L’arrêt d’un groupe est souvent, pour un artiste, une petite mort. On a beau s’y préparer, l’envisager, la sentir venir : l’expérience peut rester extrêmement dure à vivre pour le principal ou les principaux concernés. La fin de The Last Embrace, après vingt ans d’activité, a par exemple été très compliquée à gérer pour Olivier (guitare) qui avait mis toute son énergie dans le projet. Mais le compositeur, qui évolue notamment dans Ovtrenoir, a su rebondir pour proposer, avec son nouveau groupe Maudits, un projet « post-metal/doom/prog/ambient instrumental » aussi riche que profond. Les critiques sont d’ailleurs très élogieuses sur ce premier disque, intitulé Maudits, sorti le 2 octobre chez Klonosphere.
Discuter avec Olivier, il y a quelques jours, a été un vrai plaisir. Car notre interlocuteur respire l’humilité, lui qui nous confiera par exemple préférer créer des riffs plutôt que de travailler la technique. Le musicien soulignant dans cette optique la chance qu’il a de travailler avec ses deux collègues dont le niveau l’impressionne : « Il est hyper facile de composer avec des mecs qui captent tout de suite ce que tu veux et qui gèrent pendant les prises studio et live. C’est royal ! ».
Maudits vient du fait qu’Olivier souhaitait continuer à faire de la musique avec Anthony et Chris, qui étaient déjà dans The Last Embrace. A l’époque, notre interlocuteur écoutait beaucoup de groupes instrumentaux et avait de nombreux riffs en stock. Le trio a commencé à bosser dessus et n’a pas souhaité « charger » davantage la musique avec une voix ou en faisant appel à des membres extérieurs. En effet, composer avec et sans chant n’est pas du tout la même approche. « Il faut vraiment trouver les bons gimmicks pour que les gens accrochent à une musique sans chant », expliquera Olivier au cours de cette discussion dont vous avez un résumé ci-dessous :
« Nous sommes très heureux car 95% des chroniques n’ont pas reproché le côté instrumental de l’album en disant que, potentiellement, une voix manquait. Ce disque a été composé dans l’esprit d’une musique de film, où l’attention est plus posée sur l’ambiance et sur les petits thèmes de guitare, de basse ou de batterie. Donc la voix ne manque a priori pas. Personnellement, j’aime beaucoup les groupes un peu stoner comme God Is An Astronaut car ils arrivent à se passer de chant mais il se passe tout de même quelque chose. Il faut faire vivre sa musique autrement. Si on m’avait dit juste avant le split de The Last Embrace que je ferais un groupe sans chant… je n’y aurais pas cru ! Je n’avais déjà pas suffisamment confiance en moi pour le faire… Cette confiance, je l’ai gagnée après, grâce à tous les retours positifs que nous avons sur Maudits. En y pensant, c’est presque plus compliqué de composer avec un chant mélodique que sans : il faut bien aborder les refrains et ne pas trop charger en arrangements pour vraiment laisser sa bonne place au chant.
Au-delà de la musique, avec Maudits nous essayons de nous appliquer à tous les niveaux : l’esthétisme des clips, l’artwork, bref tout. Cela vient avec l’expérience car j’estime m’être planté avant. De mon point de vue, j’aurais dû mettre plus d’énergie sur ce terrain-là. Les visuels de The Last Embrace étaient plutôt cool mais je ne saisissais pas vraiment l’importance des clips, du visuel, de la façon dont tu présentes ton projet. Ça me tenait à cœur à seulement 50%. Maintenant, je mets d’abord toute mon énergie dans la musique et, une fois que tout est fait, je m’occupe de l’artwork. Et ce avec les bonnes personnes pour faire quelque chose de cohérent. C’est aussi beaucoup de temps, un investissement financier… mais cela me tenait à cœur tout autant que la musique. Aujourd’hui, je ne sortirais plus de formats physiques sans avoir un visuel qui tienne la route. En conséquence, je préfère prendre un an de plus avant que le tout ne sorte.
