Lorsque l’on s’intéresse à la photographie de concerts, il est difficile de passer à côté du nom d’Emmanuel Wino dit : Manuwino. Depuis 2012, date à laquelle il s’est lancé dans le domaine de la photo live, il est devenu progressivement l’un des photographes incontournables du milieu. Metallica, The Cure, Nine Inch Nails, Ringo Starr, Johnny Hallyday, Bruce Springsteen, Airbourne, Iron Maiden : voilà en vrac les groupes qu’il a pu shooter. Sur un autre sujet, il faut savoir que Manuwino fait partie des rescapés de l’attentat du Bataclan où il était venu prendre des photos d’Eagles Of Death Metal et profiter du concert. Des photos qu’il a décidé de rendre libres de droit.
Nous avons pu longuement nous entretenir avec Emmanuel, un photographe à la carrière bien chargée qui revient pour RM avec humilité et sympathie sur son parcours, sur ses goûts et sur l’amour qu’il porte à la photographie de concerts.
The Rolling Stones – U Arena – 19 octobre 2017
« J’ai pris une claque, ça a été quasi instantané, en cinq secondes je savais que ma vie venait de changer, littéralement. »
Radio Metal : Comment la photo est venue dans ta vie ?
Manuwino : Depuis tout petit, je trouve la photo rigolo ! Mais je ne savais pas du tout en faire. J’avais des jetables, des petits appareils à la con, et puis j’aimais bien en faire de temps en temps. Avec l’arrivée du numérique, j’ai trouvé cela très marrant. Je n’avais pas beaucoup d’argent quand j’étais petit, alors m’amuser avec des pellicules était très compliqué. Cela coûtait très cher, alors je ne m’y intéressais pas beaucoup. Et puis, un jour, le numérique est arrivé et j’ai commencé avec un compact, puis un autre, avant d’avoir un bridge, un premier reflex etc. Je ne faisais pas du tout de photo de concerts mais des photos de mes vacances, de façon assez basique et totalement amateur au dernier degré. Le but était juste de me faire des souvenirs de vacances que je trouvais à peu près jolis. Quand on les regarde aujourd’hui, ce n’est pas très passionnant. Puis quand j’ai eu mon deuxième reflex, un ami qui était rédacteur en chef d’Abus Dangereux, un fanzine que l’on peut trouver chez Gibert, me dit « ça te dirait que l’on aille au Sonisphere ensemble ? », c’était en 2012. « Je peux avoir un pass photo, ça pourrait être rigolo, toi qui aimes bien faire des photos. ». Je n’avais jamais envisagé, pas même un quart de seconde, qu’un jour je puisse faire des photos de concerts. Alors j’ai dit oui car c’était tout à fait le genre de festival auquel j’allais en tant que spectateur. Et mon pote me dit « te prends pas la tête, si tu y arrives c’est bien, sinon ce n’est pas grave, il n’y a pas d’enjeux ». Puis je suis rentré dans le pit photo pour le premier groupe de 14H, Black Stone Cherry. A l’époque le groupe ne m’intéressait pas forcément, mais être là, entre le public et la scène, pour faire des photos, en étant devant la scène et voir ce qu’il se passe, j’ai pris une claque. Cela a été quasi instantané et en cinq secondes je savais que ma vie venait de changer, littéralement. Je suis rentré dedans, j’ai pris ma première photo, j’ai regardé le truc, une photo sans intérêt mais sur le coup j’étais content [rires], j’ai vu ça et j’ai senti que je venais de trouver un endroit pour moi. C’est un ressenti très étrange et très fort.
Est-ce que tu avais déjà pris ton appareil en tant que spectateur ?
Oui car j’aimais bien faire des photos avec un compact. Je le planquais jusqu’à ce qu’on ait plus trop besoin de le planquer aujourd’hui. Je prenais des petites vidéos, des photos de loin. J’avais pris des photos du concert de Metallica en 92, à l’hippodrome de Vincennes, avec un appareil jetable [rires]. Et il y a une photo que j’ai mise il n’y a pas très longtemps sur Facebook, qui est ma première photo de concert en 92. Mais cela n’a évidemment aucun rapport avec ce qu’il s’est passé en 2012, où cela a été sérieux tout de suite.
Que s’est-il précisément passé quand tu es rentré dans le pit photo ?
Je ne sais pas. J’ai vu la scène comme je ne l’avais jamais vue, avec vraiment le menton sur la scène. C’était le Galaxie d’Amnéville, et les lumières, la proximité, le fait qu’on te laisse rentrer, tu as un pass : je trouvais ça cool [rires].
Et tu as continué par la suite à travailler avec ce fanzine ?
Oui. Il a été mon premier média où j’ai pu faire un concert de Fu-Manchu au mois de septembre, puis Refused au mois d’octobre, puis Danko Jones dans les mois qui ont suivi. Et je me suis éclaté à apprendre lors de ces concerts là. Petit à petit : un concert, puis deux, puis douze puis cinquante.
JC Satan – La Maroquinerie – 11 Avril 2018
« Dans tous les cas, le plus important, le plus absolu, c’est d’aller voir le concert. »
Tu prends des photos dans des stades, des grandes salles etc, mais tu sors également souvent des photos de salles comme La Maroquinerie ou Le Supersonic. Alors que beaucoup de photographes zapperaient plus facilement ces petites salles.
Je ne les zappe pas et tu peux aller me faire faire un concert que je n’aime pas à Bercy. Je prends beaucoup de plaisir à aller shooter des artistes que je n’aime pas quand il y a des lumières et du spectacle. En revanche, aller à La Maroquinerie ou au Point Éphémère pour un concert que je n’’aime pas, il faut vraiment que j’ai une motivation. Néanmoins, aller faire un groupe que j’adore à La Maroquinerie comme J.C. Satan récemment, ou le groupe de mon pote Seb au Supersonic en août (The Random Monsters), eh bien ça c’est avec grand plaisir ! Sinon j’ai un peu passé l’âge, je crois. Pas vis-à-vis des photos mais c’est juste que, personnellement, en tant que spectateur je n’irais pas. Je deviens un peu vieux, j’ai une famille, donc je choisis aussi un peu mes déplacements. Je trie un peu plus qu’avant.
