2019 est une année particulière pour Mayhem : après une longue tournée consacrée au légendaire De Mysteriis Dom Sathanas, un film apocryphe qui évoque l’histoire agitée du groupe, Lord Of Chaos, et un nouvel album, Daemon, qui prouve que le combo a su préserver la flamme de ses jeunes années, le groupe semble plus légendaire que jamais. Pionniers du true Norwegian black metal, il revient de deux albums particulièrement cryptiques – Ordo Ad Chao et Esoteric Warfare – avec un disque agressif et enflammé, à la fois fruit d’un travail particulièrement collaboratif et de tensions internes plus ou moins bien canalisées. Bref, autant dire qu’on avait beaucoup de questions à poser aux membres du groupe : ça tombe bien, on a pu le faire en deux fois, d’abord en nous entretenant avec le fantasque Attila Csihar, tout en accent hongrois et en éclats de rire tonitruants, puis en discutant avant un concert avec le même Attila accompagné des guitaristes Teloch et Ghul.
Beaucoup de questions donc, auxquelles le trio a répondu avec franchise et générosité, abordant tant l’actualité brûlante que l’historique accidenté de Mayhem. Un voyage dans le temps de trois décennies où le trio évoque la tournée marathonienne qu’il a consacrée à De Mysteriis De Sathanas, la genèse de Daemon, mais aussi les tout débuts de Mayhem et Tormentor, et le black metal contemporain. Hail Satan !
« Même pour nous, ce n’est pas rien de toucher à De Mysteriis Dom Sathanas. »
Radio Metal : Une fois de plus, vous avez pris votre temps pour sortir le nouveau Mayhem – cinq ans – même si cette fois-ci, le line-up est resté le même. Est-ce que l’album n’a pas été votre priorité sur cette période ou est-ce que vous avez eu besoin de ce temps pour vous renouveler et retrouver l’inspiration ?
Attila Csihar (chant) : Non, pas vraiment… Ce qu’il s’est passé, c’est que nous avons dû faire ces concerts De Mysteriis Dom Sathanas. Ça faisait des années qu’on en entendait parler. Rune [« Blasphemer » Eriksen] ne voulait pas du tout le faire, puis il y a eu des changements dans le line-up qui nous ont beaucoup occupés, donc nous n’avions pas l’occasion d’y penser sérieusement. Puis nous avons eu cette proposition… Elle n’était même pas particulièrement géniale – ça reste une super proposition cela dit – mais nous devions jouer à un festival en Suède et ils nous ont dit qu’ils voulaient que nous jouions l’album De Mysteriis Dom Sathanas en entier. Nous nous sommes dit : « Putain ! OK, peut-être… » Même pour nous, ce n’est pas rien de toucher à cet album… Mais nous nous sommes dit que comme nous avions enfin un line-up solide et que tout le monde était séduit par l’idée, ça valait peut-être le coup d’essayer. Nous avons fait ce concert, ça s’est très bien passé, nous l’avons même enregistré et sorti en album live (De Mysteriis Dom Sathanas Alive). Bref, nous nous sentions enfin suffisamment à l’aise pour jouer ces chansons. À partir de là, évidemment, on nous a fait d’autres offres, d’abord pour nous demander de le faire aux États-Unis. Nous nous sommes dit : « OK, pourquoi pas pour vous aussi ? » Puis nous en avons reçu d’autres… Voilà comment ça s’est passé. Nous nous sommes dit que beaucoup de monde était intéressé, donc nous en avons fait une tournée, ce qui évidemment a pris beaucoup de temps. Mais je pense que c’était une bonne chose à faire malgré tout, ça nous a fait du bien, et je crois qu’en plus, le timing était plutôt bon puisque nous sommes parvenus à la faire avant que le film [Lords Of Chaos] ne sorte, ce qui est cool. Enfin, il y a un peu plus d’un an, nous avons commencé à nous atteler à la suite, à parler du nouvel album, et nous avons enfin pu passer à autre chose.
Ça a été comment de jouer De Mysteriis Dom Sathanas en entier ?
Ça a été intéressant… C’était très différent de ce que nous avions pu faire précédemment. Nous ne jouons jamais le même concert deux fois. Quand c’est une tournée, évidemment, les choses sont un peu calées, mais depuis que je suis dans le groupe, nous changeons de set-list à chaque tournée. Là, c’était la même chose chaque soir, mais c’était bien aussi. J’ai bien aimé cette nouvelle expérience qui, une fois de plus, a été différente. Je crois qu’à vrai dire, nous en avons peut-être fait un peu trop [petits rires]. Mais assez vite, il y a eu beaucoup d’intérêt autour de ces concerts. Personnellement, j’en aurais fait un événement plus unique, plus rare, mais ce n’est pas grave, c’est comme ça.
Teloch (guitare) : Nous aurions sans doute pu en faire beaucoup plus !
Attila : C’est sûr ! Nous aurions pu ne jamais nous arrêter et tourner éternellement avec cette set-list !
Ghul (guitare) : Mais sur la fin, ça devenait un peu déprimant. Ce n’est pas très bon pour ton sens musical de ne jouer que huit chansons en boucle.
Attila : Moi, j’ai trouvé ça assez chouette, mais oui, à un moment, il a fallu arrêter. Les gens voulaient que nous revenions à chaque fois ! Nous sommes allés en Amérique du Sud et ils nous ont dit : « Hé les mecs, revenez ! » En Europe, pareil ! « Revenez, revenez, revenez ! » Au bout d’un moment, nous tournions même dans des petites villes, on nous proposait des clubs pourris, or nous ne voulions pas présenter cet album légendaire dans des lieux complètement merdiques. Et puis j’aurais trouvé ça vraiment nul de ne jouer que cet album pendant trop longtemps. Mais il méritait bien une tournée et le moment idéal était enfin arrivé pour que nous puissions le faire. Mais enfin, c’est fait, et maintenant nous avançons et c’est désormais Daemon qui nous intéresse.
Est-ce que la tournée a influencé ce nouvel album ?
