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Interview   

Mehdi El Jaï : de Rammstein à Verycords (en passant par Dick Rivers)


Mehdi El Jaï est connu dans le milieu du metal en tant que Directeur du label Verycords. Créé fin 2011, ce jeune label compte dans ses rangs des groupes metal/rock comme Mass Hysteria, Skunk Anansie – ou le récemment signé Dagoba – mais aussi des artistes plus généralistes à l’image, par exemple, de Dick Rivers ou Tchéky Karyo.

Ancienne figure de XIII Bis, un label aujourd’hui disparu qui avait notamment contribué à ce que des formations aussi prestigieuses que Rammstein ou Nightwish puissent trouver leur public en France à l’époque où elles étaient encore peu connues, Mehdi El Jaï revient au cours de cet entretien sur son parcours personnel en évoquant en profondeur des anecdotes qui, nous l’espérons, vous intéresseront autant que nous.

Il serait d’ailleurs étonnant que cela ne soit pas le cas car il est quand même assez rare d’entendre parler une personnalité du milieu qui a eu la chance de côtoyer de près les membres de Rammstein et Nightwish et qui raconte même, cerise sur le gâteau, certains secrets de leur ascension !

Dans ce long échange, Mehdi El Jaï en profite également pour livrer son analyse sur ce qu’est, pour lui, le metal en France aujourd’hui – en s’attardant notamment sur la question des labels spécialisés et du public – tout en évoquant le récent partenariat entre Verycords et Edel, un label qui comporte dans ses rangs des artistes aussi prestigieux que Deep Purple (dont le nouvel album, Now What?!, sortira le 29 avril prochain) Marillion ou encore Stratovarius.

(A propos de l’album Herzeleid de Rammstein) « J’étais très dubitatif quand j’ai reçu l’album, une pochette horrible : une espèce de boys band musculeux, torse nu devant un champ de tournesols démesurés… »

Radio Metal : Tu es à la tête du label Verycords, qui a récemment vu le jour, mais tu travailles dans la musique depuis le milieu des années 80. Peux-tu revenir sur ton parcours ?

Mehdi El Jaï (Verycords) : J’ai eu la chance d’être adolescent dans une période fantastique, la gauche venait de passer, un vent d’espoir et d’optimisme incroyable s’était emparé du pays. Des radios libres se créaient tous les jours, des labels indépendants se montaient, des groupes de qualité se formaient (Vulcain, Blasphème, Sortilège,etc.) et pour la première fois, des concerts purement metal s’organisaient pendant qu’un magazine dédié, Enfer Magazine, venait de voir le jour en 1983.

J’avais 13 ans cette année-là et l’envie de faire des choses pour la musique que j’aimais. J’étais devenu très copain avec Philippe Touchard qui animait l’émission « Peacemaker », qui s’occupait de Vulcain et qui allait devenir rédacteur en chef d’Enfer. On faisait du tape trading et c’est comme ça que j’ai rencontré également Hervé Reiss qui animait French Cancan sur Radio Mouvance, Bruno Labati qui écrivait pour Enfer ou Franck de Holtausen qui travaillait à la FHMA (ndlr : French Heavy Metal Association) et s’occupait de Sortilège. D’ailleurs, j’en vois encore certains aujourd’hui.

A l’époque, je voulais chanter dans un groupe, et en répondant à une petite annonce, j’ai rencontré Sacrifice, un groupe parisien. Au lieu de chanteur, je me suis improvisé manager. Le combo a commencé à se faire un petit nom et j’ai pu leur décrocher un contrat d’enregistrement avec un label américain (New Renaissance) et, entre autres faits d’armes, une place au France Festival.

Parallèlement, j’ai monté avec Hervé Reiss et Philippe Elbaz, une association de management d’artistes : H.M.P. On s’occupait de Sacrifice, Dygitals, Yuggs et Epsylon. On a décroché un contrat avec Devil’s Records pour produire la première compilation de metal français « French Connection » avec Dygitals, Steel Angel, Yuggs et Vytal. C’est comme ça que je me suis retrouvé à produire mon premier disque à 14 ans. J’ai appris avec Christian Bordarier (qui s’est retrouvé chez Wagram ensuite) ce qu’était un master, un test pressing, une mise en place, bref le b.a.-ba du métier.

