Mélancolia, nouveau poulain fougueux de l’écurie Nuclear Blast, s’est élancé l’année passée. Si le désespoir et la mélancolie évoqués par leur nom sont bien au rendez-vous, il ne faut pas s’attendre à une forme de doom : les quatre Australiens opèrent dans un registre pour le moins impulsif, quand il n’est pas carrément tourmenté. À cloche-pied entre le deathcore et le black metal, leurs ambiances trempent également volontiers dans l’industriel gothique – et osent même évoquer, sans complexes, le nu-metal. L’identité visuelle forte et atypique du groupe, n’hésitant pas à tirer vers un grotesque assumé, reflète cette concoction explosive. Ce paquetage se met au service d’une narration poussée : on découvre dans leur premier album, HissThroughRottenTeeth, une divinité déchue qui, sous le joug d’une punition, se trouve enfermée, sans pouvoir aucun, dans une forme humaine. Toujours doté de connaissances vertigineuses, mais soudainement inapte à en faire pleinement usage, cet être traversera un parcours alignant supplice après supplice.
Mélancolia nous frappe d’abord par son chant. Débité avec une détermination industrielle, mécanique, il s’appuie sur des cris déchirants, et ne retombe que pour asséner quelques growls, changeant son fusil – un gros fusil – d’épaule à loisir. Fréquemment cinglants, ces assauts évoquent les passages les plus flippants de Cradle Of Filth, avec quelques pincées de folie à la Dir En Grey (« Horror_Ethereal »), le tout transposé dans du deathcore. Si Mélancolia peut parfois rappeler Benighted, le groupe s’octroie le droit de soudainement partir tête baissée à travers d’autres territoires. Leur dynamique devient volontiers plus hypnotique, voire grandiose comme dans un morceau de black metal (« The Hands That Tied The Noose »). Quoi qu’il se trame, la batterie est généralement épileptogène à souhait. Lorsque l’ambiance se feutre, c’est rarement sans se parer d’une bonne touche industrielle ; des nappes de claviers façon film d’épouvante maintiennent la tension, et rendent les accalmies intrigantes. Quelques répits plus atmosphériques existent également, parfois au sein même de morceaux qui, à tout autre égard, sont plutôt hyperboliques (« When Shovels Drag On Concrete »).
Bon nombre de leads se révèlent plutôt atypiques pour le genre (si tant est qu’on puisse définir un genre ici). Des insertions mid-tempo font leur office pour dévoiler de sourdes mélodies donnant un peu corps à tout cet effrayant mais joli bazar. Lorsque la guitare suit ces rythmiques, on pourrait éventuellement l’associer à Gojira, même si on est assez loin du domaine de nos compatriotes. Cependant, même ces passages plus death peuvent brutalement laisser place à un interlude ambiant qui remet tous les compteurs à zéro. Les breakdowns sont légion (« Dread Will Follow »). S’ils ne sont pas toujours révolutionnaires, on se doit de les reconnaître comme sincères et convaincants. Avec des riffs vaguement math-metal qui leur donnent par instants de lointains airs d’Hypno5e, ils entretiennent un certain goût de la théâtralité. La production, résolument moderne, ne manque pas de cimenter avantageusement ces cabrioles.
Les trois dernières pistes s’enchaînent avec naturel, formant ainsi, pour conclure l’album, un triptyque dérangé s’approchant du quart d’heure. « [Inure] » pourrait presque être qualifié de nostalgique, ou du moins maussade. Le chanteur Alex Hill nous y susurre Dieu sait quoi à l’oreille. C’est aussi le titre qui nous ferait le plus (peut-être involontairement ?) nous attendre à des envolées symphoniques – une tendance qui tranche avec le riff pesant, appuyé, qui revient tout le long du morceau. Une outro ambiante d’une bonne minute vient finalement nous présenter l’arpège d’introduction de « HissThroughRottenTeeth », qui fait progressivement surface au milieu de cette grande flaque d’huile chatoyante mais sinistre. Des sonorités hantées prennent alors généreusement leur temps pour nous envelopper, puis ce nouveau titre éclate, même si la sombre ritournelle initiale continue et va nous suivre jusqu’à la complétion du morceau. Quant à la fin de l’œuvre elle-même, elle se trouve matérialisée par « … A Cold Static Eulogy », qui fait certes un peu de redite mais remplit son rôle avec une combativité qui capte encore et toujours l’attention.
HissThroughRottenTeeth est court mais ne ménage pas ses effets. Son pari officieux semble être d’infliger un maximum de sensations en un minimum de temps, sans toutefois omettre d’inscrire quelques contrastes en son sein. Mélancolia se cherche une niche et pourrait bien l’avoir en réalité déjà trouvée ; sa brutalité sordide, par sa maîtrise, a un petit quelque chose d’addictif.
Clip vidéo de la chanson « [Inure] » :
Clip vidéo de la chanson « Horror_Ethereal » :
Album HissThroughRottenTeeth, sortie le 21 avril 2023 via Nuclear Blast. Disponible à l’achat ici