Mark Jansen n’est pas connu pour son sens de la sobriété musicale. Ce n’était qu’une question de temps, et de budget, pour que Mayan, son projet au line-up tentaculaire, originellement monté « pour s’amuser », rejoigne Epica dans sa démesure. Le temps qu’il aura fallu, ce sont les quatre ans qui se sont écoulés depuis l’album Antagonise, et le budget, c’est une campagne de financement participatif qui le leur aura offert. Dhyana est un album ambitieux, ayant fait appel à l’orchestre philharmonique de Prague, qui nourrit l’espoir du musicien de voir le groupe passer au niveau supérieur.
Un album sur lequel Mark Jansen, après avoir plongé dans les méandres de la physique quantique sur les deux derniers albums d’Epica, prend le contre-pied et établit sa philosophie de prise de distance avec son « moi penseur », n’hésitant pas à aller jusqu’à remettre en cause le fameux doute méthodique de René Descartes et l’une des plus célèbres conclusions philosophiques qui soit. Nous en discutons ci-après avec Mark Jansen.
« Nuclear Blast m’a envoyé [le nouvel album de Dimmu Borgir] avant qu’il ne sorte en me disant : ‘Hey, écoute ça ! C’est super, même sans un vrai orchestre.’ J’ai répondu : ‘C’est vrai que c’est génial, mais je veux quand même un vrai orchestre.’ [Rires]. »
Radio Metal : La grande nouveauté de cet album est le fait que vous ayez enregistré avec un vrai orchestre symphonique. Pour faire ça, vous avez lancé une campagne de financement participatif sur IndieGoGo. Est-ce que c’est devenu impossible de recevoir le financement nécessaire pour ce genre « d’extra » de la part des maisons de disques ?
Mark Jansen (chant) : Oui, avec Mayan, nous sommes dans une position complètement différente d’Epica par exemple. Avec Epica, nous recevons tout l’argent dont nous avons besoin pour enregistrer avec un orchestre, mais Mayan est un groupe relativement petit pour l’instant. Donc Nuclear Blast nous accorde un budget fixé selon les ventes du dernier album et comme Mayan n’a jamais fait beaucoup de tournées, il n’y a pas eu énormément de ventes d’albums, ce qui fait que nous avons un petit budget, même si tu veux enregistrer un album avec un son digne d’un gros album. Nous nous sommes posé la question : « Comment est-ce qu’on peut faire ça avec presque aucun argent ? » [Petits rires]. Le budget que Nuclear Blast nous a accordé avait déjà servi à la production de l’album – c’est un bon budget, mais pas suffisant pour enregistrer avec un orchestre, par exemple. Certaines personnes nous ont demandé : « Pourquoi est-ce que vous n’investissez pas vous-mêmes l’argent ? » Mais les gens ne savent pas que Frank [Schiphorst], Jack [Driessen] et moi avons déjà investi beaucoup d’argent dans le groupe depuis le début pour faire tout ce que nous avons fait. A un moment, tu n’as plus à t’auto financer, à investir ton propre argent. Du coup nous nous sommes dit : « Et si on tentait de faire une campagne IndiGoGo ? » Même si nous avions besoin d’une somme assez importante d’argent, nous avons réussi à collecter cette somme et ça nous a prouvé que la fanbase de Mayan est encore importante et ça nous a vraiment motivé à nous donner à cent pour cent l’année qui vient, à faire autant de tournées que possible et voir où nous pouvons emmener ce projet.
Vous avez récolté plus de 40000 euros ; est-ce que le succès de cette campagne de financement participatif vous a surpris ?
Oui, ça m’a en partie surpris. D’un autre côté, dès le début je croyais que c’était possible, sinon je n’aurais pas lancé cette campagne parce que si tu te fixes un objectif et tu ne l’atteins pas, c’est une sorte d’échec. J’y croyais, mais ça m’a quand même surpris que nous y soyons arrivés et que nous ayons dépassé notre objectif, qu’il y ait eu un tel engouement et une telle volonté de rendre ça possible de la part des gens. Ça fait chaud au cœur et, d’une certaine façon, c’est surprenant, mais, comme je l’ai dit, je ne suis pas complètement surpris parce que je sais que nous avons des fans vraiment géniaux qui seraient prêts à faire n’importe quoi pour que cet album soit super. J’en suis très heureux !