Tu choisis selon tes envies ?
Oui. Et ça c’est le luxe ultime de pouvoir choisir [rires]. Même si je me fais jeter régulièrement, j’achète encore énormément de tickets de concerts. Typiquement, pour les concerts de types Olympia, Bercy, le Stade de France, où tu te fais virer au bout de trois chansons, quand c’est un groupe que je veux voir j’achète mon billet de concert. Si j’ai un pass photo c’est cool et si je n’en ai pas ce n’est pas grave. Mais dans tous les cas, le plus important, le plus absolu, c’est d’aller voir le concert. Cela m’arrive également d’écrire après le concert, mais assez rarement. Après, pour remettre dans le contexte, je préfère ne pas shooter le concert de Nine Inch Nails mais voir le concert, plutôt que de faire trois titres et me faire jeter au bout de trois chansons.
Nine Inch Nails – Olympia – 25 Juin 2018
« À un moment les lumières s’éteignent, t’es tout seul face au truc, à des moments t’as des frissons, j’ai plusieurs fois eu les larmes aux yeux »
Justement, lors de Nine Inch Nails à l’Olympia, avant que le set ne commence, je voyais la moitié de la salle plongée dans la fumée. Comment est-ce que cela s’est passé pour toi ?
Ah bah c’était… Nine Inch Nails est l’un des groupes que j’aime vraiment très fort. Je les avais shootés une fois au Zénith en 2014. Et je n’étais pas hyper content des photos, c’était assez dur. Donc là je me suis mis une pression de malade mental. Surtout que l’on était cinq ou six à être accrédités donc là tu savoures ta chance et tu dis « merci merci merci », aux gens qui t’accordent le pass. On avait aussi fait une interview et des photos du scène du batteur l’après-midi même et je m’étais mis une pression de malade. J’ai pris beaucoup de plaisir même si c’était très dur. C’est physique les photos de Nine Inch Nails. Vraiment. J’ai ressenti un truc que tu ne ressens pas souvent : cette espèce de tension physique avec les strobs, la fumée. Il y avait des moments où je ne savais plus où j’étais et où je marchais. Cela dure quelques secondes parce que cela se dissipe très vite, mais tu te prends tout en pleine gueule ! Et puis, quand tu rentres chez toi et que tu as quelques photos chouettes, tu es content !
Mais tu es quand même venu assister au concert ?
Ah oui ! J’avais acheté ma place au premier rang de la mezzanine en prévente. J’étais un membre du fan club sur nin.com à l’époque, du coup nous avions accès à des préventes.
Comment as-tu découvert le rock et le metal ?
C’est venu au lycée. Le rock a toujours été là, avec les Rolling Stones lorsque j’étais au collège. je n’avais pas de frères et soeurs à la maison, donc je n’ai pas eu un mentor grand frère qui me faisait écouter des trucs. J’ai vraiment découvert cela tout seul. Et le metal, c’est venu au lycée avec les Guns et Metallica en 92. Et le grunge avec Nirvana, Pearl Jam, Alice In Chains… Pantera, Sepultura etc. Les années 90 quoi !
Quand tu t’es retrouvé à shooter Dave Grohl ou Metallica, quelles sensations cela t’a procuré ?
C’est fou… Quand j’ai shooté la première fois les Rolling Stones (deux fois en trois jours), j’étais comme un enfant. Idem pour Nine Inch Nails. Dave Grohl, la première fois c’était à Bercy il y a un an et demi et j’avais les larmes aux yeux. Tu arrives, tu vois tout tes copains photographes, tu discutes, tout ça, et puis à un moment les lumières s’éteignent, tu es tout seul face au truc. A des moments tu as des frissons et j’ai plusieurs fois eu les larmes aux yeux. Ce sont des moments très intenses. La première fois que j’ai shooté Soundgarden aussi, c’était hyper fort. C’était au Hellfest et avoir Chris Cornell dans son appareil… Je me souviens encore du poster de Chris Cornell que j’avais dans ma chambre, poster live, et j’ai « refait » mon poster.
Foo Fighters – AccorHotels Arena – 3 Juillet 2017
« Quand je vais shooter Metallica, Nine Inch Nails, Bruce Springteen, A Perfect Circle, Foo Fighters, tu peux en citer 200 des noms, je ne m’autorise pas à me foirer. »
On m’a dit un jour que quand on est photographe et qu’on rentre dans le pit photo, on obtient le même titre d’artiste que ceux sur scène, est-ce que tu serais d’accord avec une telle phrase ?
Ah non. Pas du tout. On est rien du tout nous hein. Nous sommes que dalle [rires] ! Nous sommes des gens qui faisons chier des gens qui font depuis des heures la queue, qui sont fatigués, qui ont faim, qui ont soif, qui n’ont pas pissé, qui ont mal au dos, et nous on arrive comme des fleurs, on se fout devant eux. Je considère qu’on est rien. Et même quand on a fait une belle photo on est pas grand-chose. Chacun sa place. Nous on tourne le dos au public, on le regarde pas, c’est pas nous qu’il vient voir. Quand t’as un peu de bol à la fin, il regarde tes photos, et ils peuvent être contents. Chacun sa place, moi je suis hyper humble par rapport à ça. On est des merdes [rires].
Est-ce que tu t’arrêtes de faire des festivals trop loin de Paris ou pas ?
Ouais mais c’est davantage lié à ma situation familiale qui fait que je m’absente moins qu’avant. Cette année je n’ai pas fait le Hellfest, mais je le ferai sûrement l’année prochaine. Déjà cette année je déménageais. Mais oui, la situation familiale fait que ça évolue, tu grandis, tu vieillis. Mais ce n’est pas tant le fait que ce soit loin de Paris, c’est le fait qu’il y en a beaucoup à Paris et que je ne peux pas m’absenter dix week-ends dans l’été. Donc une fois que j’ai fait Download, Lollapalooza, Rock en Seine, je ne peux pas en faire quatre ou cinq tous les ans. Cette année je ne pouvais en faire que trois. Parce que j’avais un déménagement, qui est tombé le week-end du Hellfest, j’avais des vacances. Après je n’ai pas de soucis avec la distance, ni les chambres d’hôtel, je pourrais passer ma vie à faire ça, si le contexte de vie s’y prêtait.
