Un concert de Mastodon dans un aquarium. Oui, dans un aquarium. Une opportunité aussi unique qu’atypique pour les natifs d’Atlanta qui ont, dès leurs débuts, exprimé leur affinité commune avec le monde aquatique via l’album Leviathan, notamment inspiré par le conte populaire de Moby Dick.
Soucieux de respecter la tranquillité des habitants du domaine marin et de ne pas dénaturer leur identité musicale, Mastodon a soigneusement sélectionné les morceaux qui allaient faire écho dans cette salle principale de l’aquarium et qui allaient être transposés en version acoustique. Ou presque… Si la batterie arbore un kit plus modeste et que deux guitares sur trois sont électro-acoustiques, le groupe n’a pas complètement évincé la distorsion de leur formation : tour à tour, Brent Hinds et Bill Kelliher assurent la composante granuleuse avec la dextérité qu’on leur connaît. Cet arrangement d’ensemble a même le mérite de rendre plus clairs certains passages particulièrement chargés qu’on peinait à décortiquer sur les albums.
Les premières notes tendues et équilibristes de « Naked Burn » ainsi que les arpèges lancinants de « Asleep In The Deep » nous emmènent sans efforts dans un mélange à la fois sombre et inquiétant qu’affectionnent particulièrement les musiciens de Géorgie. Celui ou celle qui s’attendait à un spectacle grandiloquent bénéficiant d’un environnement aquatique instrumentalisé sera bien déçu. Au contraire, Mastodon a judicieusement opté pour une ambiance intime, tour à tour oppressante puis tranquille, nerveuse puis sereine. Les musiciens semblent posés là, avec humilité. Les innombrables reflets constants et les bancs de poissons qui sillonnent l’arrière-plan forment une image assez surréaliste, parfois presque grotesque tant on peine à assembler les deux réalités lorsque des incrustations de requins ou de pieuvres viennent parader.
Mais l’œil s’accommode au bout de quelques minutes et l’attention se porte pleinement sur la matière musicale revisitée pour l’occasion : « The Czar ». Les avant-propos de Troy Sanders résonnent avec une évidence difficile à discuter : les compositions de Crack The Sky sont les plus brillantes de toute la discographie de Mastodon, et la qualité de la version acoustique qui nous est offerte ici ne fait pas exception. On redécouvre à l’occasion les phrasés torturés de Brent Hinds et de Bill Kelliher via une harmonie savamment construite entre les deux guitares électriques et acoustiques qui ne perdent pas leur impact sur les riffs plus lourds du morceau. Le trio vocal est à l’image des derniers albums : très équilibré avec des timbres de voix propres à chacun. On peut cependant repérer à plusieurs endroits une inadéquation entre la voix mixée et le mouvement des lèvres des chanteurs à l’écran. Un vulgaire décalage de l’audio et de la vidéo, ou un enregistrement plus propre de certaines voix post-concert ? La dernière hypothèse pourrait d’autant plus se comprendre vu la technicité des compositions instrumentales de Mastodon. Après tout, inutile de guetter les raccords et les rajouts, ils sont monnaie courante dans ces situations et ne nuisent pas à l’expérience du public, bien au contraire.
L’inédit « Squeletor Of Splendor » rend un hommage vibrant au regretté Nick John, ami et manager du quatuor jusqu’en 2018. Entre tristesse et amertume, l’interprétation de Mastodon est d’une justesse particulièrement touchante sur ce morceau. « The Sparrow » cultive quant à lui un peu plus le chagrin et distille une mélancolie fleuve qui s’achève sur des accords acoustiques plutôt inconfortables pour quiconque ne connaît pas les contours mélodiques des Américains. Côté mise en scène visuelle, la production reste très sobre avec des enchaînements classiques de plans serrés sur les musiciens puis des mouvements d’ensemble agréables mais qui manquent souvent d’originalité. On peut regretter l’absence d’essais plus audacieux vu le cadre authentique dans lequel le concert prend place.
Le groupe d’Atlanta bascule ensuite sur le dernier fragment de son concert avec le sinueux « Thickening » suivi par « Elephant Man » et « Pendulous Skin » qui sont toutes deux dédiées à Joseph Merrick avec une douceur significative des fins d’albums de Mastodon. On ressentira d’ailleurs certaines longueurs nonobstant le côté inédit de l’aspect live de « Elephant Man » ainsi qu’un savoureux solo de Brent Hinds. Le groupe achève sa prestation authentique par les arpèges résonnants de « Pendulous Skin » et la voix traînante du soliste qui se dissout petit à petit dans les profondeurs de l’aquarium d’Atlanta.
Setlist :
Naked Burn (première fois en live depuis le 18/07/2014)
Asleep In The Deep
The Czar
Skeleton Of Splendor (première fois en live)
Sleeping Giant
The Sparrow (première fois en live depuis le 19/07/2014)
Thickening
Elephant Man (première fois en live)
Pendulous Skin (première fois en live)
Photos : Harold Seller.