batteur Erinç Sakarya, avec qui il fondera bien années plus tard Mantar et trouvera enfin une forme de succès.
C’est en hommage à ces années-là que le duo a sorti l’album de reprises Grungetown Hooligans II, en indépendant et en pur DIY. Car si Mantar a été largement adopté par la scène et la communauté metal, ses véritables racines sont davantage ancrées dans le rock sale et agressif des années 90, dont il hérite également la sincérité, l’attitude de trublion et l’esprit libre, qui font son charme, sa fraîcheur, et participent à n’en pas douter à sa réussite.
C’est pour qu’il nous explique leur démarche avec Grungetown Hooligans II, sorte de respiration et de césure dans la routine professionnelle avant de partir sur un nouveau chapitre, que nous avons longuement échangé avec Hanno ci-dessous. C’est aussi pour nous immerger dans ses souvenirs des années 90, ses origines et celles de Mantar, ou encore rentrer plus en profondeur dans sa personnalité et sa vision de certaines notions, comme celle du terme « heavy », du féminisme ou de la politique.
« Si nous avons signé chez [Nuclear Blast], c’est parce qu’ils ont compris que pour que nous fassions et créions de super nouveaux morceaux, il y a une formule très simple : foutre la paix à Mantar. »
Radio Metal : Vous venez de sortir de manière indépendante un album de reprise, intitulé Grungetown Hooligans II. Comment avez-vous eu l’idée de faire un album de reprise à ce stade ? Le dossier de presse dit qu’après cinq ans durant lesquels le groupe est, étonnamment, devenu un « boulot », vous vous êtes demandé comment vous pourriez continuer à vous amuser dans le futur. C’était ça l’idée pour vous, briser la routine ?
Hanno Klänhardt (voix & guitare) : Briser la routine est une bonne façon de le dire. Comme ça a été écrit dans le dossier de presse, le groupe a décollé très rapidement. Nous nous sommes formés en 2012 ou 2013 et en un rien de temps, nous avons commencé à tourner, nous avons perdu nos boulots, notre appartement et maison. Nous ne faisions rien d’autre que tourner et nous occuper du groupe. Nous avons sorti trois albums, un EP et un album live. Nous n’avons récolté rien d’autre que de l’amour, nous avons entendu énormément de choses sympathiques… D’un côté, c’est très bien si tout le monde te dit à quel point tu es génial et ta musique super, mais d’un autre côté, tu n’as pas envie de devenir paresseux. En 2019, l’été dernier, nous avons regardé où nous en étions avec le groupe, quel était le statu quo. Au cours des cinq dernières années, tout s’est passé sans accroc et c’était relativement parfait, mais nous ne voulions pas commencer à nous copier, simplement parce que nous savons que ceci est ce que les gens aiment et que ceci est la formule de Mantar à laquelle les gens accrochent. Ce serait trop facile, ça ne m’intéresse pas.
Nous avons donc pensé : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour surprendre les gens, pour obtenir quelque chose d’inattendu et qui serait un peu plus marrant pour nous que ce cycle constant album/studio/tournée ? » Nous avons pensé que peut-être nous jouerions la musique de quelqu’un d’autre. Nous nous demandions quel genre de musique conviendrait et nous avons pensé à la musique avec laquelle nous avons grandi. Mantar est principalement reconnu dans la scène metal, donc nous nous sommes dit que nous pourrions montrer aux gens d’où nous venions : un monde sans ces groupes classiques et clichés de metal. Nous avons grandi au milieu du grunge/punk (ou peu importe comment on appelle ça) des années 90. Ça pourrait surprendre quelques personnes, donc nous avons voulu essayer de reprendre des morceaux de cette scène. Nous nous sommes posés ensemble, avons fait une liste, et essayé quelques chansons. Pendant que j’étais en Europe l’année dernière pour les festivals d’été, nous avons loué un studio pendant deux jours et nous avons enregistré la batterie. J’ai emporté les pistes chez moi et j’ai enregistré le reste de l’album dans mon salon, ici en Floride.
Il semblerait que vous ayez toujours tout fait à votre manière. Du coup, qu’est-ce que ça implique pour Mantar d’être devenu un groupe professionnel ? Y a-t-il plus de pression ?
Pas forcément plus de pression, mais clairement un changement dans notre routine quotidienne, car en tant que travailleur indépendant et musicien, tu es bien plus responsable de toi-même. Tu ne vas plus au bureau pour faire je ne sais quel boulot, personne ne te dit quoi faire à tel moment, tu es responsable de toi-même, tu dois payer ton loyer, etc. Dans l’ensemble, ce changement a été très lent, nous n’y avons même pas fait attention. Quand j’ai perdu mon appartement et mon travail parce que nous tournions énormément, je n’y ai même pas réfléchi, je l’ai simplement accepté, ça faisait partie du jeu. Aujourd’hui, bien sûr, c’est un business, même si c’est un tout petit business, mais je dois m’assurer que nous pouvons payer les gars qui s’occupent de notre son et le loyer de la salle de répétition, que nous pouvons produire des T-shirts, etc. Il y a davantage de responsabilités, mais je ne sais pas s’il y a plus de pression. Je sais à quel point ça peut être déprimant de se rendre à son boulot tous les jours quand on ne l’aime pas et qu’on sait qu’on est sous-payé, mais qu’on doit quand même le faire pour enrichir une autre personne. Même s’il y a davantage de responsabilité et qu’il est clair que je travaille plus qu’avant d’être un musicien professionnel, je préfère encore ce scénario.
Etant des esprits et artistes libres, tombez-vous parfois sur des obstacles ? Avez-vous dû changer un peu votre attitude ?
Bien sûr, mais vu que nous ne jouons pas de la musique avec laquelle on peut devenir riche, nous ne sommes pas obligés de faire trop de compromis et nous n’avons pas trop d’obstacles, car ce n’est pas comme si ça allait nuire à notre carrière. Si nous étions sur une grosse maison de disques, ils auraient probablement leur mot à dire. Au lieu d’investir notre temps et notre argent à faire un album de reprise, afin de montrer à nos fans de la musique sympa qu’ils ne connaissent peut-être pas et leur faire découvrir de nouveaux groupes, ils nous demanderaient probablement de faire un autre album pour que nous puissions leur rapporter un peu plus d’argent. Mais nous sommes des esprits libres, et c’est aussi pourquoi nous l’avons sorti sur notre propre label. J’ai trente-huit ans, je ne suis pas vieux, mais suffisamment pour comprendre que la vie, c’est une question de faire des choses qui nous rendent heureux, et pas qui rendent heureux d’autres gens. Il n’y a pas énormément d’obstacles. Les seuls obstacles sur lesquels tu tombes parfois, c’est le fait que tu ne gagnes pas assez d’argent ou que tu prennes des décisions impopulaires. En l’occurrence, nous avons décidé de faire une pause cette année. Si on met de côté la Covid-19, nous avons dit que nous ne voulions pas faire le moindre festival cet été. Nous n’aurions quoi qu’il arrive pas fait de festival cet été parce que nous voulions faire un break, nous détendre, sortir cet album de reprises et écrire de la nouvelle musque. Bien sûr, nous aurions perdu beaucoup d’argent mais parfois, il faut faire des sacrifices pour rester heureux.
« Je ne cherche pas à avoir l’air arrogant, mais je n’ai jamais compris pourquoi dans un certain style, il y a toujours cinq mille groupes qui essayent tous de sonner pareil et suivent la même formule, alors qu’il n’y a qu’un seul maître. »
Tu as dit que ce serait différent si vous étiez sur une grosse maison de disques, mais vous avez sorti vos deux derniers albums chez Nuclear Blast. Ce n’est pas une grosse maison de disques pour toi ?
