Après un Matière Noire dantesque, qui assurément fera date dans la discographie de Mass Hysteria, on aurait difficilement pu les imaginer en remettre une couche et surenchérir sur la lourdeur et l’agressivité. C’est pourtant chose faite avec Maniac. Preuve que le succès ne corrompt pas forcément l’art quand l’artiste garde les yeux rivés sur son cap. Au contraire, le succès doit conforter le cap. Après tout, n’est-ce pas cette puissance exaltante que les Furieux autant que les ombres plus fraîchement enrôlées dans l’armée sont venus chercher ?
Revenant d’abord sur l’élan que leur aura offert Matière Noire, dont le cycle live a pourtant débuté le jour effroyable des attentat du 13 novembre 2015, Yann Heurtaux et Moustapha Kelai alias Mouss nous parlent de ce « clou » qu’ils enfoncent un peu plus loin avec Maniac. Il est intéressant de voir que quand l’un se lâche et fait ressortir ses inspirations extrêmes de la première heure, l’autre avoue une certaine fébrilité à trouver sa place dans cette débauche d’énergie et de violence. Pourtant le résultat est là, symbiotique entre les deux faces d’une même pièce, secouant à la fois le corps et l’esprit. Entretien.
« En mettre plein la gueule à des gens qui nous aiment et que nous rassurons en disant que nous sommes toujours aussi furieux, c’est bien, mais il y a un autre challenge à aller voir des gens qui ne nous connaissent pas et leur mettre une vraie gifle sonore. C’est ça le côté excitant dans le public un peu plus large. »
Radio Metal : Matière Noire a été une grosse étape pour Mass Hysteria, grâce auquel votre fanbase s’est élargie, vous avez même commencé à mettre un pied dans le « mainstream » avec votre apparition dans l’émission l’Album De La Semaine sur Canal + ou dans des festivals plus généralistes. Comment est-ce que vous avez vécu tout cet élan lors de ce cycle et comment expliquer l’impact qu’a eu cet album ?
Yann Heurtaux (guitare) : L’expliquer, franchement, nous n’en savons rien. Nous avons fait comme nous avons fait les autres albums, avec passion, sans concession, etc. Là où ça nous a fait plaisir, c’est que ce truc-là, nous l’avons un peu vécu il y a vingt ans avec Contraddiction et finalement nous le retrouvons aujourd’hui. Ce sont les mêmes personnes qui nous ont fait faire l’Album De La Semaine, c’est-à-dire Stéphane Saunier qui nous avait fait faire Nulle Part Ailleurs à l’époque. Donc ça nous a fait ultra plaisir, et que les gens aiment cet album, ça a été vraiment génial. Comment nous l’avons vécu ? Plutôt très bien [petits rires].
Moustapha « Mouss » Kelai (chant) : Nous l’avons même carrément bien vécu ! Quand nous avons fini l’album Matière Noire, nous ne savions vraiment pas ce que ça allait donner, puisque nous enfoncions un peu le clou après L’Armée Des Ombres. Nous étions restés sur la dynamique de L’Armée Des Ombres, c’était vraiment voulu, et nous avons fait que les morceaux soient faits pour le live et rien d’autre. Après, il y a eu l’engouement qu’il y eu, c’est vrai. Il y a eu la télé, des gros médias qui se sont un peu intéressés à nous. Nous l’avons super bien vécu, et oui, nous avons un peu élargi notre public. Peut-être que nous avons aussi récupéré des gens qui nous avaient un peu lâchés ou perdus de vue depuis un moment, mais c’est sûr qu’avec Matière Noire nous avons récupéré un public qui ne nous connaissait pas, nous en sommes conscients, ce qui est plutôt une très bonne chose.
Comment c’est de vous confronter à un public plus large, moins purement metal sur certains événements ?
Yann : Arriver dans un festival et jouer entre Jain et Nekfeu, c’est plutôt un challenge et c’est génial d’aller chercher des gens qui ne sont pas habitués à ça. Et tu t’aperçois que ces gens-là, finalement, quand tu leur mets un coup d’électricité pendant quarante-cinq minutes, ils adorent ça ! Et puis, les gens dans un festival sont plutôt ouverts, en général. Donc nous, ça nous fait kiffer de faire ce genre de chose.
Mouss : Après, il faut faire attention à l’entre-soi. Si on commence à ne faire des concerts que pour des gens qui nous aiment… Ce qui est bien, c’est ça qui nous fait vivre aussi ! Là, nous avons une première fournée de petits clubs, et nous savons très bien que ça va être un fête exclusive entre soi, entre furieux qui nous connaissent depuis longtemps, qui sont vraiment les vrais fans, la fanbase comme on dit, et nous, mais comme le dit Yann, faire un festival comme le Mainsquare ou Musilac, jouer avant Elton John, c’est excitant ! Il faut aller convaincre des gens qui ne nous connaissent pas. En mettre plein la gueule à des gens qui nous aiment et que nous rassurons en disant que nous sommes toujours aussi furieux, c’est bien, mais il y a un autre challenge à aller voir des gens qui ne nous connaissent pas et leur mettre une vraie gifle sonore. C’est ça le côté excitant dans le public un peu plus large.
Vous avez même convaincu Joey Starr, apparemment…
Ouais, c’est pas faux [rires].
Yann : En fait, avec Joey Starr, nous nous croisons depuis très longtemps dans les couloirs de Sony à l’époque et puis après nous nous sommes croisés sur plein de festivals. Enfin, ce n’est pas que nous nous connaissons, ce n’est pas un pote, mais nous nous croisons depuis longtemps et lui aime bien tout ce qui est un peu énervé ou transgressif. Après avoir fait trois ou quatre dates ensemble, sur la quatrième, il était là sur cette scène et il est venu à la fin chanter de manière complètement improvisée (sur « Plus Que Du Metal » au Festival De La Paille en 2016, NDLR).