La campagne a aussi servi à financer un EP exclusif appelé Undercurrent. Est-ce que tu peux nous en dire plus à ce sujet ?
Cet EP est tout particulièrement pour ces personnes qui ont cru en nous et cette campagne de financement. Nous avons enregistré des chansons bonus pour ces personnes. Cet EP est comme un remerciement pour ceux qui nous ont soutenus avec cette campagne. Il va y avoir une chanson très longue et épique et deux chansons plus courtes dessus, ainsi qu’une nouvelle version de la chanson « Insano », la ballade qui figure sur le deuxième album. Comme je l’ai dit, cet EP ne sortira pas vraiment, nous les inclurons peut-être sur un autre support à l’avenir, mais cet EP reste une exclusivité pour les gens qui ont soutenu la campagne de financement.
Tu as dit que vous recevriez les moyens financiers pour travailler avec un orchestre avec Epica. Vous avez utilisé de vrais instruments orchestraux sur l’album The Holographic Principle mais vous n’avez jamais travaillé avec un orchestre complet avec Epica, n’est-ce pas ?
C’est vrai que nous n’avons pas enregistré avec un orchestre complet avec tous les musiciens qui jouent ensemble, mais nous avons enregistré les cordes séparément, les bois, les cuivres, les chœurs, tous les éléments qui composent un orchestre, nous avons tout enregistré mais pas en même temps. Quand tu enregistres un orchestre de la façon dont Epica le fait, ça coûte beaucoup plus cher et ça prend beaucoup plus de temps mais en fin de compte c’est bien plus pratique pour le mixage. Parce que si tu enregistres l’orchestre comme Mayan le fait, si un des instruments fait une fausse note, tu ne peux pas rectifier parce que tout l’orchestre joue, mais ça a aussi son charme quand il y a une petite imperfection parfois. Nous corrigeons les grosses erreurs bien entendu, mais quand soixante personnes jouent en même temps et qu’une petite faute est faite, tu ne l’entends même pas. Donc ça a ses avantages et désavantages d’enregistrer comme nous le faisons avec Mayan. Même si nous aurions aimé enregistrer de la même façon qu’Epica, nous n’avions pas l’argent nécessaire pour le faire, ça coûte bien plus cher.
« Il y a eu des périodes pendant lesquelles j’allais très mal, et puis je me disais : j’ai du succès, j’ai tout ce que je veux, je devrais être heureux, mais tu te demandes pourquoi tu n’es pas heureux et tu te rends compte que certaines choses ne sont qu’illusions et ces illusions te font te sentir mal. »
D’un autre côté, je sais que tu es un grand fan de Dimmu Borgir, et ils ont choisi d’utiliser des orchestrations programmées sur leur dernier album, en disant que les avancées technologiques permettent d’avoir un son digne d’un véritable orchestre et d’économiser de l’argent. Est-ce que tu penses que de nos jours c’est encore pertinent pour un groupe de dépenser de l’argent pour avoir un vrai orchestre ?
Oui, j’en ai aussi entendu parler. Par le passé, Dimmu Borgir travaillait avec le même orchestre que nous, l’orchestre de Prague, mais pour moi, si tu arrêtes d’utiliser un véritable orchestre au profit de samples, c’est comme faire un pas en arrière. Même si c’est vrai que les pistes programmées ont un bon son de nos jours et c’est très difficile d’entendre la différence avec un vrai orchestre, mais moi je l’entends ! [Rires]. J’entends la différence entre notre musique quand nous avons enregistré avec un orchestre et ce que c’était avant. Même si Jack a une bonne palette de pistes audios, je peux t’assurer que le rendu est meilleur avec un vrai orchestre. Je l’ai déjà mentionné avant, mais ce sont les petites erreurs que les humains font qui apportent un certain charme à la musique, alors qu’une piste pré-enregistrée ne contiendra jamais d’erreur, c’est toujours parfait. Je crois que les imperfections rendent la musique meilleure, le son est trop aseptisé sinon. Il y a bien sûr de supers albums qui ont été enregistrés avec des samples, donc tu ne m’entendras pas critiquer ça, mais je crois sincèrement qu’en fin de compte, le son est toujours meilleur avec un véritable orchestre.