Pas vraiment. Si nous avons signé chez eux, c’est parce qu’ils ont compris que pour que nous fassions et créions de super nouveaux morceaux, il y a une formule très simple : foutre la paix à Mantar. Ne pas demander des démos, ne pas dire à Mantar comment ils doivent sonner. Ils ont compris ça et ils nous ont totalement laissés tranquilles. Quand nous avons sorti ces deux albums – Ode To The Flame et The Modern Art Of Setting Ablaze –, ils ont reçu le master, une illustration finalisée et l’information de la date à laquelle nous voulions sortir l’album. Ils ont sorti ces albums comme ça et je trouve qu’ils l’ont fait avec succès. Le dernier album est monté jusqu’au top dix des ventes en Allemagne ainsi que dans d’autres pays. Je pense qu’ils ont fait une bonne affaire en nous laissant tranquilles. Nous avions une liberté artistique totale. Autrement, je n’aurais pas signé. Ceci étant dit, nous avions un accord pour seulement deux albums. Maintenant, nous sommes libres comme l’air, nous pouvons faire tout ce que nous voulons. Nous sommes toujours en bons termes avec Nuclear Blast et peut-être que nous continuerons à travailler avec eux à l’avenir, mais pour l’instant nous avons rempli notre contrat. Ça fait du bien de pouvoir faire ce qu’on veut. Je suis un punk, j’ai eu l’idée de faire cet album de reprises avec un esprit DIY, c’est pour ça que nous l’avons sorti sur Mantar Recordings, parce que ça paraissait marrant et semblait être un bon défi.
Vous n’avez pas proposé à Nuclear Blast de sortir Grungetown Hooligans II ?
Non. D’autres labels nous ont contactés parce qu’ils ont appris que nous travaillions sur quelque chose. Ils savent que Mantar va fonctionner tout seul parce que nous avons une communauté de fans solide et dévouée, que les gens vont l’acheter de toute façon. Evidemment, des labels ont voulu le sortir, en nous donnant même une bonne avance. Mais nous avons toujours voulu essayer d’avoir notre propre label, juste pour nous amuser, donc nous avons refusé. Nous avons toujours su que nous le sortirions par nos propres moyens.
Pour autant, vous collaborez avec Brutal Panda Records sur cette sortie, n’est-ce pas ?
Oui, c’est un label fondé par mon ami Bob Lugowe, il vit aux États-Unis, à New York. Ils ont sorti l’album aux États-Unis. C’est un petit label et ils ont aussi sorti notre premier album Death By Buning aux États-Unis en 2015, quand nous avons commencé à tourner ici. C’était surtout pour des raisons logistiques : ils ont les compétences pour bien mieux promouvoir l’album aux États-Unis, les frais de port sont moins chers, etc. C’est aussi un super label qui a démontré son bon goût avec les petits groupes qu’ils ont signés. Ça faisait parfaitement sens, ça allait bien avec cet album.
Toutes ces chansons sur Grungetown Hooligans II viennent de groupes de grunge, noise rock, rock alternatif des années 90, démontrant vos vraies racines. Curieusement, vous avez construit votre succès dans la scène metal, mais on avait discuté par le passé d’à quel point vous êtes incultes au sujet du metal et tu avais dit que vous étiez « putain de heavy » mais tu ne savais si vous étiez un groupe de metal. Dirais-tu que vous vous êtes retrouvés par accident dans la scène metal ?
Peut-être, oui. C’est une bonne manière de voir les choses, car nous n’avions pas prévu de devenir un groupe de metal quand nous avons fondé Mantar il y a quelques années. Cependant, je comprends pourquoi nous nous sommes retrouvés là : évidemment, les fans de heavy metal aiment la musique heavy. Je pense que plein de gens nous ont accueillis à bras ouverts parce que nous ne sommes pas tellement un groupe de metal cliché, nous ne suivons pas toutes ces normes. Peut-être que les gens en avaient un peu marre et ont pensé que Mantar était sympa et avait un côté rafraîchissant. Nous ne nous prenons pas trop au sérieux, nous nous fichons royalement des clichés metal, nous ne portons pas de veste militaire ou de corpse paint, nous ne jouons pas de solos de guitare ou de blast beat, et pourtant nous sommes hyper heavy. Je pense que les gens ont aimé ça et ça explique pourquoi nous nous sommes retrouvés là. Les gens [dans le metal] aiment la musique heavy et brutale et je pense que c’était rafraîchissant pour nombre d’entre eux. Ceux qui sont super religieux vis-à-vis de leur heavy metal et ne veulent écouter que la New Wave Of British Heavy Metal, le vieux thrash ou le black metal super orthodoxe, eux n’aiment pas Mantar et ça ne me pose aucun problème, je n’en ai rien à foutre. Je suis trop vieux pour essayer de satisfaire une certaine scène. J’ai juste envie de faire plaisir à des gens et donner de la musique à tous ceux qui l’apprécient. C’est beaucoup plus important pour les jeunes : ils fondent un groupe et ils pensent déjà à la scène dont ils veulent faire partie. Ils pensent à leur public de prédilection, pour ainsi dire. Nous étions assez âgés quand nous avons fondé Mantar, nous avions plus de trente ans, nous faisions ça uniquement pour nous, et quiconque voulait écouter était le bienvenu.
Ce qui est encore plus curieux, c’est le fait que le rock des années 90 a été érigé presque en opposition à tout ce que le heavy metal représentait à l’époque, et pourtant vous avez quand même fini par être associés au heavy metal…
Ça ne me pose aucun problème. Ne te méprends pas, je suis un grand fan de metal. Avant que je ne découvre le punk rock, j’avais découvert Sodom, Kreator, Flotsam & Jetsam, et bien sûr les premiers albums de Metallica. Encore aujourd’hui, Chaos A.D. de Sepultura est l’un des albums qui ont été les plus influents pour moi. J’ai toujours adoré le heavy metal, mais je n’ai jamais fait partie d’une quelconque scène. Pendant des années, le punk rock – ou peu importe comment tu veux appeler ça – m’influençait plus que le heavy metal, parce que je trouvais qu’il était très facile d’inter-changer les groupes de heavy metal. Plein de groupes essayaient vraiment de se copier les uns les autres et sonnaient pareil. Ça m’a toujours ennuyé. Pourquoi est-ce que je voudrais écouter un groupe de speed/thrash – même un bon groupe – qui n’est pas aussi bon que Metallica sur Ride The Lightning ? Je n’en ai tout simplement rien à faire. Je ne cherche pas à avoir l’air arrogant, mais je n’ai jamais compris pourquoi dans un certain style, il y a toujours cinq mille groupes qui essayent tous de sonner pareil et suivent la même formule, alors qu’il n’y a qu’un seul maître.
« Encore aujourd’hui, AC/DC est l’élément de la pop culture qui m’a le plus influencé dans ma vie. Il n’y a presque pas un jour qui passe sans que je pense à AC/DC ou que j’en écoute. Mon corps est couvert de tatouages d’AC/DC. J’aime ce groupe à la folie. »
Avec cet album, on comprend que ton histoire avec le rock a démarré au milieu des années 90, mais du coup, quand ton histoire personnelle avec le metal a-t-elle commencé ?
Probablement vers 1994. J’ai eu Chaos A.D. de Sepultura et America’s Least Wanted d’Ugly Kid Joe pour mon douzième anniversaire, si je ne me trompe pas. Cette année-là, il y a le Burn My Eyes de Machine Head qui est sorti aussi et Metal Hammer ou Rock Hard – que je lisais chez la grande sœur de mon meilleur ami à l’époque – disait que c’était l’album le plus hard qu’un groupe ait jamais sorti en début de carrière. Je ne savais pas quel genre de musique c’était, mais il fallait que je l’ai. J’ai vu une publicité sur MTV pour Chaos A.D. et c’était fascinant, j’étais presque paralysé. Cet album m’a scotché. A la même époque, le petit ami de la sœur de mon meilleur ami débarquait avec des T-shirts de Megadeth et je me suis demandé ce qu’étaient ces groupes. Puis j’ai découvert Sodom, Kreator et le thrash allemand. Ça m’a plus tard amené au punk, mais je peux dire que tout a commencé en 1994. C’est aussi là que j’ai eu mon premier groupe. Mon premier groupe, c’était juste moi en train de chanter avec le livret de Ride The Lightning, à essayer de chanter ces paroles en anglais et mon meilleur ami était à côté à faire du bruit sur sa guitare électrique. Nous avions un nom merveilleux – accroche-toi bien – nous nous appelions Metal Cops [rires], genre la police du metal et nous prenions ça très au sérieux ! Puis nous sommes passés au punk un peu plus tard, j’ai commencé à jouer de la batterie et mon meilleur ami jouait encore de la guitare.