Mouss : Il avait quand même descendu une bonne bouteille de rhum avant de se lâcher et venir sur scène, avant de se laisser convaincre [rires]. Mais bon, ce n’est pas ça qui lui fait peur, ni la bouteille de rhum ni de faire un morceau avec nous. Je pense qu’il n’y a pas grand-chose qui lui fasse peur à ce pépère.
J’ai relu l’interview que tu nous avais donnée, Mouss, à l’époque de Matière Noire, c’était le 20 octobre 2015, et à un moment donné tu fais mention du concert à Tulle où tu prévoyais de dédicacer « Chiens De La Casse » à François Hollande. Le concert en question, c’était 13 novembre. On était loin de se douter de ce qui allait se passer ce jour-là… Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous avez vécu cette soirée, étant sur scène ?
Yann : Nous étions en train de faire un concert complètement normal pour nous, et puis d’un seul coup, nous avons vu les têtes changer dans le public et sur le côté de scène. Nous avons un fan de Mass qui est policier, qui était là ce soir-là et qui nous dit : « C’est la guerre à Paris, il y a une prise d’otages au Bataclan, etc. » Après, nous avons fini notre concert et nous avions chacun cinquante messages dans notre téléphone.
Mouss : Nous étions à Tulle, il y avait nos familles à Paris, il y avait des amis au concert d’Eagles Of Death Metal, donc nous sommes quand même passés d’un concert euphorique à un effroi total. C’était violent, c’était super dur. Evidemment, on ne va pas comparer, le plus violent, c’était pour ceux qui étaient au Bataclan, ça devait être d’une extrême violence, c’était la guerre, la vraie guerre. En fait, nous n’y croyions pas. J’imagine que toi aussi : tu n’oses pas croire ! Tu es dans l’effroi, sous le choc, et pourtant nous n’avions pas vécu le drame, nous l’avions vécu à distance, c’était déjà effroyable. Nous n’avons pas dormi de la nuit, et puis le lendemain, nous devions jouer à Toulouse… C’était l’incompréhension totale. Ils avaient réussi leur putain d’attentat. Déjà, Charlie, ça nous avait bien secoués, vraiment, et je pensais vraiment qu’après Charlie, il n’y aurait plus rien. Je pensais vraiment qu’il y aurait un keuf dans chaque coin de rue, derrière chaque ordinateur des gens listés dans le terrorisme… Eh bien, je ne sais pas, ça n’a pas été le cas. Je ne pensais pas qu’on puisse être attaqués aussi violemment une deuxième fois dans une des plus belles villes de monde, qui plus est Paris qui est quand même bien surveillée. Donc c’était vraiment violent. Et nous le ressentons encore aujourd’hui. Nous en reparlons. Même dans mes textes, moi qui ne voulais pas en reparler, il y a une ou deux références à ça, aux attentats. Nous sommes encore sous le choc, nous ne sommes pas encore sortis du post-traumatisme.
« Je ne pensais pas que nous enfoncerions le clou aussi fort [rires]. Musicalement, quand il n’y avait pas les machines et tout, les maquettes, c’était vraiment du rentre-dedans, j’étais là : ‘Ouah ! Comment je vais chanter là-dessus ?’ »
J’imagine que la chanson « L’Enfer Des Dieux » a pris une autre dimension à ce moment-là…
Mec, dès le lendemain… Nous n’y pensions même pas, c’est en le faisant sur scène, nous nous sommes rendu compte que oui, le morceau prenait tout son sens. Il avait un putain d’écho tellement triste, mais réaliste. Il faut vivre avec ça aujourd’hui, avec cette réalité. Le morceau, je pense que nous le jouerons tout le temps maintenant, parce que nous avons des amis qui sont décédés pendant l’attentat et post-attentat aussi d’ailleurs.
Est-ce que ça vous est arrivé pendant cette période de monter sur scène la boule au ventre ?
Yann : Toutes les dates qui ont suivi, un petit peu oui. Même encore aujourd’hui, quand personnellement je vais voir un concert, tout seul… J’y pense tout le temps, à chaque fois.
Mouss : Surtout que nous, en plus, nous avons des potes policiers, donc dès qu’il y a une petite alerte en interne chez les flics, on nous le dit, nos potes keufs nous le disent : « Attention les gars… » Par exemple, pour notre concert à Paris au Trianon, ça a failli être annulé ! L’alerte était plus que rouge ! Et il y avait des keufs en civil dans la salle, des gens de je ne sais plus quelle brigade. Donc oui, nous avons un peu la boule au vendre. Et en plus on nous le dit, des potes keufs qui sont dans le milieu et qui nous avertissent des fois trop, peut-être [petits rires]. Mais bon, on n’est jamais trop prudents. Et le Bataclan, en l’occurrence, je n’y suis pas retourné et je ne pense pas vouloir y jouer. Vraiment pas.
Yann : Pareil.
Mouss : Je n’ai vraiment pas envie d’y jouer. Je ne sais pas, avec les Américains il y a peut-être un côté plus symbolique, solidaire, ils veulent faire… Je ne sais pas. Mais non, pour l’instant je ne peux pas.
Parlons maintenant du nouvel album, Maniac : est-ce que le succès que vous avez connu avec Matière Noire vous a gonflés à bloc pour aborder son successeur ?
Yann : Gonflés à bloc, oui. Nous nous sommes juste dit que nous ne nous calmerions pas [petits rires], que nous allions enfoncer le clou et que nous irions dans la même direction, voire pire. Après, ça s’est fait sincèrement, avec le cœur, toujours en pensant au live, et il en est sorti ce qu’il en est sorti.