Ghul : Clairement, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. Nous avons toujours dit que nous ne voulions pas faire un De Mysteriis 2 ; ça aurait vraiment été naze. En revanche, ce que nous avons essayé de faire, c’est de retranscrire un peu de son atmosphère dans le nouvel album, et je pense que de ce point de vue-là, rejouer De Mysteriis sur environ deux cents dates a beaucoup aidé. Non seulement pour ça, mais aussi pour retrouver l’essence de ce que nous écrivions. Mais c’est clair, ça a joué un rôle, je pense que ça n’aurait pas pu en être autrement. Nous n’avons quasiment joué que ces huit chansons pendant deux ans !
Attila : Je crois que tout ce que nous faisons finit par nous influencer, de toute façon. Grâce à cette tournée, nous sommes devenus plus proches, plus à l’aise entre nous. Pour moi, c’était ça, l’objectif de Daemon : nous réunir, renforcer nos liens et faire passer cette cohésion à l’étape supérieure. C’était ce que j’avais en tête dès nos premières discussions. Nous nous sommes dit : « Et si nous remontions avant même l’époque de De Mysteriis ? » C’était une manière de faire quelque chose de différent, et c’est très inspirant, c’est toujours une bonne chose de sortir de sa zone de confort. J’aime les défis, j’aime faire des choses différentes, que je n’ai jamais faites. Dans ce cas, ça s’est fait sous la forme d’un retour aux sources. Je crois que tout est lié d’une manière ou d’une autre. Je crois que la tournée De Mysteriis a joué, et qu’elle a fait évoluer ma manière d’envisager les albums de Mayhem. Pour la plupart des albums de Mayhem dans lesquels j’apparais, comme le dernier album, Esoteric Warfare, c’est moi qui suis aux manettes avec le compositeur, que ce soit Morten [Teloch] ou Blasphemer. Avant ça, pour Chimera et Grand Declaration Of War, ça marchait un peu de la même manière. La dernière fois que tout le groupe était impliqué dans le processus, c’était à l’époque de De Mysteriis Dom Sathanas et Deathcrush. Je crois que ça a fait émerger cette volonté très positive d’impliquer tout le monde dans l’intégralité du processus artistique. Pour cet album, nous avons fonctionné comme une équipe : certains se sont mis à écrire des paroles, des choses vraiment chouettes, au point que pour certaines chansons, je n’ai presque rien eu à modifier, je me suis contenté de les mettre en forme. À côté de ça, j’ai évidemment écrit des trucs moi-même, comme d’habitude. Mais c’était une manière de faire fructifier ces liens que nous avons renforcés lors des tournées : avec Daemon, nous avons voulu découvrir ce qui se passerait si nous apportions tous notre patte à la musique, si vraiment, nous joignions nos forces, comme ça a pu être le cas au tout début du groupe. C’est en ça qu’il est unique, c’est ça, le concept qu’il y a derrière ce disque. Ce n’est pas un album-concept comme les précédents, mais l’idée générale, c’est que nous étions tous impliqués.
« Il y a pas mal de problèmes de santé mentale dans ce groupe, et des personnalités très fortes. […] Il y a donc pas mal de disputes et coups de sang. Mais c’est comme ça qu’on fait un album de ce genre, je pense : la tension est palpable à l’écoute. »
C’est donc votre deuxième album avec ce nouveau line-up ; comme tu le disais, les tournées ont renforcé vos liens, mais apparemment, le processus n’a pas été simple pour autant : le communiqué de presse mentionne que « la colère, la frustration et des galères incessantes » ont émaillé le processus d’écriture…
Ghul : Oui, il y a pas mal de problèmes de santé mentale dans ce groupe, et des personnalités très fortes. Tout le monde a sa propre idée de la manière dont les choses doivent être, et tout ça n’est pas toujours très harmonieux. Il y a donc pas mal de disputes et coups de sang. Mais c’est comme ça qu’on fait un album de ce genre, je pense : la tension est palpable à l’écoute.
Attila : Oui, ce groupe, c’est une bande de mecs complètement dingues [petits rires]. Nous sommes fous, mais nous mettons notre folie dans notre musique, dans notre art. C’est putain de compliqué d’arriver à faire fonctionner tout ça, mais quand on y arrive, c’est là que ça devient magique, je trouve.
Teloch : Nous avons tous apporté des idées pour cet album, c’est une collaboration entre tous les membres du groupe, comme le disait Attila. Tout le monde a apporté sa touche à cet album. Nous avons essayé pas mal de choses avant d’aboutir à Daemon. Je crois qu’il nous reste quelques heures d’enregistrements supplémentaires. Ça a été un long processus durant lequel nous avons appris de nos erreurs, de nos discussions et de nos disputes. Tout ça s’est fait naturellement.
Attila : Chaque album de Mayhem nécessite beaucoup d’énergie et beaucoup de sacrifices. Ça a toujours été assez difficile parce que faire un album, c’est toujours prouver quelque chose, il faut que nous fassions nos preuves à chaque fois. En ce qui me concerne, je dois repousser mes limites pour en faire quelque chose d’unique, quelque chose d’à mes yeux vraiment nouveau, vraiment cool. Musicalement, il y a de très bons musiciens dans le groupe et c’est un honneur pour nous de jouer les uns avec les autres. Nous sommes presque frères. Je pense que c’était le bon moment pour nous de revenir ; Mayhem a plus de trente ans, le groupe a surmonté tellement de merdes, de périodes différentes, et nous avons accompli beaucoup de choses sans jamais avoir vendu notre âme ; nous avons toujours été fidèles à ce qu’est Mayhem. Ce qui m’intéresse dans De Mysteriis, c’est que c’est un effort collectif, c’était donc ça qu’il allait falloir conserver… Merde, c’est vraiment unique ! Aucun autre album de Mayhem n’a le feeling De Mysteriis, tu vois ce que je veux dire ? C’est l’album qui nous a tous rassemblés, qui a fait de Mayhem quelque chose d’unique, et je crois que ce qui en a fait quelque chose d’unique, c’est que ça a été le point de départ de ce qu’est devenu Mayhem par la suite. J’aime vraiment cet aspect-là de l’album. Je crois qu’il est vraiment important pour nous en tant que membres du groupe, plus encore que pour la scène en général, ou même Mayhem dans l’absolu : c’est un groupe que nous respectons, mais nous ne sommes pas à son service pour autant [rires] !