Car du coup tu travailles dans quoi ?
Je travaille chez Warner Music, au service digital, et je m’occupe de la promotion de notre catalogue et de la musique classique vers les plateformes de streaming.
On voit sur les réseaux que tu es un grand fan de musique, notamment de Bruce Springteen. Est-ce que cela t’apporte un œil en plus lorsque tu fais de la photo d’un groupe dont tu es fan, ou fais-tu de la photo de la même manière pour tous les groupes ?
Non pas tout à fait. Je pense que vis-à-vis du média pour lequel je fais des photos, ça ne change rien. C’est-à-dire que je vais pas traiter par-dessus la jambe un truc sous prétexte que je n’aime pas trop, à partir du moment où on m’a missionné pour le faire. Puis il y a le challenge de faire de la belle photo. Et de toute façon, une fois que tu y es, autant faire des trucs chouettes ! La vraie grosse différence elle est vis-à-vis de moi. Quand je vais shooter Metallica, Nine Inch Nails, Bruce Springteen, A Perfect Circle, Foo Fighters, tu peux en citer 200 des noms, je ne m’autorise pas à me foirer. Je ne me l’autorise pas beaucoup en temps normal, mais alors là, pas du tout ! J’aurais été dégoûté de rentrer du concert de Nine Inch Nails et de n’avoir rien à part trois photos à la con, des photos qui n’expriment rien, ou pas grand-chose, une photo qui est là pour illustrer.
Et ça ne t’intéresse pas ça.
Si ça m’intéresse parce que c’est ce qu’on me demande, c’est important de le faire, et ça fait aussi partie d’une série. Moi j’aime bien les séries de photos, je publie rarement une seule photo, j’en publie souvent 15-20-25. Une série c’est, j’espère, une photo forte en premier, puis parfois c’est un peu moins fort. Tous les groupes que je t’ai cités, j’ai besoin qu’il y ai 2-3-4 photos un peu « wouah ! » sinon je suis déçu. Je ne les ai pas toujours hein, et quand c’est le cas je suis déçu, plus que pour un groupe que je n’aime pas trop. Dans cet autre cas je m’en remets plus vite en général [rires]. Par exemple, un truc dont je ne me suis jamais remis, j’ai perdu une carte mémoire à un concert de Motorhead. Donc j’avais la carte mémoire de mon 16-35, la carte mémoire de mon 70-200, et je ne sais pas ce que j’ai foutu j’ai paumé la dernière. Donc je n’ai aucune photo en gros plan de Lemmy, parce qu’il ne s’approche pas. J’en ai eu avant de lui, mais de ce concert, pas du tout. C’était la dernière fois qu’ils étaient passés à Paris, au Zénith en 2013. Donc j’ai des photos, que j’ai publié, mais que du 16-35. Phil Campbell super bien, mais pas Lemmy, ça m’a fait chier ça tu vois [rires].
Amenra – La Gaîté Lyrique – 13 Janvier 2018
« J’ai du mal à me dire que le simple fait que je publie un livre intéresse des gens. »
Dans le livre d’Eric Canto, ce dernier ne publie qu’une seule photo par artiste. Il ne fait pas du tout de série. Si tu faisais un livre, ce serait également ton choix ?
Peut-être que cela dépendrait du livre parce que la question est « est-ce un livre sur un thème spécifique ? Sur un type de photo spécifique ? Est-ce un portofolio de 150 photos ? ». Si un jour je devais faire un livre, honnêtement cela intéresserait qui franchement ? C’est super pour soi, c’est un kiff. Je pense que quand tu as envie de le faire, il faut le faire pour soi. J’ai du mal à me dire que le simple fait que je publie un livre intéresse des gens. Il faudrait que ce soit quelqu’un qui me le propose, ou un éditeur qui veuille en faire la promotion peut-être. J’ai acheté le bouquin de Carole Epinette, Rock Is Dead. Il ne s’agit pas uniquement de photos de concerts. Ce sont des photos de sessions. Mais pas n’importe quelles sessions, pas n’importe quelles photos, pas n’importe quelles années ! Le truc, il défonce sa mère quoi ! C’est le rock des années 90-2000, c’est assez fou ! Son bouquin est dingue et ses photos sont démentes. Personnellement, j’ai l’impression d’avoir fait pareil que les autres photographes de concerts de Paris. Je ne me sens pas super légitime par rapport à quelqu’un comme Carole qui a fait des sessions avec Maynard. Moi les seules photos que j’ai de Maynard, ce sont des photos en contre-jour à l’Olympia, comme les quinze mecs qui étaient dans le pit avec moi, comme toi tu as sûrement, alors pourquoi je ferais un livre de ça ? Peut-être que il y en a deux ou trois de réussies, mais est-ce que pour autant cela justifie la compilation de tout cela pour faire un livre ? Je ne me sens encore pas très légitime pour faire cela.
Pourtant lorsque l’on s’intéresse à la photographie de concert, ton nom ressort beaucoup.
Je n’ai pas l’impression que cela puisse intéresser beaucoup de gens de faire cela. À part mes vingt potes qui seront gentils et qui l’achèteront, je ne me dis pas qu’en le posant à la Fnac, ce truc-là puisse intéresser des gens. Mais peut-être que je me goure.
Sur le plan musical, je crois savoir que Bruce Springteen a une place spéciale pour toi.