1994 était une année tellement influente, j’ai découvert le grunge, et même s’il était sur le point de mourir, j’ai découvert le heavy metal et j’ai découvert le punk rock, tout ça en une année, quand j’avais onze ou douze ans. Bon sang, comme cette époque me manque… Tous les jours on découvrait un nouveau groupe, un nouvel album. Pour être tout à fait juste, j’écoutais déjà AC/DC, exclusivement, depuis de nombreuses années avant ça. Quand j’avais six ou sept ans, j’ai découvert deux cassettes dans le sous-sol de mon père : If You Want Blood (You Got It) et Highway To Hell, et c’était mon premier contact avec la musique heavy. Encore aujourd’hui, AC/DC est l’élément de la pop culture qui m’a le plus influencé dans ma vie. Il n’y a presque pas un jour qui passe sans que je pense à AC/DC ou que j’en écoute. Mon corps est couvert de tatouages d’AC/DC. J’aime ce groupe à la folie. Mais est-ce qu’AC/DC c’est du heavy metal ? Probablement pas. Techniquement, AC/DC c’est du rock n’ roll, du hard rock ou peu importe comment on appelle ça. Donc la première fois que j’ai découvert le heavy metal était en 1994. C’était une année fantastique ! J’ai aussi eu ma première petite amie à qui j’ai pu rouler des pelles. Je me suis défoncé pour la première fois. Oh, bon sang, comme c’était beau ! Je suis beaucoup trop nostalgique, c’est un problème, mais au moins je vais mourir heureux.
Tu penses que c’est justement le fait que vous ne veniez pas juste d’un background metal qui donne à Mantar sa fraîcheur ?
Il est clair que ça nous rend uniques, même si bien sûr nous ne réinventons pas la roue. Je pense vraiment que ça nous rend davantage uniques et nous confère une fraîcheur. Quand nous avons fondé Mantar, nous aimions tous les deux le heavy metal. Enfin, Erinç pas tant que ça. Quand nous avons commencé, je peux te promettre qu’Erinç était incapable de citer le moindre groupe de death metal et ne savait pas ce qu’était le black metal. Il était bien plus porté sur le rock, le grunge, le punk et le hardcore que moi. Moi, je savais déjà de quoi je parlais. Quand on écoute Mantar, bien sûr qu’il y a des passages black metal là-dedans. Je pense que la raison pour laquelle le groupe apporte un peu de fraîcheur et est unique, c’est parce que nous n’avions pas les compétences – car nous n’avons jamais été des musiciens de metal – pour reproduire, reprendre ou copier d’autres groupes. Je ne savais pas jouer du black metal à la guitare ou comment écrire un riff de death metal et Erinç ne savait pas jouer du blast beat. Au lieu de copier ça, nous l’interprétions. Quand j’écoutais des groupes de black metal, je savais que nous étions incapables de faire ça, mais nous pouvions en faire notre propre version. Je pense que c’était un gros avantage parce que nous étions très naïfs et nous n’avions pas le moindre objectif dans notre tête quand nous avons commencé à jammer et jouer dans Mantar. Nous n’avions pas un but à atteindre, ce n’est pas comme si nous avions voulu sonner comme Bolt Thrower, Sodom ou je en sais quel post-black metal – je ne sais même pas comment cette connerie s’écrit ! Nous étions très naïfs quand nous avons commencé parce que nous n’avions aucun objectif en tête et aucune volonté d’accomplir quoi que ce soit, nous voulions juste jouer avec le plus de force possible, principalement pour nous divertir nous-mêmes. Je pense que ça nous a mis en très bonne position parce que nous n’étions pas obligés de répondre à un quelconque désir d’une certaine scène rigide.
Cet album de reprise est-il pour vous un moyen de faire comprendre que c’était un peu une erreur de la part des gens d’avoir voulu automatiquement mettre Mantar dans la catégorie metal ?
Pas forcément parce que je n’en ai rien à foutre, pour être tout à fait franc. Les étiquettes, ça ne veut rien dire. C’était une démarche beaucoup plus positive. Je n’ai aucune raison de prendre mes distances avec la scène metal. La majorité de nos fans sont dans la scène metal, nous jouons dans des festivals metal et nous sommes couverts par des magazines de metal. J’adore ça et j’aime en écouter. C’était une manière pour nous de montrer d’où nous venions, pas de prendre nos distances. C’était pour faire un genre de cadeau à nos fans : « Si vous aimez la musique hard, vous devriez essayer d’écouter Babes In Toyland, L7 ou Jesus Lizard qui sont chaotiques et fous. » Nous avons déjà eu pas mal de retours, surtout de la part des jeunes fans de metal qui n’avaient jamais entendu parler de Sonic Youth, en l’occurrence, et ont trouvé que c’était un super groupe. Bien sûr que c’est un super groupe ! J’espère que cet album fera découvrir à nos fans de nouveaux groupes dont ils n’avaient peut-être pas entendu parler et qu’il leur montrera d’où nous venons. L7 a clairement plus d’impact sur notre son que, par exemple, un groupe de death metal que j’aime à titre personnel, comme Obituary. J’adore ces groupes, mais ils n’ont eu aucune influence ou impact sur nous. Alors que L7, Sonic Youth, Jesus Lizard et Mudhoney, oui. Au final, nous sommes juste un groupe de rock n’ roll très simple.
« La première fois que j’ai découvert le heavy metal était en 1994. C’était une année fantastique ! J’ai aussi eu ma première petite amie à qui j’ai pu rouler des pelles. Je me suis défoncé pour la première fois. Oh, bon sang, comme c’était beau ! Je suis beaucoup trop nostalgique, c’est un problème, mais au moins je vais mourir heureux. »
Vous êtes donc heavy, mais vous ne faites pas du heavy metal. Qu’est-ce que le mot « heavy » signifie pour toi ?
Intense. Même de la musique qui n’est pas forte, rapide ou super lente peut être heavy. Heavy, c’est quelque chose qui suscite des émotions chez toi et s’empare de toi d’une certaine manière. Quand j’écoute Portishead, l’album Dummy par exemple – un autre album datant de 1994, si je ne me trompe pas –, c’est heavy. Si tu écoutes de la musique classique, c’est majestueux et c’est heavy. Même de la musique électronique qui te fait tripper et oublier le temps et l’espace à cause de son rythme répétitif peut être heavy. Je pense que tout est une question d’intensité. Il s’agit d’essayer de créer un moment qui ne te laisse aucune occasion de te concentrer sur autre chose à cet instant précis. Voilà ce que heavy veut dire pour moi. Quand tu es en train de baiser, quand tu te branles, quand tu te tapes avec un marteau sur la tête ou quand tu es amoureux et embrasses ta nouvelle petite amie pour la première fois, c’est heavy parce que ton esprit ne part pas ailleurs dans un moment qui est heavy/intense. C’est ce que j’aime dans la musique heavy. Je connais plein de musiques qui prétendent être du heavy metal mais qui ne suscitent aucune émotion chez moi, parce que c’est interchangeable et plastique.
Cet album de reprises est donc imprégné des années 90 : qu’est-ce que cette décennie, de manière générale, représente pour toi ?
Ça représente à la fois ma jeunesse et une époque où tout ce que je faisais, je le faisais pour la première fois. Comme on le sait tous les deux, il y a une certaine magie là-dedans. Ecouter, découvrir un groupe… Ça m’arrivait tous les jours dans les années 90. La première fois que tu as écouté ton groupe préféré, la première fois que tu étais debout sur un skateboard, la première fois où tu as été ivre, la première fois que tu as embrassé une femme, la première fois où tu as été dans un circle pit lors d’un concert, la première fois où tu t’es branlé, c’est ça que représentent les années 90 pour moi. Tous les jours j’écarquillais les yeux, il y avait un nouveau monde de possibilités et de merveilles là-dehors, car j’étais jeune. Evidemment, il y a des côtés positifs et négatifs là-dedans, car on apprend vite que le monde peut aussi être un endroit merdique et très dur. Mon amour pour la musique et l’art, et mon dévouement envers mes idéaux font que cette époque était fraîche, nouvelle et excitante, simplement parce que j’étais jeune. Pour moi, les années 90 représentent une époque très intéressante, avec ce melting-pot de musiques pop et de différents styles qui coexistaient. Quand tu regardes les classements américains du Billboard, il y avait NWA, qui était un groupe super important pour plein de raisons, y compris pour moi, il y avait Public Enemy, etc. et d’un autre côté, il y avait le Nevermind de Nirvana, le Black Album de Metallica, Faith No More… Il y avait tous ces trucs de dingue, tout en même temps, ça coexistait. C’était complètement normal d’aller dans un festival, genre Lollapalooza, et de voir Type O Negative et les Beastie Boys, Sonic Youth et Public Enemy, en même temps.