Esoteric Warfare et Ordo Ad Chao étaient tous deux très complexes et ont surpris certains fans. Cette fois-ci, vous avez apparemment ressenti le besoin de « simplifier » votre musique. Pourquoi ?
Ces deux albums sont liés. Nous avons changé de line-up entre les deux, donc c’était important de conserver une continuité dans le groupe sur le plan musical. C’était très important pour Morten [Teloch] notamment, pour qu’il puisse se faire sa place et prouver qu’il était à l’aise. Cette fois-ci, il fallait que nous changions sur le plan musical. C’est aussi ça, le truc : ce dont nous avons besoin, le message que nous voulons faire passer. Alors que nous étions dans une situation assez complexe, nous avons fait des albums eux aussi très complexes – l’intro d’Ordo Ad Chao, par exemple, je n’y comprends toujours rien, je ne sais pas du tout ce qu’il s’est passé, là [rires] ! Je crois que nous avons vraiment repoussé nos limites avec ce disque, et là… Je ne sais pas si j’utiliserais ce terme de « simplifier » ; peut-être que le disque est un peu plus direct, c’est un retour aux sources, mais je crois qu’il est lui aussi rempli de petits détails qui font que c’est toujours un disque de Mayhem, de cette qualité… Il est peut-être moins abstrait que les précédents. Peut-être que dans ce sens-là, on peut parler de simplification : l’album est un peu plus accessible, plus ouvert, moins abstrait – je crois vraiment que c’est le mot adapté. Cela dit, je crois que c’est toujours de la musique de grande qualité, avec des riffs putain de cool, de bons grooves, mais un peu plus accessible, un peu moins froide : les albums précédents étaient extrêmement froids ; Ordo notamment est un album très exigeant. Je pense que c’est une bonne chose de renouer avec des éléments un peu plus atmosphériques, d’ouvrir un peu l’espace… C’est toujours du Mayhem, mais l’une des caractéristiques de Mayhem est de toute façon sa liberté. Nous faisons ce qui nous semble juste plutôt que d’essayer de répondre aux attentes de qui que ce soit. Je respecte complètement nos auditeurs, ce n’est pas que je veux les emmerder, mais nous essayons tous ensemble d’élargir un peu l’horizon. Je crois que parfois, ça fait du bien de faire un disque comme ça, qui est aussi une sorte de voyage dans le temps… Comme je te le disais, je pense que Daemon remonte même à avant De Mysteriis, à l’époque qui a suivi Deathcrush. Eh oui, pourquoi pas [rires] !
Vous avez expliqué que vous avez beaucoup tourné ensemble et que tout le monde a été impliqué dans l’écriture de Daemon, mais paradoxalement, loin d’avoir été enregistré live ou de manière collective, l’album a été enregistré entre plusieurs lieux très éloignés (Attila et Hellhammer en Suède, Ghul aux Pays-Bas, et Teloch et Necrobutcher en Norvège)…
Ghul : C’est très rare que des albums soient enregistrés live de toute façon, mais c’est vrai que c’est un peu compliqué d’enregistrer de son côté parce qu’il faut réussir à créer et maintenir une certaine atmosphère. Pour ce style de musique, il ne suffit pas de se poser pour enregistrer avec ta vie de famille qui continue en arrière-plan. Il faut pouvoir se mettre dans le bon état d’esprit. Sinon, je crois que ça finit par se percevoir dans l’enregistrement. Je ne sais pas, peut-être que ce n’est que dans mon imagination, mais j’ai l’impression qu’on peut entendre l’atmosphère du lieu d’enregistrement dans un disque. C’est vraiment important de pouvoir se mettre dans le bon état d’esprit pour le faire, d’autant plus si nous sommes éloignés les uns des autres. C’est un peu différent de quand nous nous retrouvons tous dans le même studio, c’est sûr.
« Nous sommes fous, mais nous mettons notre folie dans notre musique, dans notre art. C’est putain de compliqué d’arriver à faire fonctionner tout ça, mais quand on y arrive, c’est là que ça devient magique. »
Attila : Avec la technologie actuelle, nous avons tous ces petits studios à domicile. Donc ce n’est pas un gros problème, nous pouvons échanger des démos facilement pour bien nous préparer en amont. Ça nous permet de ne pas avoir à passer autant de temps ensemble qu’à l’époque. Et puis le groupe existe depuis des décennies désormais, et ce line-up a une dizaine d’années, donc nous n’avons plus nécessairement besoin d’être proches géographiquement pour créer ensemble.
Attila, toi, tu as enregistré ton chant pour Daemon dans une vieille église. Est-ce que ça a eu une influence sur ta performance ?