Puis mon père a été nommé en poste au Sénégal et j’ai dû le suivre avant de revenir en France, une fois majeur, avec la ferme intention de faire ma vie dans la musique. J’ai alors monté, ou participé, à des groupes avant de laisser définitivement tomber mes velléités artistiques pour persévérer dans la voie du management plutôt que dans la voix ! J’ai alors fait plein de petits boulots en lien avec la musique pour pouvoir payer mes études en économétrie : ingénieur du son en radio, roadie, tour manager, tout en m’occupant de mes potes de Lilicub qui commençaient à avoir un beau succès avec « Voyage en Italie », même si ce n’était pas musicalement ma tasse de thé.

A l’époque, j’organisais aussi des concerts à la Cité Universitaire de Paris. J’ai fait venir No Man’s Land, en partenariat avec Ouï FM, et le concert a été un énorme succès. Il y avait 1 500 personnes, c’était dément. Suite à cela, le groupe m’a proposé de rejoindre leur management. Il venait de signer chez XIII Bis. Le titre « Conteste » est entré sur toutes les grosses radios de l’époque (Skyrock, Ouï FM, M40, etc.) et on a pu monter une tournée de 80 dates. Gilles Bressand, le boss de XIII Bis, convaincu par mon travail, m’a proposé de monter un label rock au sein de XIII Bis et c’est comme ça qu’est né 13 puis Metal 13. Je suis rentré officiellement à XIII Bis en 1995 pour un salaire de misère mais je m’en foutais car je bossais en maison de disques. Pour joindre les deux bouts, j’étais serveur le week-end.

A l’époque XIII bis était un tout petit label, j’avais une belle marge de manœuvre pour signer ce qui me paraissait valoir le coup et comme le label 13 ne coûtait pas cher on a pu développer de beaux projets.

Justement, dans le milieu metal, tu es surtout connu pour avoir favorisé le développement d’artistes majeurs comme Rammstein ou Nightwish à l’époque où tu travaillais pour le label XIII Bis. Avais-tu senti qu’un groupe comme Rammstein deviendrait aussi important et incontournable qu’il ne l’est aujourd’hui ?

Ce serait faux de prétendre que j’avais prévu que ce groupe deviendrait aussi énorme mais j’y croyais très fort. Il avait une très forte identité, une vraie originalité, et je m’étais pris une monstrueuse claque avec eux. Maintenant, il faut replacer les choses dans leur contexte. En 1996, Rammstein venait de sortir son premier album (Herzeleid) en Allemagne chez Motor /Universal et il venait d’être certifié disque d’or. Universal France avait refusé de sortir l’album comme d’ailleurs toutes les autres filiales d’Universal dans les autres pays. J’avais déjà travaillé avec leur manager, Emmanuel Fialik, sur un autre projet, un groupe électro nommé Twas This, pour une compilation. En désespoir de cause, il m’a envoyé Herzeleid pour voir si ça pouvait m’intéresser pour 13.

J’étais très dubitatif quand j’ai reçu l’album, une pochette horrible : une espèce de boys band musculeux, torse nu devant un champ de tournesols démesurés… puis j’ai mis l’album sur la platine et là, le choc absolu ! C’était d’une puissance phénoménale pour l’époque, novateur et parfaitement réalisé, dans la lignée de Laibach ou Clawfinger dont j’étais fan. J’étais convaincu. Je suis allé chercher Emmanuel à l’aéroport car avant de s’engager avec nous, il voulait être certain que l’on comprenait bien la démarche du groupe. Il m’a expliqué tout le projet Rammstein et la stratégie de conquête du Monde qu’il avait mise en place pour eux. C’était incroyable, il savait déjà qu’il voulait le marché américain et comment l’avoir. Il m’a montré l’intégralité du concert de Berlin, filmé pour le clip du titre « Rammstein ». C’était un show à la Kiss mais pour adultes, sans équivalent, vraiment très fort. On s’est tapé dans la main et la négociation avec Universal a commencé.