Ce que j’aime aussi à propos des années 90… Evidemment, il y a toujours eu des rockstars, mais même les rockstars ne s’identifiaient pas trop à la quantité d’argent qu’elles avaient. Elles prenaient plus ou moins pour acquis qu’elles étaient riches, voyageaient en jet privé, prenaient de la drogue, etc. Mais aujourd’hui, tous les putains de nouveaux petits rappeurs de dix-neuf ans se font tatouer le signe du dollar sur le front dès qu’ils obtiennent leurs premiers cent mille dollars. Je pense que la musique actuelle est peut-être un petit peu plus creuse et a moins d’idéaux. C’est toujours facile à dire pour un vieux schnock, mais ce que je suis en train de dire est que tous ces groupes à l’époque avaient un message. Que ce soit Faith No More, Nirvana, Babes In Toyland, le mouvement Riot Grrrl, ou Public Enemy, NWA… Ces groupes faisaient de la musique parce qu’ils avaient quelque chose à dire. Aujourd’hui, j’aime beaucoup certaines parties de rap et je trouve ça très divertissant, mais si la seule chose que tu as à dire c’est : « Soyons riches. Si tu n’es pas riche, tu n’es rien », je ne peux pas m’identifier à ça, même si j’étais riche, je ne le pourrais pas. Je ne comprendrais jamais la fascination pour l’argent et pourquoi ça peut être suffisamment excitant pour écrire une chanson dessus. Peut-être que je suis trop vieux pour comprendre…
De manière générale, les années 90 – musicalement partant – étaient plus excitantes, même s’il existe des groupes fantastiques de nos jours également. Tous les jours, de nouveaux groupes géniaux apparaissaient. Mais nous sommes exposés à tellement de musique aujourd’hui, quotidiennement… Il y a tellement de musique que même si on le voulait, on ne pourrait pas tout écouter avant de mourir. A l’époque, il fallait que j’économise de l’argent pendant trois mois pour pouvoir m’acheter un CD. Un ami te passait une nouvelle cassette, donc tu découvrais un nouveau groupe toutes les quelques semaines. Aujourd’hui, tu ouvres Spotify et il y a tellement de musique que tu ne sais pas par où commencer. Honnêtement, ça me fatigue un peu. Parfois, je n’essaye même plus de découvrir de la nouvelle musique parce que je ne sais pas par où commencer.
Comment était le jeune Hanno des années 90 et l’environnement dans lequel il a grandi à Bremen ?
J’étais un gamin vraiment déchaîné, j’avais faim d’excitation, comme tous les enfants, j’imagine. Je suis tombé amoureux du skateboarding et de la musique. J’ai eu ma première basse quand j’avais treize ans et tous les jours, je me consacrais à la musique. J’écoutais des groupes, ma chambre était tapissée de posters d’AC/DC, de Metallica, de Sepultura et ce genre de choses. J’étais un gamin typique des années 90 à la Bart Simpson / Beavies et Butt-Head. J’ai développé un fort désir de créativité très tôt dans la vie. J’ai eu mon premier groupe à douze ans, c’était assez précoce. Mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent, mais je n’étais pas du tout pauvre. Je pouvais me payer un CD de temps en temps ou une basse, même si j’ai dû me la payer moi-même. J’étais très content quand j’étais jeune parce que j’avais le temps et la possibilité de découvrir quelque chose de nouveau et d’excitant tous les jours.
« [Quelque chose] qui ne te laisse aucune occasion de te concentrer sur autre chose à cet instant précis, voilà ce que heavy veut dire pour moi. Quand tu es en train de baiser, quand tu te branles, quand tu te tapes avec un marteau sur la tête ou quand tu es amoureux et embrasses ta nouvelle petite amie pour la première fois, c’est heavy. »
La vie à Bremen était excitante parce que la scène là-bas était très intéressante. Dans les années 90, il y avait énormément de groupes dans cette ville. Crois-le ou non, certains magasines l’appelaient la Seattle allemande, parce qu’il y avait énormément de groupes à l’époque, et aussi beaucoup de groupes qui tournaient. Il y avait plein de salles, comme le Wehrschloss, où j’ai rencontré Erinç pour la première fois en 1996 avec son groupe. Il avait repris « Ghost Highway » ce soir-là et depuis, cette chanson est restée coincée dans ma tête. J’avais quatorze ans à l’époque et c’était tellement excitant. J’allais aux concerts quand mes parents me le permettaient. J’étais très jeune, donc je n’avais pas le droit d’aller à tous les concerts que je voulais. Mais cette salle où j’ai rencontré Erinç était juste de l’autre côté de la rue où j’ai grandi, en face de la maison de mes parents. Parfois, j’y allais l’après-midi, j’installais la sono, je donnais un coup de main, je travaillais au bar, et en retour, j’avais le droit de voir tous les concerts gratuitement et me soûler. Green Day, L7, Antiseen et tellement de groupes influents ont joué là-bas. Dans le temps, Bremen était encore une ville où les groupes venaient jouer. Aujourd’hui, ça s’est calmé, plein de salles ont fermé, une grande partie de la scène DIY a disparu. Alors qu’avant, il y avait énormément de groupes et de festivals locaux. Il est possible que ça paraisse un peu plus cool dans mes souvenirs que ça ne l’était vraiment, parce que je voyais aussi ça avec les yeux d’une très jeune personne qui était impressionnée par tout ça, mais c’était une belle époque et Bremen possédait une scène et un environnement pour musiciens en bien meilleure santé à l’époque qu’aujourd’hui.
Tu as mentionné que la première fois que tu as rencontré Erinç, il jouait avec son groupe. Mais te souviens-tu de la première fois où tu lui as parlé ?
Oui, c’était un an plus tard, lors d’un festival annuel qui s’appelait le OFF Festival, juste au coin de ma rue. Vingt des meilleurs groupes locaux étaient invités à y jouer tous les ans en octobre. C’était génial ! En 1996, je me suis rendu au festival et j’ai vu Erinç jouer. En 1997, j’ai joué avec mon groupe de punk adolescent et Erinç est venu en tant qu’invité. Mon batteur de l’époque lui a parlé et m’a présenté à lui, et nous avons commencé à discuter. Tous les musiciens se connaissaient à l’époque, c’était une toute petite scène, mais très vivante et active. J’étais très impressionné parce qu’il avait sept ans de plus que moi. C’est Erinç qui m’a fait découvrir toute la musique que tu peux trouver sur cet album de reprises via des mixtapes. Je n’aurais pas connu un seul de ces groupes sans lui. Pendant des années, dans notre amitié, il avait la fonction de me montrer de nouveaux groupes sympas, car j’avais quinze ans et lui en avait vingt-deux – ça fait une grosse différence d’âge quand on est aussi jeune. J’étais très fier d’avoir un ami plus vieux qui était cool et jouait de la batterie. La première fois que je l’ai vu jouer de la batterie, c’était un moment magique, parce que je n’avais jamais vu un batteur frapper aussi fort de ma vie, il jouait de manière tellement brutale et extrême. J’ai toujours voulu être dans un groupe avec lui et il a fallu dix-sept ou dix-huit ans pour que ça se produise enfin, c’est assez drôle.
On a seulement entendu parler de toi récemment, quand Mantar a sorti Death By Burning en 2014. Quelle a été ta vie avant que tu ne fondes Mantar ? As-tu eu d’autres groupes entre-temps ?