Nous avons enregistré au NBS Studio avec Tore [Stjerna], qui s’occupe du son ce soir aussi, d’ailleurs. Il a un studio près de Stockholm et pas loin de là, il y avait cet endroit qui était en effet une ancienne église. Mais n’allez pas vous imaginer une grande cathédrale : c’était une petite chapelle suédoise en bois, perdue au milieu de nulle part. Une petite église de village, mais sans même un village autour – ou alors, je ne l’ai pas vu ! Nous avons trouvé ce lieu, donc nous y sommes allés. J’ai trouvé que l’acoustique y était formidable. Nous y avons mis la batterie aussi et Tore a pu y mettre tous ses micros acoustiques dans toute la salle pour pouvoir entendre la réverbération naturelle, etc. C’était chouette d’être éclairés à la bougie, on pouvait encore voir l’autel, la manière dont il avait été utilisé… L’atmosphère était super. C’était un espace très aéré, ce qui est idéal pour la voix. Je pouvais bouger sans que quiconque me voie, c’était vraiment bien. Je pouvais me cacher dans les ténèbres [rires]. C’était étrange d’être seul avec lui. Normalement, pour le disque précédent par exemple, j’enregistre avec ces messieurs ici présents, et c’est totalement différent. Pour les disques de Mayhem, tous les membres enregistraient toujours ensemble, que ce soit De Mysteriis, Ordo Ad Chao où il y avait Rune… Il fallait toujours que les compositeurs soient présents. Évidemment, cette fois-ci, nous étions en communication en permanence aussi, on s’envoyait les fichiers du studio, etc., mais c’était différent, et je suis toujours inspiré par les différences. Je pouvais faire tout ce dont j’avais envie, je me sentais totalement libre. Je me disais : « Ils ne l’entendront jamais… » [petits rires]. Tore encourageait toujours mes expérimentations, donc j’en ai profité pour essayer différentes choses, ce qui a donné ma vision pour cet album. Nous avions des démos qui étaient prêtes à, disons, soixante-dix pour cent, et j’ai fait le reste en studio. Nous avions la ligne générale pour la voix, c’était tout. Je crois que ça a bien fonctionné pour cet album ! Je n’avais pas ces gars à côté de moi en train de se plaindre. Non, j’adore bosser avec eux, c’était génial la dernière fois avec Morten aussi…
Ghul : Je suppose que c’est plus facile de se concentrer quand on est seul en studio.
Attila : Oui, mais tu te souviens de l’enregistrement la dernière fois ? Ça avait fini par nous taper un peu sur le système, donc nous avons commencé à nous relayer. Quand il se levait, j’allais me coucher, puis je me réveillais, et il me disait : « Oh mec, il faut que je dorme ! » [Rires] Nous avons passé deux jours comme ça. Mais avant, c’était allé très vite. Nous avons terminé presque la moitié de l’album très rapidement, puis il nous a fallu un peu de temps pour quelques modifications, puis nous nous y sommes attelés à nouveau et nous avons tout terminé. C’était cool, c’était génial. Nous étions dans un chalet près de fjords norvégiens, c’était superbe. Mais je n’aime pas me répéter. J’aime faire la même chose mais de manière différente, disons.
Comme tu le disais, votre producteur, Tore Stjerna, est aussi votre ingénieur du son pour les concerts. Est-ce que vous pensez que ça a eu une influence sur le son de l’album ?
Bonne question ! Oui, bien sûr… À vrai dire, c’est assez chouette, comme histoire. Nous avons tourné avec Watain, qui sont comme des frères pour nous, c’est l’un de ces groupes avec qui nous sommes pratiquement frères de sang, et Tore travaillait avec eux. Parfois, il faisait des mix pour nous et ça nous plaisait bien. Il a fini par nous suivre sur la tournée De Mysteriis. Je crois que pour cet album, il nous fallait quelqu’un comme ça. Il avait en plus fait beaucoup de production avant ça, il a un bon passif, il a donc travaillé avec Watain notamment, et jamais avec des groupes vraiment mainstream, ce qui était très bien pour cet album. Nous voulions remonter au début des années 90, au moins en termes d’état d’esprit. Il nous a semblé être le choix idéal parce qu’il est familier avec ce genre de musique, il est dans la scène depuis longtemps, et puis il avait déjà mixé cinquante ou cent de nos concerts. Il avait mixé ma voix tant de fois qu’il la connaissait déjà parfaitement. Il connaissait notre son, nos capacités, et il savait ce qui nous irait. Il a pu me dire à certaines reprises : « Tu pourrais faire mieux, je connais ta voix ! » C’est bien de pouvoir travailler avec quelqu’un qui a déjà cette expertise. Grâce à tout ça, j’ai eu un vrai sentiment de liberté en travaillant avec lui. C’était bien, nous communiquions facilement, je pouvais lui décrire ce que j’envisageais et il comprenait immédiatement, nous sommes vraiment sur la même longueur d’onde professionnellement. Les autres membres du groupe m’ont fait plus ou moins le même genre de retour. C’était très bien de travailler avec lui pour cet album, peut-être que nous prolongerons cette collaboration… Enfin, qui sait ! Putain, qui sait ce que nous allons faire ensuite ! Là, c’était très bien, je suis content. Je n’ai pas eu à ronger mon frein, au contraire, il m’a inspiré à utiliser plus largement le spectre de ma voix. Sur l’album précédent, tout était plus froid, mais là, j’ai utilisé plus de dimensions différentes. Je voulais ces petites voix étranges et fascinantes qu’on ne peut presque pas entendre dans le mix, par exemple, parce qu’il me semblait que c’était ce qui incarnerait le mieux cette idée de « daemon » : le démon parle en langues… En tout cas, moi, c’est comme ça que je l’entends [rires] ! Tout s’est bien passé avec Tore, je pense que c’était un bon choix. Je crois que dans l’ensemble, l’enregistrement de Daemon sonne mieux que le précédent.
« Mayhem a plus de trente ans, le groupe a surmonté tellement de merdes, de périodes différentes, et nous avons accompli beaucoup de choses sans jamais avoir vendu notre âme ; nous avons toujours été fidèles à ce qu’est Mayhem. »
C’est quoi, d’ailleurs, ce « daemon » dont vous parlez ?
Le daemon, c’est tous les aspects négatifs de la nature humaine, ou de la nature tout court. Le daemon est aussi un pont pour accéder à d’autres mondes. C’est un mot qui vient de la mythologie grecque et qui représente les liens entre ce monde et des royaumes plus élevés, ou plus sombres, si tu préfères. En gros, c’est un passeur.
Attila, ça a l’air important pour toi en tant qu’artiste de te dépasser à chaque fois et de ne pas être où on t’attend : tu as travaillé avec des artistes très différents, tu es connu pour tes costumes de scène hors du commun, etc. Comment continues-tu à trouver des moyens de te renouveler à chaque fois, à surprendre, surtout quand tant a déjà été fait dans le black metal ?