Est-ce que tu as remarqué une différence sur le dernier album de Dimmu Borgir ?
Oui, Nuclear Blast m’a envoyé leur album avant qu’il ne sorte en me disant : « Hey, écoute ça ! C’est super, même sans un vrai orchestre. » J’ai répondu : « C’est vrai que c’est génial, mais je veux quand même un vrai orchestre. » [Rires].
Tu as choisi de collaborer avec l’orchestre philarmonique de Prague. Est-ce que c’est leur expérience avec des groupes de metal, comme Dimmu Borgir pour l’album Death Cult Armageddon par exemple, ainsi qu’avec les musiques de films qui en fait l’orchestre parfait pour Mayan ?
Oui, je pense que c’est ça. C’est la raison pour laquelle ça fonctionne aussi bien, parce que l’orchestre a fait énormément de bandes originales de films. C’est un orchestre extrêmement honorable. Nous sommes fiers d’avoir travaillé avec eux. Notre choix a définitivement été influencé par l’album de Dimmu Borgir, j’adore cet album, j’adore le son qu’il a. Mais After Forever a aussi travaillé avec cet orchestre et notre producteur Joost a travaillé avec eux et nous a dit qu’ils étaient très talentueux et qu’il était très agréable de collaborer avec eux. Nous l’avons cru. Ce sont toutes les raisons qui nous ont poussées à travailler avec cet orchestre.
Comment avez-vous arrangé les parties orchestrales pour un vrai orchestre ? Je suppose que ça doit être différent que de composer en ayant en tête le fait qu’un orchestre va jouer la composition…
Oui, et ça représente aussi beaucoup de travail. Jack, notre claviériste, qui est aussi celui qui a fait toutes les parties orchestrales, a beaucoup travaillé avec la personne qui a écrit les partitions, il a écrit toutes les partitions pour l’orchestre et ça lui a pris au moins une semaine. Tout était prêt juste à temps ; quand nous avons atteint soixante-dix pour cent de l’objectif de la campagne de financement, nous devions déjà décider si nous allions enregistrer avec l’orchestre ou pas. Nous devions répondre oui ou non avant même d’avoir atteint notre objectif, et nous avons dit oui. Dans le pire des cas, nous n’aurions pas atteint l’objectif et quand même enregistré avec l’orchestre mais en payant nous-mêmes pour ce qu’il manquait. Mais toutes les pièces du puzzle se sont assemblées. Nous en avions fini avec les partitions une semaine avant le début de l’enregistrement et nous avons pu les envoyer à Prague, pour que les musiciens répètent. Le jour de l’enregistrement, les choses se sont bien passées. Nous avons enregistré quelques heures, tout le monde était très rigoureux et concentré, et nous avons pu enregistrer tout ce que nous voulions enregistrer. Nous avons été très chanceux parce que si quelque chose s’était mal passé, nous n’aurions pas pu y arriver, mais tout s’est bien passé ! [Petits rires]. Et puis si nous n’avions pas pu enregistrer avec l’orchestre, nous aurions utilisé des pistes comme Dimmu Borgir l’a fait. Donc même si tu composes la musique en ayant à l’esprit un orchestre, tu sais que si ça ne se fait pas, tu as encore la possibilité d’utiliser un faux orchestre. Toutes les compositions que nous avions sont les mêmes sauf qu’elles sont jouées par un vrai orchestre. Les chansons auraient été les mêmes avec des samples, mais, comme je l’ai dit avant, juste un peu moins bonnes [rires].
Comment fais-tu pour trouver un bon équilibre entre l’orchestre et le metal, qui est la base de la musique ?