Mouss : Moi, personnellement, je ne pensais pas que nous enfoncerions le clou aussi fort [rires]. Musicalement, quand il n’y avait pas les machines et tout, les maquettes, c’était vraiment du rentre-dedans, j’étais là : « Ouah ! Comment je vais chanter là-dessus ? » Mais bon, après, c’est toujours un défi, et puis, nous savons très bien que dans Mass Hysteria, nous aimons bien contraster des fois la violence des guitares et les propos un peu plus positifs, plus solaires, plus lumineux. Nous aimons bien ce contraste, cette contradiction entre la musique et les paroles, des fois.
Il est clair qu’une chose qui est frappante à l’écoute de Maniac, c’est que, autant Matière Noire était déjà un album coup de poing, ultra puissant, autant on dirait que vous passez encore un palier en termes de puissance et de violence ici. Il suffit d’écouter les premiers morceaux pour être littéralement terrassé. Et quand ce n’est pas violent, c’est assez noir comme « Arômes Complexes ». Est-ce que ça dénote un état d’esprit particulièrement offensif ?
Yann : Sincèrement, nous composons tout le temps un peu de la même façon. C’est assez dur de répondre à ça, car nous ne nous mettons jamais dans une idée de nous dire que nous allons faire plus sombre ou… Il n’y a pas de thématique. Tu vois, il y a vingt ans, Contraddiction était composé pareil. C’était une musique hyper énergique et des fois même sombre, avec la voix de Mouss qui vient illuminer tout ça. Toi, tu prends « Arômes Complexes » comme un truc plus sombre, alors que nous le prenons plutôt comme dansant.
Mouss : C’est vrai ! En fait, nous n’y voyons pas trop le côté hyper sombre. J’imagine que oui, le fait d’écouter tout l’album, il y a quelque chose qui se dégage, mais quelque part aussi, inconsciemment, ça révèle un peu notre esprit, notre particularité, notre sensibilité. Nous ne sommes pas sombres, nous sommes un peu pessimistes, je t’avoue, concernant le futur, notamment parce que nous avons des enfants. Je suis angoissé avec le monde actuel. Je ne suis pas insensible à ce qui se passe autour de moi, je suis en empathie, donc je souffre avec le monde qui souffre. Si je n’en avais rien à foutre, ce serait beaucoup plus simple pour moi. Donc je pense que ça se retrouve dans la musique. Mais ce n’est pas volontaire, nous ne nous disons pas « tiens on va faire un album sombre ».
Yann : C’était plus l’idée d’enfoncer le clou, faire un truc sans concession.
Mouss : Un album rentre-dedans. Après, c’est clair que ça va un peu dans le dark des fois, peut-être. Mais le monde ce n’est pas Walt Disney.
C’est quelque chose qu’on avait déjà abordé à l’époque de Matière Noire, mais Maniac confirme une progression, le ton qui se durcit ces derniers temps d’album en album, avec des riffs de plus en plus virulents flirtant avec l’extrême…
Yann : Par rapport à l’évolution du groupe, moi, quand je suis rentré dans le groupe, ce sont eux qui m’ont ouvert à d’autres choses, parce que j’étais vraiment ancré dans le death metal. Ils sont venus me chercher, je jouais du death metal dans un groupe, par contre ils m’ont dit « tu ne changes pas ton son », mais eux ils écoutaient Prong, Helmet, The Prodigy, The Chemical Brothers, plein de choses qui m’ont vachement ouvert à autre chose. Et peut-être qu’aujourd’hui mes démons refont surface un peu plus fort [petits rires], mais parce que aussi nous avons envie de rester authentiques. C’est une espèce d’intégrité. J’écoute toujours beaucoup de trucs assez violents, mais j’écoute aussi plein d’autres choses, et c’est le mélange de tout ça qui donne du Mass aujourd’hui. La musique va être violente, dans les samples, nous allons avoir des influences de partout, de The Bloody Beetroots, du trap… Après Mouss met sa voix et c’est ça qui fait Mass Hysteria, finalement.
« Je suis angoissé avec le monde actuel. Je ne suis pas insensible à ce qui se passe autour de moi, je suis en empathie, donc je souffre avec le monde qui souffre. Si je n’en avais rien à foutre, ce serait beaucoup plus simple pour moi. Donc je pense que ça se retrouve dans la musique. »
On sent même carrément du riffing thrash à la Slayer sur « Ma Niaque »…
Slayer, c’est ce que j’écoute depuis toujours. J’ai commencé par AC/DC, Scorpions et Maiden, et je me suis vite mis à Slayer. Slayer, c’est mon influence principale. Là, Jeff Hanneman est mort et, effectivement, le morceau « Ma Niaque » est assumé à fond comme un clin d’œil, un hommage à [Jeff] Hanneman. Nous voulions même presque le marquer dans le titre. Finalement, nous ne l’avons pas fait, mais ce sont des mecs, pour moi, pour Rapha [Mercier], pour d’autres aussi, qui ont changé nos vies. Donc oui, il y a des clins d’œil complètement assumés.
Mouss : Tout comme le clin d’œil dans « Chaman Acide », où c’est Stephen Hawking qui parle de la race humaine. Il dit, en gros, qu’on n’est pas seuls dans l’univers. C’est un clin d’œil aussi à ce grand astronome décédé. Nous ne le marquons pas mais nous espérons que ça s’entend.
Mouss, tu disais tout à l’heure qu’en écoutant les maquettes, au départ tu te demandais comment tu allais chanter sur ces morceaux. Au final, quand tu reçois ces riffs hyper punchy, violents de la part de Yann, ça te galvanise ou tu te sens vraiment dépassé par une telle décharge d’énergie ?