Ce fut ultra compliqué : David Lynch venait de les confirmer pour la B.O de son film « Lost Highway » et Universal ne voulait pas lâcher le groupe pour la France. Finalement, avec l’appui d’Emmanuel, on a pu signer et organiser avec Assad Debs de Corida le fameux concert à la Locomotive du 19 juin 1997. L’entrée était à 30 francs (ndlr : soit un peu plus de 4 euros…), il y avait 1 600 personnes pour voir la « bête » et ils n’ont pas été déçus ! Mais on a eu beaucoup de mal à défendre le groupe en médias ; personne ne voulait en parler. On se heurtait à des commentaires du genre « c’est des nazis »… tu vois le niveau !

Je me souviens même d’un animateur radio qui avait fait mine de casser le disque à l’antenne après 10 secondes d’un titre en disant que jamais sa radio ne diffuserait ce groupe. Peu de temps après, on a quand même sorti le deuxième album, Sehnsucht. Olivier Rouhet, Philippe Lageat et Marc Villalonga nous ont soutenus et on a pu décrocher la couverture d’Hard Rock Magazine de décembre 1997 pour Rammstein.

Cette couverture fut d’ailleurs difficile à organiser car le groupe ne voulait pas que l’on utilise d’autres photos que les officielles. Après une heure de discussion avec Emmanuel, Marc Villalonga a pu shooter Oliver Riedel en Père Noël dans les backstages de la Laiterie à Strasbourg. Cette couv’ nous a aidés à décoincer la situation avec les médias. Plus tard, il y a eu un reportage d’Arte, puis Rammstein a fait aussi la couverture d’Hard & Heavy avec le soutien de Xavier Bonnet et un sold out à l’Elysée Montmartre. Malgré cela, les ventes restaient encore assez confidentielles.

La situation a réellement changé qu’à partir du show atomique aux Eurockéennes le 3 juillet 1998. C’est là qu’on a vu les ventes s’accélérer. En 2001, après trois ans de travail acharné, Rammstein est devenu disque de platine aux USA et le groupe remplissait son premier Zénith parisien. Mais trois mois avant, Universal les a récupérés sur la France pour l’album « Mutter »… On a gardé l’exploitation des deux premiers albums encore deux ans et on était le seul label au monde, hors Universal, à pouvoir travailler avec le groupe. Personnellement, j’ai gardé de bons rapports avec eux ; je reçois encore des cadeaux ou des invitations de leur part, c’est cool car ce n’est malheureusement pas aussi fréquent.

Pour Nightwish, je crois que c’est mon plus beau souvenir de signature. En 1998, j’étais à un salon en Allemagne, le Popkomm, et mon dernier RV de la journée était avec Ewo Rytkonen, alors dirigeant de Spinefarm. J’étais à la bourre pour prendre mon avion de retour mais il m’a obligé à écouter le groupe qu’il venait de signer. Ewo fait 2 mètres et il était surexcité ! Impossible pour moi de partir ! Je pensais écouter seulement 2 chansons mais c’était tellement bien que j’ai écouté tout l’album. J’ai signé sur un coin de table et j’ai raté mon avion ! Ewo a eu raison : Nightwish est devenu le plus grand groupe finlandais de tous les temps. Il a d’ailleurs quitté Spinefarm quelques années après pour en prendre le management.

XIII Bis était dans une belle dynamique avec les succès de Rammstein, Suicidal Tendencies, Loudblast, etc.