Il a un répertoire de chansons assez fou, magistral. Je n’ai jamais vu un mec tenir une scène comme ça. Qu’il soit avec son groupe composé de cinq cuivres plus des musiciens à vingt sur scène, ou qu’il soit tout seul dans un théâtre de mille places ou à Bercy, le rendu est monumental. Le mec est dans un stade, chante une chanson, il fait jour, et tu as l’impression qu’il te regarde, qu’il chante pour toi. « Toi le mec là-bas, tribune G, rang 29, celle-là elle est pour toi », tu as cette impression là ! C’est indescriptible. Il a une émotion dans la voix… c’est fou. Par contre les photos que j’ai prises n’ont strictement aucun intérêt, parce qu’elles sont prises du fond de la salle, on nous met super loin. Mais je m’en fous, ce sont mes photos et c’est moi qui ai eu l’autocollant Bruce Springsteen qui me dit que j’ai le droit de faire des photos ! Tout le reste on s’en fiche [rires].
Soprano – Stade Orange Velodrome – 7 octobre 2017
« C’est le rêve de tous photographes. On m’a appelé « Est-ce que ça te dit de couvrir le concert de Soprano pour le booklet du live qu’il va sortir, à L’Orange Vélodrome de Marseille ? ». Donc là : « oui ». »
Quand il y a des artistes comme Renaud qui te demandent des photos pour des pochettes d’albums, ça te fait ressentir quoi ?
Renaud ça s’est passé un peu différemment. On ne m’a pas demandé de faire des photos pour la pochette, ils en ont cherchées, et ils ont choisi les miennes. À savoir que Renaud, c’est le premier disque que j’ai eu dans ma vie, c’était mon idole de quand j’ai commencé à écouter de la musique, vers 2-3 ans. C’était Marche à l’Ombre, quand j’ai eu le 45 tours, en 78/79. C’était mon premier album, sur mon premier tourne disque, Le Retour de Gérard Lambert, qui est un album majeur pour moi. Donc il était vraiment mon héros de jeunesse, et me dire que j’ai fait la pochette de son dernier album live, pour moi c’est… Je suis désolé, je suis tout le temps content [rires] ! Mais j’ai de la chance quoi ! Je suis super content, je suis super reconnaissant, j’ai beaucoup de chance. Donc Renaud typiquement, un jour on m’a dit « voilà est-ce que ça t’irait que ce soit cette photo là ? » mais j’étais comme un dingue, donc évidemment j’ai dit oui, on a parlé, j’ai envoyé ça a mes parents, les deux ils ont chacun chez eux le disque de Renaud qui trône « c’est mon fils qui a fait la pochette quoi ! » [rires]. La fierté ! C’est quelqu’un qui compte beaucoup pour moi et je lui dois ma première pochette d’album live ! Et que ce soit lui, c’est pas mal. Soprano par contre c’est très différent ! C’est le rêve de tout photographe. On m’a appelé « Est-ce que ça te dit de couvrir le concert de Soprano pour le booklet du live qu’il va sortir, à L’Orange Vélodrome de Marseille ? ». Donc là : « oui » [rires]. Et là tu as All-Access, carte blanche. Du coup tu fais de photos de face, de derrière, de côté, d’au-dessus, d’en-dessous. C’était le rêve. Donc j’avais beaucoup révisé, j’étais aller voir toute la setlist sur YouTube pour savoir ce qu’il se passait sur chaque morceau. Pour être au bon endroit, quand ils allument les briquets être au fond, quand ils mettent les cotillons être devant. J’avais beaucoup travaillé pour lors de chaque chanson être à l’endroit où je considère qu’il faut être. Tu n’as qu’un morceau, il y a pas de deuxième essai. Pour l’avoir lui avec les gens les smartphones à la main, le stade illuminé derrière. Pour être lorsque les cotillons pètent, être juste devant au fish-eye être collé au truc, pour avoir cette impression de cotillon partout, et être devant quand il y a la pyro à la fin. Pareil je m’étais mis une pression de dingue, t’as ton cœur qui bat à donf du début jusqu’à la fin, mais c’est le rêve. Et à la fin je crois que le résultat lui a plu, que ça a plu au label. Ils étaient contents et je l’étais plutôt aussi. Très content de l’expérience et des photos aussi.
Quels artistes manquent-ils à ton palmarès ?
Ça va te paraître con mais Alice In Chains. Je ne les ai jamais shootés, et je ne les ai jamais vus. Et c’est un groupe que j’aime depuis que j’ai découvert cette musique-là, depuis Dirt. J’ai aussi très envie de shooter Pearl Jam un jour. Et je pense que pour eux je me déplacerai un jour. Cette année ça ne marchait pas, mais j’aurais pu et j’aurais dû. Donc la prochaine fois je le ferai. J’ai fait les Stones donc ça c’est bon [rires@ ! U2 ! J’ai enfin pu les shooter. J’aurais adoré shooter la tournée Joshua Tree au stade, mais j’avais acheté mes places parce que c’est un album que j’aime beaucoup avec Rattle And Hum. Rattle And Hum, je pense que c’est le disque de U2 que je préfère,c’est l’album qui m’a donné envie inconsciemment, et a influencé beaucoup mon style de photo. Je n’aurais jamais la prétention de dire que je me rapproche du style d’Anton Corbijn, jamais de la vie. « I’m not worthy » comme on dirait dans Wayne’s World, mais quand tu vois ça tu comprends. Je l’ai remarqué pas très longtemps avoir commencé la photo, je réécoutais le disque et je me suis dit « putain mais j’ai tout repompé à ça en fait ! » [rires]. Après, mon rêve ultime serait de suivre un groupe en tournée, un groupe que j’aime. Je n’ai encore jamais fait ceci. Je pourrais suivre un groupe que je n’aime pas, mais j’aimerais vraiment suivre un groupe que j’aime. Et aussi que des expériences comme Soprano se reproduisent, qu’on me missionne pour habiller un projet live. Je suis pas du tout blasé du « trois titres sans flash » dans le pit et je dis encore merci, très sincèrement et chaleureusement, à tous les gens qui veulent bien m’accréditer quand je leur fais la demande. Ainsi qu’à tous ces médias qui veulent bien publier mes photos. J’aimerais profiter de l’interview pour les remercier très chaleureusement et je ne suis pas du tout blasé de cela. Mais si je pouvais reproduire l’expérience Soprano encore plus à l’avenir, j’en serais vraiment ravi. Et quand je dis que j’aimerais beaucoup suivre un groupe en tournée, il y a un artiste avec qui je fais beaucoup de choses qui s’appelle Nosfell, qui est un ami à moi, et que je suis beaucoup sur l’enregistrement de ses albums, ses répétitions, live ou pas, que j’ai suivi sur beaucoup de dates de concerts, en balance, donc j’ai eu quand même la chance de pouvoir le faire un peu. Mais j’aimerais vraiment suivre un groupe sur plusieurs date à la suite.
