Ça, c’est ce qu’on pouvait appeler une surprise. Là où tout le monde attendait, fantasmait, le retour de Marty Friedman, c’est finalement sur Kiko Loureiro que Dave Mustaine a porté son dévolu pour prendre la place de guitariste laissée vacante par Chris Broderick. Et on peut dire que, plus que jamais, le frontman a eu le nez creux.
Loureiro n’était peut-être pas le premier nom à venir à l’esprit des fans de Megadeth pour briguer le poste, pourtant, ceux qui l’on suivi au sein d’Angra n’ont pu que se réjouir, car eux savent l’immense talent du Brésilien et qu’une telle promotion n’était que méritée. Plus que ça, même si les chansons du nouvel opus Dystopia étaient écrites avant son arrivée, Kiko Loureiro mais également le batteur Chris Adler, ne l’oublions pas, semblent avoir permis cette étincelle qui a fait décoller le disque.
En tout cas, force est de constater qu’à peine plus d’un an après notre dernière rencontre, à l’occasion de la sortie du Secret Garden d’Angra, la carrière de Loureiro a pris une toute autre ampleur. Nous l’avons donc brièvement retrouvé pour nous parler de son intégration dans le groupe californien mais aussi de ce nouvel opus et sa contribution. Nous tentons également de faire le point par rapport à Angra dans lequel, pour le moment, il officie toujours en tant qu’homme de l’ombre.
« Dave Mustaine est ouvert aux idées mais il faut que ce soit vraiment de très bonnes idées [petits rires]. »
Radio Metal : Une question très simple pour commencer : comment t’es-tu retrouvé à rejoindre Megadeth ?
Kiko Loureiro (guitare) : C’était en mars de l’année dernière. J’ai reçu un email de David Ellefson. Il m’a d’abord contacté pour me demander mon numéro de téléphone et si je serais disponible pour lui parler avec Dave Mustaine. Je savais qu’ils n’avaient pas de guitariste pour le moment. Donc je me suis dit : « Eh bien, peut-être qu’ils veulent me demander si j’ai envie d’auditionner ou quelque chose comme ça. » Le jour même, les deux m’ont appelé et ils ont commencé à parler de Megadeth et ont voulu en savoir plus sur moi. Ensuite, ils m’ont pris un billet d’avion pour que je rencontre Mustaine à Nashville. J’ai pris ma guitare acoustique parce que je pensais que j’allais faire une audition en bonne et due forme. Lorsque je suis arrivé là-bas, en gros, j’ai déjeuné, pris le café, bu quelques bières et dîné avec Mustaine. Durant toute la journée, je n’ai quasiment rien joué ! Mais j’avais quand même enregistré quatre vidéos pour lui, où je jouais quatre anciennes chansons. Et peut-être dix jours plus tard, ils m’ont envoyé au studio pour enregistrer l’album [petits rires].
Dave Mustaine a la réputation de ne pas laisser les autres membres s’exprimer musicalement et d’un point de vue créatif. C’était d’ailleurs la raison que Chris Broderick a donné pour son départ du groupe. Donc, même si les chansons étaient plus ou moins terminées lorsque tu es arrivé, est-ce une inquiétude que tu avais pour le futur ?