L’album Oceanborn de Nightwish, que je venais donc de signer, était superbe, néanmoins c’est vraiment sur Wishmaster que le groupe a décollé en France. Là encore, comme pour Rammstein, le travail de terrain a pris beaucoup de temps. Mais ça a payé et l’histoire fut belle, même si le groupe était déjà miné à l’époque par des tensions internes. Tarja s’était beaucoup sacrifiée pour ce groupe qui était quand même, au départ, celui de ses amis d’enfance. Elle avait notamment abandonné sa carrière de chanteuse d’opéra. C’est pour cela que j’ai trouvé son éviction particulièrement dégueulasse. Qu’elle soit virée après la captation d’un DVD et par une lettre après le show, c’était quand même minable, connaissant les rapports qui étaient les leurs. Bref…

(A propos de l’éviction de Tarja Turunen de Nightwish) « J’ai trouvé son éviction particulièrement dégueulasse. Qu’elle soit virée après la captation d’un DVD et par une lettre après le show, c’était quand même minable, connaissant les rapports qui étaient les leurs. »

Il y a quelques mois, tu as quitté XIII Bis pour rejoindre le label Verycords et certains membres de ton équipe t’ont suivi dans cette nouvelle aventure. Peux-tu revenir sur ces événements et sur ton actualité des derniers mois ?

J’ai signé quasiment tous les artistes de ce label et l’ai vu grandir pour devenir un gros indépendant avec des bureaux à Berlin, Londres et Los Angeles et j’en suis très fier. On a offert leur premier contrat de distribution à Frontiers, Mascot et même Season Of Mist et j’ai pu défendre pendant toutes ces années des projets vraiment magnifiques. J’ai eu la chance de pouvoir travailler en direct avec des artistes dont je rêvais gamin : Ray Charles, Tears For Fears, Trust, Simply Red, Mötley Crüe ou Nine Inch Nails, pour n’en citer que quelques-uns et pour ça je ne remercierai jamais assez Gilles Bressand de m’avoir fait confiance au départ et permis de démarrer ma carrière. Maintenant, c’est une page de ma vie qui s’est tournée et je préfère n’en garder que les bons souvenirs…

Une fois parti de XIII Bis, j’ai eu plusieurs propositions d’embauche dont une d’une major pour reprendre la direction d’un label. C’était tentant mais je n’étais pas sûr que ce soit la meilleure option pour moi qui suis quand même très « indépendant » dans mon approche du métier. Et puis j’aurais dû tirer un trait sur le metal… C’est dans cette période de reflexion que Simon Turgel m’a contacté avec une offre que je ne pouvais refuser. Il venait de créer un label, Verycords, et m’en proposait la direction. Il y avait tout à construire et c’est un challenge excitant.

Ce qui est triste c’est qu’aujourd’hui XIII Bis est définitivement liquidé, soit moins d’un an après mon départ et celui de l’ancienne équipe.

Quels sont précisément les liens qui unissent aujourd’hui Verycords et le producteur de spectacles Veryshow ?

Comme je te le disais Veryshow et Verycords ont été fondés par Simon Turgel. Simon préside les deux structures et décide des stratégies. Je conduis le label Verycords et Romain le tour Veryshow, nous en sommes d’ailleurs respectivement les Directeurs Généraux, et Simon a souhaité nous associer au capital. Simon est un ancien banquier d’affaires et une des personnes les plus intelligentes qui m’ait été donné de rencontrer. Il a une vraie vision d’entrepreneur et même s’il fait ce métier par passion, il a toujours une façon de l’envisager pragmatique et logique, ce qui est d’autant plus appréciable pour moi.

C’est un entrepreneur au sens noble du terme. Il ne connaissait rien au métier de tourneur quand il a démarré en octobre 2008 et, en peu de temps, il s’est retrouvé à organiser les tournées des Beach Boys, d’Alan Parsons, de Govt’ Mule, et maintenant de Toto pour n’en citer que quelques-uns. Il avait envie de monter un label pour proposer aux artistes une vision à 360° et offrir une vraie synergie entre le tour et le label, un mouvement stratégique qui s’avère particulièrement pertinent et payant aujourd’hui.