Il y a les deux sentiments. Il y a des morceaux qui me galvanisent tout de suite, j’ai déjà un flow en tête, ça me parle. Il y en a d’autres qui sont tellement bruts, qui sont même des fois hyper old school, je me dis : « Comment je vais chanter ? » Du coup, j’ai peur de chanter comme… Par exemple, si c’est un riff qui est un peu à la Hatebreed, instinctivement, je vais évidemment vouloir chanter un peu comme Hatebreed, alors que ce n’est pas du tout mon créneau, ce n’est pas mon ADN. Ces morceaux me font un peu peur, je me dis que je vais attendre un peu, je vais faire d’abord ceux qui me galvanisent, et ceux qui me « terrorisent » un peu ou qui me font un peu peur, ça viendra. Je sais très bien que ça finit toujours par arriver. Yann est de très bon conseil. Quand je suis un petit peu perdu, je lui demande comment il veut que je chante là-dessus, il me fait : « Je m’en bats les couilles, je veux de la haine et du sang ! » Donc je fais : « Ok, d’accord. » Je me démerde avec ça. C’est pour résumer.
Ça vous arrive de travailler un peu plus en symbiose ?
Oui, chacun amène sa came et, à un moment donné, il faut faire mélanger tout ça, et des fois ce qu’on amène n’est pas bien ou pas propice, il faut qu’on en parle, évidemment. Il faut que tout s’imbrique. Donc à un moment donné, quand tout le monde veut poser son truc, nous écoutons, nous nous parlons et nous commençons à tailler la pierre brute, à polir, à enlever des choses inutiles, les imperfections, et nous essayons aussi d’aller plus loin dans ce qu’il y a de bon dans le morceau. Même à la batterie, par exemple, aller plus loin dans le rythme de batterie. Nous poussons le curseur et nous voyons jusqu’où nous pouvons aller, mais évidemment qu’à un moment donné, nous nous parlons tous et nous sommes en symbiose. Sinon, ça serait un mille-feuille où chacun veut s’entendre et personne ne fait de compromis, ça c’est nul. Si, il y a peut-être les Vampas qui font ça, eux ils mettent tout à fond. Comme ils le disaient, c’était leur grand truc à l’époque : toutes les guitares à fond, la voix à fond, la batterie à fond, mais bon voilà, c’est plutôt une posture que… On est obligé de mixer à un moment donné.
Yann, quand tu arrives avec les morceaux, tu as déjà une idée de ce que tu veux que Mouss fasse dessus ou bien tu lui laisses toujours carte blanche ?
Yann : En fait, avec les années, et ça a pris du temps, j’avoue… Je dirais que des fois, le petit souci, effectivement, est que Mouss a besoin de temps parce qu’il se prend la tête pour écrire et je ne suis jamais déçu, au final, mais quand tu as les instrus pendant six mois… Je suis de l’école très anglo-saxonne, donc je me fais mes fantômes de ce que j’aimerais, et ça a posé quelques soucis sur d’autres disques, parce que quand il pose sa voix, ce n’est pas du tout ce que j’entendais. Et en fait, je me suis aperçu que c’est ça qui faisait Mass, finalement. Si sur un morceau à la Hatebreed, nous mettions un chant comme Jamey Jasta, Mass Hysteria ne servirait plus à rien. De plus en plus, je lui fais vachement confiance, et quand il pose son truc – nous le faisons ensemble –, c’est du Mouss et finalement c’est ce que je voulais.
Mouss : Yann, en fait, quand je pose mes voix, des fois où je ne suis vraiment pas certain ou sûr de moi, je lui demande : « Vas-y, dis-moi… » Mais en général, je fais mes trucs, et si je suis trop gentil dans le chant, il me dit : « Mouss, force un peu ton chant, fais un peu plus furieux. » C’est lui qui met la densité. Plus que les paroles, il me pousse au cul pour que ce soit vraiment couillu, viril, rentre-dedans, que ça se tienne, que ça fasse bonhomme ! Des fois, même quand je fais un flow « rappisant », il ne faut pas descendre en intensité, or moi j’ai tendance à descendre en intensité. Du coup, ça fait rap des Inconnus, si tu veux. Il me le dit : « Tu rappes un peu comme les Inconnus. » Donc il est toujours là pour la teneur en intensité.
Question intensité, il y a les cris à la fin d’« Arôme Complexe » qui sont même bien flippants…
Yann : Là en plus, nous avons notre petit nouveau, Jamie [Ryan], le bassiste, qui est assez doué dans tout, donc il pousse aussi des cris. Il a des groupes de hardcore. C’est lui qui pousse les gros cris à la fin. C’est aussi lui qui chante dans « We Came To Hold Up Your Mind », le dernier morceau.
Un morceau très électro, d’ailleurs, qui détonne un petit peu dans l’album…
Mouss : Si tu écoutes Mass depuis le début, nous avons toujours été technoïdes dans certains morceaux. Si tu prends « Donnez-Vous La Peine » sur le premier album, c’était dans cet esprit.
Yann : C’est ça, c’est un morceau qui a été fait un peu dans l’esprit d’avant, c’est-à-dire partir d’un morceau électro et puis mettre des instruments dessus. Sur les deux premiers disques, nous composions essentiellement comme ça. C’est un peu comme ça que nous avons fait ce morceau, retour à l’ancienne, avec effectivement de nouvelles influences, comme je disais tout à l’heure : The Bloody Beetroots ou Gesaffelstein que j’écoute aussi beaucoup. C’est aussi nous !