Sur ton site, on voit sur les images de présentations principalement du noir et blanc. Pourquoi ce choix ?
Parce que je trouve cela beau [rires]. C’est aussi par rapport à la photo qui est en haut de ma page, le mec qui slamme. C’est une photo de Left Lane Cruise au Point éphémère, qui est l’une des premières photos que j’ai prises, à peu près deux mois après que je commence la photo. A tel point que cette photo elle a été mis en bas de leur album qui a suivi, donc ça a été la première photo qui a été mise sur un disque. Donc c’est une photo qui représente énormément pour moi. J’adore la photo, j’adore le groupe, et Left Lane Cuiser c’est aussi l’un des premiers groupes que j’ai faits post-Bataclan. J’aime cette photo et j’aime le noir et blanc donc je trouve cela bien que les previews des autres photos soient en noir et blanc avec le logo noir et gris.
U2 – AccorHotels Arena – 9 septembre 2018
« Rattle And Hum, je pense que c’est le disque de U2 que je préfère,c’est l’album qui m’a donné envie inconsciemment, et a influencé beaucoup mon style de photo. »
Avec quels médias as-tu pu collaborer ?
Mes gros médias sont Batterie Magazine, Guitar Xtreme et Heavy1 la radio pour à laquelle je participe dans le cadre de l’émitssion « It’s Alive ». Je fais aussi des photos pour Metalorgie, Arte Concerts, et parfois Rock N Folk chez qui j’ai eu quelques parutions. Parfois c’est moi qui leur demande, mais c’est à l’initiative des sujets qu’ils publient. Mais après ils ont un principe d’archive qui leur permet de conserver les photos que j’ai pu faire et des les utiliser a posteriori selon leurs besoins. Il arrive très souvent qu’ils me disent « tiens, tu peux nous envoyer les photos du Hellfest 2017 de tel mec ? ». Les photos que j’ai fait peuvent donc leur servir parfois un an et demi après.
Tu as beaucoup d’archives derrière toi.
Bah pas tant que ça finalement. Les réseaux sociaux donnent cette impression d’une grande activité, mais au final je sais qu’il y a des photographes qui sont dix fois plus actifs que moi et qui font dix fois plus de concerts que moi. J’en fait pas tant que cela au final… enfin j’en fais toujours plus que quelqu’un qui ne va jamais en concert. Mais je ne fais pas cinq concerts par semaine.
Tu le faisais avant ?
Avant la photo, je faisais autant de concerts de groupe que j’aimais, donc au moins de juin tu en fait huit par semaines, mais au mois de janvier parfois tu en fait zéro. Au début de la photo, j’en faisais plus parce que dès qu’il y a un groupe que tu aimes un peu eh bien tu y vas, tu as connu ça aussi. Mais maintenant avec le temps, la vie de famille, un petit peu moins.
Il y avait eu un post d’Eric Canto qui avait fait réagir à propos des conditions de shoots de photos. Qui étaient passées de tout le concert à très vite de moins en moins de photos. Comment as-tu vécu cette évolution ?
Je suis arrivé trop tard pour la vivre. Quand je suis arrivé, c’était déjà trois titres sans flashs.
Du coup, tu n’as jamais eu à te plaindre de ça ?
…Si au Hellfest c’est insupportable. De passer par vague sur un titre, c’est vraiment insupportable. Mais je comprends qu’il y ait 300 mecs derrière… Bon le groupe de 14H sur la Mainstage 2, à priori avec un titre tu as assez. Mais bon quand c’est Deftones qui passe à 19H et qu’il n’y a pas de shortlist… un titre c’est pas assez quoi ! Alors moi j’ai de la chance je suis prioritaire, donc je n’ai pas à faire la queue c’est déjà ça, mais en vrai ce n’est pas assez. Je me souviens très bien de Rob Zombie par exemple, il y a deux ans. Il n’y a pas de shortlist, génial, tout le monde peut y aller, c’est super ! Je ne suis pas là en train de dire qu’il faut qu’il n’y ait que quinze mecs, « les autres allez vous faire foutre », mais pas du tout ! Néanmoins, un titre de Rob Zombie quand tu ne sais pas si tu vas avoir le morceau avec les lumières bleues, vertes ou rouges… c’est raide ! Franchement c’est dur. Et en plus si tu passes sur la deuxième vague, le temps de faire virer la première, tu loupes la moitié du morceau… ça j’ai vraiment du mal. Mais à part cela, non je ne me plains pas. Oui bon Marilyn Manson c’est un titre, mais tu le sais à l’avance ça. À partir du moment où tu le sais avant d’y aller, tu peux dire non. Si ça te convient pas, tu n’y vas pas. C’est pareil pour les contrats. Les gens ça les fait chier les contrats, les validations, au fond de la salle… ouais, c’est certain que si on était deux dans le pit pour faire tout le concert avec de la lumière sans contrainte, ça serait vachement mieux. Mais c’est pas comme ça ! Et on le sait que ce n’est pas comme ça. L’essentiel pour moi est que l’on sache tout avant de sortir de chez soi. Quand tu sais la veille, que tu as un titre ou deux, que c’est à la console pour prendre le bon matos, qu’il y aura un contrat et qu’on te l’envoie avant, et que s’il y a une validation tu le saches avant, libre à toi après de dire « Les conditions ne me conviennent pas, c’est gentil mais non merci ». Mais à partir du moment où tu le sais, que tu y vas, et qu’en plus tu gueules, bon… Et en même temps, je comprends aussi qu’il y ait des gens qui ont envie de faire changer les choses, c’est difficile ça. J’ai un caractère à faire un peu le dos rond en fait. Prendre ce que tu as déjà. Et parfois c’est un challenge c’est rigolo ! Marilyn Manson avec un titre, c’est un challenge. Donc quand tu y arrives, tu es content. C’est sûr que s’il y en avait trois ce serait mieux. Je ne suis pas un grand rebelle dans la vie, qui gueule beaucoup, je suis plus un mec qui dit « merci ». Je vois plutôt le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Il faut reconnaître qu’au Hellfest sur des groupes comme à la Warzone, ils sont plus sur des tranches de cinq, dix minutes. Alors que sur la Mainstage, c’est un seul morceau. Après, c’est toujours pareil : pourquoi tu viens faire des photos au Hellfest ? Qu’est-ce que tu as besoin de ramener comme photos du Hellfest ? Et est-ce que les conditions qu’on te donne te permettent de ramener les photos dont tu as besoin ? Et la réponse est « globalement oui ».