C’est un équilibre que tu dois toujours ressentir naturellement. Il n’y a ni règle ni équation. C’est toujours un défi de garder cet équilibre en tête quand tu as beaucoup de choses différentes en même temps. Mais comme pour avec Epica – c’est la même chose avec ce groupe, il y a tellement de choses en même temps -, je pense qu’avec les années tu trouves intuitivement cet équilibre. Mais nous n’y pensons pas tant que ça [petits rires].
« Les pensées nous importunent souvent et n’ont pas d’utilité, elles nous font juste déprimer. […] On dit que les gens qui entendent des voix dans leur tête sont fous mais d’une certaine façon on entend tous des voix dans nos têtes parfois et on croit qu’on se parle à soi-même, mais ce sont juste des pensées. »
Les enregistrements avec l’orchestre ont eu lieu en juin 2018 et, un peu plus d’un mois plus tard, l’album est prêt. Ça parait rapide !
Oui, parce que tout était déjà terminé quand nous avons commencé à enregistrer avec l’orchestre. Même le mixage était fini. Bien sûr, ça demande beaucoup d’effort de mixer un orchestre, parce qu’il y a énormément d’éléments différents, mais cela avait déjà été pré-mixé en studio à Prague avant que notre producteur et responsable du mixage Joost Van Den Broek ne reçoive l’enregistrement, ce qui fait que l’enregistrement de l’orchestre est déjà parfaitement mixé et Joost n’avait qu’à ajouter l’orchestre à nos sessions, donc il y avait beaucoup moins de travail à faire. Ensuite nous pouvions faire le mastering et l’album était terminé. L’orchestre était vraiment la touche finale. C’est la même chose quand tu fais un concert avec un orchestre, par exemple, il y a une personne qui mixe tout l’orchestre, envoie quelques lignes à la personne qui mixe le groupe, parce que si l’ingénieur son devait aussi s’occuper du mixage de l’orchestre, ça ne fonctionnerait pas, ça représenterait trop de travail. Ça fonctionne de la même façon pour les albums.
Ton amour pour les bandes sons de films épiques fait de la collaboration avec un vrai orchestre une étape logique. Est-ce que vous avez composé cette musique comme si vous composiez la bande son d’un film ?
Peut-être qu’une chanson comme « Satori » a été écrite de cette façon. A vrai dire, la chanson a été écrite par Jack Driessen et il adore lui aussi les bandes sons de films. Quand j’écris une chanson, je suis parfois inspiré par une scène de film, ça arrive, mais je peux aussi commencer à écrire une chanson qui prend son inspiration dans quelque chose de complètement différent et l’idée d’une bande son épique traverse à peine mon esprit. Donc parfois c’est le cas mais d’autres fois mon inspiration sera déclenchée par quelque chose de totalement différent. Mais j’ai de la chance parce que je suis toujours inspiré. Parfois j’entends parler de musiciens qui ont un manque d’inspiration pendant un certain moment ; je peux dire que je suis chanceux car ça ne m’est jamais arrivé [petits rires]. Tu dois te mettre au travail quand l’inspiration vient et parfois elle ne vient pas au bon moment mais tu peux retenir ce flux d’inspiration quand ça vient. C’est quelque chose que j’ai appris. Tu peux aussi ne pas y arriver quand l’inspiration n’est simplement pas là, et puis quelques jours plus tard tu sens l’inspiration couler, tu ne peux pas la forcer.
L’album aborde des thèmes conceptuels tels que le fait de rester conscient de nos pensées, effacer nos tendances égocentriques et trouver qui nous sommes réellement. Comment en es-tu venu à te poser ces questions ? Est-ce que tu as eu l’impression de t’être perdu dans tes tendances égocentriques par le passé ?