Quand il a appris ma situation par rapport à XIII Bis et mon départ de cette structure, il a vu l’opportunité de brûler les étapes. Simon a été d’une grande élégance, conscient qu’il s’attaquait à un nouveau métier dont il ne connaissait que peu de choses, il m’a laissé les mains libres d’entrée de jeu et m’a proposé 20% du capital pour sécuriser mon investissement. J’ai pu recruter l’équipe que je voulais et signer les projets qui me semblaient pertinents. C’est une belle aventure. Warner nous a tout de suite suivis et proposé la distribution alors que nous n’avions aucun artiste signé à ce moment-là, et ça aussi, c’est un geste de confiance qui m’a beaucoup touché. Ensuite de nombreux artistes que je connaissais depuis longtemps ont rejoint le label, me connaissant et sachant qu’ils pouvaient me faire confiance : Skunk Anansie, Mass Hysteria, Dick Rivers, Tchéky Karyo…

Et après moins d’un an d’existence, je trouve que l’on ne s’est pas si mal débrouillé ! Même si Veryshow et Verycords sont deux sociétés soeurs travaillant main dans la main, avec des coûts de structure mutualisés, Simon tient à ce qu’elles restent toutes deux indépendantes dans leurs fonctionnements. Un artiste ou un projet signé sur l’une ne l’est pas forcément sur l’autre. Maintenant, quand c’est le cas, comme pour Triggerfinger, cela nous permet d’être beaucoup plus performants et efficaces… et ce n’est que le début !

Dans les coulisses, Verycords et Edel ont récemment signé un accord. Quelles informations peux-tu nous donner sur cette collaboration ?

Là encore, c’est une belle histoire de confiance et de rencontres. Il y a deux ans, je travaillais sur l’album d’un groupe sud africain, les Parlotones, et Ines Weidemann s’occupait d’eux. On était toujours en contact quand elle a rejoint l’activité internationale d’EarMUSIC, le label d’Edel. Il se trouve que l’on venait de faire la captation du concert de Christopher Cross au Trianon à Paris et que cet artiste avait sorti son précédent album sur EarMUSIC, c’est donc comme cela que l’on s’est rapproché avec Max Vaccaro, le patron du label, pour travailler cette sortie ensemble à l’international.

On a le même âge, sensiblement le même parcours et la même vision du métier. On a par conséquent eu envie de pousser la collaboration plus loin et aujourd’hui, je suis très fier d’annoncer que Verycords devient le représentant exclusif du catalogue EarMusic pour la France. C’est vraiment un label de grande qualité avec de très grands artistes : Europe, Gamma Ray, Stratovarius mais aussi Joe Jackson ou Stranglers. Et je suis ravi que notre première sortie avec eux se fasse sur le nouvel album de Deep Purple qui est un petit bijou. C’est d’ailleurs un album qui va vraiment en surprendre plus d’un tant la production de Bob Ezrin et les compositions sont fortes. Nous allons nous occuper de la stratégie, du marketing, de la promotion et bien évidemment de la distribution pour eux via Warner. C’est vraiment exceptionnel qu’un si gros label fasse confiance à une entité si jeune, Verycords ayant à peine un an, mais après tout comme dit Simon : « La carrosserie est jeune mais le moteur est ancien ».

« Le metal en France, c’est un public régulier de 20 000 personnes qui se bougent, achètent les magazines, les disques, vont aux concerts, etc. »

Verycords met en avant des artistes issus de différents genres musicaux dans son catalogue. Par conséquent, en tant que responsable d’un label dit « généraliste », travailles-tu sur le volet promotionnel un artiste metal différemment d’un artiste jazz, pop etc. ?

Merci pour ta question, elle va me permettre de clarifier le fonctionnement de Verycords, et de remettre les pendules à l’heure par rapport au public metal. J’ai commencé il y a plus de 25 ans par passion pour le metal et cette passion ne m’a jamais quitté. Simplement j’ai eu conscience très vite que si je voulais proposer à mes artistes le meilleur environnement professionnel possible, je ne pouvais me contenter de rester dans « l’underground ». On a perdu Rammstein en partie à cause de ça et c’est bien compréhensible. On aimerait l’audience de TF1 avec les programmes d’Arte mais c’est malheureusement quasi impossible, surtout dans le contexte de crise actuelle.