Alice Cooper – Salle Pleyel – 3 décembre 2017
« Et je me suis rendu compte d’un truc, c’est vachement cool d’avoir les copains à côté, ça rassure, t’es pas tout seul face au truc. »
Est-ce que quand tu te retrouves devant des membres de groupes avant le concert pour faire des photos, est-ce qu’il y a une barrière qui se brise entre le fan et le photographe ? Comment est la relation entre l’artiste et toi ?
C’est quand même assez rare de tomber sur un type franchement désagréable. C’est quand même assez rare de tomber sur un type qui va devenir ton pote [rires]. En général, c’est un mec qui bosse face à un mec qui bosse, de la façon la plus cordiale et agréable possible. Mais il ne se passe pas grand-chose de plus que cela. Ça m’est déjà arrivé de faire des sessions photos avec des mecs dont je suis très fan, mais globalement c’est très professionnel. Je dis ça pour pouvoir remettre le truc dans le contexte. Mais en vrai, ce sont des moments très cool. Par exemple je ne suis pas particulièrement fan de Scorpions, mais cela m’a fait très plaisir de le faire à cet endroit-là à ce moment-là. C’est-à-dire que j’ai une passion pour les salles de concerts vides, j’adore ça. Donc me pointer au Zénith de Rouen ou à Bercy avec les mecs en train de régler les lumières, les derniers ajustements du soundcheck avec personne dans les gradins, et de me poser et voir toute une salle vide, c’est un gros kiff ! Après ça serait Scorpions ou un autre groupe, bon… Par contre faire ça avec le batteur de Nine Inch Nails, ça c’était vraiment cool [rires] !
Tu avais fait le batteur de Depeche Mode, il me semble ?
Ouais, et c’était très cool ! D’ailleurs, concernant Depeche Mode, voilà une anecdote vraiment cool : le groupe faisait deux dates à Paris, le trois et le cinq décembre. Et je pouvais pas faire le 3 décembre, car j’étais à Alice Cooper à Pleyel que je voulais le faire une fois dans ma vie en photographie. J’avais demandé Depeche Mode le 5 décembre. Et je m’étais fait jeter car ils avaient mis tous les photographes pour Depeche Mode le 3 décembre. Entre temps l’interview avec le batteur se deale via Batterie Magazine, donc on va la faire, et je n’avais donc ni de pass photo ni de place pour le concert. On arrive et on nous file deux invites, donc déjà chouette on va pouvoir voir le concert. On commence par la session photo et on nous dit « montez sur scène il arrive » du coup pendant 10 minutes tu es littéralement seul dans Bercy avec ton pote rédacteur et un roadie dans un coin. Le batteur arrive, on lui demande de faire des photos, il pose etc. Je lui demande « est-ce que tu veux bien jouer ? » pour faire des photos de lui en mouvement, et il y a des batteurs qui aime pas ça. Mike Portnoy avait été très cool il avait joué cinq minutes pour moi. Et donc il me dit « non je fais pas ça, je trouve qu’on a l’air con. Mais c’est pas grave tu feras des photos de moi ce soir pendant le concert», « bah non, j’ai pas de pass » « Comment ça t’as pas de pass ? » « J’avais fait une demande, on m’a refusé » « …bouge pas ! » [rires]. On fait les photos, on fait l’interview, ça se passe pas trop mal, et à la fin il me dit « bon bah je m’occupe de ton pass tu auras des nouvelles (ou pas) par mail ». Et je suis avec le rédacteur du magazine, Seb, on est en train de manger dans un bar près de Bercy. Et là on reçoit un mail « C’est bon pour le pass photo de Manu, il nous rejoint à tel endroit à vingt heures et on lui file son pass ». Résultat : j’étais le seul photographe dans le pit de Depeche Mode à Bercy… [rires]. Et bah ça fait un drôle d’effet ! Et je me suis rendu compte d’un truc, c’est vachement cool d’avoir les copains à côté, ça rassure, t’es pas tout seul face au truc, ça m’a fait flipper. Alors que Depeche Mode je les avais fait quelques mois avant au Stade de France, donc je savais ce qu’on allait avoir, je savais que c’était à ma portée photographiquement parlant, c’est pas comme Nine Inch Nails où tu ne sais pas trop. Donc il n’y avait pas tant d’enjeu que ça. Mais ça m’a fait flipper de me retrouver face à eux tout seul, j’étais super ému. Et au final, des trois fois où j’ai fait Depeche Mode, je crois que c’est cette fois-là la moins bien. Je pense que le Stade de France et le Lollapalooza étaient mieux.
Johnny Hallyday – AccorHotels Arena – 28 Novembre 2015
« Sur scène, je le trouvais très impressionnant Johnny. C’est un performeur comme il y en a très peu ! »
Et du coup ça te rassure d’avoir des personnes autour de toi ?