Non, pas vraiment. Je n’y ai jamais réfléchi. Bon, j’entends ce que les gens disent à son sujet, au sujet du groupe, mais je sais que, en règle générale, la réalité est différente. Lorsque tu rencontres les gens, ce n’est pas la même chose que lorsque tu lis ce qui se dit sur internet. Et j’ai eu cette journée où j’ai pu beaucoup parler avec lui et qui m’a donnée un sentiment très différent de ce qu’on lit généralement. Donc, ouais, bien sûr, les chansons, les idées et peut-être le concept étaient plus ou moins terminés. Mais lorsque j’ai rejoint le groupe, pendant le processus de pré-production et de finalisation des chansons, j’ai pu un peu collaborer. Je suis donc parfois crédité comme co-compositeur avec Dave. Je pense qu’il est très ouvert aux idées, tu sais. Il est ouvert aux idées mais il faut que ce soit vraiment de très bonnes idées [petits rires]. Bon, pas « vraiment » de très bonnes idées mais au moins, des idées qui sont en phase avec le concept que représente Megadeth. Donc, durant mes deux premières semaines dans le groupe, j’ai grosso-modo essayé de comprendre ce qu’était le concept de Megadeth, toute l’histoire, ce qu’était Megadeth en 2016 et ce qui serait le mieux pour le groupe à l’avenir. Sachant ça, tu commences à essayer de trouver de bonnes idées à présenter. Et ensuite, lorsque tu présentes quelques idées, tu dois avoir conscience que tes idées ne seront pas forcément acceptées. Mais lorsque tu proposes une idée pour une chanson, un accord ou un refrain, peu importe, parfois l’idée est acceptée, parfois elle ne l’est pas et parfois l’idée n’est pas acceptée mais elle aide à trouver une autre nouvelle idée qui sera la bonne. C’est comme ça que l’échange créatif entre deux ou trois personnes fonctionne. Donc, si tu comprends que… Tu vois, ça fait plus de vingt ans que je joue avec Angra, à travailler et composer avec les gars, et j’ai appris énormément de cette alchimie qui consiste à composer ensemble.
Il y a une instrumentale qui s’intitule « Conquer Or Die » qui débute avec un arpège à consonances latines. Et il y a énormément de solos dans cette chanson. Est-ce c’est qu’ils t’ont justement donné carte blanche sur cette chanson ?
Ouais, pour cette chanson, Dave m’a demandé de créer quelque chose qui pourrait mettre en avant mon jeu dans l’album. J’ai donc plus ou moins créé les parties solos et structuré ça avec Dave. Nous avons défini ce que serait la chanson et ensuite j’ai créé toute l’intro avec cette partie hispanisante de guitare classique en cordes en nylon. Lorsque je suis arrivé au studio, j’avais emmené ma guitare acoustique et j’ai dit que je voulais, d’une manière ou d’une autre, mettre une guitare acoustique là-dedans parce que c’est un instrument que j’adore et j’ai pensé que ce serait cool que ça figure dans l’album.
« J’étais dans le studio, je pouvais voir l’enthousiasme qu’ils avaient à revenir aux sources. »
Dystopia arrive après le plus controversé Super Collider et revient au thrash metal classique de Megadeth. Penses-tu que Dave et David ont cédé aux plaintes conservatrices des fans ?
Non, je pense que c’est plus une envie irrépressible ou un bon feeling qu’ils ont eu de revenir en arrière. Je crois que c’est normal, tu sais. Parfois tu écoutes de vieilles chansons ou tes propres anciennes chansons et tu te dis : « Mec, allez, on remet ça ! » Je pouvais les voir surexcités en ramenant ces idées et se souvenant de ces trucs. Ils étaient excités par cette musique. Ce n’est pas comme s’ils avaient été là : « Oh, on doit faire machine arrière parce qu’on est obligés ! Les fans se plaignent ! » C’était plus le côté palpitant, du genre : « Oh, souviens-toi ! Ce riff sonne comme telle chanson des années quatre-vingt ! Tu te souviens lorsque nous étions à cet endroit ou sur cette tournée avec ce mec ? » Ils ont une grande histoire commune, Dave et David. Je pense que c’est un super feeling qui les a amené à rejouer ce thrash metal pour lequel Megadeth est reconnu. C’était chouette de voir ça. J’étais dans le studio, je pouvais voir l’enthousiasme qu’ils avaient à revenir aux sources.
L’album tourne autour de la thématique de la dystopie, et il y a notamment cette phrase dans la chanson « Post American World » qui dit : « A quoi ressemblerons-nous dans un mon post-Américain ? Pourquoi fuir face à tous ceux qui s’opposent au monde américain ? » Ça parait très pro-Américain. Est-ce que tu adhères à cette vision ?