J’ai joué dans un groupe de punk local à Hambourg pendant de nombreuses années, personne ne le sait, ça n’a jamais fait les gros titres. Je suis musicien depuis mes douze ans et j’ai toujours essayé d’avoir du succès avec un groupe et de devenir un musicien professionnel. Je le voulais vraiment mais ça n’a pas marché. Quand nous avons fondé Mantar, c’est justement là que j’ai abandonné l’idée d’être un musicien professionnel. J’avais trente ans et j’étais à l’aise avec l’idée que la musique resterait peut-être un simple hobby. J’avais un bon boulot dans l’industrie musicale, je promouvais de la musique, je travaillais pour des labels et de la distribution heavy metal. Ensuite, nous avons fondé Mantar, nous voulions jouer de la musique qui était anti-succès et super underground. Et on connaît la suite… Peut-être qu’il fallait ce changement d’état d’esprit pour enfin rencontrer un vrai succès avec un groupe. Peut-être que je m’étais trop entêté avant ça. C’était marrant parce que Erinç ne jouait plus du tout de musique, il avait arrêté plusieurs années avant parce qu’il n’avait pas trouvé de groupe et son potentiel était tellement mal utilisé. C’était triste à voir. Il travaillait en tant que videur, il avait sa petite amie… Mais je lui ai dit : « Mec, il faut qu’on joue ! J’adore ton jeu de batterie, je t’adore en tant qu’ami. Il faut que tu m’aides, j’ai une idée. » Nous avons ensuite jammé pendant trente minutes et c’est devenu clair que nous formions un nouveau groupe. C’était magique. En quelques minutes, nous avons su que nous tenions quelque chose de super.
Je suis quelqu’un de très dévoué. Si j’ai une idée en tête et que je suis convaincu qu’elle est bonne, je travaille dessus très dur et je refuse qu’on me dise non. Je crois qu’Erinç a eu du mal à comprendre mon éthique de travail au début. Nous répétions les samedis matin, quand d’autres gens rentraient chez eux ivres. Nous avions une éthique de travail de dingue. Même si nous avions encore des boulots, nous avons fait de notre groupe notre principale mission dans la vie en seulement quelques semaines. Aujourd’hui, les gens demandent : « Pourquoi avez-vous eu du succès ? Vous avez seulement eu de la chance ! » Peut-être que nous avons eu de la chance, mais crois-moi, nous avons travaillé très dur pour ça, surtout les deux premières années. J’ai perdu mon appartement et mon boulot parce que je jouais dans ce groupe, je n’avais le temps pour rien d’autre. J’ai payé le prix fort et je suis content de l’avoir fait, car autrement, je ne vivrais pas aux Etats-Unis, je n’aurais pas rencontré ma femme et je ne serais pas en train d’avoir cette conversation sympa avec toi ou je ne pourrais pas créer de la musique qui apporte du bonheur aux gens. Je suis dans une super situation dans la vie et j’en suis très reconnaissant, je ne le prends pas pour acquis, mais j’y ai travaillé très dur. J’ai joué de la musique pendant plus de vingt ans et j’ai également travaillé pour ça alors que tout le monde n’en avait rien à foutre [rires]. Peut-être que c’est un juste retour des choses, car j’ai survécu et je n’ai pas abandonné.
« J’ai toujours essayé d’avoir du succès avec un groupe et de devenir un musicien professionnel. Je le voulais vraiment mais ça n’a pas marché. Quand nous avons fondé Mantar, c’est justement là que j’ai abandonné l’idée d’être un musicien professionnel. […] Nous voulions jouer de la musique qui était anti-succès et super underground. Et on connaît la suite… Peut-être qu’il fallait ce changement d’état d’esprit pour enfin rencontrer un vrai succès avec un groupe. »
Plus de la moitié des groupes repris dans cet album sont composés en totalité ou en partie de femmes, dont certaines ont été plus ou moins associées au mouvement féministe Riot Grrrl. Est-ce que ça dit quelque chose au sujet des femmes, en tout cas dans les années 90 ? Penses-tu qu’elles étaient encore plus agressives et avaient encore plus de caractère que les hommes ?
Je pense qu’elles devaient avoir plus de caractère que les hommes et être plus agressives parce qu’il fallait qu’elles soient entendues et se fassent remarquer. C’est pourquoi j’aime tant ces groupes. Quand j’écoute L7 ou 7 Year Bitch, la manière dont elles chantent me file la chair de poule tellement c’est hystérique et agressif. Ça me fiche la trouille, c’est fantastique ! La première fois que j’ai écouté Hungry For Stink de L7, je te le jure devant Dieu que j’ai écouté cette cassette au moins une fois par jour pendant un an, parce que je n’avais jamais rien entendu de tel. Pour être honnête, je ne connaissais pas beaucoup de groupes féminins avant de découvrir ces groupes grâce à Erinç. Il avait sept ans de plus et il connaissait tout ça. Evidemment, je connaissais Joan Jett, par exemple, et j’adore ce genre de groupe aussi, mais ces groupes jouaient parfois de manière encore plus agressive et plus dure que les groupes masculins, et je trouvais ça vraiment cool. J’adore l’esthétique d’un son féminin agressif.
Le féminisme a pris un autre tournant ces dernières années. Au-delà du fait que vous montriez vos racines, y a-t-il une déclaration féministe derrière ces choix ?
Des gens adoreraient que ce soit le cas, mais non, je ne crois pas. Ce sont juste quelques groupes avec lesquels j’ai grandi et que j’aime. Aujourd’hui, ce serait vraiment foireux de dire au monde et à la presse que nous avons choisi ces groupes féminins parce que nous sommes féministes et que nous voulons représenter le pouvoir féminin. C’est un putain de mensonge ! La plus importante déclaration est que je n’ai jamais pensé que c’était spécial d’être dans un groupe féminin, pour moi ça n’a jamais fait la moindre différence. Quand j’entends Mazzy Star, je n’entends pas forcément une femme qui chante, j’entends juste une fantastique personne qui chante. Nous avons choisi cinquante pour cent de groupes masculins et cinquante pour cent de groupes féminins parce que c’est ce que j’écoutais dans le temps, tous ces groupes ont eu un impact sur moi. C’est une déclaration en soi, sans essayer d’en faire tout un foin et de raconter à tout le monde que je suis un grand féministe. Ça n’était pas le but. Je voulais juste représenter et honorer des groupes que j’affectionne.
Te considères-tu quand même comme un féministe ?
J’aime l’égalité. Est-ce que je suis engagé à fond dans le mouvement Black Lives Matter ? Non, ma conviction personnelle est que chaque personne est pareille, indépendamment de notre sexualité, sexe, race, la forme de notre corps, etc. C’est ce en quoi j’ai toujours cru. Suis-je un grand féministe ? Non, parce que je crois aux hommes et aux femmes. Je trouve qu’il est super important que les gens qui s’identifient comme étant des femmes soient traités avec la même dignité, le même respect et les mêmes chances que les hommes. Je ne sais pas si ça fait de moi un féministe. Je ne participe pas à des manifestations féministes. Je les soutiens absolument, mais je ne sais pas si c’est mon combat. J’ai juste envie que les gens soient positifs. Cet album n’est pas une déclaration féministe, ce serait trop facile, comme aller à la pêche aux compliments, et je n’ai pas envie de ça, je ne crois pas forcément que ça nous ressemble.
Plus généralement, ces groupes ont souvent utilisé leur musique pour exprimer des positions politiques et sociales. Et la dernière fois qu’on s’est parlé, à la sortie de The Modern Art Of Setting Ablaze, tu nous as dit que tu étais « contre tout sorte de leader ou autre ». Du coup, est-ce que pour toi, Mantar est parfois un moyen de prôner l’anarchie ?