Oh oui ! C’était et c’est toujours le cas. Je pense que ça nous arrive à tous, plus ou moins. Je pense que la vie est un apprentissage, et il arrive un moment où tu te rends compte que beaucoup de choses en lesquelles tu croyais ne sont qu’illusions. C’est ce dont parle « Satori » : le moment où tu trouves qui tu es réellement et ce qui compte vraiment, alors tu prends conscience que beaucoup de choses ne sont qu’illusions. Ça fait un choc quand tu te rends compte que tu as vécu toute une partie de ta vie dans une illusion. Ça l’a été pour moi aussi. Je suis toujours en train de trouver ma voie. Mais quand j’en ai pris conscience et que j’ai lu des choses à ce sujet, j’ai commencé à développer une certaine fascination et j’ai décidé d’écrire un album là-dessus ; à chaque fois que je découvre quelque chose ou que je veux partager quelque chose avec les fans, j’écris des paroles de chansons, c’est aussi quelque chose de merveilleux. C’est quand on parvient à vivre ni dans le passé ni trop dans le futur, en tout cas pour la plus grande partie de nos journées, que notre bonheur s’accroît complètement. Il y a énormément de gens aujourd’hui qui sont sous antidépresseurs, ils utilisent les médicaments pour se sentir un peu plus heureux, mais si tu trouves une autre façon d’être plus heureux, alors tu n’as pas besoin d’avoir recours à tous ces produits chimiques pour y arriver. Un tout petit incident peut déjà te faire te sentir mal pour la journée, une semaine ou un mois. Si tu découvres ce qu’est cet incident, la source de ce sentiment, alors tu auras la possibilité de changer ça. C’est vraiment fascinant. Quand j’ai commencé à écrire à ce sujet, j’avais la sensation que c’était très naturel et que c’était le bon moment pour aborder ce thème.
Est-ce qu’il y a eu un moment en particulier qui a déclenché cette prise de conscience ?
Pas forcément un moment en particulier mais il y a eu des périodes pendant lesquelles j’allais très mal, et puis je me disais : j’ai du succès, j’ai tout ce que je veux, je devrais être heureux, mais tu te demandes pourquoi tu n’es pas heureux et tu te rends compte que certaines choses ne sont qu’illusions et ces illusions te font te sentir mal. Il y a ces pensées qui sont en permanence dans ton esprit et auxquelles tu t’identifies, mais j’ai réalisé que ces pensées ne sont pas qui je suis, ce ne sont que des outils pour vivre dans cet univers. Les pensées sont utiles, comme les mains sont utiles ou les jambes pour marcher. Les pensées sont toujours là ; si tu parviens à écarter ces pensées de temps en temps et être toi-même à cent pour cent alors tu prends conscience que nous ne sommes pas nos pensées. Si tu prends la peine de t’intéresser à tes pensées, c’est aussi un moyen de réaliser que les pensées nous importunent souvent et n’ont pas d’utilité, elles nous font juste déprimer. Tes pensées te parlent et parfois elles disent des choses très blessantes. On dit que les gens qui entendent des voix dans leur tête sont fous mais d’une certaine façon on entend tous des voix dans nos têtes parfois et on croit qu’on se parle à soi-même, mais ce sont juste des pensées. On a aussi tous des pensées dont on a honte, mais ce n’est pas nous, c’est juste une tendance égocentrique qui nous parle, ce qui peut être un outil utile dans beaucoup de circonstances mais aussi un outil destructeur. C’est aussi très bénéfique si tu parviens à désactiver ça. J’espère que j’ai été clair dans ce que j’ai dit ! [Rires]
« Si tu observes tes pensées, qui es-tu ? Qui est l’observateur ? Je ne sais pas [si Descartes] s’est déjà posé la question : si tu observes tes propres pensées, qui est l’observateur ? Ça répond à la question, parce que je crois sincèrement que nous sommes l’observateur dans cette situation, et les pensées sont quelque chose de complètement différent. »
Est-ce que ça veut dire que tu penses que le philosophe Descartes avait tort en disant « cogito ergo sum », « Je pense donc je suis » ?