Ça se fait assez naturellement. C’est ça qui me stimule : j’aime bien les situations un peu inconfortables, hors cadre, lorsque ça ressemble à un défi… Je ne crois pas être le seul à fonctionner comme ça, cela dit. Dans Mayhem, nous sommes tous un peu comme ça. Nous essayons de ne jamais nous répéter, de ne pas refaire ce que nous avons déjà fait, même si ça a été un succès. Nous essayons toujours de trouver du nouveau, c’est d’ailleurs ce qui me plaît tant dans ce groupe. La nouveauté m’inspire, c’est dans les territoires inexplorés que je me sens le plus à l’aise. D’autres musiciens préfèrent à l’inverse jouer toujours la même chose, dans le blues par exemple ou le black metal orthodoxe, et je peux le comprendre aussi : tu avances en profondeur, tu t’améliores… Mais moi, je préfère la nouveauté, ce qui est différent, les fossés et les sauts entre différents éléments, c’est là que je me sens le mieux, je trouve ça très stimulant. C’est ce qui m’inspire le plus.
Vous avez aussi enregistré quelques reprises durant les sessions de Daemon. Comment avez-vous choisi les chansons ?
Teloch : Nous avons tous fait des suggestions, en fait, et nous les avons enregistrées, tout simplement.
Ghul : Nous avons choisi celles qui fonctionnaient le mieux. Avec combien de chansons nous sommes-nous retrouvés à la fin ? Trois ?
Teloch : Dix !
Ghul : Non, mais que nous avons vraiment sorties ?
Attila : Les mecs avaient un peu de temps à tuer en studio, donc ils se sont amusés avec une dizaine de reprises.
Teloch : Hellhammer a eu vite fait de terminer l’enregistrement de la batterie, donc il nous restait trois ou quatre jours de studio.
Ghul : Nous avions vu large parce que nous avions anticipé des gueules de bois potentielles, etc., mais en fait il est resté sobre pendant tout l’enregistrement, donc il a terminé en cinq jours seulement ! Alors que nous avions réservé le studio pour deux semaines ! [Petits rires] Ça a bien marché parce que ça nous a laissé le temps d’expérimenter, d’explorer certaines de ces reprises. Elles rendent vraiment bien, finalement. C’est toujours fun de faire des reprises parce que ce sont des chansons auxquelles nous sommes attachés. C’est aussi très dangereux parce qu’un groupe comme Death par exemple a vraiment sa patte… Heureusement, nous aussi avons notre patte, donc je crois que ça a plutôt bien fonctionné. Nous avons joué plusieurs chansons, et nous avons su immédiatement si ça allait fonctionner ou pas.
Attila : Mais où est-ce que j’étais lorsque les e-mails à propos de ces chansons ont été échangés, bordel ?
Ghul : Nous n’avons aucune idée d’où tu es quatre-vingt-cinq pour cent du temps de toute façon, alors [rires]…
Attila : J’ai vu leur liste et je me suis dit : « OK, cool. » Mais en fait, les chansons étaient déjà enregistrées ! Je me suis dit : « Merde alors ! »
Teloch : Ce sont des chansons avec lesquelles nous avons grandi…
Ghul : Le choix de Morbid était évident, par exemple. Mais nous avons aussi essayé une chanson de Metallica. Laquelle, déjà ? « For Whom The Bell Tolls » ? Évidemment, ça a été complètement foireux. Rien ne fonctionnait, les guitares n’étaient pas accordées, c’était juste pour se venger du fait qu’ils nous aient piqué une vidéo… [petits rires]
Attila : Oui, ils ont embauché le réalisateur de Lords Of Chaos [Jonas Åkerlund] pour leur clip. Ce n’était pas un problème, mais enfin c’était assez étrange à voir. Personne ne nous a dit qu’ils avaient fait une telle vidéo !
Ghul : Le plus bizarre dans cette histoire, c’est qu’un groupe comme Metallica fasse une truc pareil mais que ça n’ait aucune influence sur notre carrière [rires]…
Attila : Je n’ai jamais rencontré les membres de Metallica mais j’ai entendu dire qu’ils ont beaucoup de respect pour nous, ce qui est putain de cool. Je suppose que ça montre à quel point tout est relié dans le monde du metal. Évidemment, j’ai grandi en écoutant leurs trucs, ça m’a influencé, Ride The Lightning par exemple. Je me souviens très bien de quand il est sorti, ça a tout changé, c’était extraordinaire. Je respecte ces mecs, mais ça aurait été sympa de pouvoir en discuter un peu.
« Le daemon, c’est tous les aspects négatifs de la nature humaine, ou de la nature tout court. Le daemon est aussi un pont pour accéder à d’autres mondes. »
Attila, tu es revenu sur scène avec Tormentor cette année. Entre ça et la tournée De Mysteriis Dom Sathanas, tu revisites vraiment ton passé, ce qui doit sans doute mettre en perspective tout ton parcours…
Tu as raison, c’est complètement dingue [rires] ! Ce n’était pas du tout prévu. Tormentor, c’était mon premier groupe. Nous avons commencé en 1985 et joué notre premier concert en 86. J’avais quinze ans à l’époque, j’étais le membre le plus jeune du groupe. La différence avec Mayhem, c’est que nous avons beaucoup joué live. Je ne crois pas que Mayhem ait beaucoup joué avant De Mysteriis Dom Sathanas, alors que nous, nous avons fait cinquante, peut-être une centaine de concerts, entre 86 et 90. Nous nous sommes fait une sacrée réputation en Hongrie. Nous pouvions attirer 500, 700 personnes à nos concerts, peut-être même plus à la fin. Nous jouions presque chaque week-end. J’étais encore au lycée [rires], j’ai dû laisser tomber le sport pour le groupe, ce qui m’allait tout à fait d’ailleurs [rires]. Tormentor, c’est vraiment mes racines. À l’époque, en Hongrie, c’était encore le régime communiste. Nous n’avions pas le droit de faire tout ça officiellement, nous n’étions jamais payés, nous avions juste un peu de sous pour l’essence, la bouffe et nous bourrer la gueule, mais c’était tout. Je n’étais même pas majeur, c’était assez dingue ! C’est grâce à Tormentor que j’ai été invité dans Mayhem. En 88-89, nous avions enregistré Anno Domini, mais comme le régime politique s’est écroulé et que la maison de disque appartenait à l’Etat, nous avons tout perdu, le disque n’a pas pu être sorti. Et puis après, en 90, nous nous sommes séparés parce que rien n’allait plus, tous les groupes qui étaient nos héros changeaient : Bathory s’est mis aux Vikings, Celtic Frost… Je ne sais même pas quoi dire… Kreator est devenu très thrash, Destruction a laissé tombé les histoires de Satan et est devenu plus chiadé, Sodom est devenu plus thrash aussi… Tout le monde a changé, à part Slayer peut-être. Ça nous a fait douter, donc nous avons laissé tomber.