Lorsque tu travailles avec des pointures comme Ray Charles, Tears For Fears ou encore Sting, tu acquiers un savoir-faire différent, une manière de travailler avec la grande distribution et les gros médias que tu ne peux pas avoir en ne travaillant que des groupes de metal, malheureusement. De même, on a la chance aujourd’hui d’avoir un gros distributeur comme Warner. Tu imagines bien que si je ne proposais que des groupes de metal, je les perdrais rapidement en route et je ne suis pas sûr que les artistes seraient ravis de cette perte pour aller chez un plus petit distributeur.

L’avantage c’est que quand tu mets cette « technicité » et ce réseau de distribution au service de tes artistes metal, forcément tu arrives à des résultats auxquels ils ne sont pas habitués. Le public ne le voit pas mais on a une exigence extrême sur les albums que l’on sort. Je suis très vigilant sur la pochette, le contenu, les photos de presse etc. car souvent le succès se joue sur cette somme de détails.

C’est grâce à cette expérience et expertise, je crois, que l’on a pu avoir d’aussi beaux résultats sur Mass Hysteria qui est quand même rentré à la quatorzième place du top album général et a touché des médias plus généralistes. C’est également grâce à cela que l’on a pu gérer au mieux la présence de Zuul FX sur le film « Pop Redemption » avec Alexandre Astier, ce qui est quand même une opportunité pour eux.

On essaye toujours avec l’équipe, et ce quels que soit les artistes, d’apporter le même environnement, le plus professionnel possible, à nos sorties. Je ne crois pas que les artistes metal s’en plaignent, bien au contraire, car on parle la même langue avec les mêmes références – d’autant plus que ma responsable de la promo, Sabrina, est une ex-Roadrunner – tout en ayant une approche plus généraliste de leurs sorties. Je crois sincèrement que l’on offre un peu le meilleur des deux mondes aujourd’hui, même si c’est prétentieux de dire ça !

Notre seule grosse faiblesse encore, c’est notre manque de notoriété à l’international, car même si nous avons les réseaux de distribution, on n’est pas encore staffés pour cela. Mais au bout d’un an, cela reste normal et je pense que notre accord avec EarMUSIC va un peu changer la donne dans les prochains mois.

On leur a d’ailleurs confié une de nos grosses sorties : l’album de Steve Nieve, le pianiste d’Elvis Costello, qui est un album de duos avec Sting, Vanessa Paradis, Cali, Laurie Anderson, Elvis Costello, etc.

Rares sont les labels français d’envergure spécialisés dans les musiques extrêmes. Season Of Mist et Listenable font partie des labels spécialisés les plus importants dans l’Hexagone mais penses-tu qu’à court et moyen termes, et avec la crise du disque, de nouveaux labels français pourront émerger dans notre pays et sur la scène internationale pour atteindre un jour une notoriété et un rayonnement aussi importants que des labels prestigieux comme Nuclear Blast ou Roadrunner ?

Je ne suis pas sûr d’être le mieux placé pour te répondre. Il faudrait poser la question directement à Listenable et Season de comment ils se sentent par rapport à la concurrence. Ce qui est certain c’est que les Business Model des deux boîtes sont très différents. Tu as d’un côté un Season qui, à l’instar d’un Wagram, est label et distributeur et de l’autre un pur label, Listenable. L’inconvénient pour Listenable, c’est qu’il a forcément, mécaniquement, une trésorerie plus faible pour lancer ses projets. L’inconvénient pour Season, c’est qu’il est beaucoup plus exposé au risque de faillite puisque s’il perd un gros label, il perd une part importante de son chiffre d’affaires et cela a donc une répercussion immédiate sur ses coûts de structure.