Oui, je pense qu’il a complètement tort [rires]. Il est complètement à côté de la plaque. Je ne veux pas offenser qui que ce soit qui y croit, mais selon moi il est totalement à coté de la plaque parce que c’est précisément ce qu’implique le fait de t’identifier avec tes pensées : je pense donc je suis. Mais si tu observes tes pensées, qui es-tu ? Qui est l’observateur ? Je ne sais pas s’il s’est déjà posé la question : si tu observes tes propres pensées, qui est l’observateur ? Ça répond à la question, parce que je crois sincèrement que nous sommes l’observateur dans cette situation, et les pensées sont quelque chose de complètement différent.
D’après ce que tu as écrit sur votre site internet, Dhyana signifie « attention soutenue » et fait référence à un flux de conscience et au fait de se concentrer sur le présent. Il y a aussi une citation de Eckhart Tolle : « Lorsque nous prenons un moment pour ressentir la vitalité qui est en nous, notre attention reste disponible pour le monde extérieur et joue le rôle d’une ancre dans le Présent. Seul le moment présent peut nous faire sentir libre et cette prise de conscience est l’éveil, la prise de conscience de la Présence. » Est-ce que tu crois que rester dans le moment présent est compatible avec la façon dont notre société fonctionne ou même avec le fait de travailler avec des groupes comme Epica ou Mayan, pour lesquels il faut toujours planifier les choses à l’avance ? N’est-ce pas en vain que de souhaiter ça ?
Oui, si tu regardes ça de cette façon, c’est ce que ça semble être, mais pas si tu te concentres sur le futur dans une certaine mesure. Si tu passes ton temps à planifier ton avenir, tu passes complètement à côté du présent. Si tu te concentres sur l’avenir de temps en temps, que ce soit en planifiant le futur ou en y pensant, ce qui inclue les pensées qui t’aident à être créatif, là ça fonctionne, c’est sain, équilibré. Je pense que tu peux quand même vivre le plus possible dans le moment présent, même si tu prévois des choses pour le futur. C’est juste qu’il ne faut pas que ton attention soit tout le temps tourné vers l’avenir et ce que tu feras parce que, comme je l’ai dit, tu vas totalement passer à côté du présent, ta vie et le bonheur. Si on passe notre temps à penser « oh, quand ça arrivera, nous serons heureux » ou « quand ça se produira, nous aurons enfin atteint notre but », tu passeras ta vie à attendre que tout se passe parce qu’il y a toujours quelque chose à attendre après.
Est-ce que tu as changé la façon dont tu conçois les groupes dont tu fais partie depuis cette prise de conscience ?
J’ai changé dans le sens ou j’essaye de ne pas travailler comme un forcené tous les jours comme j’ai pu le faire par le passé. Je travaille toujours beaucoup mais parfois, tu vas passer une journée à la plage, nager, profiter de la mer, des sensations, observer le ciel et voir les nuages défiler, avec cette sensation de bonheur. C’est quelque chose que je faisais déjà mais pas assez souvent.
Je sais que tu t’intéresses beaucoup à la science, comme le prouvent les deux derniers albums d’Epica. Est-ce que tu penses que nous pouvons facilement nous perdre dans ces grandes questions scientifiques, en particulier tout ce qui concerne la physique quantique et toutes ces choses ?
Oui. Tu peux facilement te perdre dans cet océan de connaissance. La connaissance, c’est bien et utile, et ça permet à l’humanité de progresser, mais si tu t’y perds – on revient à ce que je disais toute à l’heure -, à ce moment-là tu cours après une illusion encore une fois et tu passes à côté de ce qui est important. Contrairement à ce que je faisais avant, je ne passe pas mon temps à essayer de faire quelque chose d’utile comme lire un livre ; j’avais l’habitude de penser que c’était très utile et je pense toujours que ça l’est, mais pas de passer tout son temps à essayer accroître ses connaissances, parce qu’à un moment tu vas finir par te perdre dans toute cette sagesse et cette connaissance.
Est-ce que tu as ressenti le besoin de te recentrer sur l’essence de ce qui fait de toi qui tu es après ces deux albums très centrés sur la science ? Ou est-ce que ces questions sont mêlées ?