T’es pas tout seul. Et d’ailleurs moi j’aime bien mes copains photographes. Donc je suis content d’aller en concert les voir, de passer une heure avec eux avant, parfois on se quitte sans se dire au revoir avec tout le monde qui part dans un coin de la salle. Mais ouais j’aime bien les retrouver. Après je préfère être tout seul que quand on est quarante dans un truc de deux mètres, mais pour ce type de concert à Bercy tu es entre cinq et dix et c’est bien.
Tu as un meilleur souvenir dans tes photos de concert ?
…… Johnny Hallyday ! Un concert où j’arrive, on me file un All-Access, et on me dit « t’as tout le concert ». Et on est trois comme ça : les deux photographes officiels et moi. Un Bercy avec une scène A et une scène B donc avec vachement d’espace. J’avais vu le concert en vrai trois jours avant, donc je savais ce qui allait se passer. Je ne savais pas en allant au concert que j’allais pouvoir tout shooter. Sur scène je le trouvais très impressionnant Johnny. C’est un performeur comme il y en a très peu !
Est-ce que c’est le Bruce Springsteen français ?
[rires] D’une certaine façon ouais ! C’est plus le Bruce Springsteen français que le Elvis français en tout cas. Puis ce concert était à un moment un peu particulier, c’était après le 13 novembre, il y avait quelque chose particulier dans l’air. Il y a eu aussi la première fois que j’ai shooté les Foo Fighters à Bercy, avec, pareil, une montée d’émotion assez folle. Renaud aussi c’était très fort. Je l’avais shooté dans un cadre privé de remise de disque d’or, et c’était un moment très fort pour moi. Et j’ai aussi un souvenir très fort avec Danko Jones, à la Maroquinerie. Que j’étais aller voir et j’avais fait des photos puis la fois d’après où ils repassaient à Paris il m’avait demandé de venir et de faire leur photo de fin. Et puis la fois d’après j’étais aussi venu manger avec eux et je leur avait offert à chacun une copie de la photo.
Et un pire souvenir de concert ?
Je n’en ai pas forcément.
Airbourne – Olympia – 8 Novembre 2017
« Tu es invité à plein de concerts, tu as quelque chose à y faire, quand tu aimes faire des photos c’est génial, et après tu as la chance d’avoir des gens qui viennent te dire qu’en plus ils trouvent ça joli ! […] Et encore une fois, à part merci à tous je n’ai rien à dire. »
Tu as pu faire un vernissage de tes photos à Paris, pourquoi et comment cette idée est-elle venue ?
C’est un copain qui a fait encadrer dans une galerie un jour une de mes photos d’Airbourne. Et le monsieur qui tient la galerie, qui s’appelle Mathieu, a vu cette photo et à dit «j’aimerais bien qu’il y ai de la photo de concert dans ma galerie ». Donc mon pote lui a donné les coordonnés de mon site. C’est une galerie qui s’appelle Paris est une photo, dans laquelle il y a beaucoup de photos de Paris, des bouches de métro, des toits de Paris, et maintenant des photos de concerts qui ont eu lieu à Paris. Du coup il m’a pris une grosse dizaine de photos, qu’il commence à vendre dans sa galerie.
Ce n’était pas un désir de toi du coup ce vernissage ?
Non, c’est un peu comme le bouquin. C’est super pour mon ego, je pourrais même avoir la faiblesse de trouver ça joli [rires]. Mais est-ce que ça ferait déplacer des gens… La galerie est ouverte, et en libre accès.
Tu as un travail chez Warner Music, est-ce que la photo te rapporte de l’argent derrière ?
Un petit peu. Toutes les publications dont on a parlé là, elles ne sont pas bénévoles. Après ça ne rapporte pas assez pour que je puisse en vivre. Mais oui ça fait ton treizième mois, puis ton quatorzième puis ton quinzième puis parfois le seizième ! Et encore une fois je suis ravi [rires] ! Je dis que ça, je suis le ravi de la crèche, je suis très content.
Ça fait plaisir ! C’est un discours que peu de photographes ont. La plupart peuvent paraître hautains, prétentieux et pas forcément très avenants.
Non bah écoute… c’est quand même chouette ce qu’on fait putain [rires] ! Tu te rends compte ? Tu es invité à plein de concerts, tu as quelque chose à y faire, quand tu aimes faire des photos c’est génial, et après tu as la chance d’avoir des gens qui viennent te dire qu’en plus ils trouvent ça joli ! Et parfois même ils donnent de l’argent [rires] ! Et maintenant il y a des gens qui me paye pour aller faire des photos. Je vais pas me plaindre. Et encore une fois, à part « merci à tous » je n’ai rien à dire.
Quand as-tu décidé de faire des tirages de tes photos et d’en vendre ?
Au début ça m’a été proposé et j’ai toujours dit oui sauf quand je n’ai pas le droit. Et puis du coup à Noël dernier j’ai fait un post en disant « c’est bientôt Noël, pourquoi ne pas prendre une photo ? ». Ce qui était une bonne idée !
Ça a marché ?
Franchement ouais [rires] ! Je le referai surement à Noël (rire). Je vais le faire pour la fête des mères… J’ai pris Serge Lama en photo pour ma mère ! Puis en général j’ai toujours dit oui. Au début ça paye le parking, avant de rapporter de l’argent. Parce qu’avant d’avoir la chance d’être publié dans des magazines qui me payent, je l’ai beaucoup fait pour des webzines ou autres qui étaient bénévoles, c’était aussi une façon de se payer ça, les déplacements et accessoirement le matos. Si je cumule tout ce que j’ai touché grâce aux photos, j’ai peut-être seulement commencé l’année dernière à rembourser mon matériel. Peut-être que là il est remboursé.
Eagles of Death Metal – Bataclan – 13 Novembre 2015
(A propos des photos du concert du Bataclan)« C’était ça la démarche : si ça peut vous faire du bien, tant mieux. Si ça peut faire du bien au plus de gens possible, servez-vous ! Je vous assure qu’on s’est bien marré dans cette salle pendant un moment. »
Quand on se renseigne sur tes photos, on tombe évidemment sur tes photos du concert du 13 novembre de Eagles of Death Metal. Et toi tu avais décidé de rendre tes photos libres de droits et donc gratuites pour tout le monde. Pourquoi ce geste ?