De même, il est plus exposé à la politique des enseignes (Fnac et autres) qui, comme on le sait tous, devient très difficile pour les distributeurs indépendants. Maintenant, et cela n’engage que moi, je pense qu’il va être très très compliqué de rattraper l’avance considérable qu’a Nuclear Blast. D’abord, parce que c’est un label qui a accumulé depuis vingt ans un patrimoine très conséquent et une puissance sur le marché sans équivalent aujourd’hui. Quant à Roadrunner, c’est aujourd’hui une division de Warner à 100%, le label en tant que tel n’existe donc plus ; il est comparable techniquement à un Barclay pour Universal ou un Columbia pour Sony, et je ne parle pas d’artistique.

Pour creuser un peu la question, j’ai toujours pensé que la richesse et donc la puissance d’un label est lié à ses contrats d’artistes. Lorsque Listenable perd Gojira, Laurent (Merle, le responsable de Listenable) perd également son vaisseau amiral, en quelque sorte. Cela a, bien sûr, des implications sur la suite de son business. Donc, tant que tu perds tes artistes phares, et en général c’est au profit d’une structure plus grosse, il devient difficile de développer ton label.

C’est pour ça que les deals de Roadrunner étaient aussi contraignants au départ. Cees Wessels (le directeur de Roadrunner) avait bien compris cela, résultat il avait réussi à faire de son label une des plus belles réussites indépendantes du métier. Les artistes pouvaient se plaindre mais ils ne pouvaient pas aller voir ailleurs lorsque le succès arrivait… Maintenant, je reste un peu naïf car ce n’est pas une philosophie qui me convient, je préfère rêver à la relation que Depeche Mode entretient avec son label Mute : il ne l’a jamais quitté et il n’y a pas, à proprement parler, de contrainte contractuelle pour eux. C’est plus sain et épanouissant pour tout le monde, à mon avis, et je pense que c’est difficile de faire de bons albums sous la contrainte d’un contrat.

Que penses-tu de la démarche et de l’évolution d’un collectif metal comme la Klonosphere dont les signatures sont pointues et de qualité (Klone, 7 Weeks, Jumping Jack etc.) ?

Je ne connais pas Guillaume (Bernard, guitariste de Klone et responsable de la Klonosphere) mais je suis très admiratif et respectueux du travail qu’il fait avec son collectif. C’est pour cela que quand mon équipe m’a parlé dernièrement de Trepalium, je leur ai demandé de ne pas pousser le deal car je ne vois vraiment pas ce que l’on aurait pu apporter de plus à ce groupe à ce niveau de développement.

C’est aussi important de venir chez Verycords pour passer une étape, lorsque tu n’as pas de meilleure alternative, que de quitter Verycords demain pour aller vers plus adapté, si besoin est.
En gros, on a aujourd’hui les capacités humaines, techniques et financières, pour emmener un artiste jusqu’au disque d’or, mais pas dans le metal malheureusement. Au-delà, sauf accident heureux, c’est d’autres réseaux et d’autres sphères. Je pense que Klonosphère fait un formidable travail de développement pour ses artistes dans une « niche » pas facile, et sincèrement Verycords ne pourrait pas faire mieux sur cette typologie d’artiste.

En France, le metal est un style assez complexe à travailler car le marché économique global est moins important que pour d’autres genres musicaux. Comment l’expliques-tu et penses-tu que le public metal soit en France assez nombreux pour faire tenir un écosystème digne de ce nom ?

La meilleure vente de disques en France à ce jour reste « La Danse Des Canards », je crois que ça résume bien le problème non…?! On n’est pas l’Angleterre, l’Allemagne, les Etats-Unis, voire l’Australie où la culture rock est dans l’ADN de la nation. En France, on est plus chansons. Quand les Américains font des biopics c’est sur Johnny Cash, Ray Charles ou encore Joy Division ; nous c’est sur Claude François.