L’anarchie politique ne colle pas parce que l’anarchie en soi est une idée politique et je suis contre les idées politiques en général. Je ne fais confiance à aucune sorte de politique, je ne fais confiance ni aux politiques de droite, ni aux politiques de gauche… Ça ne fait pas de moi quelqu’un d’apolitique ou d’antipolitique pour autant, mais ce n’est pas ce que représente Mantar. Notre art fonctionne à un autre niveau. J’ai grandi dans un environnement plutôt à gauche. J’aime l’égalité et les idéaux de gauche ont parfaitement du sens pour moi. Je ne sympathise pas avec les idées de droite. Si on parle spécifiquement de mes idéaux, les gens supposeraient que je suis un mec de gauche, et peut-être que c’est le cas. Comme je disais, c’est normal pour moi de traiter les autres avec respect, peu importe leur religion, orientation sexuelle, sexe, la forme de leur corps, etc. Ça va sans dire, on n’est même pas obligé d’en parler. D’un autre côté, pour moi, penser ça ne veut pas forcément dire qu’on est de gauche. Je ne comprends pas pourquoi des gens essayent de promouvoir le communisme et ce genre de chose ; tout ce système politique n’a apporté que la mort et la misère. J’ai juste une grande méfiance envers toute sorte de leadership. Ça me fait peur. Tous les partis politiques veulent le pouvoir, qu’ils soient de gauche ou de droite, et peu importe le bien qu’on peut penser de leurs idéaux. Le fait de catégoriser les politiques – droite, gauche, bon, mauvais – ne me convient pas, parce que je crois en l’individualisme et j’aime vraiment qu’on me laisse tranquille. Je n’ai pas envie de participer à un quelconque parti ou de suivre un leader, mais je ne sais pas si ça équivaut à de l’anarchie. L’anarchie, ça signifie aucune règle, alors que pour moi, il y a certaines règles, comme le fait de traiter les gens avec respect, de la même façon qu’on aimerait qu’ils nous traitent en retour, et le fait de ne pas vivre de façon que d’autres gens souffrent de notre comportement. Je ne sais pas si c’est évident dans l’anarchie.
« Quand j’écoute L7 ou 7 Year Bitch, la manière dont elles chantent me file la chair de poule tellement c’est hystérique et agressif. Ça me fiche la trouille, c’est fantastique ! »
Aujourd’hui, tout doit être politique : re-politisons le punk rock, re-politisons le heavy metal, re-politisons le skateboarding… Mais putain, de quoi ils parlent ? Non, je suis contre ! Laissons l’art être de l’art, et ne soyez pas des connards. Je me fiche de vos convictions tant que vous ne faites de mal à personne et que vous n’essayez pas de me convertir à quelque chose dont je ne veux pas ou en lequel je ne crois pas. Je crois vraiment au fait de ficher la paix aux gens. Si je disais que je veux répandre ou promouvoir l’anarchie, ce serait une déclaration politique en soi, mais je suis au-delà de ça. C’est pourquoi nous n’imprimons pas nos paroles, car je ne veux pas que les gens agissent en fonction de nos paroles, je ne veux pas forcer les gens à adhérer à certaines convictions. Je veux que les gens pensent par eux-mêmes. Si chaque personne dans ce monde pensait par elle-même – je ne parle pas d’être égoïste, ce n’est pas la même chose –, on ne s’en porterait que mieux. Pourtant, les gens ont tendance à laisser d’autres gens penser pour eux. La gauche ou la droite, ça n’a pas d’importance, c’est quelque chose en lequel je n’ai pas confiance et ça me fait peur. Il faut comprendre que toi et moi, nous pouvons discuter comme des personnes civilisées, ça vaut quand il y a une ou deux personnes réfléchies et intelligences, mais quand il y a cinq, dix ou même plus de gens, ça se transforme tout de suite en un bordel hystérique, et je n’en ai rien à foutre de ça.
La chanson « Ghost Highway » apparaît sur une compilation de Brutal Panda pour soulever des fonds pour Campaign Zero, une organisation qui a pour objectif de mettre un terme à la violence policière en Amérique. Il se trouve que tu vis en Amérique. Etant dans le pays, mais ayant également un regard extérieur, puisque tu es allemand, comment perçois-tu ce sujet de la violence policière là-bas ?
C’est la merde et ça a toujours été la merde et le racisme a toujours été là. Il y a toujours eu du profilage raciste et les Noirs ont dû beaucoup plus souffrir de la violence policière. Evidemment, les Blancs subissent aussi de la violence policière, ne te méprends pas, mais les Noirs en ont beaucoup plus souffert. Il y a plus de Noirs en prison que de Blancs. Quiconque dit qu’il n’y a pas de racisme ou concept raciste là-derrière est aveugle ou ferme les yeux dessus. Pour être juste, je vois du profilage également en Allemagne et d’autres pays européens, mais en Amérique, c’est vraiment extrême, surtout aujourd’hui. Je ne sais pas si la police en elle-même est le problème. Je pense que le racisme et le fait que la société ne s’est jamais unie comme elle aurait dû sont le problème. C’est assez dingue à voir, mais aujourd’hui on comprend pourquoi il y a Black Lives Matter, des manifestations, des émeutes dans la rue, etc. J’ai peur que dans deux mois, plus personne n’en parle. Souviens-toi, il y a deux mois, c’était le changement climatique et le fait de ne plus prendre l’avion. J’ai peur que ce ne soit qu’une tendance, car c’est tellement facile de mettre un carré noir sur son compte Instagram mais ça veut dire que dalle. Les gens doivent reconstruire une société de zéro ou alors tout ça n’aura servi à rien.
Ce pays est malade. La plupart des pays européens sont malades aussi, mais l’Amérique, particulièrement sous cette présidence, est un Etat très triste, sombre, malade et méchant. Nous avons un président ici qui est prêt à utiliser du gaz lacrymogène et des balles contre les gens qui ne font plus confiance au gouvernement. Au lieu de réaliser que les gens ne l’aiment plus et qu’il devrait se trouver un autre boulot, il se cache derrière des murs et l’argent et il essaye de museler en recourant à la force policière, la violence et l’armée. Je trouve que ça met en évidence des tendances fascisantes. Je n’aime vraiment pas ça, mais il faut voir ce qui va se passer dans les prochaines années, pour voir où va la société. Pour être honnête, je n’ai pas tellement d’espoir pour l’humanité en général. Je ne souffre pas de la violence policière, je suis un homme blanc hétérosexuel vivant en Amérique, je n’ai aucun problème, que ce soit ici ou en Europe. Mais on doit prendre la défense des gens, parce qu’il y en a plein qui font face à ces problèmes et qui n’ont pas leur mot à dire, donc nous devons soutenir leur cause. En l’occurrence quand je dis que la vie des Noirs compte, ça ne veut pas dire que la vie des Blancs ne compte pas, c’est juste important que ces gens puissent avoir leur mot à dire, car généralement, ils ne l’ont pas.
Le problème avec ces gens qui se baladent en disant que « toutes les vies comptent », c’est que ce sont des conneries, car ma vie n’a jamais été menacée par la violence policière, et elle ne le sera sans doute jamais. C’est pourquoi c’est si important, pour nous les gens qui ne sommes pas des minorités, d’élever la voix et de faire savoir très clairement que nous sommes contre tout ce profilage racial par la police et le racisme structurel de la société. Toutes les vies comptent, c’est des conneries, c’est comme si la maison de ton voisin était en feu, les pompiers arrivent et essayent d’éteindre le feu, et au lieu de les aider, tu débarques pour parler aux pompiers et leur dire : « Venez chez moi éteindre l’incendie aussi », alors que ta maison n’est pas en train de brûler. C’est ce que « toutes les vies compte » veut dire. Ici en Amérique, ce que l’on observe, c’est une grande peur de la classe moyenne blanche, qui croit que si d’autres gens ont une meilleure vie, quelque chose leur sera retiré. C’est totalement faux, mais on pourrait en parler pendant des heures…
« Aujourd’hui, tout doit être politique : re-politisons le punk rock, re-politisons le heavy metal, re-politisons le skateboarding… Mais putain, de quoi ils parlent ? Non, je suis contre ! Laissons l’art être de l’art, et ne soyez pas des connards. »
La manière dont vous vous êtes approprié « Can I Run » de L7 est assez intéressante, car vous avez ajouté une petite teinte gothique, en particulier sur la partie solo… Peux-tu nous en dire plus et, plus généralement, nous parler de la manière dont vous avez abordé ces reprises ?
Pour plusieurs raisons, « Can I Run » est en fait ma chanson préférée sur l’album. C’est l’une des rares chansons dans l’histoire de Mantar sur lesquelles j’ai pu vraiment chanter – je ne faisais pas de growl ou je ne criais pas –, or c’est là d’où je viens. Je n’avais jamais essayé de chanter comme je le fais dans Mantar avant que nous commencions à enregistrer mes vocaux pour Death By Burning. Nous n’avions aucune idée de la façon dont allaient sonner les chansons et dont j’allais chanter. J’ai juste ouvert ma bouche et ça a sonné exactement comme ça sonne aujourd’hui. J’étais plutôt content de pouvoir davantage chanter à nouveau et enfin jouer un solo de guitare. Je trouve que le solo de « Can I Run » représente l’essence de la musique des années 90. Il y a plein d’effets dessus, c’est tellement majestueux et emblématique. J’adore cette chanson.