« Yann est de très bon conseil. Quand je suis un petit peu perdu, je lui demande comment il veut que je chante là-dessus, il me fait : ‘Je m’en bats les couilles, je veux de la haine et du sang !’ Donc je fais : ‘Ok, d’accord.’ Je me démerde avec ça. »
Malgré tout, sur le reste de l’album, on dirait que les samples et parties électro sont un peu plus en retrait par rapport à ce que vous faisiez fut un temps. Est-ce que vous avez cherché à lui donner un côté plus organique, plus brut ?
Il y a de ça mais ce n’est absolument pas voulu. Tu n’es pas le premier qui le dit, donc effectivement, mais les machines ont été faites pareil. Nous nous sommes quand même bien pris la tête dessus.
Mouss : Nous ne nous sommes pas dit que nous allions mettre moins de machines. Moi je ne le ressens pas, par exemple. Pourtant tu n’es pas le premier, des journalistes et des potes me l’ont dit aussi, donc ça doit être vrai. Mais ce n’est pas un parti pris de se dire : « Tiens, on va le faire plus organique, plus de guitare… »
Yann : Franchement, il n’y en a pas moins que sur Matière Noire.
Mouss : Je n’ai pas l’impression. C’est plus dans le mix, peut-être. C’est peut-être moins en avant sur certains passages. C’est peut-être Fred [Duquesne] qui nous a fait ça en loucedé dans le mix. Ce n’est pas une volonté, mais en tout cas, c’est très bien comme ça. Nous ne le ressentons pas comme ça forcément, nous ne nous posons pas trop la question, en fait. Mais tant mieux s’il y a un côté plus organique, plus rock’n’roll peut-être du coup.
La chanson « Partager Nos Ombres » semble rejoindre l’idée de L’Armée Des Ombres. Qu’est-ce que représente pour vous la métaphore de l’ombre ?
C’est là où tu vis tes premières expériences rock’n’roll, tes premiers cave-concerts, tes premiers bars quand tu es ado, tu es toujours dans des endroits plus sombres qu’ailleurs. Et après, il y a des références aux free parties, aux endroits où tu te rencontres avec tes potes pour aller faire les fous. Et les ombres, évidemment, il y a le clin d’œil à L’Armée Des Ombres : c’est plus ou moins à eux que je m’adresse, quand même, maintenant. Vu que nous avons un public barge, et pas un public large, ça nous convient très bien comme ça, après vienne qui veut. Toutes les ombres sont les bienvenues.
Dans cette chanson, tu parles de page blanche et de manque d’inspiration. Et il y a dans « Reprendre Mes Esprits » cette même idée mais aussi celle, indirectement, d’un choc, d’être déboussolé. Est-ce que tu te sens dépassé par le monde, comme si tu n’avais plus de mots pour en parler ?
Franchement, oui. Complètement. C’est pour ça que je ne vais pas te parler trop de politique, parce que ça tourne en rond leur bordel, et moi, qui suis-je pour changer les choses ? Si déjà des gens comme Gandhi ou des grands penseurs, des Stephen Hawking, n’ont pas réussi à changer l’état d’esprit des politiciens de ce monde… Même Einstein… Bon, lui a fait la bombe atomique, encore, il y a un petit côté fils de pute quand même. Mais voilà, il y a des grands noms qui n’ont pas changé le monde, alors moi, dans mon petit salon à Paris ? Après, il ne faut pas non plus perdre espoir, mais là nous nous sommes dit que nous allions parler d’autre chose parce que ça tourne en rond. Donc oui, forcément, avec des attentats, avec des mecs comme Macron à la tête de la France qui fait partie du règne des banques, je me dis qu’ils ont gagné, quelque part, les enculés.
Du coup, quand tu as abordé l’album, c’était la panne sèche ?
Complet ! Je me demandais de quoi j’allais parler. Après, je me suis dit que j’allais parler sûrement un peu de moi, mais je ne voulais pas en parler autant. Je me suis dit que j’allais commencer par ça parce que c’est ce que je connais de mieux ; supposément, je me connais un peu. Après je me suis dit que j’allais faire des morceaux fédérateurs, que j’allais parler de ceux qui nous soutiennent depuis vingt ans et de ceux qui viennent de rentrer dans les rangs depuis Matière Noire, L’Armée Des Ombres, tout ce bordel. Je me suis dit que nous allions faire un album fédérateur. Et après, tout ça mélangé, ça fait effectivement pour moi un album fédérateur, avec un peu de pessimisme ambiant sur le futur. C’est un album réaliste. Je ne suis pas gourou. Je ne donne pas de leçon ou de conseil, je dis juste faites les fous, pas les cons.
Et toi, Yann, ces problèmes d’inspiration, ça ne t’arrive jamais ?
Yann : Si. Là, quand nous avions fini Matière Noire, quand il a fallu recomposer… Mais je sais que ça revient. Tu sais, je suis tout le temps en train d’enregistrer plein de choses, et quand on arrive à la compo, j’ai tout le temps entre deux cents et trois cents idées qui traînent. Mais des fois il n’y a rien de bien [petits rires]. Ce sont des trucs enregistrés au volant de ma voiture, dans le métro, des fois il n’y a pas grand-chose de bien, mais en réécoutant tout, tu peux t’influencer de toi-même et aller trouver des trucs qui collent. Mais effectivement, quand tu sors d’un album qui a vachement plu, le risque, c’est d’avoir les fantômes de cet album… Donc oui, ça arrive mais ça se débloque assez rapidement. Je pense que c’est quand même plus facile que le chant parce qu’au bout de neuf albums, écrire me semble vachement plus compliqué que d’essayer de sortir des riffs efficaces.