Mais je trouve que ça évolue et que l’on a de plus en plus une génération qui s’y met, et de très bons groupes ; même si on attend toujours le groupe français qui saura s’imposer au niveau international et être une locomotive pour les autres et le système dans son ensemble. J’espère sincèrement que ce sera Gojira car depuis Trust et, plus modestement, Loudblast, c’est vraiment le premier depuis longtemps.

Le metal en France, c’est un public régulier de 20 000 personnes qui se bougent, achètent les magazines, les disques, vont aux concerts, etc. et c’est d’ailleurs grosso modo les chiffres de vente des plus gros artistes du genre ou la population francophone du Hellfest. Je ne parle pas évidemment d’un AC/DC ou Maiden qui touchent un public plus large mais qui ne sont pas des participants réguliers à cet écosystème. Ca reste faible pour professionnaliser un ensemble donc à chacun d’en tirer ses conclusions et d’y trouver sa place en ayant conscience de cette relative faiblesse. C’est pour cela que souvent, je me tiens en retrait des querelles de chapelle, je pense que l’on est déjà trop peu nombreux, si en plus on doit être divisé sur des conneries… ça me fait parfois penser à des batailles de coqs dans un poulailler vide.

Si tu devais décrire le public metal et si tu avais un message à lui transmettre, que lui dirais-tu ?

Je pense que le public metal est suffisamment indépendant et souvent plus intelligent que la moyenne pour se méfier des messages et des phrases toutes faites. Ce sont souvent des gens qui ont choisi de penser et marcher différemment du « troupeau ». Le seul axe de réflexion que je leur proposerais, concerne le téléchargement illégal qui n’est pas gratuit, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire. A qui profite-t-il ? Car il y a bien un transfert de valeur qui s’opère vers les FAI et autres providers. Après tout, Kim Dotcom (le fondateur de Megaupload) n’a pas acheté ses propriétés sur du vent…

Quand tu sais que Vivendi possède Universal mais aussi SFR, et qu’AOL avait racheté un temps Warner… et je ne te parle que de ce qui ce sait. Bref, je ne suis pas sûr que ce que l’on veut bien nous dire soit tout à fait conforme à la réalité économique. De mon point de vue, chacun fait ce qu’il veut avec sa conscience et ses actes, et ce n’est pas à moi de brandir l’étendard de la loi Hadopi ou d’appeler à responsabiliser les internautes. J’aimerais juste qu’ils réfléchissent à la manière dont le système retombe toujours sur ses pattes et toujours du même côté, tout en nous faisant croire à notre absolue liberté…

Interview réalisée par mail entre février et mars 2013.
Site internet officiel de Verycords : Verycords.com



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  • Elsassgromit dit :

    Chouette interview qui nous montre quelque chose de différent des itw traditionnelle.
    Néanmoins dommage que le bonhomme glisse des références socialistes pas forcément nécessaires dans son discours. Ca rend ce dernier presque politisé, vu les groupes signés récemment on peut aisément comprendre que c’est son fond de commerce, pas la peine d’en rajouter ^^. Mais il a des choses intéressantes à dire et n’est pas avare sur la quantité et ça pour une interview c’est sympa.

    [Reply]

    raskholnikov

    N’importe quoi ton com’, il ne dit qu’une chose en rapport avec le socialiste au tout début puis plus rien.
    Cela de manière totalement indirecte, rien de politisé du tout, juste après il explique pourquoi c’était bien :

    « J’ai eu la chance d’être adolescent dans une période fantastique, la gauche venait de passer, un vent d’espoir et d’optimisme incroyable s’était emparé du pays. Des radios libres se créaient tous les jours, des labels indépendants se montaient, des groupes de qualité se formaient  »

    J’adore les gens qui lisent que le début et fabulent à tout bout de champ.
    Encore quelqu’un qui a perdu l’occasion de se taire.

    Mr Claude

    Ce n’est pas politiser: c’est raconter une histoire personnelle, nationale, planétaire via le prisme de la musique.

    Le changement, c’est pas gagné…

  • Game-system dit :

    Très bonne interview!

    [Reply]

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