Bref, ces cassettes se sont retrouvées en Norvège. Apparemment, Euronymous et Dead adoraient Tormentor, et c’est pour ça qu’Euronymous m’a demandé de remplacer Dead à sa mort… Il voulait aussi produire le disque de Tormentor, c’était aussi pour ça qu’il était entré en contact avec moi. Sacrée époque ! Imagine, tout ça, c’était à la fin des années 80. Trente ans plus tard, nous sommes les mêmes mecs, à jouer la même musique ! C’est très intéressant comme expérience, notamment parce que les autres membres du groupe n’ont pas nécessairement continué dans la musique, contrairement à moi, mais ils ont révisé, beaucoup répété, et maintenant, je trouve que nous nous débrouillons pas mal ! C’est un peu comme jouer Deathcrush en permanence, le vieux Deathcrush de Mayhem, sauf que c’est Tormentor, et tu sais quoi ? Les gens adorent ! Je crois que notre situation est assez unique dans la mesure où il n’y a pas tant de groupes que ça qui viennent de l’underground du metal extrême, ont eu leur rôle à jouer à une époque, et sont toujours là avec le même line-up, etc. C’est fantastique. J’ai hâte d’être à notre prochain concert à Debrecen, en Hongrie, dans deux semaines. Les autres membres du groupe sont un peu plus âgés que moi, ils sont comme mes frères, nous avons grandi ensemble [rires]. C’est génial !
Est-ce que tu as l’impression d’être toujours le même que le jeune Attila qui a laissé tomber le sport pour la musique il y a trente-cinq ans ?
Je crois, oui. Je dois être la même personne, ou encore plus moi-même, mais en tout cas je me souviens très bien de ce que c’était, de la sensation, de la flamme qui m’animait… Ce que j’ai trouvé incroyable aussi quand nous avons joué ces festivals avec Mayhem cet été – j’aime bien y traîner un peu quand j’ai le temps –, c’est le nombre de jeunes de vingt ou vingt-cinq ans qui avaient l’air d’être à fond dans notre musique. J’ai trouvé ça formidable. Ça m’a rappelé cette époque. Moi aussi j’avais mes héros dans la musique, je me souviens de ce que ça fait… Et quand ces jeunes, qui avaient à peu près l’âge de mon fils, venaient me voir pour me dire : « C’était le meilleur concert de toute ma vie ! », c’était vraiment inédit pour moi. Peut-être que c’était seulement que je n’en étais pas conscient, que c’était déjà le cas avant, que la nouvelle génération est fan de notre musique. C’est putain de cool, j’adore ça ! Évidemment, de l’eau a coulé sous les ponts, nous avons tous vieilli, peut-être un peu changé, mais je crois que la flamme est toujours là. Quand je travaille sur une chanson de Mayhem, l’arrangement des voix, etc., ce sont toujours ces sensations-là que j’essaie de retrouver. Ça fonctionne toujours à base d’images intérieures, comme à l’époque. Je crois que nous suivons toujours la même voie, le groupe est toujours à la hauteur de son logo, complètement. C’est aussi pour ça que nous avons joué de vieilles chansons pendant des soirs et des soirs, pour aviver cette flamme et la montrer aux fans.
Est-ce que tu as l’impression de boucler la boucle, de ce point de vue-là ? Tu viens de mentionner ton fils : c’est d’ailleurs lui qui joue ton rôle dans le film Lord Of Chaos…
Je ne sais pas, mais je crois que la musique et tout ce qui l’entoure, c’est de la magie, surtout dans notre style, qui aborde ce genre de thématique très fréquemment. En ce qui concerne le fait que mon fils me joue dans le film, je n’ai rien à voir avec ça ! J’étais en tournée quand c’est arrivé. Quand je suis rentré, ma famille m’a appelé pour me dire : « Tu sais quoi ? Ton fils va jouer ton propre rôle ! » J’ai répondu : « Quoi ?! » En fait, il s’est trouvé qu’ils tournaient une partie du film en Hongrie – beaucoup de films sont tournés en Hongrie – et ils ont trouvé mon fils dans une base de données où il est inscrit parce qu’il est réalisateur. Il y a au moins une chose de bien que j’ai faite pour mes enfants et dont je suis particulièrement fier : je les ai envoyés dans une école de théâtre privée très jeunes, donc ils ont vraiment grandi dans ce milieu. Bref, voilà comment ils l’ont trouvé. Au début, cette histoire m’a un peu choqué, je me suis dit : « Bordel de merde ! » Avec le groupe, nous n’étions pas très chauds pour ce film. Mais enfin, c’est mon fils, et donc c’est évidemment sympa que ce soit lui qui joue mon rôle, et je me suis dit que finalement, ce n’était pas si mal. J’ai rencontré le réalisateur à ce moment-là, nous avons un peu discuté. Le film n’a pas grand-chose à voir avec le groupe, ce n’est pas un projet que nous avons approuvé ou quoi que ce soit. Jonas [Åkerlund], le réalisateur du film, est un mec sympa, mais quand même, ce film… C’est bizarre. C’est bien, ça parle de Mayhem, mais tout ce que vous y voyez, les conversations, tout ça, c’est complètement inventé. Ça n’est jamais arrivé, c’est une histoire, un conte. Mais enfin les gens disent souvent que mon fils ressemble beaucoup à moi à son âge, ce qui semble assez logique [rires], donc c’est plutôt une bonne chose que ce soit lui qui ait eu le rôle, à la fin. Cela dit, ce n’est pas un acteur pour autant, il est toujours réalisateur, il travaille à la production de films.