Oui. Avec Dhyana, le thème est plus centré sur l’essence de ce que nous sommes réellement, mais peut-être que le prochain album sera encore une étape plus loin dans ce sujet. Je ne sais pas encore. L’avenir nous le dira ! En tout cas, ce que je fais est entrelacé depuis l’époque de After Forever, quand j’écrivais au sujet de The Embrace That Smothers, et ça a continué avec Epica et maintenant, ce thème de Dhyana qui aurait facilement pu être utilisé pour un album d’Epica a servi pour Mayan. Tout est lié.
Dhyana est un terme qui vient du bouddhisme et de l’hindouisme et qui est également utilisé dans le yoga. Est-ce que tu médites ou fais du yoga ?
Je ne fais pas de yoga mais je fais un peu de méditation parfois ; de la respiration profonde ou de la méditation abdominale. Je pense que ce sont des outils très puissants et utiles pour se sentir mieux parce que si tu pratiques la respiration profonde en période de stress, tu te sens calme et soulagé après l’avoir fait et tu peux aussi mieux dormir. Donc même si quelqu’un ni croit pas, ça marche. Je conseillerai à chaque personne qui se sent stressé d’essayer, de tester, et tu verras si ça fonctionne pour toi.
« J’ai vraiment la sensation que ce troisième album sera un grand pas en avant. C’est pour ça qu’il est important. Et si, pour je ne sais quelle raison, ça ne se passe pas comme ça, je dois dire honnêtement que ce serait une déception. »
Beaucoup de personnes sont impliquées dans Mayan. Comment est-ce que vous gérez la logistique d’une telle collaboration ?
Ça nous donne mal au crâne parfois ! Ça, c’est sûr [rires]. C’est un grand puzzle logistique. C’est aussi pourquoi nous travaillons avec autant de personnes parce que parfois si l’un de nous est en tournée avec un autre groupe, nous pouvons quand même donner nos concerts parce que nous sommes nombreux et une personne peut remplacer une autre. C’est un avantage. Mais nous essayons toujours de rassembler autant de membres que possible quand nous jouons un concert parce que c’est vraiment Mayan quand nous sommes le plus possible réuni.
Tu ne joues pas de la guitare au sein de Mayan, tu t’occupes du screaming et des orchestrations. Est-ce que tu te considères comme un chef d’orchestre, comme dans un orchestre classique, plus qu’un musicien dans ce groupe ?
Non, je me vois comme un musicien parce que dans le processus d’écriture, je joue de la guitare, je joue du clavier, je programme la batterie, donc je me vois comme un musicien, mais en concert j’ai plus la sensation d’être un chanteur. J’aime faire différentes choses, ne pas seulement être un musicien, comme organiser des choses, le merchandising, les tournées, etc. Toutes ces choses qui sont normalement faites par le management, nous le faisons nous-mêmes au sein de Mayan et c’est aussi une source de plaisir et d’amusement. Donc je n’ai pas l’impression d’être simplement un musicien, je m’occupe aussi de toutes ces choses qui doivent être faites quand tu es dans un groupe.
Quel est le degré d’implication des autres membres du groupe dans la création de la musique ?
Jack et Frank par exemple font aussi partie des principaux compositeurs du groupe. En dehors de ça, les autres peuvent être aussi créatifs qu’ils le souhaitent. Tout le monde peut écrire des chansons, tout le monde peut suggérer des idées. Nous écoutons tout le monde et nous utilisons chaque bonne idée.
Il semble que tout ce que tu fais fini catégorisé comme « symphonique ». Est-ce que tu ne saurais te satisfaire d’une instrumentalisation metal plus « simple » ou tout du moins plus classique ? Est-ce que tu penses que ce ne serait pas assez pour parfaitement exprimer les émotions que tu veux exprimer ?