Ce sont vraiment les discussions avec Dehn Sora de Throane qui m’ont fait prendre conscience de la question de l’univers et de l’identité. Dehn Sora a une vision globale de sa musique : à savoir musicale, bien entendu, mais aussi visuelle. Nous avons fait de nombreux concerts avec Throane et, sans pour autant exagérer, il tenait à ce qu’on s’habille tous de la même manière, qu’il y ait des vidéos backup etc. Le concert que nous avons fait au Roadburn m’a vraiment fait réaliser l’importance d’avoir une démarche artistique globale : il a tout fait pour qu’il y ait un visuel super impressionnant et ça a scotché tout le monde. Le visuel est important car il happe les gens et cela permet de rentrer dans la musique. Si tout est cohérent, l’expérience est juste mortelle. Le clip de William Lacalmontie pour la chanson « Verloren Strijd » met en avant un homme seul dans sa grotte qui vit des turpitudes émotionnelles. Nous sommes très satisfaits du résultat.
Au final, je pense avoir dépensé plus d’argent dans les clips et le visuel que dans la musique. Nous avons pris deux jours pour réaliser celui avec William. Nous avions même dû acheter des feux de Bengale et nous n’avions que soixante secondes pour tourner les prises ! Cela a pris énormément de temps mais je préfère sortir deux clips bien faits plutôt qu’inonder le Facebook ou le YouTube en postant des playthroughs… Perso, ce genre de choses ne m’intéresse pas. Après, je peux comprendre la stratégie qui vise à poster tous les jours pour maintenir l’intérêt. Mais je trouve que cela dessert les artistes, notamment les artistes metal qui sont très bons musicalement mais qui font souvent n’importe quoi sur les réseaux sociaux et qui passent pour des truffes ! L’exigence doit tout autant être musicale qu’esthétique et il faut rechercher la qualité en permanence.
Concernant William Lacalmontie, c’est presque lui qui a choisi le morceau du clip ! Nous revenions de la session photo-promo de l’album et j’ai dit « putain, j’aimerais bien faire un deuxième clip ». Je savais qu’il faisait un peu de vidéo mais je ne lui avais pas forcément proposé parce qu’il n’en avait pas fait depuis longtemps. Finalement, nous avons écouté l’album et il a beaucoup aimé le dernier morceau, « Verloren Strijd », très lourd et répétitif. Je n’avais pas du tout prévu de mettre ce morceau-là en avant, même si je l’aime aussi beaucoup. Pour la petite histoire, ce morceau ne devait pas faire partie de l’album, nous l’avions un peu improvisé en studio : le batteur a eu l’idée de faire quelque chose de chaotique avec une boucle de batterie toute conne.
Ensuite, j’ai pris deux jours pour l’écouter et caler des trucs par-dessus. Puis nous l’avons enregistré avec le producteur, il a tout mixé vite fait et voilà ! Ce qui devait être un EP est devenu un album. William a eu l’idée d’un personnage qui déambulerait dans le fort – là où nous avions fait la session photo-promo – avec un côté schizo, un peu fou et c’est parti de là. Il avait son idée, je lui ai fait confiance en le laissant faire ce qu’il voulait. Je savais que les choses allaient bien se passer, quel que soit son procédé de création. Même si le tout peut être long et laborieux, il était totalement libre et c’était mieux comme cela. Ce n’est pas mon domaine, donc je laisse faire et le résultat sera forcément bon. Si je l’avais bridé, le rendu n’aurait pas marché.
Concernant notre actualité, nous avons maintenant deux projets en cours. Ces histoires de Covid nous ont empêchés de répéter et de monter des projets mais nous avons prévu de sortir un EP. Je ne sais pas encore sous quelle forme, ce sera une réinterprétation de A à Z de trois morceaux du premier album. Je pense qu’on va vite l’enregistrer, sûrement en début d’année prochaine. Le deuxième album est quant à lui maquetté à 90%. Nous avons pris deux mois pour travailler dessus pendant le premier confinement. Il y aura peut-être des changements sur certains morceaux mais j’aimerais l’enregistrer à l’été prochain. Nous verrons après pour une date de sortie. Nous allons essayer de caler l’EP, des lives et dès que possible, aller en studio pour enregistrer ce deuxième album. »
Line-up :
Olivier – guitare
Anthony – basse
Chris – batterie
Vidéo de la chanson « Verloren Strijd » :
Vidéo de la chanson « Maudit » réalisée par Dehn Sora :
La commande de l’album est disponible ici et vous pouvez également suivre Maudits sur Facebook, YouTube, Bandcamp et Instagram.
Interview : Amaury Blanc.
Retranscription : Natacha Grim.