Mouss : Les deux sont durs. Mais quand tu n’as pas confiance en ce que tu fais, tu en fais plein, j’écris plein de trucs, et des fois, il faut sortir la merde aussi, les trucs pas bons. Il faut sortir ça une bonne fois pour toutes et, déjà, tu sais que c’est ça qu’il ne faut pas faire, et après, une fois que tu as évacué les choses pas terribles, il y a des choses pas mal qui sont là, tu rebondis dessus et ça te donne la direction. Après ça vient. Une fois que tu as trois ou quatre riffs, par exemple pour Yann, dont on sait que ça va donner des morceaux, tu composes dans cette tendance-là. Tu as créé ton sillon. Il s’agit de refaire à chaque fois un sillon qui te convienne, qui te parle, qui résonne, etc. Il faut un petit peu de matière pour se lancer. Après, tu as des gens qui sont hyper doués, mais nous, ça prend un peu de temps.
L’album s’ouvre sur « Reprendre Mes Esprits », en général on reprend nos esprits après un choc, comme je le mentionnais tout à l’heure. Du coup quel a été ce choc ? Est-ce le choc de tout ce que la société a pu traverser et est en train de traverser, au niveau politique notamment, ou bien est-ce plus personnel ?
Non, « Reprendre Mes Esprits » est beaucoup plus personnel, en fait. Ça part d’un moment où il faut se remettre au travail, composer, et rien ne va dans ce sens-là. Tu as beau te mettre en retrait, aller à la campagne. C’est peut-être plus profond que… [petits rires]. Non, c’est un problème personnel. C’était cet hiver en début d’année, sans rentrer dans des détails. On a tous des problèmes à un moment donné. Tu sais, quand tu n’es pas bien, que tu commences à envoyer chier tout le monde autour de toi, c’est que tu as un souci quand même, donc il faut le régler. Je pense que je l’ai réglé, mais je n’en suis pas moins un gueulard encore, c’est dans la nature.
« Si déjà des gens comme Gandhi ou des grands penseurs, des Stephen Hawking, n’ont pas réussi à changer l’état d’esprit des politiciens de ce monde… Même Einstein… Bon, lui a fait la bombe atomique, encore, il y a un petit côté fils de pute quand même. Mais voilà, il y a des grands noms qui n’ont pas changé le monde, alors moi, dans mon petit salon à Paris ? Après, il ne faut pas non plus perdre espoir, mais là nous nous sommes dit que nous allions parler d’autre chose parce que ça tourne en rond. »
Comme tu l’as précisé, dans cette chanson, tu parles de ce retrait à la campagne, partir te ressourcer dans ta terre natale. Avec le rythme de vie effréné que vous devez avoir, à tourner sans arrêt, est-ce qu’il est important d’avoir un refuge, un endroit où se ressourcer, ne serait-ce que par l’esprit, un lieu qui représente l’enfance, une forme de réconfort ?
Exactement, oui c’est un refuge. Complètement. Puis, c’est bien des fois de se retirer. J’ai la chance d’avoir un refuge comme le Finistère. J’ai vécu mes vingt premières années là-bas, donc j’ai quelques souvenirs impérissables. Mais oui, c’est important pour tout un chacun. Après, il faut avoir les moyens aussi. Moi, par exemple, je n’ai pas de maison à la campagne. Je ne suis même pas propriétaire, donc… C’est aussi une question de budget. Si j’avais les moyens d’aller me reposer dans les Caraïbes, j’irais dans les Caraïbes, de temps en temps. Mais à défaut, et c’est plutôt pas mal, je viens de Bretagne. Si j’étais né à Dunkerque, ça serait plus difficile, je pense. Ce n’est pas pour dire du mal de Dunkerque ! Mais quand même, c’est un peu glauque… [Petits rires].
Yann, pour toi, ce serait quoi ce refuge ?
Yann : J’ai toujours eu un exutoire qui était le sport.
Mouss : Il a une hygiène de vie, c’est déjà ça !
Yann : Et puis c’est vrai que j’adore voyager aussi, mais comme le dit Mouss, après il faut faire avec les moyens qu’on a. J’aime bien, effectivement, des fois me prendre un billet pour Los Angeles ou ailleurs, prendre une voiture et rouler… Des fois avec ma copine, nous nous faisons des petits weekends, même pas loin, au bord de la mer. Rien que ça, c’est hyper reposant. Ou quand il y a un peu plus de temps, j’aime bien effectivement aller à Los Angeles, j’adore conduire là-bas. Il y a ça, et puis j’ai mon sport journalier qui me booste pas mal.
Mouss, tu parlais du côté fédérateur, et c’est quelque chose qu’on retrouve complètement dans « L’Antre Ciel Ether », qui semble être une nouvelle ode au metal. C’est un peu la suite de « Plus Que Du Metal », quelque part, non ?
Mouss : Ah, pas mal ! Je ne le voyais pas forcément comme ça, mais oui. Il y a quand même une espèce de poésie, de philosophie de vie à travers tout ça. C’est une bonne analogie !
Dans la chanson tu dis : « Nous fais pas chier avec un coin VIP. Notre coin VIP, c’est le pit. » Est-ce que quelque part, pour toi, l’espace VIP qu’on retrouve au Hellfest et sur de nombreux festivals n’est pas symbolique de la hiérarchisation de la société avec ses privilèges ?
Ça me rappelle un concert des Beatles, en 66 ou un truc comme ça, où ils sont à Londres, ils jouent devant leur public de furieux, de filles hystériques et de rockeurs hystériques, et il y avait un balcon VIP pour les gens comme la reine et autre – enfin, je ne sais pas si la reine était là mais il y avait des gens de la haute société. Et à la fin d’un morceau, John Lennon dit : « Ceux qui sont dans la fosse, je vous demande d’applaudir, et ceux qui sont dans le VIP, de secouer vos bijoux et vos diamants pour faire du bruit. » Il fallait une putain de paire de couilles pour dire ça, à ce moment-là ! [Petits rires] C’est comme si aujourd’hui il y avait tout un parterre de grands noms de la politique qui venaient te voir, à savoir ceux qui te donnent les finances, ceux qui ont l’argent, à qui il faut des fois, enfin, pas leur lécher le cul, parce que les maisons de disques sont là pour ça… Je ne sais pas si j’aurais les couilles de dire un tel truc. Donc je le dis dans le morceau.