« C’est ça qui me stimule : j’aime bien les situations un peu inconfortables, hors cadre, lorsque ça ressemble à un défi… Dans Mayhem, nous sommes tous un peu comme ça. »
Comment gérez-vous l’héritage particulièrement chargé de Mayhem, le fait qu’il aille au-delà du black metal et même de la musique ?
Nous faisons partie de cette histoire, tout ça nous est arrivé, ça fait partie de notre bagage. Pour nous, ce n’est pas particulièrement joyeux ou même plaisant. Les gens décrivent cette époque comme l’âge d’or du black metal, le moment où les portes de l’enfer ont été ouvertes. À partir de là, tout le monde a tout à coup eu l’opportunité de jouer avec ce qui venait des ténèbres, ce qui est une bonne chose dans la mesure où de jeunes groupes talentueux injustement ignorés ont enfin pu avoir de l’attention, mais c’est aussi à ce moment-là que Mayhem a été réduit en cendres. Je suis content que les mecs aient pu maintenir la barque à flot. Ce n’était pas une rupture ou un split qu’il fallait gérer, il fallait vraiment trouver une manière de continuer, tout simplement. Et puis par la suite, la route a encore été chaotique. Je suis revenu dans le groupe, puis Blasphemer est parti, nous avons galéré à trouver un autre guitariste… Les meilleurs étaient tous occupés. Ça prend du temps, de trouver la bonne personne !
Ghul : Oui, tous les bons guitaristes étaient pris, donc nous étions des seconds choix [rires].
Attila : Non, ce n’est pas ce que je voulais dire ! Je suis très fier de notre line-up et je me sens vraiment à l’aise avec ces deux monstres. Parfois, je trouve même leur compagnie très agréable [rires] !
Teloch et Ghul, quelle était votre relation à Mayhem, son histoire et sa musique avant de rejoindre le groupe ?
Ghul : J’ai grandi en écoutant surtout des groupes de Bergen, Enslaved, Emperor, etc., mais j’avais un très bon ami qui était super fan de Mayhem (il avait des tatouages et possédait tout ce que sortait le groupe), donc c’était un groupe que je connaissais bien. Voilà quelle était ma relation à Mayhem. Ensuite, j’ai fait la connaissance d’Attila. Je crois que nous nous sommes rencontrés à Oslo au début des années 2000, non ? Nous avons gardé contact, nous discutions de temps en temps. Et puis ils se sont retrouvés à chercher quelqu’un, le line-up était bancal, et c’est à ce moment que j’ai rejoint le groupe. Là, j’ai vraiment découvert ce qu’il s’était vraiment passé dans l’histoire de Mayhem, etc., mais il était déjà trop tard pour que je puisse me débiner, donc me voilà [rires] !
Teloch : En ce qui me concerne, à l’époque j’avais écouté Deathcrush et j’avais trouvé que c’était de la merde ! Ensuite, avec De Mysteriis Dom Sathanas, je suis vraiment devenu fan du groupe. C’est toujours mon album de black favori, d’ailleurs, et c’est ça qui m’a fait découvrir le black metal – et Mayhem. À l’époque, c’était Hellhammer qui m’avait demandé de rejoindre le groupe, je crois. C’est comme ça que je m’y suis retrouvé !
Attila : En fait, ce qui est marrant, c’est qu’au tout début, quand Rune a quitté le groupe, je vous avais déjà parlé à tous les deux, mais vous étiez très occupés par vos groupes respectifs, Gorgoroth, Cradle Of Filth… C’était vraiment chiant, nous aurions pu enchaîner directement sinon, nous aurions déjà sorti deux albums de plus, voire trois, au lieu de perdre du temps, mais enfin, c’est comme ça. Et au moins maintenant, ça tient la route !
Ghul : Si nous avions rejoint le groupe en 2008, ça n’aurait pas duré longtemps, je crois. J’étais une personne différente à cette époque, ça n’aurait pas fonctionné du tout. Il fallait attendre que les planètes s’alignent, que le moment soit le bon.
Mayhem et le black metal en général ont grandi ensemble. Qu’est-ce que vous pensez de l’évolution du genre ?
Attila : Quand j’ai commencé à jouer ce genre de musique dans les années 80 avec Tormentor, black metal, ce n’était qu’un disque de Venom. Ce n’est que par la suite que les gens ont commencé à en parler comme d’un style. Et ce qu’on appelait death metal, à l’époque, c’était Celtic Frost, etc. À l’époque, ça concernait très peu de groupes. Le principe, c’était d’être obscur, d’avoir des thèmes anti-religieux, d’avoir un son différent, et d’être putain d’extrême, aussi. Le but, c’était de repousser les limites. À la fin des années 80, tout ça a disparu. Les groupes comme Sodom, Destruction et même Celtic Frost et Bathory ont changé, ce qui était une bonne chose pour eux évidemment puisqu’ils ont pu jouer au Wacken, etc., mais tous ces thèmes et ces ambitions ont été laissés de côté. À l’époque, je ne savais pas ce qu’il se passait en Scandinavie. Tout ça a commencé en Scandinavie, et moi, je n’y étais pas. C’est à cette époque que Mayhem a commencé, ça a remis tout ça au goût du jour, ça a tout changé. Beaucoup de groupes ont suivi et ont trouvé leur propre manière de faire les choses. Beaucoup de groupes très talentueux, et beaucoup de pâles copies.
Ghul : Maintenant, tout est infecté par cette mentalité de hipster qui veut transformer tout ça en pièce de musée. Les gens viennent au concert et ensuite se plaignent parce que c’est trop extrême ou choquant, et je me dis : « Mais qu’est-ce que vous foutez là ? » Maintenant, nous vivons dans un monde bizarre où des gens qui ne sont pas du tout faits pour être là s’y retrouvent. Il faut une personnalité vraiment particulière pour pouvoir se sentir chez soi dans cette musique.