Nous avons voulu présenté chacun des morceaux dans une autre parure sonore. Nous voulions que ça sonne plus comme une mixtape, parce que techniquement, c’est une mixtape. En l’occurrence, la reprise de Mudhonney « Who You Drivin’ Now? » a un son très rock n’ roll. Le chant sonne presque comme les Beastie Boys de temps en temps, c’est très funky à certains égards. Puis « Knot » de 7 Year Bitch a des passages presque black metal. « Can I Run » a des sonorités à la Type O Negative, gothiques, tu as raison, et j’adore cette chanson pour ça. L’approche générale était que si nous reprenions de la musique, nous ne voulions pas nous contenter de jouer les morceaux d’autres groupes, nous ne voulions pas les copier, nous voulions leur donner une nouvelle interprétation et en faire notre propre version. Quand nous avons choisi les chansons que nous allions enregistrer, nous voulions nous assurer que nous étions capables de les jouer avec Mantar – à deux – et qu’elles laissaient suffisamment de marge pour être interprétées à notre façon. Personne n’a besoin d’une reprise qui sonne presque comme l’original mais en version un peu moins cool. J’encourage tout le monde à écouter d’abord l’original et ensuite notre version. Les gens qui l’ont fait ont tous dit que nous avions réussi à faire nos propres versions des chansons.
Ceci étant dit, nous avons voulu faire en sorte que la reprise de Mudhoney soit un peu plus semblable à l’original. C’était un peu un hommage à Mudhoney en soi, c’est-à-dire un groupe de rock n’ roll super simple. Nous voulions nous focaliser sur les ingrédients essentiels des chansons et être respectueux de l’artiste. Nous ne voulions pas reprendre une chanson et la transformer en un morceau complètement abstrait, nous ne voulions pas la massacrer non plus. Reprendre un autre artiste, c’est aussi très lié au respect qu’on a pour l’artiste original. C’était aussi très amusant d’enregistrer et produire cet album dans mon salon et je pense que ça sera l’avenir de Mantar. Tous les jours, je me levais et je jouais avec différentes guitares et différents amplificateurs, j’avais tout le temps pour le faire. Il n’y avait pas d’horloge qui tournait comme dans un studio, parce que ça coûte cher, chaque jour coûte beaucoup d’argent et il faut aller vite. J’ai produit l’album et joué le rôle de l’ingénieur moi-même, je pouvais expérimenter, et ça pourrait bien être la manière dont je voudrais produire Mantar à l’avenir. Il faut que nous osions un petit peu plus et ne soyons plus aussi stricts.
A cet égard, Grungetown Holligans II est probablement la production la plus DIY que vous ayez jamais faite pour un album. Avez-vous cherché à recréer la manière dont les albums étaient faits à l’époque, au début/milieu des années 90, par ces groupes ?
Peut-être, mais c’était surtout un retour à la manière dont je faisais des albums avant. J’ai toujours fait la majorité de mes album DIY, dans ma salle de répétition, ou même sur mon enregistreur cassette quatre pistes dans ma chambre d’enfance. J’enregistrais habituellement de la musique pour moi, tout seul. Je crois fermement en cette manière de faire, je trouve que ça rend les albums vraiment uniques. J’ai toujours aimé Beck : tous ses albums sonnent très différents. Il les produisait entièrement lui-même, parfois dans son salon, parfois dans un grand studio. Chaque chanson sonne différente et j’adore ça. Pour moi, produire est probablement la partie la plus amusante quand on est musicien. J’aime ça même encore plus que jouer live et composer de la musique. J’adore la partie enregistrement parce que je me vois comme un artiste de studio. J’ai plein de microphones et de guitares différents, j’ai construit mes propres enceintes de guitare, et je trouve ça tellement amusant de dire : « Je vais jouer spécifiquement sur cette guitare pendant ces dix secondes, parce que je sais qu’elle apportera ce truc spécifique que j’ai en tête pour ce passage. » J’avais déjà en tête les huit chansons que nous avons mises sur cet album avant même d’appuyer sur le bouton d’enregistrement. Je savais comment je voulais que le solo de « Can I Run » sonne, comment le chant devait sonner, quels synthétiseurs j’allais utiliser, etc. C’était aussi amusant de nous permettre de faire des choses que nous ne faisons pas habituellement dans Mantar, comme le fait de jouer avec des synthétiseurs, faire des overdub de guitare pour un solo, etc. Je pense que nous avons suffisamment prouvé que nous étions capables, tous les deux, de foutre un gros bordel sur scène et de reproduire sans problème ce que nous faisons sur les albums. Mais pour le futur de Mantar, je me vois oser un petit peu plus, être un peu plus courageux et flexible durant le processus de production et faire des expérimentations pour entretenir notre excitation.
« Nous avons suffisamment prouvé que nous étions capables, tous les deux, de foutre un gros bordel sur scène et de reproduire sans problème ce que nous faisons sur les albums. Mais pour le futur de Mantar, je me vois oser un petit peu plus, être un peu plus courageux et flexible durant le processus de production et faire des expérimentations pour entretenir notre excitation. »
Je sais que par le passé, tu utilisais une guitare pour produire des sons proches d’un synthétiseur. Du coup, cette fois tu as vraiment utilisé des synthétiseurs…
C’est exact. C’était amusant parce que j’aime les synthétiseurs. J’ai plusieurs très vieux synthétiseurs analogiques des années 70. En fait, je les utilise surtout comme des guitares, parce que je les joue à travers des pédales d’effet pour guitare. Parfois je les fais passer à travers dans amplis de guitare pour les faire sonner plus sale. La manière dont je les utilise reste très punk et rock n’ roll. J’aime beaucoup les instruments et c’est ce que je veux dire quand je parle d’expérimentation. Je n’ai plus envie de me limiter.
Penses-tu que Mantar pourrait un jour avoir besoin d’un ou plusieurs membres supplémentaires ?
Je ne crois pas que ça arrivera. Je pense que nous resterons toujours tous les deux. Nous préférons faire ce que nous faisons en studio différemment en live. Aujourd’hui – mais peut-être que ça a toujours été comme ça – les gens veulent que les groupes reproduisent sur scène exactement ce qu’ils ont fait sur album. Je pense que c’est le moment de commencer à briser ces règles et interpréter nos propres chansons différemment sur scène, afin d’offrir aux gens deux choses différentes. Peut-être que nous allons jouer « Can I Run » et qu’il n’y aura pas de solo de guitare, mais il y aura d’autres passages sympas dedans… Encore une fois, je joue de la musique pour me divertir. J’adore le fait que les gens apprécient, mais j’ai besoin d’être content et excité par ce que je fais. Je n’ai pas envie de faire un autre album qui sonne exactement comme les trois autres, ce serait trop facile. Il faut qu’il y ait une part d’excitation et de défi quand on joue et crée de la musique.
La vidéo de la chanson « 100% » a été réalisée en collaboration avec notre photographe Matthis Van Der Meulen. Je sais à quel point il est fan de Mantar, donc ça ne me surprend pas. Comment était la collaboration ?
J’ai toujours adoré ses photos. Mes photos préférées de Mantar ont été prises par ce gamin. La première fois que nous l’avons rencontré, c’était en 2018 au Metal Days en Slovénie. C’est un gars super timide et j’ai senti que c’était un grand fan de Mantar, donc je lui ai demandé il y a quelques mois s’il faisait aussi des vidéos parce que j’avais besoin de quelqu’un de bon dans l’édition vidéo pour du contenu sur internet. Il a dit, avec son accent français timide et modeste : « Oui, bien sûr, je peux m’en occuper. » La première chose qu’il a faite était la vidéo play-through pour le morceau de Mazzy Star. Nous avons sorti la vidéo de Mazzy Star avec un fantôme, et ensuite, Metal Injection nous a demandé si nous pouvions faire une vidéo play-through, donc je l’ai filmée chez moi, en jouant dans mon jardin et mon salon. Matthis l’a éditée et il a fait un boulot fantastique. Nous lui avons ensuite envoyé une tonne d’images merdiques de nous en train de faire du skateboard et nous lui avons demandé de faire un truc amusant avec et il a édité la vidéo de « 100% ». Je trouve les idées et il en fait quelque chose de bien, il a beaucoup de talent. Je pense que ce jeune homme aura un long et bel avenir dans ce qu’il fait. C’est un chouette gamin. Je l’ai d’abord rencontré parce que j’étais impressionné par les photos qu’il prenait. J’ai dû lui parler tous les jours le mois dernier, donc je lui dois une bière, je pense !