[Petits rires] Eh bien, pour ce qui est des paroles, ce sont celles de Dave. Ceci dit, je suis un peu d’accord, tu sais. Mais j’ai parfois une image positive du monde et du futur. Tout dépend le moment. Tout dépend où nous sommes, de ce que nous voyons. Car il faut garder en tête qu’en étant un musicien qui tourne, on voit plein de choses. Nous allons dans des pays riches, des pays pauvres, de petites villes, de grandes villes, tu loges dans des hôtels luxueux juste à côté de quartiers pauvres… Donc tu perçois le contraste, tu vois ce qui se passe dans le monde. Nous avons ce privilège de voir tout de nos propres yeux, en voyageant énormément. Nous avons été en Chine et nous n’avons pas pu jouer les chansons parce que la police était là ! C’est quelque chose que tu n’imaginerais jamais dans des pays européens ou c’est quelque chose qui se serait passé au Brésil dans les années soixante, la police qui contrôle chaque mot que tu t’apprête à chanter. Mais ensuite, le jour suivant, nous étions au Japon et le jour d’après, en Inde dans un hôtel chic en plein milieu d’une zone hyper pauvre, c’est dingue. Ça t’offre donc plein de perspectives différentes sur le monde. Donc quelqu’un comme Mustaine voit plein de choses et après il écrit. Mais je pense que les paroles sont vraiment super. Ca fait réfléchir les gens et c’est ça l’idée principale : amener des sujets que parfois les gens ne veulent pas aborder ou une perspective qu’ils ne veulent pas voir, et ensuite Mustaine apporte une autre perspective qui les fait réfléchir pour qu’ils se fassent leur propre opinion sur les choses, sur ce qui se passe dans le monde.
L’un des points d’interrogation qu’a soulevé ton arrivée dans Megadeth concerne ton futur dans Angra. En août l’année dernière, Rafael Bittencourt a dit que Megadeth allait sans doute devenir ton groupe exclusif et qu’ils devront te trouver un remplaçant. Peux-tu nous en dire plus à ce propos ? Vas-tu quitter Angra ?
J’avais beaucoup de dates de prévues avec Angra lorsque j’ai rejoint Megadeth, et j’ai joué avec les deux groupes, j’ai maintenu le planning. Mais c’était très difficile pour moi et ma famille, c’était dingue de devoir être partout à la fois, de voyager constamment. Ce n’est pas sain, tu sais, de faire ça. Je l’ai donc fait jusqu’à septembre et maintenant je joue avec Megadeth, et un autre gars (Marcelo Barbosa, NDLR) assure mon job – on pourrait dire ça – dans Angra. Je suis très ami avec tous les gars, nous avons une super relation. Je leur parle constamment. J’aide le groupe dans n’importe quelle décision qu’ils doivent prendre, dans le dur labeur qu’ils ont à faire ou peu importe ce qu’ils font. J’aide dans l’ombre, on pourrait dire. J’ai donc le sentiment d’être avec eux mais je ne serai pas sur scène parce que c’est trop difficile pour plein de raisons. Ça devient confus pour les fans. Ça devient vraiment difficile pour moi de voyager de partout. Et je ne veux pas demander aux gars de ne pas jouer à cause de moi. Ils peuvent continuer à jouer et faire ce qu’ils aiment faire. Et le gars qui joue la guitare aujourd’hui est un très bon ami à moi que je respecte beaucoup. C’est un super musicien et une belle personne, donc ils sont entre de bonnes mains. Pour ce qui est du futur, c’est difficile de prédire parce que je ne sais pas ce que je ferais. Lorsque ce sera le bon moment pour Angra de faire un album, je ne sais pas où j’en serais. Mais je suis sûr que je pourrais collaborer, peut-être en s’envoyant les chansons pour les composer. De toute façon, il n’est pas prévu qu’ils fassent un album tout de suite, donc ce n’est pas un problème pour le moment.
Interview réalisée par téléphone le 28 janvier 2016 par Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Megadeth : www.megadeth.com.