Je compose la musique que je ressens, tout simplement. C’est vrai, c’est toujours symphonique, parce que c’est ce que j’aime le plus. Ça fonctionne parfaitement de cette façon pour moi. Je fais toujours ce que je veux, donc si un jour je ressens l’envie de créer un groupe de metal plus traditionnel, ça peut se faire. Mais jusqu’à présent, avec After Forever, Epica et Mayan, ce n’était pas le cas. Il y a sûrement une raison à ça et c’est probablement le fait que j’aime la complexité de ce genre de musique. C’est un gros défi. C’est ce qui me semble juste.
Tu as dit que tu n’avais jamais travaillé aussi dur que sur cet album parce que c’est devenu un album particulièrement important pour Mayan. Pourquoi est-ce que tu considères cet album comme si important pour le groupe ?
Parce que c’est le troisième album et parce que nous n’avons pas pu faire beaucoup de tournées pour le second album, du coup nous n’avons pas vraiment eu l’opportunité d’accroitre la popularité du groupe. J’ai vraiment la sensation que ce troisième album sera un grand pas en avant. C’est pour ça qu’il est important. Et si, pour je ne sais quelle raison, ça ne se passe pas comme ça, je dois dire honnêtement que ce serait une déception parce que nous avons tellement travaillé sur cet album. C’est aussi important pour le futur du groupe que cet album représente un grand pas en avant. Je pense que nous avons fait d’encore plus grands efforts cette fois parce que, même si nous avons mis notre cœur et notre âme dans les deux premiers albums, nous y avons consacré un peu moins de temps parce que beaucoup d’autres choses se passaient en même temps, Epica était très occupé. Nous avions beaucoup plus de temps à investir dans cet album et pour enregistrer avec un vrai orchestre, plus de temps pour travailler sur les détails pour avoir une meilleure production. Nous sommes passés au niveau supérieur, donc si tout va bien le reste va suivre aussi.
Mayan a commencé début 2010 comme un projet pour s’amuser, et te voilà aujourd’hui avec ce très ambitieux troisième album et une grosse production…
Nous avons une bonne fanbase grâce aux deux premiers albums, mais nous avons l’impression de toujours être un petit groupe, donc nous avons encore un sacré challenge devant nous pour augmenter la popularité du groupe, partir plus souvent en tournée et toucher plus de gens. Il y a beaucoup de travail à faire. Même si je suis extrêmement reconnaissant de toutes les personnes qui nous écoutent et aiment le groupe, je pense quand même que le groupe a un gros potentiel et que nous n’avons pas atteint le sommet pour l’instant. Quand nous avons commencé, je ne m’attendais pas à ce que le groupe devienne ce genre de grosse production, mais j’adore les défis, donc je ne suis pas surpris que les choses se soient passées comme ça [rires].
Est-ce que tu peux nous donner des nouvelles d’Epica ? Est-ce que tu as déjà des idées pour ce qui viendra après The Holographic Principle qui est sorti il y a presque deux ans ?
Tout d’abord, on va faire une pause à partir de septembre parce qu’après dix-sept ans sur les routes, nous avons l’impression qu’un peu de temps pour réfléchir nous fera du bien. Après cette pause, nous nous réunirons et nous commencerons à travailler sur le prochain album. Mais là, tout de suite, je suis tellement fatigué après l’album de Mayan, ça a pompé toute l’inspiration que j’avais en moi [petits rires]. Je dois d’abord recharger mes batteries et ensuite les idées viendront automatiquement, pour sûr.
Interview réalisée par téléphone le 17 juillet 2018 par Nicolas Gricourt.
Transcription : Nicolas Gricourt.
Traduction : Lison Carlier.
Photos : Stefan Heilemann.
Site officiel de Mayan : mayanofficial.com
Acheter l’album Dhyana.
« parce que c’est précisément ce qu’implique le fait de t’identifier avec tes pensées : je pense donc je suis »
Ce serait vrai si Descartes avait dit : « Je pense donc je suis ce que je pense ».
Sauf que ce n’est pas ça qu’il a dit. Et donc ce charmant monsieur dit de la grosse merde 😀
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Bon, j’aime bien ce que fait Mark Jansen, mais pour DESCARTES, il n’a franchement pas compris le concept!
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Mark Jansen, un des plus grands philosophes contemporains.
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