Le one man band qui crée des monuments de mélancolie et d’obscurité est un grand classique du black metal. S’il existe depuis ses prémisses norvégiennes, il s’est particulièrement épanoui au sein de la vaste scène black atmosphérique américaine. Il faut dire que le dispositif colle plutôt bien à la misanthropie du genre, et surtout à sa prédilection pour l’introspection et une perception intime du monde. Mare Cognitum, projet solo du multi-instrumentiste Jacob Buczarski, en est un exemple de choix : depuis 2011, le musicien de Portland explore les profondeurs du cosmos et (donc ?) de sa psyché dans de longues chansons à la fois intenses et paradoxalement éthérées. Alors qu’il sortait il y a un an seulement Wanderers: Astrology Of The Nine, un split fascinant et ambitieux (avec ses presque deux heures, c’est pratiquement un double album), avec son homologue grec Spectral Lore, Buczarski, qui manifestement a de l’inspiration à revendre, livre cette fois-ci un cinquième album. Intitulé Solar Paroxysm, son nom est cohérent avec l’esthétique cosmique du projet (Mare Cognitum, ou mer de la connaissance, est l’une des mers de la Lune) et laisse présager un opus particulièrement flamboyant…
En effet, on est indubitablement en terrain connu : le format de l’album rappelle son prédécesseur, Luminiferous Aether, avec ses cinq chansons d’une dizaine de minutes, tout comme son modus operandi, qui consiste à peindre d’immenses paysages célestes à coups de tremolo picking et de blast beat acéré. Mais d’entrée de jeu, les couleurs changent : dès l’ouverture, abrasive et enflammée, d’« Antaresian », les mondes éthérés des albums précédents semblent réduits en cendres. Et cette intensité ne faiblit pas. « Frozen Star Divinization », avec son introduction à la mélancolie épique, évoque à la fois une immensité cataclysmique et terrifiante et le black mélodique à la norvégienne. Sur ce titre, l’intrication des innombrables couches de guitare – mélodies, harmonies, échos en toile de fond, et même longs solos très expressifs – a quelque chose de presque orchestral. Au centre de l’album, « Terra Requiem » fait figure d’œil du cyclone. Son rythme à la lenteur funeste permet à l’auditeur de reprendre sa respiration et à Buczarski de montrer l’étendue de son registre. Si l’album peut sembler très (trop ?) homogène dans un premier temps, enchaînant avec fluidité des chansons à la structure souvent similaire (l’ouverture presque systématiquement explosive, par exemple), au fur et à mesure des écoutes, il se révèle foisonnant et nuancé. Ainsi, le trépidant « Luminous Accretion » renoue avec ce que Mare Cognitum peut faire de plus lumineux, et pour refermer l’album sur une dernière vision d’apocalypse, « Ataraxia Tunnels » se déploie sur douze minutes de guitares façon déluge et chatoiements presque optimistes – notamment lors d’un long solo presque solaire – pour finir sur un dernier riff en tremolo picking, comme à bout de souffle.
Buczarski emprunte aux groupes rasemblés sous le terme un peu fourre-tout de blackgaze une large palette émotionnelle – on pense parfois aux riffs euphoriques de Deafheaven ou à la nostalgie déchirante des premiers Alcest, au début d’« Antaresian » notamment – mais la tonalité globale reste singulièrement sombre, surtout pour le groupe. Malgré leur complexité et leurs différences, les cinq chansons de Solar Paroxysm racontent la même histoire, celle d’un monde au bord de l’anéantissement qui s’écroule sous la pression des forces de la nature – ou de la négligence et de l’hybris des êtres humains. Pensé comme un avertissement et un appel à l’action contre les affres politico-environnementales contemporaines, Solar Paroxysm est pour Mare Cognitum l’occasion de quitter les sphères célestes pour redescendre sur une terre en proie à des catastrophes d’ampleur cosmique, et d’être en cela plus proche des sonorités et des thématiques habituelles du black atmosphérique. Méticuleux, cérébral, oscillant entre l’éblouissement et le désespoir, il ravira les fans de metal extrême à la fois viscéral et sophistiqué.
Album en écoute :
Album Solar Paroxysm, sorti le 19 mars 2021 via I, Voidhanger Records. Disponible à l’achat ici
Sublime album. Un des meilleurs albums du genre pour 2021.