« Maintenant, nous vivons dans un monde bizarre où des gens qui ne sont pas du tout faits pour être [dans le monde du black metal] s’y retrouvent. Il faut une personnalité vraiment particulière pour pouvoir se sentir chez soi dans cette musique. »
Attila : À l’époque, même quand j’étais en Norvège, il fallait surveiller ses arrières [petits rires]. C’était assez extrême. Maintenant, tout ça est plus accepté. Mais ça ne me dérange pas, je trouve que c’est pas plus mal. Ça veut dire qu’ils avaient raison, Euronymous et tous ces gars. Ils avaient vraiment anticipé comment les choses deviendraient. Personne à l’époque n’aurait pu imaginer quelque chose comme le Hellfest, qui a commencé comme un festival extrême, le Furyfest. Tout ça n’existait pas, à l’époque, et quand on jouait du metal extrême, la scène heavy ne pouvait pas nous saquer. Enfin, c’est peut-être un peu fort comme terme, mais je me souviens que quand le deuxième album de Bathory est sorti, The Return, le Metal Hammer allemand lui a mis une note de deux sur sept ! Avec Tormentor, nous avons fait un paquet de concerts, mais nous n’avons pas eu une seule critique positive, on se faisait vraiment pourrir.
Ghul : Quand j’étais ado, ils disaient déjà que tout le genre était mort. Le metal était censé être mort, dans les années 90. Les médias, la presse musicale, tout le monde disait que c’était fini pour de bon. Ça n’est pas rien que vingt ans plus tard, non seulement ça existe toujours, mais qu’en plus ce soit plus fort que jamais !
Certains disent que des groupes comme Deafheaven ou Alcest, c’est un peu du black metal pour mamans…
[Rires] Il y a du vrai là-dedans, évidemment. Je ne voudrais pas manquer de respect à la vision artistique ou à l’art de qui que ce soit, mais disons que certains groupes sont plus acceptables que d’autres. C’est plus présentable, un peu moins limite, disons. Mais je suppose que c’est avant tout une question d’individus.
Tore Stjerna, le producteur de l’album, a dit que son idée avec Daemon avait été « d’essayer de capturer ce qui fait vraiment l’essence de Mayhem. » Mayhem a pris des formes très différentes au cours des années, donc c’est quoi, pour vous, l’essence de Mayhem ?
Attila : Je ne sais pas… Je ne savais pas qu’il s’était exprimé sur cet album, tiens ! Mais c’est une bonne chose, ça ne me pose aucun problème. D’ailleurs, je crois qu’il a raison, c’était ce que je voulais aussi. Je pense qu’actuellement, l’essence de Mayhem, c’est cet album. C’est ce que je dirais. Tu sais, nous sommes toujours là, et c’est incroyable. Le temps passe et je suis toujours aussi émerveillé et honoré de faire partie de ce groupe et de pouvoir encore sortir de tels albums. J’ai vraiment hâte de jouer ces chansons en live. Je crois que Tore a raison : c’est l’essence de Mayhem, et ça me va très bien. Daemon, c’est nous, nous tous impliqués dans ce projet. Voilà ce qu’est Mayhem.
Quelle est votre ambition en termes de prestation live ? Qu’est-ce qu’un spectateur ou un auditeur de Mayhem devrait ressentir en 2019 ?
C’est assez complexe. Nous faisons toujours des concerts différents. Là, évidemment, nous faisons la promo de Daemon, mais il y a aussi des passages dans les concerts où nous remontons le temps, les différentes époques du groupe. Pour moi, c’est très important de parvenir à créer une atmosphère un peu spirituelle. C’est ce qu’il se passe, la plupart du temps, parfois de manière plus ou moins intense selon le lieu et le moment. L’état que je recherche quand je suis sur scène tient de la transe, c’est là que quelque chose s’ouvre et que je peux ressentir l’énergie du public et de la scène, comme si nous ne faisions qu’un.
Ghul : Oui, il faut un équilibre très délicat pour atteindre ce point.
Attila : Ces moments sont complètement dingues et indescriptibles. Parfois, si les choses commencent à s’épuiser un peu, tu essaies de retrouver ça. Et puis parfois, il y a les problèmes techniques. La dernière fois, la sonorisation principale de la salle s’est arrêtée pendant que nous étions en train de jouer, ce qui est difficile à gérer et franchement chiant, mais mon objectif, c’est toujours de réussir à garder l’atmosphère quoi qu’il arrive sur scène. Et si tout se casse la figure, je continue en solo [rires] !
Ghul : D’une certaine façon, ce groupe est toujours à la limite de s’écrouler de toute façon…
Attila : Non, je ne laisserais jamais ça arriver ! Mais franchement, c’est ma partie préférée : jouer tout ça en live. C’est toujours un défi, parfois c’est épuisant, mais c’est toujours ce qui me plaît le plus, je n’en ai jamais assez [rires] !
Interview réalisée par téléphone le 9 septembre par Chloé Perrin et en face à face le 6 novembre 2019 par Quentin Le Neveu.
Fiche de questions & introduction : Chloé Perrin.
Retranscription : Chloé Perrin & Nicolas Gricourt.
Traduction : Chloé Perrin.
Site officiel de Mayhem : www.thetruemayhem.com.
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il n’a pas tort, l’époque est bizarre, certains peuvent aller à un concert de Mayhem comme plus tard allé à un concert de Papa Roach , j’exagère presque pas.
Je ne reprocherais pas à quelqu’un d’aller à l’un puis à l’autre s’il aime, bien au contraire l’éclectisme est à mes yeux une qualité, je n’apprécie guère les fans totalement sectaire d’un genre.
Ce que je comprends c’est qu’il critique les touristes, ces personnes qui se pointent à un concert (quelque soit le genre) parce que c’est « hip », parce que ça fait cool le lendemain à la machine à café au boulot… Oui, ceux là sont une plaie, d’autant plus qu’avec le marché noir si tu te pointes pas dés la mise en vente des places tu l’as dans le c… baba. >_<