Yann : NTM l’a fait aussi ! Pas à cette reformation-là mais à l’autre, c’était à Bercy, Joey Starr avait dit : « Vous je vous aime, mais vous là à gauche, je ne vous aime pas », ou quelque chose comme ça. Après, il ne faut pas non plus cracher dans la soupe. En fait, ce qu’il se passe est que nous, en tant que musiciens, nous avons souvent accès à ces endroits-là, et avec les années, tu t’aperçois… Par exemple, quand je vais au Hellfest, j’ai accès au VIP mais je n’y suis jamais, parce que je vais voir mes concerts, je vais dans le public… Ça m’arrive d’y aller pour me reposer, je ne vais pas dire le contraire, mais il y a un parterre de gens qui sont juste là pour se montrer, et moi ça me fatigue de les voir. Encore au Hellfest, ça va, parce qu’il y a des gens que nous connaissons, etc. mais c’est encore plus frappant quand tu vas dans un festival comme Rock En Seine ou autre, tu vas au bar VIP, c’est horrible. Les gens ne vont même pas voir les concerts, tu as même des journalistes qui ne vont même pas voir les concerts et qui te font des chroniques après.
Mouss : Bref, c’est une boutade à tout ça. Mais nous n’allons pas cracher dans la soupe non plus.
Toujours dans cette chanson, tu dis aussi : « Les planètes s’alignent, on vise le Zénith. » Et il se trouve que vous jouerez au Zénith le 6 décembre. C’était un objectif préparé de longue date ?
Oui, complètement, mais ce n’a pas été voulu de le chanter et que nous le fassions. Ça n’a pas de rapport. Ça tombe bien mais c’est une coïncidence. Le Zénith, nous en parlions de longue date, mais quand j’écrivais, nous ne savions pas que nous allions le faire, vraiment. Je ne m’en souviens pas, en tout cas. Inconsciemment, peut-être. Mais non, aucune corrélation, c’est juste que ça tombe bien. C’est un signe comme quoi il fallait que nous le fassions et que ça va bien se passer.
Qu’est-ce que ça représente pour vous ?
Nous nous faisons plaisir !
Yann : Nous avons déjà joué partout à Paris et là c’est un challenge. Après, le Zénith a plusieurs jauges. Nous allons déjà essayer de remplir la plus petite et nous verrons après. Mais c’est sûr que ça fait super plaisir.
« Ce n’est pas normal d’être sur scène devant des gens qui sont au taquet ! Quand tu as connu ça et que c’est ton métier, c’est galvanisant, c’est quelque chose de complètement fou. […] Par exemple, Johnny Depp qui fait de la musique à côté, je suis sûr qu’il prend plus son pied sur une scène devant trois cents personnes qu’en allant faire un film pendant trois mois. Mais ce n’est pas la même paye. »
Vos pochettes d’album ont toujours mis en scène des gens, ça renvoie évidemment au côté humain qui vous tient à cœur, mais en l’occurrence, ça a souvent été des femmes : Matière Noire, Une Somme De Détails, et maintenant Maniac. Qu’est-ce que la femme représente pour vous ?
Mouss : Tout ce que nous ne sommes pas, déjà [rires]. Si tu veux faire court, nous sommes cinq hétéros, donc… Si nous étions cinq homos, par exemple, peut-être que nous ne mettrions que des mecs sur les pochettes. Il faut aussi faire cette analyse : on met des femmes parce que c’est ce que nous trouvons de plus beau, c’est ce qui nous attire le plus, en tout cas. La beauté est féminine pour nous. Après, si elle était masculine, nous mettrions des mecs.
Yann : Je m’occupe pas mal de tout ce qui est image et visuel, etc. et effectivement, sur Matière Noire, quand j’ai l’idée de mettre du liquide noir qui coule sur un corps, comme le dit Mouss, je vais plus choisir un corps féminin parce que je trouve ça plus…
Mouss : C’est comme les peintres : ils peignaient souvent leur muse. Leur inspiratrice, c’était souvent des femmes.
Yann : Et d’ailleurs, sur Maniac, il y a une femme et un homme. Après, c’est elle qui a remporté la couverture. Parce qu’il y avait aussi des photos où lui était là, mais les photos avec la fille tapaient plus. Mais à l’intérieur du livret, il y a les deux.
Mouss : Et il y a deux albums où nous avons mis un homme. Failles, c’est quand même un visage d’un SDF bien marqué. De Cercle En Cercle, c’est un cosmonaute. En fait, nous ne nous posons pas la question. J’essaye de te répondre de façon assez triviale mais nous ne nous disons pas « tiens, il faut qu’on mette une femme ». Il faut que nous ayons une pochette qui mette une tartine dans la gueule, et si ça avait été plus violent et plus fort avec un mec, nous aurions mis un mec. Il n’y a pas de raison particulière.
J’imagine que sur Maniac, on doit voir dans l’image de cette femme bouche cousue un rapprochement avec la libération de la parole des femmes, les mouvements #BalanceTonPorc et #MeToo ?