J’ai eu de la chance, il ne m’est rien arrivé. C’est un groupe dont je suis fan et donc que je voulais voir. Les photos étaient un plus. Donc j’ai fait mes photos, j’ai rangé mon matos et je suis resté dans la salle. J’étais placé au bar, mais vers la sortie de secours. Donc quand ça a tiré, j’ai suivi le mouvement de foule tout de suite. J’ai eu un cul incroyable. Donc par rapport à des gens que je connais qui ont été blessés, par rapport à d’autres malheureusement que je connais et qui ne sont plus là, ou d’autres qui sont blessés à jamais psychologiquement, je m’en suis très bien sorti. Je ne suis pas rentré chez moi tout de suite, j’étais dans un bar d’abord car je devais récupérer ma voiture qui était dans un périmètre de sécurité. Donc j’étais évidemment complètement secoué, le samedi il n’était absolument pas question de toucher au sac photo. Tu vis vraiment dans un état second. Par rapport aux 1 500 personnes qui étaient dans la salle, j’étais dans les 200 plus chanceux. Et parmi les 60 millions de français ce soir-là, je fais partie des 90 000 moins chanceux. Toujours une question de voir le verre à moitié vide et à moitié plein. Je préfère dire que je fais partie des chanceux. Le dimanche tu commences à reprendre un peu tes esprits, j’étais avec mon pote Florian, à la maison, on en parlait, et ça commençait à mûrir l’idée en moi de, déjà, les regarder. Et en discutant avec lui, je me suis dit « je fais quoi normalement quand la vie reprend son cours ? » : je publie des photos du concert que j’ai vu. Et je me suis dit que oui il y a plein de gens qui sont morts, c’est dramatique, mais tous ces gens-là avant ils se marraient et passaient une bonne soirée ! Parce que pour le coup, Eagles Of Death Metal c’est pas A Perfect Circle, c’est une grosse teuf ! C’est pas un recueillement de gens qui viennent se faire donner la messe par Maynard. C’est une grosse teuf de gens qui sautent partout, en se disant « je vais aller écouter du rock’n’roll ». C’est la légèreté absolue du rock’n’roll. J’essaye souvent de prendre des photos où on voit le public et l’artiste, j’ai toujours aimé ça. Et pour le coup Eagles Of Death Metal le public était très éclairé. Et j’ai eu envie de montrer ces visages-là aussi. Pas que dans des couvertures de survie ou avec les pompiers. Et il était évident que je voulais que ça circule, et que je voulais qu’on voie d’autres images que ces couvertures de survie ! Ça me faisait du bien d’envoyer des ondes positives. Parce que, jusqu’à ce que ça pète, c’était une grosse teuf ! Et évidemment il était hors de question de toucher un centime de rien du tout ! Jamais de la vie ! Prenez ! Ceux que ça intéresse, à qui ça peut faire du bien, allez-y, faites-vous du bien ! J’ai été contacté par énormément de médias qui voulaient des photos et à qui je les ai données. J’ai reçu un nombre de message, mais je ne les ai même pas comptés, c’était des milliers. « On y était pas, mais merci ça nous fait du bien ! » « J’y étais, merci ça me fait du bien » « Là c’est mon frère et bah merci ça me fait du bien ». Sans mentir j’ai dû recevoir moins de trois messages négatifs. C’était ça la démarche : si ça peut vous faire du bien, tant mieux. Si ça peut faire du bien au plus de gens possible, servez-vous ! Je vous assure qu’on s’est bien marré dans cette salle pendant un moment.
Est-ce que tu regrettes que le Bataclan soit devenu une salle où les gens ont peur d’aller ?
Je crois qu’on est tous très seul face à cela. Il y a autant d’avis que de gens, et tous se respectent. J’ai des potes qui y sont allés sans soucis, j’ai un pote avec qui je devais aller au concert de Machine Head et qui une fois devant la salle à fait demi-tour, j’ai de tout autour de moi. Il n’y a pas une réaction qui a plus de valeur qu’une autre. Chacun à son propre rapport au truc et faut surtout pas juger ceux qui sont à l’aise et ceux qui ne le sont pas.
Et est-ce que tu regrettes que Eagles Of Death Metal soit un peu devenu le groupe lié à cet attentat ?
Le souci est que Jesse Hugues tient des propos drôlement condamnables, discutables et problématiques. Du coup ça entraîne un peu tout le monde avec lui. Mais si demain ils repassent en concert, est-ce que j’y vais ? : sûrement. Parce que c’est un groupe que j’adore. Est-ce que j’ai envie que Jesse Hugues soit mon témoin de mariage ? Non. Parmi tous les gens qui étaient au Bataclan certains sont devenus très potes avec lui, je le comprends parfaitement. Moi-même je ne serais pas opposé à l’idée de le rencontrer et de discuter avec lui tant qu’on aborde pas ces sujets-là. Je suis sûr que tous parmi nos potes, on en a d’extrême droite et on le sait pas forcément. Mais lui on le sait [rires]. Je pense que c’est simplement un putain de redneck de merde et un redneck de merde ça réagit comme ça. Et qu’il ne faut pas lui demander intellectuellement plus que ce qu’il n’est capable de donner, que c’est un artiste formidable et qu’il a des idées un peu limite. C’est un frontman extraordinaire, d’un excellent groupe… et un gros con !
Sur Instagram tu avais les « frais de loc inclus » où tu partageais tes souvenirs de concerts via tes billets, pourquoi cela s’est arrêté ?
Parce que cela me prenait du temps et que je suis une grosse feignasse [rires].
Photo 1 : Degemer Photos
Interview réalisée en face à face le 30 août 2018
Fiche question et retranscription : Matthis Van der meulen
Site de Manuwino et Page Facebook
Exposition des photographies à la galerie Paris est une photo