Cet album de reprises s’appelle Grungetown Hooligans II : qu’est-ce qui est arrivé à Grungetown Hooligans I ?
Il ne s’est rien passé. Le titre Grungetown Hooligans était tellement merdique, c’était évidemment un titre de travail parce que nous n’avions pas d’autre idée. Nous avons pensé que l’appeler Grungetown Hooligans II rendait encore plus évident le fait que nous n’avons même pas essayé de chercher un meilleur nom [rires]. C’est aussi simple que ça. Un ami à moi, quand il était ivre, a suggéré de l’appeler Grungetown Hooligans II justement parce que c’était vraiment nul ; c’est d’ailleurs le même gars qu’on voit sur la pochette avec le flingue et qui porte un masque. J’ai trouvé que c’était une idée marrante parce que tous ceux qui comprennent Mantar et notre sens de l’humour savent que nous ne sommes pas sérieux avec ce nom. C’est un album de reprises, ce n’est même pas notre propre musique, alors pourquoi même essayer de trouver un nom sympa pour quelque chose qui n’est pas à nous ? Donc nous nous sommes dit que nous devions lui donner un titre amusant et ensuite, nous avons fait toutes ces vidéos à zéro budget. En fait, j’ai pris l’avion pour l’Allemagne début mars pour filmer des vidéo hyper classes et onéreuses, mais nous avons dû tout annuler à cause du coronavirus. J’ai dû reprendre l’avion pour retourner aux Etats-Unis parce que Trump était en train de fermer les frontières. Nous avons dû abandonner toutes ces vidéos à gros budget, mais quiconque connaît Mantar sait que s’il y a un problème, nous essayons de le tourner à notre avantage et d’en faire quelque chose de bien. Donc nous avons fait ces vidéos à zéro budget, et je pense que les gens les ont aimées. Elles sont bien meilleures que plein de vidéos onéreuses que je connais, car elles sont drôles et créatives.
« Nous avons pensé que l’appeler Grungetown Hooligans II rendait encore plus évident le fait que nous n’avons même pas essayé de chercher un meilleur nom [rires]. […] C’est un album de reprises, ce n’est même pas notre propre musique, alors pourquoi même essayer de trouver un nom sympa pour quelque chose qui n’est pas à nous ? »
Quelle est l’histoire derrière la photo de la pochette ?
J’ai pris cette photo il y a au moins dix ans, à Bremen, quand j’essayais de faire une pochette pour mon groupe punk de l’époque. J’ai pris ces photos avec un appareil photo jetable, en plastique, et ensuite j’ai mis l’appareil photo sur un radiateur pour détériorer la qualité de l’image. J’avais oublié cet appareil et des années plus tard j’ai développé les photos et je me suis dit : « C’est de l’or en barre ! » J’ai eu l’idée de mettre cette photo sur la pochette parce qu’elle avait l’air brutale et tellement différente des illustrations habituelles de Mantar. Nous trouvions que c’était une bonne manière de changer et d’emmener Mantar dans une autre direction, même si ce n’est que pour ce projet. C’est une photo vraiment iconique et ça colle bien, j’adore.
Cet album de reprises sort après trois albums qui paraissent connectés, avec l’idée du feu dans le titre. Vois-tu ceux-ci comme une sorte de trilogie et Grungetown Hooligans II comme un séparateur entre deux époques de Mantar ?
Je pense qu’on peut le voir comme ça. Ne te méprends pas, je ne veux pas me faire passer pour un grand artiste. Mantar va toujours sonner comme Mantar et nous allons toujours nous concentrer sur ce à quoi nous sommes bons. Mais je pense que les trois premiers albums forment une sorte de trilogie, ils sont tous liés et ont tous des passages comparables. Nous avons fait cet album de reprises pour nous divertir et faire quelque chose de marrant, mais aussi pour sortir du cycle classique d’albums. Je suis sûr que le prochain album que nous allons faire sonnera assez différent et j’ai hâte d’y être. Je suis déjà en train d’écrire de la musique et j’espère qu’il sortira l’année prochaine. Je ne fais qu’écrire des riffs et de la musique mais il n’y a pas encore de direction définie. C’est probablement une bonne chose parce que ça laisse une grande marge pour expérimenter et essayer des choses différentes. C’est toujours risqué d’offrir quelque chose de nouveau, parce que les gens vont toujours vouloir que le groupe sonne pareil éternellement. Mais il faut comprendre que je fais ça pour moi, et pas pour d’autres gens. Il faut que je joue la musique qui me plaît.
Tu as mentionné que vous êtes arrivés au bout de votre contrat de deux albums avec Nuclear Blast et vous avez sorti cet album de manière indépendante. Penses-tu qu’être indépendant est l’avenir pour Mantar et peut-être les groupes en général ?
Les groupes en général, oui. Mantar, je ne sais pas. Nuclear Blast étaient très bons, ils ont fait un boulot fantastique. Gérer un label, c’est beaucoup de travail. Là tout de suite, je ne peux pas te dire. Peut-être que nous allons collaborer avec d’autres labels, mais peu importe ce que nous ferons, nous allons toujours garder une grande part de liberté, c’est le principal pour moi. Même si nous travaillons avec un autre label, nous ne ferons aucun compromis. Je suis trop vieux et j’aime trop ce que je fais pour faire des compromis. Nous allons simplement faire notre truc. La raison pour laquelle on ne signe pas sur un label, c’est l’argent, parce qu’on te paye bien moins que si tu vendais ces albums toi-même. Le bon côté d’un label, comme Nuclear Blast, c’est qu’ils gèrent une énorme promotion et distribution, donc beaucoup plus de gens entendent parler de toi, écrivent sur toi et achètent tes albums parce qu’ils sont disponibles partout, dans tous les magasins de disques partout dans le monde, ce qui est super. Aujourd’hui, je suis convaincu que nous avons établi une communauté de fans et que ça fonctionnerait probablement aussi en DIY.
Les options pour faire de l’argent avec la musique se réduisent constamment. Les gens ne peuvent plus compter sur les gros labels, être payé un putain de dollar pour un album qui coûte vingt-cinq dollars en magasin est injuste. Tout devient davantage disponible et gratuit sur internet. On paye dix dollars par mois pour Spotify et on peut écouter toute la musique du monde, mais l’artiste n’y gagne rien. Les gens s’attendent à ce que tout soit gratuit. Nous n’avons jamais cédé les droits de notre merch et d’édition parce que nous savions que c’est notre seule chance de générer de l’argent. C’est pourquoi il est très important pour les groupes d’apprendre l’esprit DIY, afin de comprendre où ils peuvent se faire de l’argent, en vendant du merch, avec l’édition, etc. Plein de gens ne le savent pas, mais il y a des manières de faire qui permettent de vivre en tant que groupe, même quand on n’est pas un célèbre artiste pop, il faut juste savoir comment faire. Céder tous tes droits à une grosse société, c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire.
Interview réalisée par téléphone le 19 juin 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Mantar : mantarband.com
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L’equipe RM vous n’avez aucune idée de l’importance de ces interviews pour moi, c’est toujours un moment!! Vous faites un boulot exceptionnellement qualitatif à tous niveaux, surtout sur les questions de processus créatif/de compo, la démarche, les mises en contexte des débuts des artistes ou les questions vision de la musique/du monde !
Bref cette interview restera dans mes annales perso, le mec le plus passionnant à lire depuis l’interview de Turner en décembre (‘L’idée que quelqu’un pousse son corps au-delà de ses limites acceptables est nécessaire au processus, y compris pour donner du sens à la musique.’) et tellement d’autres!
Désolé de vous fanboyer!!
il n est pas le seul, les années 90 me manquent aussi