Nous sommes plus dans la parole des femmes que le #BalanceTonPorc. Je veux dire que les meufs qui balancent, par exemple, « il m’a violée », c’est ta parole contre la sienne. Tu règles ça avec des tribunaux. Tu vois ce que je veux dire ? Tu peux dire tout et n’importe quoi. A la fin, tu te rends compte que le mec n’est pas condamné, ça a été prouvé que ce n’était pas vrai, mais il va passer pour un salaud toute sa vie. Par exemple, je pense à Depardieu, je ne sais pas s’il a violé cette petite meuf, mais nous connaissons des gens qui gravitent un peu autour de Depardieu, et nous sommes fans de Depardieu, et je ne vois pas ce mec abuser d’une meuf. Après, bon… Mais cette image n’a rien à voir avec tout ça, mais ça a à voir avec l’identité féminine qui depuis longtemps est abusée et pas entendue, soit dans la violence conjugale, soit dans les milieux professionnels. Par exemple, ce qui nous choque le plus aujourd’hui, c’est qu’à travail égal, une femme est moins payée. Ça, ça nous ulcère. C’est plus là-dessus et la violence qu’elles subissent.
Yann : Mais à la base, c’est pris sur un dessin d’un artiste qui s’appelle Jean-Luc Navette que nous trouvions très beau et que nous avons mis au naturel.
Mouss : Evidemment, une femme avec la bouche cousue, on se dit tout de suite, et à raison, que c’est l’homme qui nie la parole des femmes, qui ne les entend pas, etc. En substance, c’est ça, au-delà de la substance artistique pure de la photo.
Maniac, en anglais ça peut vouloir dire fou ou accro. Et vous faites ce jeu de mots avec « Ma Niaque ». C’est votre état d’esprit aujourd’hui ? Accro à Mass Hysteria, au metal, au public, à l’adrénaline des concerts ?
A fond ! C’est notre came !
Yann : C’est notre drogue à nous !
Mouss : c’est quelque chose qui ne s’achète pas. C’est quelque chose que tu acquiers avec de la musique. C’est quelque chose de super subjectif, aléatoire. Il y a des groupes qui ont arrêté la musique parce qu’ils n’arrivaient pas à en vivre, ils ont été obligés de faire un autre métier. Ce sont des potes, et quand ils nous voient, ils nous le disent, ils gagnent mieux que nous maintenant financièrement mais ils ne font plus de musique, et ils préféreraient gagner moins et avoir pu continuer à faire de la musique, par exemple. Il y a ce truc sur scène… Ce n’est pas normal d’être sur scène devant des gens qui sont au taquet ! Il y a quelque chose de pas normal, ce n’est pas ordinaire. Quand tu as connu ça et que c’est ton métier, c’est galvanisant, c’est quelque chose de complètement fou. C’est ce que recherche tout adolescent qui veut être rockeur ou faire de la musique, avoir une foule hystérique devant soi. Même les acteurs ont des fantasmes de rock star. Par exemple, Johnny Depp qui fait de la musique à côté, je suis sûr qu’il prend plus son pied sur une scène devant trois cents personnes qu’en allant faire un film pendant trois mois. Mais ce n’est pas la même paye.
Yann : Après, le titre de l’album en soi, c’était un peu un quiproquo au départ…
Mouss : Oui, Yann n’avait pas tout de suite capté que le titre de la chanson était « Ma Niaque » en deux mots. Et le compromis est qu’il voulait le mot « maniac » pour l’album, il trouvait ça beaucoup plus universel, ça parlait plus aux gens, et beaucoup plus fort, notamment pour notre style de musique, que d’essayer de mettre un double sens dans un titre d’album. Et puis parmi les différents sens du mot, il y a le côté « furieux », qui du coup nous va bien. J’ai donc gardé mon double sens pour le titre du morceau, et Yann a gardé le titre fort en un seul mot pour l’album.
Yann : Mais tout se rejoint un peu.
Mouss : Et puis ça donne deux sens différents dans un album, ce qui est plus intéressant que de rester sur un même thème. Nous jouons avec des mots et des sens, c’est la licence artistique.
L’année prochaine vous êtes programmés au Hellfest pour un show spécial. Qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ?
Yann : Rien pour l’instant [rires]. Il faut déjà que nous nous concentrions dessus. Tout ce que nous savons est que nous allons rester nous-mêmes et que nous allons essayer de faire un truc travaillé. Nous allons nous reprendre la tête sur des lights, le spectacle, le décor, etc. Nous allons essayer de faire un truc à la hauteur de ce que peuvent faire les ricains quand ils jouent à l’heure où nous allons jouer.
Mouss : Nous y pensons mais là, nous avons la première salve de dates qui tombe sur les clubs. Nous sommes plus là-dessus. Nous allons nous pencher sur le show du Hellfest pendant les fêtes, je pense. Nous avons des idées, mais nous ne les avons pas encore mises en confrontation avec tout le monde, donc chacun a ses petites idées et nous prenons notre temps.
Parce que vous aviez fait un show un petit peu spécial pour le Download déjà, mais j’ai cru comprendre que vous aviez été un petit peu mitigés par cette prestation…
Non, pas du tout, c’est juste que cette date est venue un peu vite, nous étions pris de court alors que nous étions en pleine compo. Nous n’étions pas du tout dans une dynamique de live, et surtout pas de faire un concert exceptionnel. Ce n’est pas que c’était mitigé, c’est que nous aurions pu faire mieux, mais nous n’avions pas le temps pour le faire mieux.
Yann : Et puis finalement, ça s’est super bien passé.
Mouss : Mais le Hellfest n’aura strictement rien à voir avec le Download. Déjà, il n’y aura pas d’intervenant, pas de danseuse, si tu veux.
Interview réalisée par téléphone le 23 octobre 2018 par Nicolas Gricourt.
Transcription : Nicolas Gricourt.
Photos : Eric Canto.
Facebook officiel de Mass Hysteria : www.facebook.com/masshysteriaofficiel
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